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Critiques de Julien Gracq (353)
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Entretiens

Voici un livre rassemblant (sur plusieurs dizaines d'années) pas moins de six longs entretiens avec notre célèbre "Guetteur" des rives de Saint-Florent-le-Vieil (Maine-et-Loire), toujours habité de son incroyable exigence artistique.



Particulièrement fouillé et passionnant, l'entretien avec Jean-Paul Dekiss, centré sur l'univers évidemment "daté", positiviste et naïf des romans de Jules Verne : y communient tout le savoir encyclopédique de l'un (Dekiss) et la sourde tendresse - d'origine enfantine - que lui réserve l'autre (Gracq)... "Grand Papa Verne", qualifié affectueusement de : "mon Primitif à moi... " par notre — si modeste, ombrageux et chaleureux — Passeur, riverain de tout ce fabuleux XIXème siècle littéraire français...



Remarquable aussi, la méthode exposée pour la confection "gracquienne" d'un roman : j'avoue que la lecture de cet entretien vous met en situation de tirer parti par vous-même des humbles conseils prodigués par notre "Géographe sentimental" ("Dernier Romantique" pour d'autres...), et peut-être, vous aussi, vous lancer dans votre propre aventure esthétique : qui sait ?



Un livre dense, lumineux et presque pédagogique en ces temps d'impostures intellectuelles massives et de pur triomphe — au moins quantitatif — du "non littéraire le plus agressif", devenu tristement (sournoisement, insidieusement) hégémonique en France : car ce que nous annonçait la prophétie de Gracq en son écrit pamphlétaire de 1949 ("La littérature à l'estomac") n'est-il pas — exactement et irrémédiablement — advenu ?
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Un balcon en forêt

La Drôle de guerre du lieutenant Grange et de trois soldats affectés dans un blockhaus de la forêt ardennaise, la maison forte des Hautes Falizes, à l'automne de 1939. L'isolement d'une vie militaire réglée par l'habitude et rythmée de manoeuvres routinières bien rodées donne rapidement l'impression d'un enlisement du temps et d'une succession de saisons identiques. Tout à l'air de se dérouler comme prévu par l'ordre de mission émanant de la hiérarchie. La sérénité apparente, insolite dans le contexte, de cet officier lecteur à ses moments perdus, irait jusqu'à nous contaminer si elle n'était pas contrariée par une inquiétude plus sourde et diffuse. Dans ce climat d'attente et d'incertitude où la solitude de Grange est trompée par l'accomplissement répétitif et quotidien des tâches, sa rencontre fortuite, aussi belle qu'improbable sur une laie forestière, avec une femme donne une autre dimension au récit dont la force mystérieuse est peut-être ailleurs. Est-ce l'omniprésence de la forêt, immense, obscure, dense et secrète, son foisonnement compact et la touffeur de ses sous-bois, son souffle, ses odeurs, ses dépouilles hivernales ou les soubresauts de ses branches qui croulent sous la neige faisant presque tressaillir à la lecture, qui scelle une telle impression ? Par un miracle d'écriture gracquienne on marche dans ses profondeurs, on guette le moindre de ses bruits, on accompagne ses silences on respire un air d'éternité en oubliant la guerre. C'est végétal et métaphysique. Tout finit pourtant dans un fracas terrible, historique. Beau, un peu tragique. On s'en souvient longtemps après avoir refermé ce livre.





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Le Rivage des Syrtes

Il en est de certains livres comme de certaines îles inabordables. On les découvre, on en fait le pourtour, en louvoyant prudemment de peur de s'échouer sur un récif invisible, on les approche au plus près pour que l'oeil, qui a englobé de loin la ligne maîtresse du lieu, décèle les nouveaux trésors qui ne peuvent être appréciés qu'à distance d'homme. Et si l'on finit par trouver une anse secrète permettant de jeter l'ancre, on n'ose toutefois franchir le dernier écueil pour aller poser le pied sur le sol meuble, comme si laisser sa trace dans un lieu empreint d'une telle majesté constituait déjà un crime céleste.



Il en est ainsi de la lecture du rivage des Syrtes. On a conscience, page après page -et dès la première, qu'il s'agit d'une lecture au caractère unique, de celles qui vont indubitablement laisser une empreinte. On est subjugué par ce grand récit, par le maniement superbe de la langue, la pleine maîtrise et la force du style d'un grand auteur, qui fait danser les mots en une sarabande grandiose. Lorsque la lecture s'achève, l'histoire continue de cheminer en nous. Comme la vague arrivant à terre pour se retirer inlassablement, notre imagination poursuit sa route, en doux allers-retours, comme une divagation rêveuse qu'on ne souhaite pas achever.
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La presqu'île

Ce livre est composé de trois textes : La Route,

La Presqu’île et Le Roi Cophetua

J’ai pris l'option de vous donner un aperçu et mes impressions sur un texte, « La Route » qui m’a enchanté. C’est vrai que la lecture des récits de Julien Gracq n’est pas aisée (longueur et constructions des phrases). Si j’ai choisi ce texte c’est dans le but d’éveiller votre curiosité et de vous pousser à pénétrer dans son univers, bercé par sa poésie foisonnante, vous ne serez pas déçus.

La Route, c'est un récit extrait d’un roman abandonné au profit d’un « Balcon en forêt ».

La Route, c’est une ancienne voie romaine « un étroit chemin pavé qui conduisait sur des centaines de lieues de la lisière des Marches aux passes du Mont-Harbré… L’étrange – l’inquiétante route ! Le seul grand chemin que j’aie jamais suivi, dont le serpentement, quand bien même tout s’effacerait autour de lui de ses rencontres et de ses dangers – de ses taillis crépusculaires et de sa peur – creuserait encore sa trace dans ma mémoire comme un raide diamant sur une vitre. »

Gracq lit sur le chemin et dans les paysages : les traces des roues, du passage de la charrette, des troupeaux les « allées et venues des charbonniers ou de bûcherons, colporteurs qui se risquaient jusque là à la lisière des Marches… »

Son récit est puissant, son écriture riche, sa vision des lieues très poétique, sa description est finement détaillée ; l’atmosphère qu’il crée baigne dans une lumière, vive ou clair-obscur, elle est inondée de pluie, de végétaux, de sons et de senteurs. Julien Gracq convie tous nos sens… « Alors on s’avançait le cœur battant un peu dans la lumière plus fine : on eut dit que soudain la Route ensauvagée, crépue d’herbe, avec ses pavés sombrés dans les ortie, les épines noires, les prunelliers… allait déboucher dans le clair obscur de hallier qui sentait le poil mouillé et l’herbe fraîche sur une de ces clairières où les bêtes parlaient aux hommes… Les odeurs des plantes et les bruits des bêtes, laissant les branches mouillées nous fouetter le visage quand nous traversions les bois »

Julien Gracq nous plonge dans une atmosphère intime, sensuelle et érotique parfois, sur ce chemin, les seules rencontres sont des femmes ; « elles mordillaient une branche fleurie : les bois dans le brouillard de verdure jaune étaient pleins d’appels de coucous, mais c’étaient ces bouches seules tout à coup sur le chemin plein de fondrières et d’eaux neuves qui nous apprenaient que la terre fleurissait… elles allaient tête nue et les cheveux libres, une lourde crinière chaude qui leur tombait jusqu’aux reins, pleine d’épines et d’odeurs sauvages…Quand la nuit s’était épaissie autour du lit de braises rouges – une bouche cherchait votre bouche dans le noir avec une confiance têtue de bête douce qui essaie de lire sur le visage de son maître, et c’était soudain toute une femme, chaude, dénouée comme une pluie, lourde comme une nuit défaite, qui se laissait couler entre vos bras ».



Dans la presqu'’île julien Gracq évoque l’attente et toutes ses facettes. Simon est sur le quai, sa compagne n’arrivera pas par ce train, il a 6 heures devant lui ! C’est l’occasion de nous convier à une longue promenade dans la presqu’île de Coatliguen… Un ravissement aussi !

Si vous aimez la littérature, si vous aimez l’excellence, alors, vous avez rendez-vous avec Julien Gracq.

J’y reviendrai comme vers un plat fin et gourmand !











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Les eaux étroites

« Les eaux étroites » est un récit autobiographique où Julien Gracq nous promène au fil de l'Evre dans les paysages de son enfance.



Ce récit de navigation le long de l'Evre est envoutant !

« La puissance d'envoûtement des excursions magiques (…) tire sa force de ce qu'elles sont toutes à leur manière des "chemins de la vie » écrit J. Gracq

Dans une description détaillée, aussi riche que luxuriante, aussi colorée que lumineuse Julien Gracq nous entraine et nous fascine, on découvre avec délectation les richesses de la langue française, les mots qui scandent et rythment admirablement ce récit.



Un vrai bonheur, cette heure de lecture poétique longtemps sa musique va résonner.

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Le Rivage des Syrtes

j’appartiens à l’une des plus vieilles familles d’Orsenna. Je chevauchais sans peine des milliers de kilomètres. Je me sentais plein de volupté, de calme et de souvenirs. j’étais tranquille faisant des études sans encombre et sans misère. J’étais incrédule et sans mystère. A l’université ou j’ai étudié était plus ouverte à la réforme. j’aimais les poètes comme Boccace. J’avais le plaisir de la chevauchée avec l’ennui supérieur au plaisir de la générosité anciennement assise.

J’accordais a Aldo beaucoup de mon temps. Je roulais à tombeau ouvert. Orsenna ou Venise ou Maremma ? Délivres à foison, des bastions préservés et hostiles luttaient contre la peste. Belsenza me tançait. Le vent qui venait de la montagne m’a rendu fou. Longhone passait pour avoir mis une touche de jubilation. Aldobrandi d’Orsenna était plus attentif aux suggestions que je lui faisais. Les guipures les plus excitantes et démentes avaient jetées au travers des façades.
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Noeuds de vie

Un recueil de textes inédits de Julien GRACQ (1910-2007), à la fois phénoménal et passionnant, d'une grande richesse et d'une saine complexité. L'achèvement de cette lecture nous laisse perplexe face à la tiédeur de trois des quatre critiques qui ont devancé la nôtre... Survols un rien blasés et passablement inattentifs : pareil recueil jugé en quelques paragraphes lapidaires... Prenons le TEMPS, bon sang ! prenons le temps pour appréhender un rien plus finement les choses que nous nous donnons pour mission de LIRE, et pas seulement de "parcourir" : car nos avis de "petits-procureurs-toujours-si-pressés" [Oh, pardon ! :-)] seront toujours si peu de choses face à l'exigence (ici réelle) et la profondeur instructive et intuitive des (parfois si nobles) créations d'Autrui... Puisque selon nous, "Noeuds de vie" VAUT l'attention réelle et prolongée de son lecteur.



Parmi les inédits du natif de St-Florent, autant "Les Terres du Couchant" (rédigé en 1953, postérieur à son fameux joyau "Le Rivage des Syrtes") aura été – pour nous, très subjectivement et ce malgré la magie atmosphérique dégagée par un univers "à la Tolkien", entre Mythes et Histoire – le simple "brouillon" d'un roman n'ayant jamais abouti, souffrant d'un côté indécis, trop indéterminé, voire sous-vertébré et peu abouti dans son style (et dont la publication n'a jamais souhaitée par J. G.)... autant le premier des "Manuscrits de guerre" de l'appelé Louis Poirier intitulé "Journal" (rédigé sur l'un de ses grands cahiers "Le Conquérant" qu'on retrouvera bien après la disparition physique de son auteur) deviendra – bien involontairement sans doute – le noyau fondateur du superbe roman d'imagination ("Un balcon en forêt") tout en étant, par sa sécheresse clinique, lui aussi un grand moment de littérature.



Signalons ici que ces longues "notations" gracquiennes manuscrites réunies ici en 167 pages imprimées sous ce titre de "Noeuds de vie" (titre-citation d'une production de l'imagerie mentale de Gracq) par Bernhild Boie et présentées par elle en un court "Avant-propos" sont scindées (non arbitrairement) en quatre parties : "Chemins et rues" (pages 13 à 47) ; "Instants" (pages 49 à 89) ; "Lire" (pages 91 à 129) ; "Ecrire" (pages 131 à 164).



Nous approcherons bien souvent la beauté, la pertinence, l'insatiable curiosité et la grande culture littéraire (même, plus généralement, artistique) d'un esprit sans cesse en éveil, dont ont déjà témoigné "Lettrines" 1 & 2 [1967 ; 1974], "Les Eaux étroites" [1976], "En lisant en écrivant" [1980], "Carnets du grand chemin" [1992] et les formidables "Entretiens" [2002] précédemment et excellemment publiés – là, du vivant et avec le consentement entier de son auteur– par la "Librairie José Corti" (aux pages à ouvrir à l'Antique, c'est-à-dire au coupe-papier) devenue depuis "Editions Corti"... publiant aujourd'hui également quelques ouvrages du "Domaine français" [???] finement intitulés "Je m'oralise" ou "Paupière philosophale" [ha ! ha !] :-) ... )



Mais trêve de plaisanteries et venons-en aux "détails" de l'ouvrage...



Au bonheurs du jour, voici donc quelques purs cristaux nés au sein d'un si riche minerai :



(1°). Extraits du filon aurifère de "Chemins et rues" :



[AMIENS, 1941]



" Amiens. A cent kilomètres à peine de Paris, l'empreinte du Nord était partout sur cette cité de briques où j'écrivais en 1941, morfondu dans une époque sinistre (l'Occupation), dans un environnement sans joie, et sans doute en réaction contre eux, un texte qui s'appelait "Pour galvaniser l'urbanisme". J'ai toujours eu en aversion les villes-carrefours, trop proches encore de Paris, qui commandent un large éventail de branchements secondaires et qui, plutôt que tirer à elles pour s'en nourrir tous les sucs d'une province, semblent avoir grandi autour des dépendances d'une gare : je n'aime ni le Mans, ni Vierzon, villes sans vrai point d'ancrage, qui me donnent l'impression, même si c'est à tort, de s'être logées au hasard d'un calcul abstrait dans un espace indifférencié. " [pages 34-35]



[SENSATION D'ENFANCE]



" Il y a une sensation d'enfance que je ne retrouve plus que fugitivement, et à des intervalles éloignés : non pas l'odeur légère, enivrante, du foin coupé, mais l'odeur déjà ligneuse des hautes herbes de juin chauffées par le soleil au long des sentiers de l'après-midi : odeur âcre, odeur poisseuse, poivrée et amère, presque sexuelle, entêtant comme aucune. Chaque fois qu'elle reparaît, elle ressuscite instantanément pour moi le souvenir des promenades du lycée dans la banlieue nantaise, en lisière de la campagne, par les après-midi de juin déjà étouffantes : le sentiment de l'exil de la vie qui me possédait alors reflambe durement, impitoyablement. " [pages 37-38]



[ST-FLORENT]



" A Saint-Florent. Je regarde le paysage sur lequel donne ma fenêtre, et qui est bien ce que j'ai le plus souvent regardé au monde. Il me semble que j'entends encore passer sur lui le son des cloches des vêpres de mon enfance, le dimanche, son pulpeux, mûri et comme ambré, au travers duquel la journée de luxe et de loisir entamait son automne. Je regarde la colline Du Mesnil, la courbe de la Loire, la muraille verte des peupliers de l'île, derrière laquelle montent et débordent avec lenteur les cumulus cotonneux de ce premier après-midi d'octobre. Il ne m'en vient pas de tranquillité, ni même le sentiment rassurant d'une permanence, mais plutôt le malaise soucieux qui nous gagne devant un massif d'arbres marqué pour la coupe, une bâtisse familière qu'on va démolir ; la Terre a perdu sa solidité et son assise, cette colline, aujourd'hui, on peut la raser à volonté, ce fleuve l'assécher, ces nuages les dissoudre. le moment approche où l'homme n'aura plus sérieusement en face de lui que lui-même, et plus qu'un monde refait de sa main "à son idée" — et je doute qu'à ce moment il puisse se reposer pour jouir de son oeuvre, et juger que cette oeuvre était bonne. " [pages 46-47]



(2°). Extrait du filon aurifère de "Instants" :



[SOMNAMBULISME AU GRAND SOLEIL]



"Aux Invalides : petite exposition sur la « drôle de guerre ». Ce qui surprend, c'est la pauvreté, l'insignifiance des pièces exposées : croquis, tracts, affiches, journaux, photographies, lettres. rien ne passe, dans ces médiocres pièces à conviction, du somnambulisme au grand soleil qui s'était emparé pour huit mois d'une nation entière". [page 69]



(3°). Extraits du filon aurifère de "Lire" :



["LA CHARTREUSE DE PARME" & "LE GRAND MEAULNES"]



« Fabrice donc, puisqu'il faut tout dire. Fabrice reconduisit sa mère jusqu'au port de Laveno, rive gauche du lac Majeur, rive autrichienne où elle descendit vers les huit heures du soir... ». Il n'y a rien dans toute "La Chartreuse" qui respire mieux la joie de vivre que le vagabondage de Fabrice entre le lac Majeur et le lac de Côme, quand il visite l'abbé Blanès. La mousqueterie des "mortaretti", souvenir d'Italie qui touche visiblement Stendhal à l'égal d'un souvenir d'enfance, rythme les festivités de ce dimanche de la vie. le charme unique du livre, charme tout épidermique, et qui ne participe en rien de la solidité interne du "Rouge", profondément enroché dans L Histoire, est d'être à la fois, par l'invention, les "Mille et une Nuits" de l'Italie de la Sainte-Alliance, et, par la tendresse souriante et «regrettante», le "Grand Meaulnes" De Stendhal, un Stendhal dont les vrais souvenirs d'enfance commencent en fait à la dix-septième année. " [page 103]



[STENDHAL ET SON LECTEUR]



" Pourquoi Stendhal est-il le moins physiquement mort de tous les écrivains du passé ? Une espèce de carburant social immatériel fait brûler et pétiller de part en part cette prose qui est comme un mouvement d'amitié adressé dans le vide : on dirait que l' "ami lecteur" des préfaces, au lieu de rester confiné décorativement de l'autre côté de la vitre, a par exception sauté à pieds joints dans le laboratoire central, pour y jouer auprès de l'écrivain le rôle de partenaire et de faire-valoir direct. " [page 116]



[MORT DU ROMAN]



" La pensée tue tout ce qu'elle touche : quoi d'étonnant que le roman en meure, à son tour. " [page 101]



(4°). Extraits du filon aurifère de "Ecrire" :



[ROMAN & ECOLE BUISSONNIERE]



" [...] de ce qui « fait vivre » un roman (comme on dit), il n'y a jamais trace dans le plan préalable de son auteur. [...] C'est de l'école buissonnière de l'écriture, et non de l'impeccable programme scolaire de sa construction, que le roman tirera seulement son charme et sa saveur. " [page 147]



[CE QUI N'A JAMAIS ETE DIT AINSI...]



« Ce qui n'a jamais été dit "ainsi" n'a jamais été dit » : c'est l'axiome secret auquel se réfère sans discussion le vrai littérateur. L'enclenchement décisif de la pensée dans la forme a pour lui seul le même claquement que le verrouillage d'une arme à feu ; les plus riches possibilités expansives restent pour lui inertes en dehors de cet enfermement libérateur. " [page 136]



[SIMENON & LE ROMAN]



« Les gens sont vrais, l'histoire est vraie... ou plutôt chaque détail est vrai, mais l'ensemble est faux... Non ! ce n'est pas ce que je veux dire : c'est un roman, voilà ! et j'aime mieux l'écrire que l'expliquer. » (Simenon sur le roman) " [page 137]



Bref, "RIEN DE COMMUN" ici, tout comme l'annonçait fièrement (et sans mentir sur le contenu) ce bon José Corti, éditeur au 11 rue de Médicis à PARIS 6e arr., depuis son échoppe "ouverte en 1935" face au Jardin du Luxembourg, et découvreur de l'auteur Gracq signant avec lui son "contrat à compte d'auteur" en 1938 pour la publication de "Au château d'Argol" (aussitôt remarqué par le poète prosateur André Breton)... On sait que longtemps après la disparition physique de Corti en 1984, la librairie José Corti dût fermer ses portes le 23 décembre 2016... mais ouf ! pour les rouvrir « en février 2017 sous l'enseigne “Librairie des éditeurs associés”, laquelle accueille toujours le fonds des éditions Corti, ainsi que d'autres éditeurs indépendants. »



Et DECOUVREZ bien vite ici les nombreuses, talentueuses et merveilleuses citations de cet opus (accessible au prix mérité de 18 €) dues à nos Amies & Amis "babéliotes" coco4649, Dunadan, Gehenne, deuxquatredeux, ninamarijo, karamzin, VincentGloekler et steka ! :-)



[Julien GRACQ, "Noeuds de vie", éditions Corti (Paris), coll. "Domaine français", 167 pages, 2021]


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Le Rivage des Syrtes

Livre d'un presque rien qui dévaste un empire, où le rien qui se passe se fait tout, Le rivage des Syrtes fascine. Quelque chose d'antique, ce vieux bouquin jauni, cette guerre larvée qui, mine de rien, se délarve, ces paysages vides, cette atmosphère floue d'une vieille de combat, ce non-dit qui se confesse, ces désirs qui tournent autour d'un pot qui se dévoile presque, quelque chose qui donne un je-ne-sais-quoi. Ce livre ne ressemble à aucun autre. On se dit donc que l'auteur est grand, que du vrai se cache sous ce style pas tout à fait précieux, un style noble et vaguement dérisoire (quelque chose de Proust, mais ailleurs). Quelque chose (le mot quelque chose se répète parce qu'il est le seul qui convient) a lieu, dans cette ville sclérosée d'Orsenna, sur ces rivages flous des Syrtes, dans les populations qui se moyenâgent à Maremna. Un homme (un héros ?) provoque une guerre qui existe déjà, un rouage déborde le vase d'attente, le pouvoir secret se dévoile vaguement, les hordes du Farghestan menacent. Un empire va tomber, on s'en doute, mais le génie de Gracq, c'est de ne pas dire la chute mais ce qui la précède. Quelque chose d'antique, de déjà mort et l'appel de plus en plus net d'une renaissance, alors qu'étrangement, le royaume d'Orsenna, qu'on imagine peut-être italien, fait très Renaissance, on pense à la Venise des Doges, à une Florence empaillée. L'appel de l'inconnu, la frontière dont on sait très vite, dès la scène de la salle des cartes, qu'elle devra, malgré les siècles, être transgressée, la frontière que l'on désire ardemment, avec Aldo, franchir, ce monde inconnu, ennemi qui fascine comme fascine, et c'est sans doute là qu'aboutira ce roman qui se termine au moment où tout va commencer, la mort, tout, dans Le rivage des Syrtes est tendu vers demain, un demain d'autre vie qui changera tout, Marino est mort, les temps anciens seront balayés, Orsenna court heureuse à sa perte, comme la vieille Europe, du temps de Gracq s'était jeté dans la gueule-aimant de la baleine guerre. On s'y jettera encore souvent.

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Les terres du couchant

C’est un livre qui n’aurait jamais dû être publié. Un livre inachevé, abandonné par son créateur, redécouvert après sa mort, enfin publié. Il a reçu un accueil mitigé des amoureux de Gracq, certains ravis d’une telle redécouverte, d’autres y voyant un sous-Rivage des Syrtes. Mais pour moi, c’est son livre le plus abouti. Il est venu combler, étrangement, le sentiment d’un manque que m’avait laissé ‘Le rivage des Syrtes’, ‘Au château d’Argol’ et ‘Un balcon en forêt’. Cette impression que l’auteur avait dissimulé quelque chose, qu’il restait une idée cachée derrière tout cela, une toute petite idée qui était là, au bout de sa plume mais qui n’en était pas tombée, qu’il n’ait su la formuler ou voulu la noter !



Et je crois l’avoir trouvé ici. Dans cette magnifique et vénérable ville de Bréga-Vieil, si parfaitement administrée qu’une invasion barbare à ses frontières n’inquiète que par l’émoi qu’elle pourrait susciter dans la population. Dans la décision d’Enzo et de ses amis, à première vue incompréhensible, de la fuir en cachette pour gagner la cité assiégée par les barbares. A leur côté, dans leurs chevauchées et leurs bivouacs, dans leur séjour dans un village de pêcheur, dans leur traversée des marches dévastée de l’empire. Mais surtout, dans la citadelle assiégée de Roscharta.



La ville blanche au bord du lac, dans son immense vallée bordée de montagne. La ville silencieuse écrasée par la chaleur et le soleil de midi, où l’on déambule entre les hautes maisons et les petits jardins ombragés de charmilles. La ville où la peur se mêle à d’étranges et confus sentiments, une sorte d’excitation malsaine, alors que le siège dure depuis des mois, s’est installé dans la vie de tous. Du haut des murailles, on aperçoit le campement ennemi. Étrange ennemi, invincible et sans pitié, qui ressemble aux hordes gengiskhanides, mais contre lequel on se bat à la carabine…



Désormais, le nom de Gracq évoquera pour moi la ville blanche au bord du lac, la ville encerclée où l’on attend avec un tremblement ce que l’on ne souhaite pas qu’il arrive. Peut-être est-ce son esprit, cette ville ?
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En lisant en écrivant

"Mon siècle, dans le passé, c'est le dix-neuvième, commencé avec Chateaubriand, et prolongé jusqu'à Proust, qui vient l'achever un peu au-delà de ses frontières historiques." (Julien GRACQ, 1980).

Peu de choses à ajouter aux remarquables critiques de nos amies keisha [2011], MarquiseDeMerteuil et VanilleBL [2013].

"En lisant en écrivant est une introduction intimiste dans la Littérature du XIXème siècle français...

Balzac, Stendhal, Nerval, Flaubert, Huysmans, Proust.

On le sait désormais : une ode à la vie rêvée nous attend toujours entre les pages de "Les Chouans", "Beatrix", "Le Rouge et le Noir", "La Chartreuse de Parme", "Sylvie", "Aurelia", "Madame Bovary", "Là-bas", "A rebours", "A la Recherche du Temps Perdu"...

De tous les grands voyages intérieurs du lecteur, son hymne si personnel à la "Stendhalie" demeurera...

Dans le chapitre "Allemagne", un jugement contrasté sur la production (déclinante) de Goethe.

Une évocation des sortilèges de la musique de Richard Wagner, et ce qu'elle nous apprend sur nous-mêmes...

L'hommage à Breton en quelques pages sobrement intitulées "Surréalisme".

Une lassitude solidement argumentée face aux ravages de "l'auto-fiction" à la Française (Constatons que depuis "Madame Nathalie Sarraute", le Pathos semble s'être re-déplacé du nombril de l'auteur vers le nombril d'Autrui : vers "D'autres vies que la mienne", comme dirait l'autre... Un juste retour des choses).

Les lignes imprimées de ce petit livre épais (302 pages, police de petits caractères) semblent gravées dans le "marbre" du papier désormais jauni d'un exemplaire bravement massicoté au coupe-papier.

Un chant d'amour à la Littérature.
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Un balcon en forêt

Publié quelques années après Le Rivage des Syrtes, Un balcon en forêt en reprend la thématique principale, habillée cette fois de davantage de réalisme historique : il n'est plus question ici d'une principauté imaginaire ni d'une époque incertaine, mais de la frontière entre les Ardennes françaises et belges, entre l'automne 1939 et le printemps 1940. Mis à part ces espaces-temps radicalement différents, le parallèle entre les deux romans de Gracq semble assez évident : au début d'Un balcon en forêt, l'aspirant-lieutenant Grange vient prendre le commandement d'un fortin isolé qui domine la Meuse, fortin dans lequel il va attendre pendant des mois un ennemi qui ne vient pas. Le roman s'achève au moment où le désastre survient enfin, et où cette longue parenthèse se referme brutalement. La frontière est au cœur des deux livres, avec toutes les interrogations sur ce qu'il y a au-delà, et sur ce qui pourrait en venir.

Le réalisme apparent du récit dans Un balcon en forêt ne doit pas faire trop illusion. Gracq ne livre pas ici ses souvenirs personnels de la Drôle de guerre, bien qu'il l'ait lui-même vécue, et avec le même grade de lieutenant que son personnage. Cette guerre qui se fait attendre permet surtout à l'auteur d'isoler son personnage, à la fois sur cette ancienne marche frontalière que représente la forêt, et sur la marge d'un événement historique insaisissable. Cette retraite est le vrai sujet du livre : le monde n'est plus qu'une rumeur dont parviennent quelques échos lointains. Quelque chose qu'on regarde de haut, sans y participer directement (d'où le balcon). Il n'y a plus que Grange, ses hommes, et la forêt protectrice tout autour. Le foisonnement du style fait écho à celui de la nature environnante. C'est un foisonnement auquel s'abandonne le personnage et dans lequel il se redécouvre. Aux frontières de la forêt et du fantastique, l'improbable maison de Mona ajoute au récit la puissance d'un érotisme situé hors des conventions sociales.

Voilà une lecture qui m'a transporté. La magie de la littérature m'a permis d'y retrouver ce que je pouvais ressentir confusément, et avec mes pauvres mots, lorsque j'avais l'habitude de séjourner l'été dans ce chalet d'alpage isolé, à deux pas de celui où Albert Cohen écrivit autrefois Belle du Seigneur (« à deux pas » est ici une expression toute faite : il y avait cinq heures de marche et un joli dénivelé avant d'arriver aux chalets de Graydon...).

La même béatitude à se retrouver seul dans la nature. Regarder le soleil tomber derrière la forêt, écouter les cris des bêtes dans la nuit naissante, rentrer faire du feu, lire à la lueur des bougies. Se promener à l'aube parmi les arbres trempés de brouillard. Et puis ce curieux désir qui se renforce jour après jour : ne plus avoir à redescendre vers la vallée et l'agitation du monde.
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Carnets du grand chemin

Je me suis d'abord étonnée qu'il n'y ait pas plus de lecteurs Babelio pour ces Carnets du grand chemin, puis je me suis dit que c'était le genre d'ouvrages qui plaisent surtout à des personnes qui écrivent elles-mêmes. Des récits et des réflexions pour auteurs. D'ailleurs, c'est grâce à Marie Hélène Lafon que je m'y suis intéressée après qu'elle m'en ait fait lecture d'un passage sur notre Cantal commun, et un autre ami auteur, Christophe Masson, m'y incitait à son tour par un "lorsqu'on lit Julien Gracq, c'est tout de suite avec l'impression d'être en haut du panier..." En effet, il y a une fascination à suivre la maîtrise avec laquelle le grand homme retransmet ses ressentis de voyage, comme des notes superbes, avec ce qui faut de précisions et de sentiments pour que cela sonne juste, sans excès de style et même de poésie : simplement incroyablement bien écrit. Et il y a aussi toutes ses méditations sur l'acte d'écrire qui émaillent la dernière partie de l'ouvrage, entre des digressions sur l'histoire, l'art et les artistes qu'il a côtoyés. Assez passionnant, tout ça ! Enfin, j'espère que d'autres lecteurs me feront mentir et me diront qu'il existe aussi le plaisir désintéressé de parcourir la France en suivant avec bonheur la plume de Julien Gracq...
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La presqu'île

Attendre c’est occuper un espace encore vacant et creux en le peuplant de nos rêves, de nos espoirs, de nos doutes et de nos craintes. Attendre c’est le thème surréaliste par excellence : les surréalistes se mettaient en état d’attente pour mieux surprendre…l’inattendu, justement.



C’est aussi le thème favori, avec celui du paysage, de Julien Gracq, qu’il s’agisse de ses poèmes, de ses romans, ou comme ici, de ses nouvelles.



Trois nouvelles, donc, avec pour thème central l’attente. Trois paysages, trois tonalités différentes. Une variation musicale sur l'attente.



La Route d’abord, la plus courte, et aussi ma préférée : je l’ai lue et relue, j’en connais des passages quasiment par cœur.



Un Narrateur avec ses compagnons voyage sur La Route : il la connaît bien, l’a prise souvent et la reprend une dernière fois, avec prudence. Car la Route s’est ensauvagée, des événements guerriers sans doute, l’ont rendue moins sûre, plus menaçante. C’est la somme de ses cheminements et toutes les traces de souvenir qu’elle lui a laissées, les strates de la mémoire dans celles du paysage, que nous raconte le Narrateur.



Nouvelle poétique et fantastique –avec discrétion, comme dans le Rivage des Syrtes. On croise parfois de loin les peuples de la route « mais leurs allures peu franches et le peu de souci qu’elles semblaient avoir d’être abordées faisaient penser à une tribu en maraude aux confins de son territoire ou aux gens qui battent l’estrade le long des grèves de mer » - je cite de mémoire, mon livre est loin de moi- Le Narrateur rencontre aussi les femmes de la Route : ces amazones libres et graves qui se donnent à eux la nuit, comme une pluie chaude, et repartent, guerrières bottées et armées , au petit matin sur La Route…



Une nouvelle pleine d’images, de poésie de sensualité, de mystère. Tout sauf de l’ennui ! Je proteste contre cette accusation faite à Gracq : « il ne se passe rien »…Comme si on faisait ce reproche à un poète, à un peintre, à un musicien…



La Presqu’île, deuxième nouvelle, éponyme du recueil : je l’aime parce qu’elle se passe à Crozon, la plus belle partie de mon cher Finistère, en fin de saison : un homme y attend une femme, elle tarde à venir, sans doute ne viendra-telle pas- il arpente la Presqu’île qui retombe dans sa léthargie elfique de fin d’été et voit partir, un à un, les estivants.



Chaque fois que je la lis, la même nostalgie me saisit : celle des fins de vacances de mon enfance, au bord de la mer : odeurs de sable humide et de serviettes de bain salées jamais vraiment sèches, voiture au coffre ouvert d’où sortent les pelles et les râteaux qui ne serviront que l’année prochaine, volets qu’on clôt , un à un, alors que les dunes continuent à vous appeler de leur chaude vibration et que la mer clapote, tentatrice…De la pure poésie, le temps et l’espace sont captés avec une magistrale ampleur : on en sort comme grisé de douce mélancolie.



La troisième nouvelle a fait l’objet d’une très belle adaptation cinématographique du cinéaste André Delvaux en 1971 : « Rendez-vous à Bray ». Dans le recueil, elle s’appelle Le Roi Cophetua…encore une attente, et cette fois le thème érotique de la servante-maîtresse : le Narrateur attend un ami dans la propre maison de ce dernier, mais le propriétaire, étrangement, ne vient pas. Il laisse à son ami et invité les bras et l’accueil de sa servante, sans doute sa maîtresse à lui aussi , pour meubler son attente. Un tableau, au mur, intitulé « Le Roi Cophétua » reprend le motif de cet étrange "don" d'hospitalité, comme une mise en abyme picturale.. Nouvelle plus classique, moins paysagée, plus narrative. Erotisme et mystère. Légende et réalisme.



Trois nouvelles rares, poétiques, pleines d’images, de sensations et de rêves.



Vous n’attendrez plus jamais un être, un moment ou même un train en vous disant : « C’est emm… d’attendre : il ne se passe rien ! »

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Le Rivage des Syrtes

Avant de lire Julien Gracq, je pensais qu´il était français, comme moi.

En fait, il l´est peut-être, mais il écrit dans une langue dont je n´arrive pas à définir ce qu´elle est.

Trop différente, « trop de mots », trop riche.

A vous dégoûter d´aller au cinéma par ce qu´elle déclenche en images et en sensations qui surchargent vos sens, engorgent vos synapses. Ce n´est pas du 3D c´est du 259D, une sorte d´IRM littéraire.

Le problème, ou l´avantage, d´une telle écriture, c´est que peu de choses vous donnent une somme phénoménale d´informations. Cela suffit à créer une atmosphère dans les limbes du Monde, avec peu de personnages dont on ne connait pas les tourments profonds, une situation géopolitique fictionnelle vague mais pesante et un amour quelque peu clinique.

Bref on est dans une autre dimension entre la 4 eme et la 259eme, mais on fait le chemin jusqu´à son terme, avec plaisir, on en sort un peu « chose », limite LSD, persuadé d´avoir vécu une expérience ésotérique.

Je me suis réadapté à la vie en lisant l´Equipe.
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Un balcon en forêt

Un continuel novice ne peut pas le nier : avant même d'ouvrir un de ses livres, Gracq décourage. Au mieux, il intimide. Pour me permettre d'entrer dans cette œuvre exigeante et ardue, on m'a dirigé vers Un balcon en forêt, bizutage gracquien a priori moins douloureux grâce à l'arrière-plan historique. La littérature ne s'est pas beaucoup penchée sur la guerre de 1939-40 : c'est un attrait non négligeable, surtout si l'on aime l'histoire - la grande.

Drôle de guerre en effet, étrange prose poétique qui fait oublier qu'on lit un roman. Je me suis ennuyé à sa lecture, mais me suis curieusement senti impatient de retrouver chaque jour cet ennui. J'ai parcouru pas mal de pages très distraitement, songeant à Zangra (avec la voix de Brel dans la tête) ou au Désert des Tartares ; le récit m'a peu importé, même lorsque les Allemands ont attaqué. Non, plutôt un rythme de phrase, en phase avec la torpeur de ces soldats, presque un ahurissement. Parfois, je l'avoue, la beauté m'a échappé, la rêverie aussi, et la lecture est devenue âpre ; une forêt de mots, dense, inextricable, et on se met à lire à coups de machette, poussée par la vigilance.

D'ailleurs, "on eût dit que" même Gracq a ses tics de langage. Rassurant, tout compte fait, et la rêverie peut revenir.

J'ai enchaîné avec Le Rivage des Syrtes qui m'a confirmé que l'œuvre de Gracq serait de celles que je respecterais infiniment sans jamais vraiment parvenir à les aimer.













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Un balcon en forêt

Il y a bien longtemps, j'avais lu une citation de Julien Gracq sur une affiche pour une exposition d'art " tant de mains pour transformer le monde et si peu de regard pour le contempler ". Cette phrase m'avait touchée et donner envie de lire cet auteur,et puis le temps a passé et le hasard des rencontres m'a mis ce roman entre les mains.

Il est certain que J.G. sait contempler le monde tant extérieur qu'interieur ! Qu'il le décrit par une prose d'une rare poésie et qu'il sait voir au delà des apparences. Le balcon en forêt est en réalité une " maison forte" dans laquelle se rend le lieutenant Grangé en bordure de la Meuse, pendant " la fausse guerre". Trois autres soldats vont y vivre avec lui dans l'attente d'ordres...

Ce lieu semble hors du temps etGrangé donne le sentiment d'errer entre rêve et réalité. Il se fond dans le décors, comme étranger au monde qui l'entoure et même peut-être de plus en plus étranger à ce qu'il était.

Les descriptions envoûtantes de la forêt créent une ambiance plus proche du conte que d'un roman sur la guerre,avec toute la symbolique de l'inconscient et des profondeurs de l'âme.

Quand Grangé rencontré Mona sur un chemin rendu mystérieux par la pluie et la brume,tous les repères sont mis à mal. Est ce une fillette? Une femme? Est-elle là par hasard? Le provoque t'elle? Son allure m'a immédiatement fait penser au petit chaperon rouge, même si ici,le loup se laisse dévorer avec délectation! En s'enfoncant dans les bois ,Grangé s'éloigne de plus en plus de la réalité et sa mission devient de plus en plus floue. Les objectifs militaires s'effacent au profit d'une quête initiatique. Et pourtant la drôle de guerre envoie des signaux de son existence comme des rappels à la réalité. Grangé finit par se rapprocher de ce pour quoi il a été désigné et commence alors une période d'attente mêlée de confusion,de peur et de tentative d'échapper là encore au réel. On sait qu'il va se passer d'un moment à l'autre un acte violent qui va fracturer cet univers onirique, et ce moment arrive. Pourtant,Grangé se laisse à nouveau glisser dans un monde intérieur. Il n'a été que le spectateur du théâtre ridicule de la guerre,il n'y a jamais mis de sens. " la guerre continuait à se cacher derrière ses fantasmes, le monde autour de lui à s'evacuer silencieusement ".

J'ai découvert une plume magnifique et un style hors du commun. Je suis cependant convaincue que beaucoup de choses m'ont échappé et que je n'ai pas eu accès à toutes les subtilités de ce texte. Bien que je n'en ai pas du tout l'habitude je suis tentée de trouver une analyse didactique de cette œuvre pour ne rien perdre de sa substantifique moelle !
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Au Château d'Argol

C’est le charme de Julien Gracq, de nous faire croire que quelque chose se cache derrière ces écrits mystérieux où rien ne se passe ou presque, ces longues attentes ponctuées de minuscules incidents. Mais y a-t-il vraiment quelque chose ? Peu importe… Tant que le lecteur en a le sentiment !



Mais le château d’Argol m’a paru désespérément vide. Si j’ai été saisi par la beauté du lieu, et surtout de la massive forêt de chênes qui le borde, il n’a pas réveillé en moi le malaise sombre et l’étrange animalité qu’il est censé provoqué chez ceux qui l’habitent. Les distractions intellectuelles d’Albert, de son ami Herminien et de la belle Heide ne m’ont pas plus inspiré, et leurs personnalités m’ont semblé trop floues, mal définies.



Les descriptions sont magnifiques, de minuscules incidents méticuleusement décrits se mettent en place avant le dénouement et l’explosion de violence finale ; tous les ingrédients du ‘Rivage des Syrtes’ sont là. Mais paradoxalement, je n’y ai pas retrouvé la puissance des sentiments qui habitent ce dernier et lui confèrent sa grandeur. L’attente et l’ennui, plus forts que l’amour et la haine ? Ou simplement le sentiment d’une première esquisse n’ayant fait que préparer l’œuvre finale…
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La presqu'île

Encore une très belle surprise avec ce livre du hasard. En me promenant dans les rayons de la biblio, je suis tombée sur ce livre. Et quel bonheur, je ne connaissais pas du tout cet auteur.

Si le style parfois me semble un peu longuet dans la construction des phrases, l'ambiance est à l'opposé aérienne.

Trois nouvelles, qui nous emmène dans des univers différents, la 2ème qui donne le titre à l'ouvrage est bien plus conséquente, et quelle merveille, cette virée aux embruns, j'ai adoré façon de nous ballader, nous faire patienter, et de nous plonger dans cette atmosphère si particulière.

Il m'a fait penser à Delerm (lui est plus minimaliste dans son style) mais c'est aussi un poète des petites choses de l'infime qui nous offre, en nous décrivant les sensations, l'environnement, des petits trucs dont on ne prend pas toujours la peine d'observer et de savourer. Alors, oui j'ai savouré ces textes de toute beauté, et je relirai bien volontiers cet auteur.

Il ne semble pas très populaire à en croire la rareté sur les rayons de la bibliothèque. J'ai fouiné et trouvé qu'il écrit sous pseudo, Julien parce qu'il est un fervent admirateur du : Rouge et noir, et qu'il a aussi refusé un prix.

Un auteur que je vais m'empresser de découvrir un peu plus longuement.

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Lettrines

"Tant de mains pour transformer ce monde, et si peu de regards pour le contempler ! "



On se souviendra longtemps de cette phrase conclusive d'un très beau paragraphe célébrant l'insouciance des premiers âges de l'Humanité : la Terre d'avant "L'Anthropocène", cette dernière Ere géo-bio-climatologique de notre biosphère épuisée par les "oeuvres" et les prétentions d'une humanité narcissique, stupide, prolifique et suicidaire (pardonnez le vaste pléonasme).



Premier assemblage de "Morceaux" publié en 1967...



Citons aussi la belle et juste phrase de notre ami Eric35 définissant ainsi l'impact de la littérature de Julien GRACQ (1910-2007) :



" C'est un écrivain à l'oeuvre complexe, parfois étrange, toujours inattendue, parfaitement inépuisable. "



Oui, tout est beau dans l'Oeuvre de Gracq : en elle "rien de commun" (comme l'annonce le petit dessin de l'éditeur José Corti).



Oui, et tel un Continent, une Terre rêvée, un Océan : "parfaitement inépuisable"...



Gracq, c'est aussi la Littérature d'AVANT. Disons d'avant l'Ersatz et la grande consommation (Foenkinos, Beigbeder et Nothomb, pour faire court) ou d'avant la marque de fabrique du "Cynique-sans-espoir" (mais surtout Bien-surligné-autour-des-oreilles-pour-que-même-le-pire-des-imbéciles-comprenne : on songe ici à quelque "Prix Goncourt"... ).



Gracq détestait – et ça n'était pas une "pose" chez lui – les "Prix littéraires" et autres concours à caniches savants. Imbécillités notoires (à conflits d'intérêts en peau de lapin), mais qui ameutent toujours "leurs Parisiens"... Mais pas que. Un vaste système oppressif tellement voyant et perfectionné qu'on ne le perçoit plus vraiment, résumable à ce "Moi-Moi-Moi" qu'on nous fait bouffer jusqu'au fond de nos provinces bouseuses (si loin des "Lumières" parisiennes, il est vrai...).



On se découragera au constat de la pérennité de pareils systèmes de conditionnement de l'individu à sa médiocrité. Insignifiance de ces gisements de narcissisme babillant continuellement à ciel ouvert.



Pourtant, "Gracq de St-Florent" avait allumé la lumière. Sa veilleuse. Déjà...



L'humilité. L'observation fine. La non-conformité absolue. La grande (humble) culture "toujours recommencée"... La valeur sacrée du jugement personnel.



Littérature qui fait confiance à son lecteur ; aux vertus fécondantes de son imaginaire ; à sa culture ; à ses lectures supposées (ces trésors de la Littérature des siècles passés, que l'on nomme "oeuvres classiques").



On y croise sans cesse, au fil des pages, les ombres vivantes de Verne, Hugo, Goethe, Chateaubriand, Balzac, Stendhal, Flaubert, Huguenin, Rimbaud, Claudel, Breton : sans doute nos frères.



"Le Monde d'hier" de Stefan ZWEIG, en quelque sorte...



" Hélas..." ? Non, disons plutôt : "Vive Hier"... Oui, partons immédiatement, irrémédiablement à la découverte (passionnée et passionnante) d'Hier.
Lien : http://www.regardsfeeriques...
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Au Château d'Argol

Une lecture commune pour découvrir Julien Gracq… Je n'ai pas eu le plaisir attendu même si ça commençait plutôt bien. le style de Gracq est très descriptif sur la nature, le château, l'orage… les figures de style et autres métaphores donnent une grande ampleur à l'histoire. Seulement, plus on avance, plus ça alourdit l'ensemble, les actions ne sont jamais vraiment explicites, peu (pas ?) de dialogues entre les personnages. Dommage, l'évocation donnait bien envie de visiter ce château en Bretagne. Premier roman de Gracq, catégorisé comme surréaliste par André Breton, il a fait pratiquement l'unanimité dans notre petit club de lecture : très (très) moyen. Heureusement qu'il est court… !
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