AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Jorge Semprun (194)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


L'Ecriture ou la vie

L'écriture ou la vie est un des meilleurs livres que j'ai lu de toute ma vie. Jorge Semprun reflète son passé à travers son écriture et son histoire avec une plume accrocheuse. C'est difficile de ne pas passer à travers ses pensées. On ressent ce qu'il vit à chaque page tourner et on se demande juste: comment a-t-il fait pour ne pas sombrer dans cette folie d'avoir échapper in extremis à la mort dans les camps et d'avoir vu tout ce qu'il a vu? On ne peut pas l'imaginer sans l'avoir vécu mais avec ce livre on se rapproche d'une des pires périodes de l'histoire et on se demande alors: comment pouvait-on vivre dans une telle société? Merci Jorge pour ce livre qui nous fait pleurer, qui ne nous laisse pas indifférent.
Commenter  J’apprécie          120
Le Grand Voyage

Ce grand voyage laisse des traces en tant que lecteur, même si elles sont insignifiantes en comparaison des profondes cicatrices psychologiques des quelques uns qui l'ont vécu et y ont survécu. Nous accompagnons l'auteur dans ce wagon à bestiaux rempli d'êtres humains, où notre monde n'a plus lieu, où le temps n'existe plus, où les sens sont effacés. Reste la pensée de Georges Semprun, dont la puissance est telle qu'elle abolit la souffrance physique dans laquelle nous nous projetons en premier lieu en tant que lecteur, une puissance de pensée telle qu'elle permet à cet homme de philosopher sur sa liberté alors qu'il nous raconte "l'histoire de sa vie" au milieu de ce wagon en même temps que l'histoire de "sa vie au milieu de ce wagon"...



Ce fut une lecture exigeante pour moi, entre cauchemar éveillé, rêverie philosophique, témoignage historique. On ne peut que se recueillir avec gravité et un profond respect face à la hauteur de vue de Georges Semprun alors qu'il a traversé le pire des enfers.
Commenter  J’apprécie          110
L'Ecriture ou la vie

Jorge Semprun a été enfermé dix huit mois dans le camp de concentration de Buchenwald. Il avait une vingtaine d’années, était membre actif de la Résistance et cette parenthèse de vie l’a marqué à jamais. Pendant quinze ans, il a préféré oublié, vivre plutôt qu’écrire, c’était l’écriture ou la vie car l’écriture le ramenait sans cesse dans ce camp de Buchenwald parmi les morts, les mourants et la fumée des fours crématoires. Finalement, au début des années 1990, après quelques récits évoquant plus ou moins frontalement cette histoire, Semprun la prend à bras le corps et la livre au lecteur. C’est un récit pudique fait d’allers retours entre plusieurs époques, plusieurs faits, un récit à la première personne guidé par l’amour de la littérature et le souci de se souvenir malgré tout. Un pied de nez à la mort.
Lien : http://puchkinalit.tumblr.com/
Commenter  J’apprécie          110
Le Grand Voyage

C’est le livre que l’auteur ne veut pas écrire….enfin pas maintenant, demain peut-être quand il aura oublié….pour se souvenir, en leur mémoire.

Il n’écrit pas, il parle, il raconte, il explique pourquoi il n’est pas prêt, il mélange le présent, le passé et l’avenir, un son lui rappelle un fait passé mais il est rappelé dans le présent par un mouvement du train.

Jorge Semprun ignore comment raconter la déportation, son voyage dans l’impensable….car il en est revenu et il le sait il va devoir raconter…..mais pas tout de suite, d’abord oublier puis se souvenir.

Livre passionnant, plein de tendresse, d’amour, de volonté de partage……à lire absolument

Commenter  J’apprécie          110
L'Ecriture ou la vie

Buchenwald.

Comment « oublier » la mort qui rode inexorablement ? En murmurant des vers, en se remémorant des bribes de poèmes qui reviennent en soliloques, en déclamant à l’unisson, dans des échanges solidaires, de la poésie, (Apollinaire, Breton, Char, Victor Hugo, Francis James, Louise Labé, Lamartine, Mallarmé, Rimbaud, Ronsard, Toulet, César Vallejo …) en criant, en hurlant des strophes emportées par le vent avec « les flocons de la fumée grise ». Tenter de vivre, survivre, avec les livres, la poésie, l’amitié, la musique (les chansons de Zarah Leander, les orchestres clandestins…), les représentations théâtrales, les réunions politiques, dans un quotidien difficilement dicible : « le réveil à quatre heures et demie du matin, le travail harassant, la faim perpétuelle, le permanent manque de sommeil, les brimades des Kapo, les corvées de latrines, la ‘schlague’ des SS, l’atroce solitude du Revier, la fumée du crématoire, les exécutions publiques » …

11 mars 1945 – Libération de Buchenwald - Retour à Paris.

Vouloir de se débarrasser de « la mémoire de la mort, de son ombre sournoise », tenter de trouver le repos spirituel et l’oubli…

Témoigner ou pas ? Pourtant ce retour à la vie est incompatible avec l’écriture qui lui rappelle la mort « celle-ci me ramène à la mort, m’y enferme, m’y asphyxie » Il lui faudra donc opter entre l’écriture et la vie et Joge Sumpre choisira pour longtemps et pour pouvoir tout simplement respirer « le silence bruissant de la vie contre le langage meurtrier de l’écriture. Il restera de longues années sans vouloir écrire ces pages qui racontent la mort. Longtemps aussi « la nieve » hantera le cauchemar de ses nuits, la neige, celle des paysages de Buchenwarld.

C’est tout cela que " L’écriture ou la vie" nous révèle ». Et moi j’y ai redécouvert un écrivain attachant, un homme vrai, pudique, fraternel.



Commenter  J’apprécie          112
L'Ecriture ou la vie

Le livre est un peu difficile à lire mais il faut reconnaître qu'il est brillant, captivant. Jorge Semprun montre son cheminement pendant sa déportation mais également et surtout au "retour" de sa déportation. Il permet de voir les différentes phases qu'il a pu traverser, la recherche d'un exutoire pour sa mémoire, pour lui permettre de retrouver une sérénité... L'écriture n'est pas obligatoirement ce qui lui a permis de vivre avec cette expérience difficile, le souvenir de ces moments terribles.

Sans nul doute que l'écriture n'est pas le seul élément qui a permis à Semprun de "vivre" avec son passé, de se réaliser malgré tout. Toutefois, l'écriture est un aspect essentiel de sa vie.
Commenter  J’apprécie          110
Le Grand Voyage





N°236

Décembre 2001





LE GRAND VOYAGE – Jorge SEMPRUN - – Editions GALLIMARD.







Je me pose souvent la question de ce qui peut motiver un lecteur d’aller au bout de ce parcours qu’il fait avec l’auteur d’un livre, ce qui fait naître en lui l’intérêt pour le texte, l’envie d’en savoir davantage, le plaisir qu’il prend à vouloir poursuivre l’histoire racontée, de partager avec cet être inconnu qui se cache derrière ses mots le moment privilégié de la lecture qui, malgré le temps, la distance et le nécessaire détachement, continue jusqu’au dernier mot de l’ouvrage d’entretenir cette complicité mutuelle.



Depuis les années déjà nombreuses que j’entretiens « ce vice impuni » qu’est la lecture, je n’ai toujours pas pu répondre à cette question, mais la passion pour les écrivains et leur œuvre reste intacte en moi, surtout quand j’ai la chance de croiser quelqu’un d’authentique.



De ce livre, maintenant refermé, il me reste un sentiment fort de quelqu’un qui veut témoigner, non pas tant comme un « devoir  de mémoire » mais comme un jalon dans sa propre vie dont nous savons qu’elle n’a pas été quelconque !



Ce voyage, ici qualifié de « grand », c’est la relation faite par un témoin, communiste espagnol de surcroît, de ce qu’à été sa vie dans cette période trouble de notre histoire nationale qu’a été l’Occupation, la pudeur dans le récit tout juste esquissé de ce qu’a été son action dans la Résistance en faveur de notre pays qui avait pourtant si mal reçu les Républicains espagnols vaincus qui fuyaient l’Espagne, Franco, le fascisme et la mort !



C’est aussi le trajet, dans des wagons à bestiaux de ce qu’il a vu, des ces hommes parqués comme des bêtes, dans le froid, la faim et la souffrance, entassés dans des trains de marchandises qui mourraient parfois avant d’être arrivés, qui ne savaient même pas vers quelle destination les emmenait ce convoi, apparemment hésitant entre aiguillages et voies de garage, pendant que ceux qu’il transportait continuaient à mourir, comme si la mort était soudain devenue banale, sans importance.



Il y avait ces petits riens, ces paroles qu’on échangeait malgré le peu d’aisance que permettait l’entassement des hommes debout des jours durant, ballottés par le crissement des roues et le halètement de la locomotive, ces actions parfois vaines mais pourtant tentées pour sauver une vie, dans ces wagons où la mort faisait aussi partie des passagers… Elle prélevait sa dîme dans le convoi des hommes rassemblés là parce qu’ils étaient juifs, résistants ou avaient eu simplement le malheur d’avoir été pris dans une rafle.



Il y avait aussi ces retours en arrière, proustiens, du narrateur, ancien étudiant au lycée Henri IV qui aimait tant la philosophie et le grec … Il faisait lui aussi partie du voyage. Ce train de la souffrance, lent et régulier comme sait parfois être la vie elle-même, mène tout son monde vers la mort. Ils ne le savent pas encore, regardant comme ils le peuvent le paysage à travers l’ouverture grillagée d’un wagon. Ils traversent l’Est de la France, parce que le pays est vaincu, parce qu’ils ont voulu résister à l’envahisseur, parce qu’ils ont eu un sursaut de « vouloir vivre » dans cette France abattue qu’ils ont refusée, face à ceux qui ont choisi un autre camp…



Ils vont vers la mort du camp de Buchenwald, le froid, la neige, les SS et leurs chiens… Ils vont à la rencontre de tout ce dont l’homme, qui est pourtant, dit-on, la forme la plus élaborée de la création est capable en matière de bestialité, d’horreur, de tout ce qui est la négation de l’humanisme et de la culture, de la simple humanité aussi. Il y a l’épaisseur des mots dans leur simplicité même, l’émotion qu’ils inspirent au lecteur attentif… Il y a le spectacle de ces hommes guettés par la mort, ces enfants qu’on massacre pour le simple plaisir de tuer, dans la neige, dans la nuit noire de l’hiver, des projecteurs, des cris des soldats…



Dans ce camp qu’il évoquera plus tard dans « L’écriture ou la vie », indiquant qu’il privilégiait la vie à l’horreur de ce souvenir, il passera deux années qui brûleront sa vie comme si on appliquait un fer rouge sur sa peau. Il y parle pourtant de ce morceau d’Allemagne qu’aima Goethe que les nazis transformèrent en une fabrique de mort. Il y évoque ces hommes qui périssent en fumée sous les yeux apparemment apaisés, ignorants ou volontairement aveugles des habitants de Weimar, cette ville si paisible qu’une éphémère république abrita.



C’est un texte tellement présent qu’on voudrait que la mort ne fût pas au rendez-vous de ce voyage sans retour vers les camps où tant d’hommes et de femmes périrent parce qu’ils ne correspondaient pas au modèle allemand, parce qu’ils étaient livrés à la volonté de tuer de leurs geôliers.



De ce fait, L’auteur devient le gardien de la mémoire, le grand et peut-être l’unique témoin qui osera parler pour que d’autres se souviennent, pour que les générations futures n’ignorent rien de ce qui s’est passé, parce qu’il reste toujours un homme pour décrire l’horreur et qu’il a le devoir d’authentifier les faits qu’il rapporte, d’être celui qui dira ce qui a endeuillé notre XX° siècle dans cette Europe qui fut jadis celle des Lumières, d’être l’avitailleur de cette mémoire collective qu’on voudrait pourtant endormir.



© Hervé GAUTIER
Lien : http://hervegautier.e-monsit..
Commenter  J’apprécie          112
Une tombe au creux des nuages : Essais sur ..

J'apprécie l'écriture de Semprun sans condition. Je dois reconnaitre que parfois, je relis plusieurs fois une phrase pour être sur de bien en saisir le sens (quand il est question d'histoire, de philosophie ou de politique) et qu'après cela demande un léger temps de réflexion. j'écrirai plus longuement sur ses livres.
Commenter  J’apprécie          110
L'Ecriture ou la vie

La grande originalité de ce roman est qu'il ne s'attarde pas tant sur l'horreur des camps que sur la difficulté (l'impossibilité ?) de vivre lorsqu'on en est rescapé. Le titre même tente de traduire cet amer constat : l'écriture ou la vie, faut-il le comprendre comme un choix à faire entre les deux (et alors l'écriture deviendrait synonyme de mort), ou considérer que la vie est un équivalent de l'écriture, dans la mesure où écrire l'indicible et l'horreur des camps permet peu à peu de reprendre vie ? Jorge Semprun se considère, pendant ces 400 pages, comme un revenant, qui n'est précisément pas tout à fait "revenu" des camps, où il a laissé sa jeunesse, ses illusions, ses souvenirs. Un récit bouleversant, à l'écriture épurée et sensible, où toute l'horreur transparaît dans la sobriété et la retenue. Non pas un énième livre sur la Shoah, mais un véritable témoignage, plein de pudeur, aussi touchant et marquant que celui de Primo Levi. Tout simplement magnifique.
Lien : http://ars-legendi.over-blog..
Commenter  J’apprécie          110
Exercices de survie

Court récit autobiographique, centré sur la torture. Cette thématique n'avait que peu été abordée par Semprun, pourtant arrêté par la Gestapo en 1943. Il la décrit à peine, mais parle de se effets sur le corps, la conscience de son corps. De ce qu'elle signifie aussi, selon que l'on y résiste ou non : la vie ou la mort des camarades.

Semprun fait de nombreux sauts dans le temps, dans sa vie, passant sans transition de Buchenwald au présent ou à sa période de clandestinité madrilène, de la fin des années 40 à 1963. Ce qui est parfois un peu déstabilisant ; la narration, mais aussi la vie hors norme de l'auteur.

Peut-être aurais-je du commencer par L’Écriture ou la vie. Toujours est-il j'ai eu beaucoup de mal à lire, voire parfois à comprendre ce court texte. Peut-être y reviendrais-je plus tard.
Commenter  J’apprécie          110
L'Ecriture ou la vie

Il a fallu à l'auteur plus de quarante années avant de pouvoir écrire ce livre. Impossible, au sortir du camp de concentration de Buchenwald, de décrire la souffrance endurée, le deuil des amis n'ayant pas résisté à la faim, aux coups, à la maladie. Impossible de faire comprendre au monde comment la solidarité entre ces détenus, pour la plupart porteurs d'un idéal et précisément enfermés pour cela, a permis de se ménager des petits instants de bonheur : partager un mégot, monter un orchestre improvisé, jusqu'à des actes beaucoup plus risqués comme détourner des armes pour le jour, incertain, où l'on pourra se libérer. Ce jour tant attendu est enfin arrivé en avril 1945, c'est le début du roman, lorsque l'auteur se rend compte qu'il fait physiquement peur aux trois officiers en uniforme britannique se présentant à l'entrée du camp, trois soldats pourtant habitués aux scènes d'horreur vues sur les champs de bataille. Raconter l'indicible, l'auteur l'a tenté, puis y a rapidement renoncé, ne trouvant ni les mots ni le ton juste à adopter. Il préférera l'action, la vie, cette vie de militant apatride qui va l'amener à défendre des causes qu'il reniera par la suite, longtemps après, lorsque l'envers du décor, sordide, lui apparaîtra. Comme dans toute son œuvre, Jorge Semprun ne raconte pas une histoire, mais plutôt son travail d'écriture autour de quelques faits saillants restés gravés dans sa mémoire ou resurgissant soudainement au détour d'une lecture, d'une rencontre. Une œuvre en creux, faisant penser à un sculpteur qui n'aurait conservé que les moules de ses créations. Un roman passionnant, qu'il faut lire en prenant son temps, en suivant patiemment l'auteur là où il veut nous mener, ou nous égarer…

Commenter  J’apprécie          100
L'Ecriture ou la vie

J’ai quitté le système scolaire il y a trente ans et je ne me souviens pas avoir étudié en cours d’histoire les camps nazis. Je me souviens d’avoir appris les faits importants concernant la Seconde Guerre mondiale (la résistance, la collaboration, le régime de Vichy, Pétain, Laval et le général de Gaulle, les nombreuses batailles sur le territoire africain, le débarquement sur les côtes italiennes, les bombes atomiques…).Je pense qu’il y a trente ans, certains sujets étaient encore tabous.

Jorge Semprun a été déporté dans le camp de concentration de Buchenwald après son arrestation en septembre 1943. Sa famille avait fui après la guerre d’Espagne et avait trouvé refuge en France. Pour un temps. La Seconde Guerre mondiale a surgit et Semprun s’est engagé dans la résistance.

« L’écriture ou la vie » est un témoignage sur le retour difficile à une existence ordinaire et ordonnée. Jorge Semprun raconte le combat qu’il a mené pour redevenir un homme vivant, pour faire disparaître l’odeur de la mort, celle des latrines du Petit Camp, celle des fours crématoires. La vie dans les camps et la vie civile sont deux réalités d’une seule mémoire. Même si, secrètement, un semblant de vie culturelle subsistait grâce à la création dans le camp d’un ensemble de jazz. Le camp de Buchenwald se trouvait dans la vallée de l’Ulm près de la ville de Weimar. Le premier camp de concentration est construit en 1933 à Dachau. Celui de Buchenwald est entré en service en 1937. Il accueillait principalement des prisonniers politiques de toutes origines et, plus tard, des polonais.

Le camp de Buchenwald a été libéré en avril 1945. La première rencontre avec le monde extérieur passe par le regard de l’autre, rempli d’horreur. Cela fait des mois que Jorge Semprun ne voit pas son corps s’amaigrir, s’assécher. C’est un survivant, un revenant. Maurice Halbwachs et Henri Maspero tous deux professeurs universitaires n’ont pas eu cette chance. Jorge Semprun est en quarantaine dans le camp avant de rentrer en France. Il raconte les dimanches où certains d’entre eux se réunissaient auprès de ces deux hommes, le jazz, son rapport à Dieu. Son retour en France est décousue et hésitant. Il cherche à rendre son âme de nouveau habitable. Ses rapports et son intimité avec les femmes réveillaient en lui la mort qu’il voulait oublier. On devine sa solitude, sa douleur, ce travail de deuil, d’oubli. Cet ouvrage est pour Jorge Semprun un « exorcisme intime ». Après avoir oublié ce traumatisme pour pouvoir vivre, le désir de témoigner « redevenait appétissante ». Il choisit l’écriture et la vie afin de transformer le monde, d’en voir sa beauté. Le monde redevient une réalité. J’ai aimé la forme et le style de l’ouvrage. J’ai préféré lire « L’écriture ou la vie » de Jorge Semprun avant d’entrer dans l’œuvre de Primo Levi.

Commenter  J’apprécie          100
L'Ecriture ou la vie

« L'écriture ou la vie » : Jorge Semprun (Folio, 395 pages)

« Elucider les rapports entre la mémoire de la mort et l'écriture », tel est le propos ici de Jorge Semprun.

Très brillant, né d'une famille de dirigeants politiques espagnols républicains de premier plan exilés après la victoire de Franco, scolarisé dans les lycées les plus renommés de Paris, le jeune homme très cultivé, polyglotte, est féru de littérature et de philosophie, qu'il convoque régulièrement dans ce long texte. Il côtoie le monde de l'intelligentsia dès ses 15 ans, se décrit parfois comme un peu imbu de lui-même, et pas peu fier de ses bagages intellectuels. Il n'en a pas 20 quand, devenu communiste et résistant, il est arrêté par la Gestapo, torturé et déporté à Buchenwald.

Le récit s'adosse aux quelques jours et semaines qui suivent la libération de Buchenwald par l'armée américaine, mais il avance par apartés successives, en allers et retours dans le temps, en pas de côté comme en usent ceux qui sont dans l'obligation de dire, quand les mots se bousculent en un apparent désordre dans le devoir de ne rien oublier, surtout de ne rien oublier, mission pourtant impossible. Ces écarts permettent à l'auteur de témoigner aussi de moments heureux, vivants, ou de débats intellectuels riches avec ses amis, d'avant et d'après Buchenwald comme avec ses compagnons d'enfermement. Il y a donc de fréquentes ruptures de ton, qui permettent tant à l'auteur qu'au lecteur de souffler, de sortir de l'apnée terrifiante.

Car comment témoigner d'une telle horreur absolument inimaginable ? Jorge Semprun nous convainc d'emblée qu'on ne peut réellement partager cela avec ceux qui ne l'ont pas vécu (« ils ne sauront jamais, ils ne peuvent pas imaginer, quelles que soient leurs bonnes intentions »). Car les survivants n'ont pas échappé à la mort, mais l'ont traversée, ils reviennent de derrière la ligne de mort (Ainsi, juste après la libération du camp par les Américains : « C'était excitant d'imaginer que le fait de vieillir, dorénavant, à compter de ce jour d'avril fabuleux, n'allait pas me rapprocher de la mort, mais bien au contraire m'en éloigner »).

Le titre témoigne donc de l'impossibilité d'écrire ; écrire les camps, c'est s'enfermer dans la mort. Semprun échappera à sa tentative de suicide juste après la guerre en renonçant à « témoigner ». Il évite les compagnons de détention, il milite clandestinement au Parti Communiste dans l'Espagne franquiste, prenant à nouveau de grands risques, avant d'être exclu de l'appareil stalinien. Durant cette longue période d'après-guerre, écrire sur Buchenwald eut été pour lui choisir de rester dans la mort des camps, de mourir. C'est, entre autres, le suicide de Primo Levi en 1987, mais aussi la rencontre avec une jeune femme qui ne sait rien de sa déportation, qui lui redonneront l'énergie nécessaire à l'écriture de cet au-delà de la mort sans y succomber.

Discutant avec des compagnons dans les jours qui suivent leur libération sur les moyens et la nécessité de raconter l'inracontable, témoigner de l'impensable, voilà d'ailleurs ce qu'ils en disent : « Il restera les livres. Les romans de préférence. Les récits littéraires, du moins, qui dépasseront le simple témoignage, qui donneront à imaginer, même s'ils ne donnent pas à voir. Il y aura peut-être une littérature des camps… Je dis bien une littérature, pas seulement du reportage. (…) L'enjeu en sera l'exploration de l'âme humaine dans l'horreur du Mal… Il nous faudra un Dostoïevski ! ».

Commencé, mis en veille, repris, enfin terminé en 1994, ce livre est donc une oeuvre littéraire, plus et au-delà du documentaire. J'y ai trouvé une écriture magnifique, un style percutant, tous qualificatifs qui paraissent totalement décalés (quasi obscènes ?) par rapport au sujet. Alors disons qu'elle est terriblement efficace, qu'elle permet au lecteur de frôler à peine, de toucher du doigt la réalité de Buchenwald… et de tant d'horreurs (« J'étouffais dans l'air irrespirable de mes brouillons, chaque ligne écrite m'enfonçait la tête sous l'eau, comme si j'étais de nouveau dans la baignoire de la villa de la Gestapo. ») Ou de moments plus heureux. Il saisit des portraits avec un art consommé de la métaphore : « Elle (une jolie femme) était visiblement le produit quasiment parfait de plusieurs générations de Palmolive, de cachemires et de leçons de piano. » Même les répétitions de phrases hachent ou martèlent le texte de scansions lancinantes. C'est aussi une plongée au coeur de ce qui fait l'humanité, une réflexion profondément philosophique sur l'humain, sa vie et sa mort.

Son internationalisme intact, son refus de condamner les allemands comme allemands témoignent de l'intelligence de Semprun. Ses gestes d'humanité (l'accompagnement des derniers souffles de son ancien professeur et ami le sociologue Maurice Halbwachs), sa curiosité des autres, sa faculté de résister et résister encore, rendus par une écriture d'une intensité et d'une vérité exceptionnelles, il y a tout ça, et bien plus encore dans ce livre indispensable.

PS : j’ai oublié de pointer une antinomie apparente entre le titre (et l’objet) de ce livre, et la thèse si souvent véhiculée par nombre d’auteurs ou de critiques : écrire pour vivre (donc en filigrane « l’écriture ou la mort »). A méditer ?

Commenter  J’apprécie          102
L'Ecriture ou la vie

Dans ce livre très grave, Jorge Semprun évoque à travers son expérience d'internement dans le camp nazi de Buchenwald, son incapacité d'écrire ce dont il a été témoin et ce qu'il a vécu.

Quel choix en effet pour celui qui revient dans le monde des vivants ? Comment survivre, comment revivre ? Par la recherche obsessionnelle de l'oubli ou par la transcription de ce "voyage" infernal par l'écriture ? Comment aborder cette transcription ?

Des questions essentielles qui se sont posées à tous les revenants du monde de la mort diaboliquement orchestré par les Nazis. .
Commenter  J’apprécie          100
L'Ecriture ou la vie

Ce fut pour moi une rencontre fondamentale. Je ne connaissais Semprun que de nom, mais le résumé m'a interressé lorsque j'ai découvert ce bouquin abandonné sur le sol d'une boîte à livres.

Dans un premier temps, ce récit admirable de la captivité à Buchenwald m'a fait pensé à celle d'un autre génie littéraire détenu d'Auschwitz. Il est d'ailleurs question de cet autre, Primo Levi, et nous pouvons constater les deux modes différents et similaires d'adaptation à cette expérience de la mort.

Semprun est avant tout un lettré. Le texte est parsemé de citations, en français, espagnol, allemand ou italien, et de références. Il s'entretient par ailleurs avec Halbwachs lui aussi prisonnier, ou encore Maspero.

Semprun est un résistant fils d'un représentant de la IIe République Espagnole, il a connu cette guerre immonde lorsqu'elle a commencé en 1936. Membre de la MOI, mais aussi d'un réseau lié aux services britanniques il prend part à la résistance interne du camp.

Pour autant, ce texte n'est pas centré sur l'expérience concentrationnaire. Il parle de la survie, de l'existence au-delà de la mort. Il parle de l'effort qu'il doit faire pour oublier, oublié pour pouvoir vivre.

Mais on oubli pas aussi facilement cette expérience de la mort et elle revient. Il aurait voulu écrire dès 1945, mais il n'y parvint pas. Finalement, c'est des années plus tard qu'il recommence à travailler sur la mort, parceque les dates et les souvenirs ne peuvent pas continuellement être contenues. N'a jamais fini de lutter, dans la Madrid franquiste, il anime un réseau communiste clandestin lorsque ça lui revient.

Finalement, c'est en premier lieu par la littérature qu'il réussi à appréhender ses souvenirs, à les domestiquent, à fair la paix avec lui-même, ce lui qu'il aurait voulu laisser au camp, là où les oiseaux ne chantent pas.

L'écriture de ce texte est admirable. Il y a cette érudition qui tissé des passerelles entre lui et nous, des parcelles de normalité dans une situation qui n'a rien de normale. Il y a aussi de constants rappels de passages passés. C'est la mémoire qui écrit, et je regrette de ne pas avoir connu ce livre lorsque je travaillais sur mon mémoire en didactique du l'histoire.c'est comme cela que fonctionne la mémoire la des passerelles et des comparaison qui fabrique du sens.

J'ai fini de lire dans le métro qui me conduisait à l'admirable expo sur Giono, au Mucem. Celle-ci débute par un passage sur la première guerre mondiale. Le lien entre les expériences de la mort de ces deux grands auteurs m'a frappé en plein coeur. Dans les deux cas, c'est l'écriture qui les a sauvés. Quelques jours après avoir fini le livre, alors que je n'en avais jamais entendu parler, j'ai été surpris par un auteur invité de France culture qui y faisait référence. Parfois, il y a des hasards.

Je vous conseille cette lecture.
Commenter  J’apprécie          100
L'Ecriture ou la vie

Un très grand, un très beau, un magnifique livre. Sur un sujet difficile, presque impossible ou d'autres avec talent et même génie (Primo Levi, Buber Neumann et tant d'autres) avaient écrit des pages poignantes, le jeune et génial Jorge Semprun écrit dans un français éblouissant, dans un style inouï un sommet de la littérature. Maniant l'élipse comme le grand cinéaste Angelopoulos le plan séquence ("L'étérnité et un jour"), Jorge Semprun nous conduit dans un voyage improbable à la fois si proche et si lointain, celui du Paris d'avant guerre et de ses cafés littéraires, celui des élites intellectuelles, celui de la soif de vivre d'une jeunesse insouciante, puis celle de l'incommunicabilité de l'indescriptible. Comment parler de Buchenwald (je n'ose même pas rappeler que dans l'indicible horreur, Buchenwald diffère d'Auschwitz, les camps de concentration et de la mort des camps d'extermination).



Jorge Semprun conjugue une langue d'une beauté qui est celle des français d'adoption nourris aux grands textes avec un sens de la narration quasi cinématographique: la description de son meurtre d'un jeune soldat allemand et sa mise en abyme avec cette chanson "la Paloma" qui longtemps le hantera comme une ritournelle au sens à jamais modifié est d'une puissance extraordinaire...



Un livre que m'a recommandé une amie psychanalyste et qui est un livre puissant, beau, intelligent, un hymne à la vie.
Commenter  J’apprécie          101
Montand : La vie continue

Un livre qui dit l’amitié profonde, vraie, qui unit Semprun à Montand. Des liens tissés serrés faits d’intimité, de complicité, de partage idéologique, d’engagements pour les mêmes causes.

Ce n’est pas une biographie, c’est comme le dit Semprun dans sa postface rédigée en 1985 un « essai-portrait » parlant d’Yves Montant chanteur, acteur, citoyen s’impliquant dans la politique.

Semprun écrivit bon nombre de scénarii et de dialogues de films qui furent des succès grâce, aussi, à la prestation époustouflante de Montand « La guerre est finie, les Routes du Sud, Z, l’Aveu, Netchaïev est de retour).

Un livre hommage sincère et donc touchant.

Commenter  J’apprécie          100
Le Grand Voyage

Le grand voyage est le récit autobiographique du périple en train, durant quatre jours et cinq nuits de Jorge Semprun, communiste espagnol et résistant, qui le conduisit à Buchenwald, camp de concentration de sinistre mémoire, construit sur la colline d’Ettersberg, près de Weimar.

Ce grand voyage est surtout celui de la mémoire d’un homme éprouvé, prisonnier pendant deux ans du maelström nazi, qui tente de mettre en ordre ses souvenirs pour la postérité : “je me rends compte et j’essaie d’en rendre compte, tel est mon propos” déclare l’auteur. Le fil narratif principal du récit est donc le voyage vécu par l’écrivain et ses compagnons d’infortunes dans un wagon bondé qui les conduit vers l’enfer. Cependant, tel un mouvement de systole et de diastole, la narration se contracte, parsemée de souvenirs et de faits postérieurs à l’histoire principale, donnant de l’épaisseur psychologique et un regain d'intérêt au témoignage, évitant par là de sombrer dans une litanie atroce et cauchemardesque de sévices et d’humiliations endurés. Pas de déroulement chronologique donc, plutôt le jaillissement spontané de souvenirs dans l’esprit de Semprun, qui par leur côté saillant permettent de déchirer la gangue d’oubli qui menace d'enserrer la mémoire de l’auteur : flash-back, retour de formules incessantes - leitmotiv de cauchemar-, telle cette phrase prononcée par un jeune homme de Semur-en-Auxois, dont on sait que le cœur exténué ne résistera pas à cet exode : “cette nuit, bon dieu, cette nuit n’en finira jamais”.



La prose et les moyens narratifs de Semprun sont simples, mais ô combien efficaces, pour atteindre leur but : captiver pour transmettre son témoignage, afin que l’oubli ne passe pas sur des faits dont l’horreur défie l’imagination humaine.
Commenter  J’apprécie          100
Le métier d'homme : Husserl, Bloch, Orwell : ..

Qu'ont en commun le philosophe autrichien Husserl, l'historien français Marc Bloch et l'écrivain britannique Goerge Orwell ? Pas grand chose à première vue. Si ce n'est une vision de l'Europe unie, du danger moral qui la menaçait dans les années 30 et risquant de la mener à sa perte, du désastre qui a suivi et de ses raisons. Mais la foi aussi dans une Europe-Pheonix, capable de renaître de ses cendres, et surtout une Europe unie et fédérale. Une belle idée, humaniste et politique (mais pas économique) de notre UE. Il serait intéressant de savoir ce qu'ils pensent de celle que nous avons.

Trois conférences données à la BnF, très intéressantes et érudites. Semprun en profite pour parler d'autres auteurs de cette époque, de souvenirs personnels (il aime vraiment beaucoup les digressions). D'ailleurs l'ouvrage manque d'une bibliographie des auteurs à l'honneur et de tous ceux qui furent cités.
Commenter  J’apprécie          100
Exercices de survie

Si vous voulez apprendre à allumer un feu sans allumettes sous la pluie ou à nager dans un banc de piranhas affamés au milieu de rapides amazoniens ou à échapper aux complications gastriques liées au dernier Beaujolais nouveau, vous vous trompez de bouquin. Votre truc serait plutôt le Manuel des Castors Juniors. Ici, les exercices de survie dont il est question, ne sont pas explicites, mais on devine qu'il en a fallu à Jorge Semprun dans son passé d'homme d'action et de militant lors de la seconde guerre mondiale et en Espagne sous Franco, et qu'il a même fallu que sa vie d'alors ne soit qu'un unique exercice de survie continu, pour, au bout du compte, être là et témoigner.

Mais au-delà de la survie, les exercices du livre sont avant tout ceux de la mémoire. En effet, la narration n'est pas particulièrement chronologique ou structurée, mais fonctionne plutôt selon la logique de la pelote de laine, un souvenir en appelant un autre, avec des retours en arrière, des ressassements, des répétitions, qui illustrent la dynamique de cette mémoire, et en balisent la ligne directrice.

Qui dit survie, dit bien sûr confrontation avec un contexte de mort et de souffrance. Effectivement, la torture et les vécus de l'auteur face à celle-ci emplissent le texte. S'il paraît qu'il en avait très peu parlé jusque-là, on mesure ici combien elle a contribué à le construire et à le marquer de son impact jusqu'à la fin de sa vie. On peut d'autant mieux l'évaluer que, bien que le discours rende essentiellement compte de souvenirs de combattant et de militant, le propos revient fréquemment sur la question au fil des évocations, comme dans une boucle compréhensiblement entêtante. Mais à tous ceux qui s'attendent à des descriptions de tortures, à des scènes sauvages et insoutenables, là encore vous vous êtes trompés de bouquin. Votre truc serait plutôt le genre S.A.S. Ici, on ne lit pas de grandes considérations sur la torture, ses techniques de l'antiquité à nos jours etc., mais essentiellement le retour d'une expérience concrète et son impact existentiel pour l'auteur et ce qu'il pense valoir aussi pour tout homme.

Malgré la gravité du sujet, le style avant tout très simple n'en fait pas un sujet particulièrement lourd. En effet, la sobriété et l'honnêteté du texte rende la question a priori accessible à tout le monde, même si le seul supplice que vous avez enduré, est de vous être coupé avec une feuille de papier en lisant un livre, ou d'avoir lu l'intégrale de mes critiques. Toutefois, même s'il l'exprime sans gloriole, sans romantisme particulier, l'auteur n'est pas dénué d'une certaine fierté et est bien conscient que le club des torturés constitue une catégorie d'humains de facto à part. Nous comprenons ainsi que cette épreuve humaine radicale peut se vivre de manière paradoxale au cours du temps vis-à-vis des autres hommes. En effet, tout d'abord, la sublimation de la fraternité et de la solidarité humaines lui a permis de tenir dans la souffrance. Puis, avec le temps, l'épreuve le distingue des autres.

La valeur du livre est évidemment celle de ce témoignage simple et profond sur l'inhumain et sur l'incapacité de ce dernier à malgré tout borner l'action et la détermination humaines. C'est donc avec un grand respect et une réelle admiration pour l'auteur que l'on referme le livre.
Commenter  J’apprécie          100




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Jorge Semprun Voir plus

Quiz Voir plus

Dracula

A quel genre littéraire appartient ce roman ?

au genre épistolaire
au théâtre
à l'autobiographie
à la poésie

8 questions
1369 lecteurs ont répondu
Thème : Dracula de Bram StokerCréer un quiz sur cet auteur

{* *}