Citations de José Saramago (916)
Nous passons tous les jours de notre vie à prendre congé, à dire et à entendre à demain, et fatalement, un jour ou l’autre sera le dernier pour quelqu’un, soit celui à qui nous avons dit à demain ne sera plus là, soit nous qui avons dit à demain ne serons plus là.
(Points, p. 131)
Plus grave que l'humiliation d'attendre le Français et de voir débarquer la morue, serait de compter sur la morue et de voir arriver le Français.
Comme nous ne le savons que trop bien, celui qui raconte une histoire ne rate jamais l’occasion de lui ajouter un point et parfois même une virgule.
Le médecin déclina son identité quand on lui répondit, puis dit rapidement, Bien, je vous remercie, sans doute la téléphoniste avait-elle demandé, Comment allez-vous, docteur, c'est ce qu'on répond quand on ne veut pas avouer qu'on va mal, on dit, Bien, même si on est à l'article de la mort, c'est ce que le vulgaire appelle faire contre mauvaise fortune bon cœur, phénomène de conversion viscérale observé uniquement chez l'espèce humaine.
L'enfant que j'ai été n'a pas vu le paysage tel que l'adulte qu'il est devenu serait tenté de l'imaginer du haut de sa taille d'homme. L'enfant, pendant tout le temps qu'il le demeura, se trouvait simplement dans le paysage, il en faisait partie, il ne l'interrogeait pas. (p. 15)
Écrire est un choix, comme peindre. On choisit des mots, des phrases, des parties de dialogue comme on choisit des couleurs ou comme on détermine la longueur et la direction des lignes. Le contour du dessin d'un visage peut être interrompu sans que le visage cesse d'être visage : il n'y a aucun danger que la matière contenue à l'intérieur de cette limite arbitraire s'écoule par l'ouverture. Pour la même raison, en écrivant on abandonne ce qui ne sert pas au récit, même si les mots ont rempli, au moment où ils ont été dits, leur premier devoir d'utilité : l'essentiel est préservé dans cette autre ligne interrompue qu'est l'écriture.
Quand vous entendrez parler de l’homme, pensez aux hommes. L’Homme avec un grand H, comme je le vois parfois dans les journaux, est un mensonge, un mensonge qui set à couvrir toutes les vilenies. Tout le monde veut sauver l’Homme, personne ne veut entendre parler des hommes
(p. 367)
L'on châtie nègres et roturiers afin que la valeur de l'exemple ne se perde pas mais l'on honore les gens de bien et à biens, l'on n'exige pas d'eux qu'ils payent leurs dettes, qu'ils renoncent à la vengeance, qu'ils cessent de haïr et une fois que des progrès sont engagés, car il est impossible de les éviter complètement, à nous la chicane, le dol, les procédures d'appel, la coutume, les circonlocutions, pour que vainque le plus tard possible celui qui, si justice était juste, vaincrait sans plus attendre, et pour que perde le plus tard possible celui qui devrait perdre sur-le-champ. Et pendant tout ce temps l'on extraira des mamelles tout ce bon lait qu'est l'argent, caillebotte sans prix, fromage suprême, morceau friand pour officier de justice et avoué, avocat et enquêteur, témoin et juge.
Il était indéniable que, tout comme les animaux domestiques - chat et chien en tout cas - reflètent le tempérament et le caractère de leurs maîtres, les meubles eux aussi et les objets les plus insignifiants d'une maison reflètent un peu la vie de leurs propriétaires. Une froideur ou une chaleur s'en dégage, de la cordialité ou de la réserve. Ce sont des témoins qui racontent à tout moment, dans un langage muet, ce qu'ils ont vu et ce qu'ils savent. La difficulté est de trouver le moment le plus favorable pour recueillir la confession, l'heure la plus intime, la lumière la plus propice.
On a du mal à croire que la force animale du sexe soit puissante au point d’aveugler l’odorat qui est le plus délicat des sens, il est même des théologiens qui affirment, peut-être pas exactement avec ces mêmes mots, que la plus grande difficulté à vivre raisonnablement en enfer vient de l’odeur qui y règne.
La vieille du premier étage ouvrit doucement la fenêtre, elle ne veut pas qu'on sache qu'elle a cette faiblesse sentimentale, mais aucun bruit ne monte de la rue, ils sont déjà partis, ils ont abandonné ce lieu où presque personne ne passe, la vieille devrait être contente, ainsi elle n'aura pas à partager avec autrui ses poules et ses lapins, elle devrait être contente mais elle ne l'est pas, deux larmes sourdent de ses yeux aveugles et pour la première fois elle se demanda si elle avait une raison quelconque de continuer à vivre. Elle ne trouva pas de réponse, les réponses ne viennent pas toujours quand elles le devraient, et il arrive même souvent que la seule réponse possible soit de rester simplement à les attendre.
Nous sommes dans le lieu où jadis on faisait des miracles, maintenant je n'ai même plus les preuves de mes pouvoirs magiques, on les a toutes emportées, Le seul miracle à notre portée consistera à vivre, dit la femme, à protéger la fragilité de la vie jour après jour, comme si c'était elle l'aveugle, elle qui ne sait pas où aller, et c'est peut-être le cas, peut-être qu'elle ne le sait vraiment pas, elle s'est confiée à nos mains après nous avoir rendus intelligents et voilà ce que nous en avons fait.
La voix est la vue de celui qui ne voit pas.
Les meilleurs portraits nous donnent l'impression d'avoir toujours existé, même si le bon sens me dit, comme en cet instant, que L'Homme aux yeux gris ( du Titien ) est inséparable de ce Titien qui l'a peint à un certain moment de sa vie personnelle. Car si quelque chose participe de l'éternité en cet instant, ce n'est pas le peintre, mais le tableau.
Le monde de chacun dépend des yeux que l'on a reçus en partage.
Quand le bien survient nous ne le remarquons pas, quand il était là nous ne nous en sommes même pas aperçus, quand il s'en est allé nous pleurons son absence.
Le roi demanda, Ce que vient de dire son Éminence cela est-il la vérité, aurai-je des enfants si je promets de faire ériger un couvent à Mafra, et le moine répondit, Sire, c'est la vérité, mais seulement si c'est un couvent franciscain, et le roi reprit, Comment le savez-vous, Je le sais, comment je le sais, cela je l'ignore, je suis tout juste la bouche que la vérité emprunte pour se faire entendre, désormais il appartient à la foi de répondre, que votre Majesté construise le couvent et très vite elle aura une descendance, qu'elle néglige de le construire et Dieu décidera.
Ce qui ne change pas non plus c’est que le malheur des uns fait le bonheur des autres, comme le savent fort bien depuis le commencement du monde les héritiers et les héritiers des héritiers…
(p. 358)
Je pense que nous allons tous mourir, c’est une question de temps, Mourir a toujours été une question de temps, dit le médecin.(p. 331)
Celui qui peint un portrait se dépeint lui-même.