AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Ivan Bounine (126)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


L'Incendie

Appelés tours à tours, “petit poème en prose » ou “contes paraboliques”, les quarante-deux très courts récits d’Ivan Bounine, nous laisse entr’apercevoir le temps d’une page, un pan de vie, un incident,un personnage et parfois tout un monde.

En quelques lignes qui s’inscrivent comme une didascalie initiale il suscite notre imagination pour entrevoir une histoire dans son entité. Comme par exemple , la première ligne du récit “Le roman du bossu”, “Un bossu reçut une lettre d’amour sans signature qui lui proposait un rendez-vous, “, un trait, une évocation suffit à rendre la scène vivante et nous basculer dans l’histoire, comme si on y était déjà à mi-chemin.

Pour qui n’intéresse que le fond, ces courts récits n’ont pas grand intérêt. C’est leur forme qui leur apporte tout leur charme. Ils sont pourtant surprenants, de par leurs histoires, leurs détails et leurs chutes, comme par exemple dans “L’idole”. Il neige, il gèle, la vue d’un spécimen d’homme dans un zoo, derrière les barreaux, qui se met dans la bouche des morceaux de viande humide trempés dans du sang noir, reste pour toute une vie dans la mémoire d’un jeune couple, comme la nostalgie des jours heureux. Ou en une page, « La mangeuse d’homme », qui raconte le destin d’une malheureuse servante orpheline, «  En première classe » où l’on assiste au désarroi de trente minutes d’un employé des chemins de fer coincé de force dans un compartiment de première classe qui agonise sous les regards mal à l’aise des occupants.

Ces récits qu’il écrit en 1939, en exil, dix ans après avoir quitté la Russie, sont le reflet de sa nostalgie d’une Russie d’antan qu’il semble vouloir retenir par ces récits “snapshots” ( instantanés), qui défilent comme des photos sépias d’une époque révolue. Pour qui connaît déjà Ivan Bounine (1870-1953) , premier écrivain russe à recevoir le prix Nobel de Littérature en 1933, un recueil très intéressant et que je recommande fortement.



“La campagne un matin d’été, une troïka avance d’un trot régulier.Sur le bord de la grande-route, un pèlerin marche à sa rencontre: sans chapeau, pieds nus, la démarche si légère qu’on le croirait ailé. Il arrive à la hauteur de la voiture, apparaît un bref instant, puis disparaît. Maigre et sec comme un vieillard, ses cheuveux longs décolorés par le soleil flotte dans le vent. Qu’il est léger et jeune ! Quel regard vif et rapide ! Eh combien en a-t-il devant lui de ces routes blanches !

Dieu donne la jeunesse au vagabond.

( Le vagabond )





.
Commenter  J’apprécie          8914
La Vie d'Arseniev

Impressions soleil couchant,



Ivan Bounine nous présente une Russie couleur sépia, des souvenirs d'enfance qui sentent bon la naphtaline, alternant longues descriptions du quotidien et réflexions fleuves sur l'existence.



“Ah! ce continuel besoin de fête chez les Russes ! Que nous sommes sensuels, comme nous avons soif de l'ivresse de la vie. La simple jouissance ne nous suffit pas, c'est l'ivresse qu'il nous faut ; nous sommes toujours attirés par l'intempérance, la fièvre de l'étourdissement, et tellement rebutés par le quotidien et le travail régulier !”



Entendons nous, La Vie d'Arséniev est un (long) roman autobiographique intéressant à bien des égards, la délicatesse de la plume, la sensibilité et la couleur que donne la littérature au souvenir sont autant de raisons de parcourir cette madeleine slave et le choix de découper ce “short walk down memory lane” en courts chapitres le rend d'autant plus digeste.



“J'attrapais et embrassait ses épaules nues, ses jambes… le contraste entre les endroits brûlants de son corps et les endroits frais me bouleversait plus que tout.”



Mais l'ennui que l'on peut parfois ressentir à la lecture vient à mon sens de la relative monotonie dans la vie du principal protagoniste, mais pas seulement. Comparaison n'est pas raison, cependant prenez Ivan Gontcharov, qui eu le malheur de naitre avant le Prix Nobel de Littérature, attribué, non sans quelques remous critiques, à Ivan Bounine (le premier russe distingué par cet honneur), dans son Oblomov, il nous fait le récit d'une vie ennuyeuse à souhait, qui n'est pas d'ailleurs sans rappeler l'enfance aristocrate du personnage d'Arséniev, mais avec quelle vivacité ! Ainsi c'est un parti pris de l'auteur que ce ton, ce recours à la description, et puis si on veut coller à sa vie on ne peut pas non plus avoir la licence créatrice du roman toujours plus dramatique que le réel…



L'écrivaine russe Nina Berberova ne mâchait d'ailleurs pas ses mots, qualifiant Bounine de "primitif", "toujours le même ton", "toujours la même classe" reprochait-elle, "il ne pouvait pas comprendre l'esprit féminin, les droits des femmes", "il n'a jamais pu digérer le XXe siècle", concluant qu'il y avait "quelque chose qui manquait" chez l'écrivain russe, trop classique.



Pour conclure sur cet opus, découvert à l'occasion du Challenge “Solidaire” 2022, je pense que c'est LE roman de chevet par excellence, à laisser infuser, à lire par petits bouts, à vouloir aller trop vite en besogne on peut passer un peu à coté voire même… se lasser.



Qu'en pensez-vous ?
Commenter  J’apprécie          8710
Les Allées sombres

"Chez moi c'est toujours ainsi. Sans cesse, sans nulle raison, quelque image me traverse l'esprit -un visage, un paysage, un temps - traverse et disparaît, parfois elle se fixe soudain, retient l'attention, demande confusément à être développée, précisée, et m'émeut......C'est de là que provient la plupart de mes récits.", nous généralise Ivan Bounine , le premier Prix Nobel de la littérature russe . C'est notamment des vers du poète Ogarev (1813-1877 ), "Et dans les allées sombres, rouge parmi les tilleuls , aubépine florissant...."que s'impose à lui l'image de la voiture couverte de boue d'un vieux militaire qui avance par une journée froide et pluvieuse, sur l'une des grandes routes de la province de Toula....image qui ouvre la nouvelle qui donne son titre à ce recueil.



Au total trente-huit histoires , qui presque toutes , parlent d'amour , amours sans fin heureuse, allant jusqu'à la mort, déclinés sous toutes ses variations. Adultère ( le Caucase), défloraison brutale de mineure (Stiopa), viole (Tania), trahison (Muse), amours sensuelles (Roussia), érotiques (Les cartes de visite...), payants (Mademoiselle Clara/ Le"Madrid") romantiques, one-night stand, éphémères , éternels, idéalisés, mortels(À Paris/Galia Ganskaia )....... racontés dans le magnifique contexte d'une Russie d'antan et d'une nature exubérante,que l'auteur en exil, semble regretter expressément.

Bounine aime les femmes et surtout leurs genous ! Ses héroïnes ont toutes quelque chose de spéciale, fort de caractère ,de personnalité et d'appétit sexuel, elles savent bien gérer les hommes, même si elles sont souvent trop jeunes , de milieu sociale différent ( bonne, cuisinière,serveuse.....).....et finissent par être abondonnées. Elles sont belles ou non, jeunes ou non, mais toutes lumineuses à leur façon. Même si parfois elles se font prendre contre leur gré ( du moins ce que suggère la plume discrète de l'auteur), l'auteur finit par leur rendre leur amour-propre.

Je crois qu'en vieillissant , passé soixante-dix ans, hommes,femmes écrivains,fantasment encore plus sur l'amour charnel ( surtout avec des jeunes) ,pour ne citer que Meshugah de Isaac Bashevis Singer et Les Grand-Méres de Doris Lessing ,comme celle-ci, toutes, dernière oeuvre de fiction qu'ils écrivirent.

"Ce livre est le meilleur que j'aie jamais écrit" déclare Ivan Bounine pour ce recueil publié à 74 ans, en 1944 à NewYork. Mais pour qui n'a jamais lu Bounine, mon humble avis serait de commencer par l'aborder avec son chef-d'oeuvre "La vie d'Arseniev". Bien que la majorité de ces nouvelles soit magnifique, non toutes sont d'égale intérêt, et vers la fin on est un peu saturé d'amour....

Mes préférées sont "Nathalie" et "Mademoiselle Clara" (La Clara ,tout juste échappée d'un tableau de Botero), sublimes !

J'attribue quand même mon cinq étoiles, appréciant énormément, sa prose lyrique et raffinée. Ses grandioses descriptions de paysages et intérieurs russes, les visages d'icône qu'il prête aux jeunes filles de certaines nouvelles.....et son analyse d'une vaste fresque de personnages appartenant à tous les milieux est un pur plaisir de lecture.
Commenter  J’apprécie          805
Printemps éternel

Ivan Bounine, récipiendaire du Prix Nobel de littérature 1933, issu d'un long lignage de poètes ou d'écrivains du temps de la splendeur de l'Empire russe, rejeton tardif né en 1870 d'une intelligentzia cultivant l'esthétisme et le raffinement dans les salons dorés de l'aristocratie, ne pouvait être que désagréablement surpris des changements survenus en son pays en 1917 et dans les années qui suivirent.



C'est pour lui une manière d'Âge d'Or déchu, un fantastique gâchis, une curée inqualifiable exécutée au mépris de toute une élégance, de tout un art de vivre délicat. C'est ce qu'il nous exprime avec force et nostalgie dans cette lettre d'octobre 1923 où il évoque un voyage effectué au mois de juin la même année, de Moscou jusqu'à une campagne indéterminée mais qui semble située à deux ou trois cents kilomètres de la capitale.



Il y décrit tout le dégoût que lui inspire cette vie nouvelle, cette Moscou nouvelle, cette promiscuité sociale nouvelle, cette destruction ou cet abandon de tout ce qui fut auparavant. Mais en ce rendant quelques jours chez un ami, miraculeusement épargné, comme lui, non loin d'un domaine désormais nationalisé mais demeuré identique, où séjournait en son temps la reine Catherine II, en se rendant là-bas, dis-je, c'est là que lui est apparue une manière de révélation.



La révélation qu'il était définitivement un homme du passé, vivant certes dans le présent, mais dont les pensées le matin, comme des alouettes, vers les cieux du temps jadis, prennent un libre essor puis planent sur la vie d'antan, et comprennent sans effort le langage des fleurs et des choses muettes, comme aurait dit Baudelaire ou à peu près.



C'est au contact préservé des forêts millénaires, de la nature calme et apaisée, dans ce domaine qui d'un iota n'avait pas changé, au contact du lustre, des dorures, des sculptures, des milliers d'ouvrages de la bibliothèque que désormais plus personne ne feuilletait, dans ces corridors, dans ces allées somptueuses des parcs que plus personne n'arpentait, qu'il a pris conscience qu'il était une sorte de mort vivant.



Le cœur fonctionne, les jambes se meuvent, l'œil perçoit, pas de doute, l'on est bien vivant, mais au fond de son être, au siège de son âme, l'on est mort, définitivement mort, un personnage suranné que plus personne ne comprend et qui d'ailleurs lui non plus ne comprend plus personne. Cela paraît si proche (six années seulement après le début de la révolution) et c'est pourtant si loin.



La révolution. La grande rotation. Oui, effectivement, quelque chose a tourné et jamais plus il ne se fera de machine arrière. S'adapter ou mourir. C'est ce que je me dis souvent, comme Bounine, avec le talent en moins, je regarde parfois les temps tourner, s'accumuler des changements auxquels je ne comprends pas toujours grand-chose et le peu que j'en comprends ne m'inspire rien qui vaille.



Ainsi en est-il des liseuses par exemple, dont la durée de vie est fatalement programmée, dont l'obsolescence est préparée, tous ces merveilleux ouvrages que vous avez aimé et que jamais vous ne pourrez léguer à vos enfants, sauf à racheter un nouvel appareil et son lot de composants polluants et à acquitter une fois encore des droits que vous aviez déjà payés.



Plus d'odeur du papier, plus de reliure qui craque, plus le contact du cuir — jamais —, plus le cordon de couleur pour marquer vos pages, plus vos dessins griffonnés dans les pages de garde, plus les trèfles à quatre feuilles desséchés, jaunis, aplatis qui tombent et qu'on avait oubliés un soir d'été à la page qu'on aimait. Non, à la place, une surface parfaitement lisse, plate, sur laquelle vous prenez plaisir à laisser des traces de doigt dans tous les sens... Et que c'est beau de serrer de l'électronique contre sa peau — un bonheur !



J'ai des livres dans ma bibliothèque qui vont bientôt célébrer leurs deux cents ans. Deux cents ans ! Elle sera belle votre liseuse dans deux cents ans ! Mais bientôt il n'y aura plus que ça, cette vacherie en barre, aux composants minutieusement installés par des petites mains sous-payées de l'Empire de Chine, ces composants friands de terres rares qu'on prélève à l'Afrique, à coup de fouet, dans des mines d'un autre âge.



Eh oui, très cher Ivan Bounine, vous n'êtes pas seul à vous questionner sur votre place dans cette société, sur son avenir, sur sa direction, si tant est, même, qu'il y ait une direction. Comme vous, pour moi les livres sont mon printemps éternel, qui me survivront, à moins qu'un vaurien ne me les brûle ou qu'un mécréant ne me les jette à l'eau...



Bref, vous nous parlez, cher Ivan, d'un temps que les moins de cent vingt ans ne peuvent pas connaître, Moscou en ce temps-là, et cætera, et cætera, comme aurait chanté un autre. Ainsi, sous les frimas de l'hiver, jugez avec circonspection les fleurs de givre de cet avis sur le Printemps Éternel car au prochain rayon de soleil, il n'en restera probablement plus grand-chose.

Commenter  J’apprécie          736
Le monsieur de San Francisco



Le premier écrivain russe Prix Nobel de littérature, en 1933, avant Boris Pasternak en 1958, Mikhaïl Cholokhov en 1965, Alexandre Soljenitsyne en 1970 et Joseph Brodsky en 1987, doit dans une mesure non négligeable son prix prestigieux à sa nouvelle d’un Américain sans nom qui visite l’Europe et meurt à Capri.

Cette nouvelle écrit en 1915, lorsque l’auteur avait 45 ans, constitue la première d’un recueil de 15 nouvelles paru en Français chez Stock en 1984 et comptant 330 pages.



Ivan Bounine, né à Voronej (520 kilomètres au sud de Moscou) en 1870 et mort à Paris en 1953 (la même année que Staline), est un auteur que j’aime beaucoup, comme en peuvent témoigner mes billets de ses œuvres "Le sacrement de l’amour" le 19 mars 2018 et "Jours maudits" le 18 juin 2020.



Même Capri sous la pluie et le mauvais temps reste chez Bounine paradisiaque et cela en plus malgré la mort soudaine du monsieur de San Francisco, dont personne n’a retenu le nom. Pour sa veuve et sa fille en revanche, c’est comme dans la chanson d’Hervé Vilard "Capri c’est fini" en ce qui concerne les salamalecs du personnel de l’hôtel palace où elles resident et l’amabilité de la population locale.



Dans la seconde nouvelle "Un compatriote", Bounine nous présente Zotov, un ancien moujik (serf), devenu un riche brasseur d’affaires dans une île tropicale proche de l’équateur.



Dans "Frères" de 1914, situé au Sri Lanka, avant nommé Ceylan, le lecteur a droit à une légende terrifiante d’un éléphant et d’un corbeau.



La 4ème nouvelle nous emmène dans un bourg populeux au pied de l’Himalaya où le fils du roi local est séduit par les yeux de Hotami, une pauvre fille, haute de taille et maigre, pas très intelligente sans qu’elle dise pour autant des sottises, dévouée et laborieuse. Que deviendrait-il de leurs amours secrètes au bord du fleuve ?



La nouvelle suivante a comme cadre une mansarde à Odessa, où Tchang, un chien acheté par un capitaine à la retraite pour une roupie à un vieux Chinois, rêve de longs voyages en bateau vers la mer Rouge pendant que son maître se repose. Un rêve interrompu lorsque son maître se réveille et continué dès qu’il se rendort, jusqu’à...



D’Odessa en Ukraine nous déménageons à Constantine en Algérie où le 17 janvier 1890 un drame passionnel a lieu entre Madame Marot, originaire de Lausanne et mère de deux petites filles, et le jeune fils de sa meilleure amie, l’étudiant romanesque Émile du Buys.



Dans "La Grammaire de l’Amour" nous accompagnons Ivlev qui se rend au manoir éloigné de Khvoschinsky qui n’est plus sorti de chez lui après la mort de la jeune Louchka qu’il adorait. En somme, il a passé le reste de son existence à lire et ce sont justement des livres qu’Ivlev entend y acheter. Seulement, c’est avec un tout petit livre plein de grandes idées concernant l’Art d’aimer et de se faire aimer qu’il parte.

Un minuscule volume rempli de sagesses comme "La raison contredit le cœur sans le convaincre" et de bien d’autres que je vous laisse découvrir.



Dans l’espoir que je vous aurai convaincu à lire et à relire cet éminent magicien de la parole écrite et du dépaysement, j’arrête ici mon hommage à Ivan Bounine, non sans vous laisser un peu de sa poésie :

Allons, allons, courons vite

Danser tous deux dans la cour ;

Quand je danse, moins j’hésite

À te dire mon amour...

(page 268).

Commenter  J’apprécie          674
La Vie d'Arseniev

Quel beau livre, prenant , infiniment poétique, séduisant , à la langue magnifique oú nous pénétrons dans l'univers intime d'un enfant solitaire très observateur, un mélange absolument unique, à mon avis, de tendresse et de sensualité, d'idéalisme , au cœur d'une Russie oubliée, au confins des steppes , vers 1880......1890..au sein d'une nature immense,sans bornes ni frontières!

L'œil du merveilleux conteur : Ivan Bounine , qui recevra le premier prix Nobel de littérature Russe en 1933 nous plonge avec grâce dans son enfance, sa jeunesse et son adolescence , une autobiographie quoiqu'il ne veuille pas le reconnaître ...

Il décrit à merveille ce champ nu , infini, ce manoir solitaire, au sein d'un océan de blé, d'herbes et de fleurs , dont aucun européen ne peut se faire aucune idée ! Mais aussi l'âme Russe, languide et nonchalante,----mais jouisseuse -------, au continuel besoin de fête, sensuelle, attirée par l'intempérance , la fièvre de l'étourdissement , la gaité par la vodka et l'oisiveté , tellement rebutée par le quotidien et le travail régulier ......

La Russie de son temps menait une existence d'une opulence et d'un dynamisme exceptionnel dans un monde -------en toile de fond-------destiné à disparaître .......

En noble de vieille souche, fier de sa lignée, même appauvrie, il bâtit le canevas précis de la noblesse russe , mais il reste très lucide et indulgent envers l'impéritie des siens .......

Son écriture enchanteresse , à la fois complexe et lumineuse , limpide, lyrique et concise, chante l'immensité des paysages, les sensations fortes de la vie et les odeurs puissantes qui mobilisent les sens , ces bouquets de senteur à l'image de "ce bleu Lilas à travers le feuillage " . Sa mémoire recrée et ressuscite le passé . N'oublions pas sa "référence à la mort" dès les premières pages de l' oeuvre . .......

Un ouvrage délicieux et inoubliable au charme infini que l'on peut relire pour le savourer!

Il mêle l'éclat du soleil et le velours de l'ombre, les paysages immenses de terre et de ciel , les périples au cœur d'une Russie chaleureuse, la rencontre avec des personnages insolites , un intense travail de mémoire, la vie sentimentale de l'auteur !

Sublime !

Je ne peux pas le qualifier autrement , le miracle du travail de l'écriture !
Commenter  J’apprécie          6613
Jours maudits



Ivan Bounine (1870-1953) a été le tout premier écrivain russe et aussi le premier auteur en exil à recevoir le Prix Nobel littérature, en 1933. Le présent ouvrage est probablement le seul journal intime des années 1918-1920 écrit par un ennemi de la Révolution russe d'octobre 1917. L'auteur méprisait les bolcheviques qui, selon lui, ruinaient sa patrie bien-aimée.



Déjà en 1903, il avait reçu l'important Prix Pouchkine. Lorsque ses amis décédaient, Anton Tchekhov en 1904 et Léon Tolstoï en 1910, Bounine restait le seul à maintenir l'héritage de "l'écriture aristocratique" dans un contexte culturel qui rejetait de plus en plus les valeurs traditionnelles. Il avait vu à Ognevka (dans la région de Toula et Oryol) la dévastation de la ferme de son frère Evguėni par des éléments irréguliers se disant communistes.



Bounine constatait que la Russie venait d'entrer dans un cycle ou un cataclysme, qui finirait dans l'abîme ou l'apocalypse. Après un adieu à Maxime Gorki et son épouse Ekaterina, Bounine et sa femme Vera Muromtseva quittèrent Moscou le 3 juin 1918. L'écrivain avait 47 ans. Leur voyage par train hospitalier fut pénible et long et il leur a fallu 13 jours pour joindre la ville portuaire d'Odessa à la Mer Noire (1138 kilomètres ferroviaires).



Bounine connaissait Odessa pour y avoir vécu avec sa 1re femme, Anna Tsakni de 1898 à 1900 et d'y avoir perdu son fils Kolya de 5 ans. Ses souvenirs de cette ville la plus dynamique après Saint-Pétersbourg étaient donc mixtes : d'une part il y avait assisté à des pogroms et d'autre part il y avait rencontré ses amis écrivains Alexandre Kouprine (1870-1938), l'auteur du célèbre roman "Le duel" (de 1904) et surtout Anton Tchekhov de qui il a écrit une biographie doublée d'un essai "Sur Tchekhov". Un véritable monument littéraire.



Comme les Soviétiques gagnaient progressivement le dessus, pendant que des ex-soldats du général Anton Dénikine (1872-1947), chef des Armées blanches, volaient et pillaient pour survivre, Bounine, la mort dans l'âme, savait que l'heure de l'exil avait sonné. La propre fille du commandement en chef, l'essayiste Marina Grey-Denikina a écrit un intéressant ouvrage à ce sujet "La campagne de glace : Russie 1918", qui récrée justement ce climat dingue.

Troupes rouges ou blanches, la violence et l'horreur étalent par ailleurs réciproques.



L'année 1920, il y a exactement un siècle, le grand Nobel, après un périple à travers le Balkan, est venu s'installer en France, qui lui a accordé la nationalité. Il a vécu jusqu'à sa mort, d'une crise cardiaque le 8 novembre 1953, au numéro 1 rue Jacques Offenbach à Paris XVI, où une belle plaque commémorative de son séjour de 33 ans orne la façade.

L'homme qui a été tellement calomnié dans son pays de naissance par ce sympathique régime de Staline et successeurs, y a actuellement 3 musées à son nom. L'ouvrage sous rubrique qui y était rigoureusement interdit pendant toutes ces années, y connaît aujourd'hui une 16ème réédition !



Après lecture de "Jours maudits", je suis encore plus persuadé qu'Ivan Bounine a été un homme d'une qualité littéraire rare. Il a cette ouverture d'esprit du grand voyageur et la discipline d'un traducteur consciencieux (il a traduit entre autres Lord Byron et Alfred de Musset et a voyagé, dès avant 1914-1918, en Égypte, aux Indes, en Turquie, Palestine etc.)

Et il a ce génie de la formulation.



Grâce aux immenses efforts de l'écrivain et professeur new-yorkais Thomas Gaiton Marullo, qui a préfacé l'ouvrage et enrichi le texte de maintes annotations, plus quelques corrections d'erreurs de Bounine dues à la distance de sa patrie, ce livre offre un intérêt historique tout à fait exceptionnel.

Commenter  J’apprécie          657
Sur Tchekov

« Certes, il m’est arrivé de rencontrer des gens aussi sincères que Tchékhov mais je peux affirmer, sans crainte de me tromper, que je n’ai jamais rencontré un être aussi simple, aussi dénué de toute affectation. »



C’est en ces termes que s’exprime Ivan Alexeievitch Bounine au sujet d’Anton Pavlovitch Tchékov. Vous ne lirez pas une classique biographie sur Tchékhov. Non, Bounine se rappelle, partage avec nous ses souvenirs, son admiration pour Tchékov. Les digressions créent un climat intimiste et ce livre s’apparente plutôt à une « causerie au coin du feu » avec l’auteur.



Bounine nous parle de son ami Tchékhov, de cette amitié privilégiée qu’ils ont ainsi partagée de 1895 à 1904. Cette proximité est troublante, émouvante, deux monstres sacrés, deux frères en littérature malgré la différence d’âge, prennent vie sous nos yeux et nous font entrer de plain pied dans leurs confidences. C’est un hommage à l’amitié, à l’ami, avec pudeur et admiration. Au fil des pages, Bounine nous conte des petites histoires, des anecdotes, des conversations, des extraits de lettre où la tendresse amicale exhale entre ces deux hommes, des échanges sur leurs écrits. Cette façon de communiquer avec nous, cette discussion à bâtons rompus, elle est propice aux révélations. Elle crée un climat bienveillant et nous permet de nous approcher au plus près de la personnalité de Tchékhov. C’est ainsi que j’ai pu découvrir qu’Anton est un homme timide qui n’aime pas les honneurs, chaleureux, humain, sincère, solitaire, pessimiste, possédant un idéal artistique :



« La littérature authentique peint la vie telle qu’elle est. Elle a pour mission la vérité absolue, sans fard ».



Dès ses débuts, le jeune Bounine vénère Tchékhov. Il entre en contact avec ce dernier pour lui demander conseil sur ses premières nouvelles.



« Vous êtes l’écrivain contemporain que je préfère et comme j’ai entendu dire par des gens qui vous connaissent que vous étiez un homme simple et gentil, j’ai jeté mon dévolu sur vous. J’ai décidé de vous adresser le souhait suivant ; si vous avez le temps de jeter un coup d’œil sur les œuvres d’un individu comme moi – faites-le je vous en prie. »



Plus tard, les deux écrivains vont échanger sur leurs expériences réciproques, toujours avec cette admiration qu’Ivan Alexeievitch voue à Anton Pavlovitch.



Emporté par la maladie en 1904, Anton ne saura jamais que ce jeune et talentueux Ivan qui lui demande conseil et qui l’admire, deviendra le premier prix Nobel russe en 1933, l’un des plus grands prosateurs russes du XXème siècle et qui nous offrira, à nous lectrices et lecteurs, le merveilleux « La Vie d’Arseniev », écrit dans les années 20 en exil.



Et puis il y a l’Amour comme seuls les russes savent en parler, le décrire, avec ce côté romanesque qui leur appartient et les circonstances insurmontables qui créent tant d’obstacles à sa réalisation. Lidia Alexeievna Avilova, écrivaine, dans ses mémoires, « L’histoire d’amour de ma vie », évoque sa relation amoureuse purement platonique avec Tchékhov. Les extraits de lettres publiés dans ce livre, échangées entre Avilova et Tchékhov, sont d’une beauté émouvante. J’aimerais bien trouver ces mémoires en français rien que pour mon plaisir de lectrice. Les chercheurs actuels doutent de cette relation tandis que Bounine croit en la sincérité de Lidia. Le mystère reste entier mais le récit qu’en fait Lidia est sublime.



Néanmoins, Bounine et son épouse Véra, amis de Lidia Alexeievna, ont beaucoup correspondu au cours de leur exil avec celle-ci. Les extraits des lettres montrent combien il est difficile parfois de traverser l’Histoire et quel courage il a fallu à tous ces exilés pour ne pas succomber. A la lecture des lettres d'Avilova, j'ai eu l’impression de relire « Docteur Jivago »!



Ce qui est le plus émouvant c’est qu’à travers le récit de la lutte de Tchékhov contre sa maladie, la tuberculose, Bounine devait se regarder. Il ne peut plus écrire les dernières pages qu’il dicte à son épouse, Véra. IL décède à Paris en 1953. Cette biographie restera inachevée.



« Il n’y a jamais eu d’écrivain de la trempe de Tchékhov ! On a du mal à imaginer tout ce qu’il a pu entreprendre en sept ans alors qu’il était rongé par une maladie à l’issue fatale : le voyage à Sakhaline, la rédaction du compte-rendu à son retour, l’organisation des secours pendant la famine et pendant l’épidémie de choléra, l’exercice quotidien de son métier de médecin, la construction d’écoles, l’aménagement de la bibliothèque de Taganrog, les démarches dans sa ville natale pour élever un monument à Pierre Le Grand ». – Page 131





Commenter  J’apprécie          6315
La Vie d'Arseniev

Au cours de votre vie de lecteur ou de lectrice, n’avez-vous jamais ressenti cette impression d’avoir découvert, dès les premières pages d’un livre, l’auteur qu’aucun autre écrivain ne pourrait surpasser tant sa plume portait notre langue française à son apothéose. Vous avez ressenti une grande jouissance à voir défiler sous vos yeux des phrases, d’une telle poésie, d’une telle fluidité, d’une telle perfection, qu’il vous est apparu impossible de trouver mieux. C’était la rencontre, l’ultime rencontre.



La première de ces rencontres remonte, pour moi, à la sortie de mon adolescence lorsque j’ai entamé la lecture de « La Recherche » de Marcel Proust. Ce fut un coup de foudre dès les premières pages et je ne l’ai jamais désavoué. Je suis toujours restée marquée par l’émotion ressentie un peu comme une impression photographique.



Bien sur, il y a eu d’autres rencontres mais elles n’ont pas été si nombreuses que cela. Nous connaissons tous des écrivains dont nous apprécions le style, la création, mais l’éblouissement se fait plus rare.



La lecture de « La Vie d’Arseniev » d’Ivan Bounine a été pour moi l’occasion de retrouver ce choc émotionnel avec de surcroit, une admiration pour le travail accompli par la traductrice Claire Hauchard.



Si les phrases de Bounine sont plus courtes et plus accessibles que celles de Proust, il y a avec « La Vie d’Arseniev », le même travail de mémoire afin de recréer une période qui n’est plus, avec ce même soin du détail, cette poésie, ce lyrisme si mélodieux. L’un et l’autre éprouvent la nécessité de coucher sur le papier la trame d’un monde disparu afin d’en transmettre, peut-être, une image à la postérité.



Lorsqu’Yvan Bounine écrit « La Vie d’Arseniev », il est exilé en France. Pressent-il qu’il ne retournera plus en Russie ? La plume de Bounine est à la fois sublime, envoutante, mais elle porte en elle une grande mélancolie : se remémorer ses jeunes années certainement accompagnées de regrets, loin de son pays natal, il y a en cela quelque chose de douloureux.



« Alexis Arseniev » lui a valu le Prix Nobel de Littérature en 1933. Ce n’est pas une véritable autobiographie au sens strict du terme mais une fiction inspirée de son histoire : Alexis alias Aliocha est certainement le frère jumeau d’Ivan Bounine, ils ont beaucoup de points communs.

Ouvrir « La Vie d’Arseniev » c’est ouvrir une porte sur la Russie, c’est ressentir l’âme de ce pays façonnée par la foi orthodoxe et empreinte de mystique,



«Je me signais comme d’habitude devant l’icône suspendue près de mon misérable petit lit de fer. Curieusement cette icône ne m’a jamais quitté et se trouve encore maintenant dans ma chambre à coucher. C’est une planchette lisse d’un vert olive sombre, durcie par le temps, le dessin est recouvert d’une châsse en argent de facture grossière » Page 359.



C’est sentir le froid neigeux de la campagne souffler dans le tambour de l’entrée d’un manoir, c’est admirer la blancheur des champs, c’est découvrir la lumière qui annonce le printemps, c’est se réveiller un beau matin et regarder le soleil briller par la fenêtre, c’est se promener dans un parc qui embaume, c’est imaginer les champs de blés et de seigle à perte de vue et les jambes nues des paysannes qui travaillent aux champs, c’est chevaucher dans l’immensité de la steppe, c’est regarder l’encolure de sa jument, sa crinière rejetée de côté et secouée régulièrement au rythme de la course, c’est aller à la rencontre des moujiks, prendre une télégue, côtoyer des intellectuels provinciaux de la fin du 19ème siècle. Bounine sent, observe, enregistre, respire la Russie et le lecteur avec lui.



Ivan Bounine incarne merveilleusement cette Russie impériale qui connait ses derniers soubresauts, le monde de l’aristocratie terrienne désargentée qui sera englouti par la révolution « d’Octobre »



Ce roman comporte cinq livres qui nous comptent les différentes étapes de la vie d’Aliocha, ses prises de conscience au fur et à mesure qu’il passe de l’enfance à la jeunesse dans le domaine familial de Kamenka puis de Batourino dans l’immensité de la région des steppes.



« Issu de la lignée des Arséniev, de ses origines, il n’en connaît presque rien, il sait seulement que dans l’Armorial sa famille figure parmi celles dont l’origine se perd dans la nuit des temps, qu’elle est glorieuse bien que désargentée ».Page 9.



Sa vie se partage entre un père aimant, cultivé mais oisif, dilapidant sa fortune au jeu ; les dettes s’accumulant, la pauvreté se fait sentir. Sa mère est triste, très investie dans la religion.



Page 21, il écrit « A ma mère se rattache l’amour le plus douloureux de ma vie, les choses et les êtres que nous aimons sont pour nous une souffrance ne serait-ce que par la crainte perpétuelle de les perdre et plus loin, il écrira « Dans la lointaine terre natale, puisse-t-elle reposer en paix, solitaire et oubliée de tous à jamais et que soit béni son nom cher entre tous ! Se peut-il que celle dont le crâne sans yeux, les ossements gris, sont enterrés quelque part là-bas, dans le bosquet d’un cimetière de petite ville de province russe, au fond d’une tombe désormais anonyme, se peut-il que ce soit elle qui jadis m’a bercé dans ses bras ? ».



Il a deux frères plus âgés que lui et deux petites sœurs.



Aliocha partage avec le lecteur ses interrogations existentielles : sur la mort dont il a pris conscience très tôt surtout au décès de Senka (un domestique ?) tombé dans la Crevasse du domaine. Il médite sur la fragilité de l’existence et son monde se fissure avec la mort de sa petite sœur Nadia, et celle de son oncle Pissarev.



J’ai particulièrement aimé la jeunesse d’Alexis. Cet enfant solitaire qui va explorer un domaine trop grand pour lui mais qui rêve néanmoins d’évasion au-delà de la ligne d’horizon.



C’est cette immensité, ces paysages, qui feront de lui un poète et un esthète.



Il évoque ses années au lycée, la découverte du socialisme qui va mener son frère Georges en prison. Il fait part de ses interrogations sur le sens de l’écriture, il évoque Tolstoï, Gogol, Lermontov mais la merveille à mes yeux, ce sont les vers de Pouchkine qui parsèment cet ouvrage. Et puis il y a le grand amour de sa vie, Lika, qui à force de douter de l’amour que lui-même lui porte, le quittera, épuisée de se tourmenter.



Andréï Makine dira d’Ivan Bounine :

La Russie de Bounine, sans qu’aucun effort d’idéalisation n’intervienne, devient l’objet esthétique par excellence – arraché au temps, à l’utile, au fonctionnel. La Tradition russe retrouve dans l’œuvre de Bounine, cette aspiration vers l’éternel qui animait tant de personnages des grands classiques russes.



En 2015, son dossier était étudié par Yad Vashem pour avoir caché trois juifs chez lui au péril de sa vie, à Grasse où une statue lui a été érigée en juin 2017.



Je finis avec un clin d’œil à une amie sur Babélio : Bookycooky qui m’avait dit « tu vas fondre », tu ne t’es pas trompée et Annette55 qui parlait « du miracle de l’écriture », je confirme.

Commenter  J’apprécie          6227
Les Allées sombres

« C'est une chose terrible que la nostalgie de la Patrie qu'on a quittée mais c'est une chose plus terrible encore que la nostalgie de la Patrie qui n'existe plus et n'existera jamais plus pour soi » Alexandre Zinoviev.





Ce recueil « Les allées sombres » se composent de 38 nouvelles allant de deux à une trentaine de pages. L'amour malheureux en est le sujet principal ! Point d'espoir, c'est sombre comme l'indique si bien le titre et toutes les allées empreintes par l'auteur nous racontent l'âme slave avec sa sensibilité exacerbée et cette tendance à l'humeur équivalente « aux montagnes russes ».





Séparations, amour sans espoir, afflictions, incompréhensions, rendez-vous ratés, violence voire viol aussi, Bounine analyse les rapports amoureux avec un oeil plus que défaitiste. Antibolchevique, il s'est exilé à Paris en 1920. Il a écrit ces nouvelles dans les années 1938-1940, période la plus sombre du XXème siècle ou à l'exil vient s'ajouter l'angoisse d'une Europe déchirée, saccagée.





Cette anxiété se ressent fortement dans son écriture mais le lyrisme surpasse l'inquiétude. La plume est toujours aussi envoutante, magique. Bounine a l'art de nous suggérer les majestueux paysages de la Russie, de nous susurrer le bruit du vent dans les feuilles, le chant des oiseaux, la pluie qui résonne sur les vitres. Il nous livre un instantané d'une époque qui ne reviendra plus avec ses codes, sa culture, et son inhumanité aussi comme l'histoire de L'idiote.



Amoureux du corps des femmes, il les observe minutieusement à travers les étoffes de velours, de soie et ses sens sont intensifiés par les interdits qui pèsent sur les relations hommes et femmes de cette époque. C'est un esthète doublé d'un passionné!



J'ai découvert Bounine avec « La Vie d'Arseniev ». La très grande littérature russe est là toute entière dans ce roman. Ce recueil de nouvelles est différent, il m'a fallu pour le savourer, en arrêter de temps la lecture pour passer à un autre ouvrage. La redondance bien que les nouvelles soient toutes différentes, s'est faite sentir et instillait une certaine lassitude. C'est un recueil que je garde auprès de moi afin d'y revenir de temps en temps, lorsque l'absence du souffle de la Russie devient une nécessité et se fait sentir.

Commenter  J’apprécie          6020
Le Sacrement de l'amour (L'amour de Mitia)

Le style d'Ivan Bounine émerveille et son écriture lyrique m'a passionnée suffisamment pour que je m'intéresse à l'amour d'un jeune homme inconnu pour qui rien d'autre n'existe que son aimée. L'amour de Mitia, un coup de coeur.

Mitia, jeune étudiant est amoureux de Katia, mais Katia espère devenir actrice, ce qui l'entraîne vers une vie qui rend le jeune homme jaloux. A-t-il raison d'être jaloux ou est-ce maladif ? Il faudra attendre que Mitia quitte Moscou pour rejoindre sa famille à la campagne pour obtenir la réponse et j'ai apprécié que le doute coure tout au long du roman.

Ce n'est pas l'intrigue qui vous intéressera dans ce roman d'Ivan Bounine mais la façon dont l'amour de Mitia est traité. Les descriptions de la campagne correspondent aux humeurs de Mitia et c'est enchanteur. Les peintures du printemps mettent en exergue les sentiments du jeune homme.


Lien : https://dequoilire.com/lamou..
Commenter  J’apprécie          522
Coup de soleil et autres nouvelles

Huit nouvelles, pour la plupart inédites, d'Ivan Bounine écrites dans le sud de la France entre 1925 et 1926, rassemblées par les Éditons des Syrtes.

Invitations à l'évasion, au voyage, et surtout à la réflexion sur la nature humaine par ce maître de la littérature russe exilé en France en 1920 à l'âge de cinquante ans, fuyant les bolcheviques. Il sera le premier russe à obtenir le prix Nobel de littérature en 1933.



De longueur et d'intensité très variables - de trois à une soixantaine de pages -, ces nouvelles ont toutes en commun une écriture raffinée et poétique, tout en étant d'une remarquable précision d'évocation, en particulier dans l'analyse psychologique de personnages assaillis par l'amour, la mort ou la foi.



Brûlure intense, fulgurance du désir, exaltation puis souffrance : un coup de soleil pour symboliser un coup de foudre, le ton est donné. Un homme et une femme se rencontrent à bord d'un bateau de croisière sur la Volga, sous l'emprise d'une intense attirance réciproque, ils quittent le navire, et passent la nuit à l'hôtel. Au matin, la belle inconnue a disparu, pour toujours. Désarroi et douleur du jeune homme forment l'essentiel du récit.

Bounine, avec Coup de soleil, la première nouvelle du recueil qui porte son nom, nous livre surtout une analyse des tourments d'un cœur frappé par le désir brutal, l'amour trop grand, qui parle assurément aux " victimes " de coup de soleil, pardon de coup de foudre ! Un texte réussi et original, probablement novateur pour les années vingt.



Puis vient L'affaire du cornette Elaguine, la plus mystérieuse et l'intrigue la plus aboutie des nouvelles de ce recueil selon moi. Une incroyable histoire de meurtre sur fond d'amour passionné entre " un hussard, un jouisseur jaloux et ivrogne " et " une actrice embourbée dans sa vie désordonnée et immorale " en reprenant les termes de Bounine. Elaguine affirme l'avoir assassinée à sa demande, par amour, mais un billet laissé par la victime indique : " Je meurs contre ma volonté. " Dilemme tragique et insoluble !

De nombreuses interrogations sur l'amour et la mort émaillent cette nouvelle empreinte de désespoir. La notion de culpabilité est ici le nœud central, et m'a fait penser au roman de Dostoïevski Crime et châtiment. On retrouve chez Elaguine le même relatif détachement face au crime qu'éprouvait Raskolnikov, mais certes pas pour les mêmes raisons.

" Je ne peux accepter l'idée que l'on puisse penser que je suis un bourreau. Non et non ! Peut-être suis-je coupable devant la loi des hommes, coupable devant Dieu, mais pas devant elle ! " affirme Elaguine.



Enfin, Sur les eaux immenses, dernière nouvelle, rédigée sous la forme d'un journal de voyage de Port Saïd à Ceylan, la plus poétique et la plus propice aux réflexions sur la destinée humaine. Très immobile paradoxalement pour un récit de voyage, mais c'est le propre d'un périple en bateau : contempler les splendeurs de la nature changeante en restant à bord, et laisser son esprit vagabonder.

Cadre propice pour Bounine donc qui s'abandonne littéralement et nous livre ses réflexions, sa foi, face aux eaux immenses. Un texte largement auto-biographique me semble-t-il.

Deux citations parleront plus que de longs discours :

"Toute la mer n'était que vallées et collines dont les sommets se hérissaient furieusement d'écume. Le vent l'arrachait, et les flocons blancs qui volaient parfois sur le pont et glissaient rapidement sur les planches lisses étincelaient d'un vif éclat argenté."

"Est-il possible qu'un jour tout cela, qui m'est déjà si proche, habituel, cher, me soit enlevé d'un coup, d'un coup et pour toujours, pour l'éternité, quel que soit le nombre de millénaires qu'ait la Terre à vivre encore ? Comment croire cela, comment s'y résigner ? Comment arriver à comprendre toute la cruauté bouleversante et l'absurdité de cette chose ?"



Voilà un tour d'horizon des trois principales nouvelles de ce recueil qui valent vraiment le détour.

J'ai davantage perçu les cinq autres, pour la plupart très courtes, comme des liens entre les "grandes" nouvelles. Avec le recul, je suis convaincue qu'elles ne me laisseront qu'un souvenir éphémère.



Un grand merci aux éditions des Syrtes et à Babelio pour ce recueil Coup de soleil et autres nouvelles d'un écrivain que je découvre. Je comprends mieux pourquoi Gorki, qui l'admirait, voyait en lui le meilleur styliste de sa génération. Un orfèvre des courts textes assurément.
Commenter  J’apprécie          490
Les Allées sombres

C’est peut-être la mélancolie pour la Russie natale et lointaine qui donne son incomparable saveur à ces quarante nouvelles de longueur et d’intensité variables, écrites par Ivan Bounine entre 1938 et 1944 ( époque sombre, en rapport avec le titre sans doute ), alors qu’il vit en France après avoir fui son pays après la révolution russe de 1917. L’éloignement, la nostalgie contribuent probablement à magnifier ses souvenirs, à nourrir ces textes centrés sur l’amour et la mort.



« L’amour que l’on garde à jamais blotti au coin du coeur »,

qu’il soit heureux, rarement ; tragique, le plus souvent ; Bounine n’a pas pour habitude d’embellir ses récits et d’offrir le tableau d’un bonheur sans nuage et sans histoire.

Ces courts récits du prix nobel de littérature 1933, injustement moins connu selon moi que les grands écrivains du XIXème siècle, sont particulièrement réussis.

J’ai retrouvé ici avec grand plaisir sa magnifique prose, son trait précis, son goût pour la description à la fois concise et extraordinairement évocatrice aussi bien de paysages que de sentiments qui font quasiment vivre dans l’esprit du lecteur des instantanés de la vie en Russie et l’immerge au coeur d’une action rapide et intense en général.



Un court exemple de ses descriptions somptueuses, juste pour le plaisir :

« À la veille des grands jours de fête on lavait, partout dans la maison, les planchers de chêne bien lisses que la chaleur séchait aussitôt, et on les recouvrait de tapis de selle propres avant de remettre parfaitement en place les meubles que l'on avait provisoirement poussés ; on allumait ensuite des veilleuses et des cierges devant les revêtements dorés et argentés des icônes pour alors éteindre toutes les autres lumières. À cette heure en hiver, la nuit déjà fonçait de bleu les carreaux et chacun montait dans sa chambre. Alors, dans la profondeur du silence qui descendait sur la maison, s'élevait le recueillement tranquille et expectatif qui convenait si bien à la sainteté nocturne de ces icônes baignées d'une lueur de tendresse et d'affliction. »



Un panorama très complet des aléas du sentiment amoureux, du désir charnel intense, le tout teinté d'un érotisme assez rare dans la littérature russe de cette époque : voilà la substance principale des allées sombres que l’auteur considérait comme « le livre le meilleur que j’ai jamais écrit. »

A vous de juger !

Commenter  J’apprécie          488
La Vie d'Arseniev

Magnifique !

Dès le premier chapitre, dès le premier paragraphe, l’écriture m’a littéralement magnétisée, je ne trouve pas d’autres mots. Elle ondule dans un océan de beauté et de sensualité. Jacques Catteau, dans la préface, la définit avec une formule que j’aime beaucoup : « l’éclat du soleil et le velours de l’ombre ».



Alexis Arseniev, le narrateur, contemple sa jeunesse en Russie, « cette aube mystérieuse et lointaine de son existence terrestre » avec le recul d’un homme adulte qui vit en exil depuis plusieurs années. Elle lui parait « singulière, fabuleuse, indéchiffrable », lui donne l’impression d’observer « un frère cadet imaginaire qui aurait quitté le monde depuis longtemps, emportant avec lui son époque désormais révolue. » Cette époque révolue, c’est autant celle de sa jeunesse que celle de sa Russie natale. C’est plus encore un monde intérieur qu’il cherche à ressusciter, à en raviver les perceptions d’antan à travers la nature, l’énigme du bonheur et de l’amour, le mystère de la mort, la pétulance de la jeunesse, la créativité.

Son enfance solitaire, entourée d’océans : « l’hiver, un océan de neige à l’infini, l’été, un océan de blé, d’herbes et de fleurs… », se nourrit de littérature et de ce qui l’entoure en le transformant ; une enfance en marge du monde avec cependant la conscience aiguë d’en faire partie, de faire partie d’un tout. C’est un regard au présent que le temps et l’éloignement a magnifié, à l’exception peut-être de la derrière partie, le cinquième livre.



(Divisé en cinq livres, correspondant aux grandes étapes émotionnelles du narrateur, le dernier et cinquième livre, écrit quelques années après, a en effet été annexé aux quatre autres par l’auteur un an avant son décès. S’il s’inscrit dans la continuité, la musicalité en revanche change légèrement, moins exaltée, plus amer. Je crois que j’aurais préféré qu’il reste indépendant, même si j’ai pris beaucoup de plaisir à sa lecture.)



En tout cas, j'ai lu ce livre comme on observe pousser un arbre, au rythme lent des saisons et des impressions qui se juxtaposent. Les descriptions de la nature, des sons, des odeurs, de la physionomie des gens qu’Arseniev croise, sont d’une richesse infinie. Il s’en dégage une immanence et une poésie qui m’ont touchée… Il est aussi traversé, à mesure que le narrateur grandit, par le chemin de fer, ce train de la vie dans lequel il ne peut s’empêcher de monter, toujours en quête des émotions, des vibrations du monde. Car « il ne suffit pas d’avoir des ailes pour voler, encore faut-il de l’air pour qu’elles puissent se déployer. » Bref, j’ai adoré !

Commenter  J’apprécie          4613
Les Allées sombres

Pour une fois, je vais essayer de me limiter à une présentation courte, mais surtout laisser parler l'auteur.

Pour qui ne connaît pas Ivan Bounine, il suffit de dire qu'en dehors d'être un immense écrivain, c'est un homme d'origine russe ayant fui son pays bolchevisé pour s'exiler en France. Il reçoit le prix Nobel de littérature en 1933 (triste année pour le monde... moins triste pour un dénommé Hitler), qu'il meurt en 1953 ( année moins triste pour le monde... fatale à un dénommé Staline).

Prosateur de génie et poète reconnu, on retrouve ces deux aspects caractéristiques de cet écrivain dans ce recueil de nouvelles (d'abord au nombre de 11... puis quelques années après sa première parution, elles sont 38... et je me suis laissé dire que deux autres textes étaient venus s'ajouter aux 38 que je viens d'évoquer), dont le thème ou les deux thèmes indissociables sont la femme et l'amour. Thèmes déclinés sur toute la gamme.

Le recueil a été écrit sur quelques années, mais sans que cela n'en affecte l'unité, la beauté, la force et l'harmonie.

Ces short stories se déroulent majoritairement en Russie ; quelques-unes, très peu, se situent en France ( à Paris et dans le sud de la France où Bounine a vécu), et une en Orient.

Aucune de ces 38 histoires ne m'a ennuyé, ou pire, laissé indifférent.

J'ai été chaque fois happé d'emblée par l'atmosphère, par les personnages et par la beauté de la langue.

Je reviens un instant sur la langue pour souligner à quel point la description de la nature, celle des personnages et "l'intrigue" sont servies par une plume au talent exceptionnel.

Le titre du recueil - Les années noires - nous rappelle qu'il n'y a pas d'amours heureuses... mais qu'à cela ne tienne, on a beau ne pas s'attendre à une happy end, l'intérêt demeure à chaque histoire.

Une superbe expérience que je vous recommande de tenter !

Extraits :

-La nuit était inhabituellement silencieuse, il était déjà tard. Il avait plu un peu sans doute, et dans l'air encore plus tiède et plus doux, en une délicieuse harmonie avec cette douceur immobile et ce silence, résonnait au loin, venus de différents lieux du village le chant long et prudent des premiers coqs. Une lune ronde brillait en face de la rotonde, au fond du parc comme figée sur place dans une attente curieuse ; elle scintillait au loin dans les arbres et parmi les branches touffues des pommiers, plus près, mêlant sa lumière à leurs ombres. Elle ruisselait en un miroitement clair, alors que l'ombre restait chatoyante et secrète...



-Je l'avais aperçue un matin dans la cour de cet hôtel, de cette vieille demeure hollandaise parmi les forêts de cocotiers au bord de l'océan, où je vivais ces jours-là. Puis je l'y vis tous les matins, étendue dans un fauteuil d'osier, à l'ombre chaude et transparente qui tombait de la maison, à deux pas de la véranda. Un Malais, grand, au visage jaune douloureusement fendu de petits yeux, la servait en pantalons et jaquette de grosse toile blanche, faisant crisser le gravier sous ses pieds nus et, sur un tabouret, à côté de son fauteuil, il déposait un plateau où était une tasse remplie d'un thé doré ; il lui parlait avec respect, les lèvres immobiles, ramassées sur le trou rond de sa bouche, s'inclinait et s'éloignait. Elle agitait avec lenteur un éventail tressé et restait étendue à faire battre, frémissement régulier, le velours noir de ses cils ineffables...À quelle sorte de créatures terrestres pouvait-elle bien appartenir ?
Commenter  J’apprécie          463
L'ami inconnu

Les huit nouvelles de Ivan Bounine qui composent ce recueil ont d’autant plus d’intérêt qu’elles couvrent une longue période de la création littéraire de l’auteur et permettent d’en découvrir la palette. Elles ont été écrites entre 1914 et 1949, dans des lieux différents et se déroulent non seulement en Russie mais aussi en Irlande, en Algérie ou en Espagne.

J’ai aimé leur variété, leur cosmopolitisme et cette ouverture dans le temps et l’espace qui permet de découvrir combien Ivan Bounine se sentait uni aux hommes et à la beauté tragique de la vie sans considération de lieu ou d’origine ; tout en restant bien sûr tourné vers sa regrettée Russie qu’il a été contraint de quitter.



Dans le texte intitulé « La nuit », Bounine allongé dans un fauteuil sur le balcon de sa datcha, s’interroge face à la nuit en citant approximativement des passages de l’Ecclésiaste : « J’ai décidé d’explorer avec ma raison tout ce qui se fait sous le soleil. Mais c’est une pénible tâche que Dieu a donnée aux enfants des hommes pour qu’ils se torturent eux-mêmes… ».

Il fait aussi référence à Tolstoï, au Bouddha et à Mahomet et finit par dire « … combien de vies étrangères et lointaines ai-je vécues en imagination, avec cette impression que j’étais de tous les endroits et de tous les temps ! (…) je ne vis pas seulement de ma vie actuelle mais de toute vie passée, non seulement de ma propre existence mais de celles de milliers d’autres, celles qui me sont contemporaines, et celles qui sont là-bas dans le brouillard des siècles les plus reculés. » p 134



L’écriture de la nouvelle « L’ami inconnu » qui donne son titre au recueil trouve son origine dans la correspondance entre 1901 et 1903 entre Bounine et Natalia Esposito, qui se trouvent actuellement au musée Ivan Tourgueniev de la ville d’Oriol, en Russie.

Cette jeune femme était mariée à un compositeur italien, professeur de musique et chef de l’orchestre symphonique de Dublin. A partir de 1901, elle enverra à l’écrivain des lettres pour lui dire son admiration suite à la lecture de quelques-unes de ces nouvelles.

Bounine écrira « L’ami inconnu » vingt ans après cet échange, en 1923.
Cette nouvelle exprime parfaitement l’ exaltation due à l’imagination que fait naître l’inconnu, exacerbée par l’absence de réponse de l’écrivain destinataire de ces lettres, qui laisse ainsi la porte ouverte à tout un possible et devient l’ami rêvé. C’est aussi une très belle analyse du désir né du partage de l’émotion suscitée en elle par la lecture qui l’a poussée à écrire.

« …j’ai acheté par hasard votre livre et je l’ai lu, sans pouvoir en détacher les yeux, sur la route qui me ramenait vers la villa où nous vivons toute l’année, à cause de ma santé fragile. Sous l’averse et les nuages, la nuit tombait déjà, les fleurs et le feuillage des jardins resplendissaient d’un éclat singulier, le tramway vide roulait rapidement, lançant des étincelles violettes, je lisais sans relâche et je ressentais, pour une raison qui m’échappe, un bonheur presque douloureux. » p 18

Cette lecture prolongée par les lettres a réveillé le passé, la beauté de son enfance lumineuse en Italie, la beauté de la vie tout simplement et la nécessité de dire et d’écrire. Elle le remercie : « Je vous remercie de m’avoir donné la possibilité de vous inventer. » 
p 28



Les huit nouvelles ont leur intérêt. Elles sont à la fois sombres et lumineuses, habitées par des jeunes filles fraîches et naïves, des femmes attachantes qui vont à leur rencontre et croisent parfois des hommes inquiétants… Sans oublier l'écriture de Bounine qui décrit à merveille, dans toutes ses nuances, l'infinie variation d'un paysage unie à celle de l'expression des émotions qu'il fait naître.

Commenter  J’apprécie          444
La Vie d'Arseniev

Je quitte à regret Alexis Arseniev alias Ivan Bounine,premier écrivain russe à recevoir le prix Nobel de Litterature en 1933.

Dans ce roman autobiographique ,bien que l'auteur ne voulait pas qu'on le qualifie de tel,il raconte les vingt premières années de sa vie,passées en majorité dans le domaine familial,à 400 km environ au sud de Moscou,aux confins d'une vaste région de steppes.C'est un solitaire qui vit dans son monde intérieur trés riche,et son extrême sensibilité lui permet de capter et de profiter de tout ce qui l'entoure,y comprit ce qui est négatif et dérangeant.

Avec une prose magnifique et fluide,il nous plonge dans cette Russie d'antan,fin XIXème siècle.Les descriptions trés poétiques de la campagne russe,les figures insolites qu'il nous croque avec beaucoup de sensualité,les nombreuses références à la Littérature russe,sa vie amoureuse,son excellent autocritique du mâle amoureux possessif,,et sa quête d'inspiration en tant qu'écrivain en herbe("Eh bien pensais-je pourquoi ne pas écrire tout simplement un récit sur moi-même ?mais comment procéder?...),en font un roman plein de charme et que j'ai adoré!
Commenter  J’apprécie          446
Le village

Chose promise chose due, je reviens vers Bounine dont la plume m'avait enchantée dans Les allées sombres.

Surprise : ce premier roman est d'un tout autre ton, et d'une écriture si différente qu'à l'aveugle je n'aurais jamais su deviner qu'il s'agissait du même auteur.

Sans doute est-ce le sujet qui s'y prête et qui façonne cette plume grasse, terrienne et d'une sombre poésie. "Le village" est d'ailleurs conçu par l'auteur comme un poème et non un roman, une ode grinçante et désabusée à l'âme du paysan russe, présentée ici sous son aspect le plus noir et le moins reluisant : sales, stupides, cruels, velléitaires, ivrognes, bornés, rien ne peut racheter ni faire s'élever ces personnages qui défilent en une succession de tableaux crus, englués par une nature qui écrase et condamne.

C'est un soulagement de sortir de cette lecture dans laquelle il faut accepter de plonger comme dans une vase nauséabonde, et d'y stagner à chaque page car l'eau n'y coule pas, la révolution qui vient (nous sommes en 1905) ne fera que charrier plus de boue et exhaler plus de laideur.

Commenter  J’apprécie          432
Le Sacrement de l'amour (L'amour de Mitia)

Après Isaac Bashevis Singer, voici une seconde histoire d'amour écrit par un Prix Nobel Littérature, celle de Mitia pour Katia, de Ivan Bounine, que j'ai grand plaisir à vous présenter.

Bizarrement ce livre existe en 2 versions en Français : une fois comme "L'amour de Mitia", avec 3 critiques favorables sur Babelio et une fois en tant que "Le sacrement de l'amour", avec 1 critique favorable. Signalons que la première version est une traduction fidèle du titre original en Russe : "Mitina lioubov".



L'édition que j'ai en main est par ailleurs également bizarre, dans le sens positif du terme : elle a les dimensions d'un magazine et contient des illustrations sympathiques. Les illustrations sont l'oeuvre de Maryjo Alinéa, qui recueille et illustre des contes pour enfants. Ceci est notamment le cas pour son fort apprécié "Contes d'ailleurs". Comme son nom figure sur la couverture, séparé seulement par une virgule de celui du premier Nobel russe, j'ai d'abord pensé (bêtement) qu'elle en était la traductrice ! Grosse erreur évidemment, car j'ai découvert qu'outre écrivaine elle est professeur de reiki à Nîmes. le reiki est une méthode de soins non conventionnelle d'origine japonaise. En plus, elle a écrit sur ce thème, il y a 2 ans, une "Initiation gratuite au Reiki Usui 1er degré ".

Et comble de mes surprises, j'ai finalement découvert que Maryjo Alinéa est une des nôtres sur Babelio, sous le pseudo de "cleopatra6" ! Décidément Babelio est un site riche de talents.



Mon épouse m'a expliqué que toutes les jeunes filles de Saint-Pétersbourg à Vladivostok ont lu cette oeuvre de Ivan Bounine de 1925. Et déjà la toute première page m'en fait comprendre la raison : Mitia est heureux comme une cigaĺe (à ce qu'on dit en Provençal) et fier comme un paon que la belle Katia le prend par le bras lors de leur promenade sur le boulevard Tverskoi en direction de la statue de Pouchkine à Moscou. le lecteur démarre donc en plein charme romantique. Et elle ajoute que c'est pour son sourire qu'elle l'aime et pour ses "yeux byzantins". Quoique ce dernier compliment me déroute un tantinet, car elle évoque chez moi l'aveuglement comme punition, comme sur le tableau célèbre de Rembrandt "L'aveuglement de Samson". Mais ce châtiment est certainement loin de ses pensées.



C'est le dernier jour que ce couple de 18 printemps est ensemble, car Mitia doit entreprendre le long périple ferroviaire vers sa famille dans un petit village près d'Orel à 325 kilomètres au sud de Moscou. Heureusement qu'ils doivent se retrouver, à la fin de l'été, pour des vacances en Crimée, sinon cette longue séparation de sa bien-aimée serait à Mitia totalement insupportable.

Comme Orel n'est pas trop loin de Voronej, le lieu natal de l'auteur, cela permet à Ivan Bounine de parler, avec amour et dans une langue singulièrement poétique dont il a le secret, de la nature (en toutes saisons) et de la vie à la campagne russe d'avant la Révolution d'Octobre.



On comprend aisément qu'il fut le premier Russe à être honoré à Stockholm par le prix numéro un en littérature, en 1933, 15 ans avant Boris Pasternak (1958), 22 avant Mikhaïl Cholokhov (1965) et 37 ans avant Alexandre Soljenitsyne (1970). Auxquels il convient d'ajouter, puisque écrivant en Russe, Joseph Brodsky résidant aux États-Unis (1987) et Svetlana Aleksievitch de Biélorussie, en 2015.



Arrivé chez sa mère, Olga Petrovna, son séjour est vite dominé par sa passion pour sa Katia à l'autre bout du monde : inquiétudes, douleurs métaphysiques, mauvaises pensées, souffrances du coeur, sombres sentiments envahissants de pure jalousie ! Comme le note l'auteur (à la page 34) : "... tout c'était transformé comme si la fin du monde était proche, et le charme du printemps, de son éternelle jeunesse, devint misérable et triste. Cela dura longtemps, cela dura tout le printemps..."

Même les petites avances des beautés locales, Sonka et Paracha, flattent l'orgueil de notre héros, mais ne réussissent pas à le sortir de sa longue torpeur de jalousie.



C'est frustrant que je ne puisse continuer mon petit résumé, car j'éprouve des difficultés à tempérer mon enthousiasme pour cette brève perle.

De Ivan Bounine j'avais lu "Le calice de la vie " (1915), "Jours maudits" (1925-1926) et "Les Allées sombres" , un de ses derniers récits autobiographiques, écrit en 1946, 7 ans avant sa mort, à Paris en 1953, la même année que son souffre-douleur Staline et son ami, le grand compositeur Sergueï Prokofiev (tous 2 morts curieusement le même jour d'ailleurs : le 5-3-1953).



Si ces oeuvres précitées m'ont plu, je trouve que "Le sacrement de l'amour" se situe encore à un étage supérieur !

Sans hésitation aucune, je peux donc recommander cette oeuvre à toute lectrice et tout lecteur jeunes ou qui ont gardé le coeur et l'esprit jeunes et qui apprécient une prose si superbement poétique.





Commenter  J’apprécie          439
Le Sacrement de l'amour (L'amour de Mitia)

Le jeune maître est amoureux de Katia , une artiste qui lui rend son amour. Pourtant, entre eux , la passion se délite et Mitria décide de se ressourcer à la campagne. Il part seul, avec la jalousie comme invisible compagne.

Roman court, où l'âme tourmentée du jeune maitre est l’héroïne malgré elle.

La jalousie , l'absence, les doutes tourmentent Mitria.

Bon après , il passe ses journées à lire , se balader, faire du cheval et contempler la nature , subtilement décrite par l'auteur. La corrélation entre nature et tourments est d'ailleurs assez saisissante.

C'est très bien écrit , on ne peut pas dire le contraire mais bon voilà, pour le dire poliment , je me suis un peu ennuyé et , alors que je suis une buse absolue , la fin est prévisible .

La vision de la femme est d'une autre époque , pas étonnant pour un livre russe sorti en 1925.

On plonge dans ce monde de paysans avec ce maitre tourmenté car sans nouvelles de Katia alors qu'autour de lui, le peuple se tue à la tache.

Le tout dans une nature d'une beauté inaltérable .
Commenter  J’apprécie          421




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Ivan Bounine (416)Voir plus

Quiz Voir plus

Ivan BOUNINE

Ivan Bounine (1870-1953) fut le premier russe à obtenir le prix Nobel de littérature en :

1930
1933
1936
1939

10 questions
6 lecteurs ont répondu
Thème : Ivan BounineCréer un quiz sur cet auteur

{* *}