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Critiques de Kazuo Ishiguro (1079)
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Le Géant enfoui

Bien loin, très loin de notre temps, dans l’Angleterre médiévale qui suit la légende arthurienne, une communauté de Bretons vivait là, dans cette contrée plutôt lugubre d’après l’auteur. Parfois, du vaste marécage environnant, sortaient des ogres émergeant de la brume. Des logis, creusés dans la colline, formaient un labyrinthe avec une salle commune où un grand feu flambait pour réchauffer les différentes chambres. Celle d’Axl et de Béatrice, un vieux couple uni, se trouvait au fond du souterrain. Ici, ils sont considérés comme un couple stupide, interdit de s’éclairer d’une bougie, la vieillesse pouvant conduire à un éventuel départ de feu.

Dans cette communauté, pas d’évocation du passé, mais Axl se tourmente sur des personnes désormais absentes mais qu’il est bien persuadé d’avoir connues. Sont-ce des inventions découlant d’un esprit vieilli et embrumé ? Des restes de rêves ? Une mémoire qui devient confuse ?

Pourtant, tout le monde semble oublier les évènements et jusqu’aux êtres qui ont marqué les jours précédents et les années passées. Alors Axl décide qu’avec sa princesse, ils doivent sans délai accomplir le voyage longtemps repoussé qui doit les mener au village de leur fils. Pourquoi ne pas y avoir songé avant ? Même si aucune image du fils ne traverse leur mémoire, malgré les efforts à tous deux pour faire ressurgir leurs souvenirs, ils préfèrent aller le rejoindre. Tous les épisodes de leur vie commune sont comme mangés par la brume. Quelle peut être l’origine de cette brume qui prend en otage le passé ?



Kasuo Ishiguro nous pousse alors vers une bien étrange et envoûtante quête. Son féérique talent de conteur tente de nous perdre dans ce voyage aux accents de légende, d’histoire, de superstitions. Mais l’on se doute bien que tous les éléments, toutes les rencontres, tout ce cheminement vont nous ouvrir les portes de réflexions plus profondes.



La première étape du périple de nos deux Bretons, pour s’abriter d’un orage, me laisse immédiatement perplexe. Mais où de telles singularités de la part de l’auteur peuvent-elles nous mener ? Je baigne dans une ambiance de conte qui flirte avec le sordide, dans une villa en ruines qui abrite, d’un côté, une vieille femme agrippant un lapin sur la gorge duquel elle maintient fermement un couteau, et dans un autre recoin un homme de haute taille, batelier de son état, qui nous fait part de sa détresse. L’étrangeté manifeste de cette halte trouvera pourtant tout son sens à la fin du voyage.

Même si l’auteur semble s’attarder quelque peu sur le trajet, je n’ai pu résister à l’envie de déceler toutes les allégories qu’il nous fait rencontrer en chemin, tout en partageant la tendresse qui unit ce vieux couple.

Après le passage de la Grande Plaine, ils arrivent chez les Saxons et repartent accompagnés d’un guerrier et d’un jeune garçon. Plus loin, ce sera la rencontre avec un ancien chevalier du roi Arthur dont la côte de maille toute rouillée grince à chaque pas. Et ces pas grinçant vont nous mener vers une dragonne, tout en gardant à l’esprit qu’il est impératif pour Béatrice de recouvrer tous ses souvenirs. Mais est-ce réellement une bonne chose que la brume se dissipe ? Cette dissipation ne va-t-elle pas mettre en lumière des actes répréhensibles, des discordes qu’il serait plus sage d’oublier ?



Oui, le voyage est osé, complètement atypique, nous plongeant même dans une rivière maléfique où grouillent des elfes sauvages, mais quel voyage merveilleux dans la prise de conscience sur la mémoire et le passé qui s’y rapporte, sur les aléas de la vie de couple et l’amour inaltérable, sur la fragilité de la paix lorsque l’esprit de conquête ne meurt jamais, sur l’envie de vengeance ou de pardon et sur la fin qui nous attend tous.



Dans une enveloppe marquée d’imaginaire Kazuo Ishiguro évoque incomparablement des chapitres de nos propres vies.

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Quand nous étions orphelins

Nous ne saurons rien des indices, de l'enquête menée par le célèbre Christopher Banks, sur la disparition de ses parents dans le Shanghai des années trente, sinon qu'il s'est bien planté!



La force d'Ishiguro ici est de raconter, 'old style' à la Conan Doyle, bien construit, limite décousu.



Concession internationale de Shanghai ou quartiers chinois pendant la guerre sino-japonaise, ça sent terriblement le vécu.

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Les vestiges du jour

Il est des livres qui sentent bon la campagne anglaise.

Il est des livres qui donnent la parole à ceux qui ne peuvent généralement pas la prendre.

Il est des livres qui amènent calme, sérénité au milieu d'un quotidien trop chargé.

Il est des livres qui posent une empreinte de beauté indélébile sur un chemin chaotique.

Il est des livres qui dépaysent et font du bien.

Les vestiges du jour en fait partie.

Je ne savais rien de ce livre si ce n'est les chroniques dithyrambiques de certains de mes amis.

Je n'ai pas été déçue.

Kazuo Ishiguro a une plume lumineuse et une manière poétique de décrire la vie quotidienne et la plongée dans les souvenirs de Mr. Stevens, majordome attitré du Domaine Darlington.

Ce roman m'a emmenée dans un autre temps, dans une Angleterre encore inconnue, sur les traces de ces êtres souvent invisibles, ces travailleurs de l'ombre qui donnent tout pour leur Seigneurie et qui font la réputation d'une maison et de son propriétaire. Un bel hommage à une profession souvent méconnue, parfois disparue.

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Quand nous étions orphelins

J'avais déjà lu et apprécié " Lumière pâle sur les collines" et " Les vestiges du jour", je me suis donc lancée avec enthousiasme dans cette lecture.



Le roman tient à la fois de l'enquête policière, du récit d'enfance et de la chronique sociale d'un lieu et d'une époque bien particuliers: la concession internationale à Shanghai, depuis les années vingt jusqu'aux années quarante.



Christopher Banks, le narrateur, vit à Londres et est devenu un détective célèbre. Sûrement, sa vocation vient-elle d'un traumatisme de son enfance: ses parents anglais, avec qui il vivait à Shanghai, ont disparu l'un après l'autre ( au sens concret du terme, ils semblent avoir été kidnappés et l'enquête n'a rien donné ) , le laissant brutalement seul. Il a alors rejoint sa tante en Angleterre.



Le livre démarre en 1930 puis évoque l'année 1937, lorsqu'il décide de retourner a Shanghai dans l'espoir de retrouver ses parents. L'épilogue est daté de l'année 1958.



C'est justement à la fois le charme et le côté un peu confus de ce livre, ce mélange des époques, les flash-black sont nombreux, ils évoquent soit la petite enfance du narrateur,avec notamment les jeux en compagnie de son ami d'origine japonaise, Akira, ou des faits plus récents, au gré de ses pensées.



On sent , à travers les évocations du passé, le désarroi de toute une vie, pour ce petit garçon, qui , à dix ans, perd ses deux parents, de façon inexplicable.



J'ai suivi avec grand intérêt son parcours et ses investigations, ses espoirs et ses déceptions. De plus, ayant visité Shanghai et le Bund, j'essayais de me représenter un peu la ville dans ces années -là. La violence de la seconde guerre sino-japonaise, le mépris des occidentaux installés sur place pour les chinois, le commerce de l'opium, tout est bien retranscrit et le style est fort agréable.



Une quête nostalgique et obsédante que l'on accompagne de toute notre empathie. A lire!
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Le Géant enfoui

Sortent de la brume, par la magie de la plume de Kazuo Ishiguro qui m'emporte délicieusement avec ses pleins et ses déliés, des êtres fantastiques : Ogres, Elfes, Lutins, qui autrefois surgissaient d'un bois pour calmer la fin, pullulaient autour d'une eau stagnante ou pour les derniers s'aventuraient au sein du logis d'un humain. En ces temps maintenant révolus, ces créatures étranges et de longtemps oubliées, non seulement, côtoyaient les hommes, mais parfois venaient à les tourmenter, le plus souvent à l'heure du premier sommeil, se mélangeant à leurs rêves agités, troublant leurs nuits, les maintenant éveillés. Et je n'ai pas encore parlé de la plus connue et terrible d'entre elles : Quéric, une Dragonne, crainte des monts aux vallées. Pour les hommes en ce haut moyen-âge, pas vraiment de quiétude, ou alors trompeuse, hasardeuse et temporaire, car ces êtres, dont nous n'avons plus qu'un très lointain et très vague souvenir, étaient bels et biens vivants, si pas dans la réalité à tout le moins dans l'imaginaire collectif des hommes; ce qui avouons-le, revient au même dans ces pays de brumes et de légendes.



Et puis le grand roi Arthur était mort de quelques années seulement que déjà son souvenir s'effaçait. La crainte qu'il inspirait peu à peu se dissipait dans les mémoires, les bienfaits d'une paix fragile bien moins vivaces que les affres des sanglantes batailles. Planait donc une menace voilée, le plus souvent ignorée, mais à l'Est, chez les Saxons, loin de la douceur de la brume, germaient la haine, le désir de la vengeance et l'appel du sang. Ainsi vivaient les hommes, sans grande lucidité et dans la précarité. S'agit-il de la verte Irlande avec ses lacs, ses rivières et ses tourbières, ses plaines et ses monts du Connemara ? S'agit-il du Lake district, ou au Nord du mur d'Adrien, des Midlands ou carrément les Highlands ? Peu importe car l'écriture d'Ishiguro, entre récit de chevalerie, épopée fantastique et merveilleuse odyssée, nous offre au long de ce lent cheminement une oeuvre mythique, universelle, intemporelle.



Axl et Béatrice sont mari et femme, depuis longtemps. Je les vois comme deux grands arbres, côte à côte, leurs feuillages se frôlent et souvent s'entremêlent, ils bruissent des mots tendres et doux, inlassablement. Inlassablement répétés, ils se touchent et s'appuient l'un sur l'autre, tantôt l'un, tantôt l'autre, pour résister aux vents contraires. Chacun frêle, mais se soutenant, à deux plus forts, et l'on devine que leurs racines plongent profondément et se sont enlacées à tout jamais. Ces deux-là sont passés à travers les grains et les chagrins, ils ont dû résister à bien des tempêtes, bien des tourments. A eux deux, ils forment une île, une île mystérieuse, une île au trésor, une île flottante au coeur de la brume. Leurs feuillages se frôlent et parfois se touchent, quand le ciel s'éclaircit ils se racontent ce qui leur reste de souvenirs des bons jours et quand la brume s'épaissit alors chacun garde pour lui ses petits renoncements, minimise ses faiblesses et oublie ses griefs. p.406 "Mais Dieu connaît le lent chemin de l'amour d'un vieux couple, et il comprendra que les ombres noires font partie de son entité."



La leçon pourrait n'être que belle, elle est sans artifice, sans recours à la facilité, point de larmes arrachées, de frayeurs générées, d'élans provoqués, elle devient transcendance et creuse au plus profond, vous prend et vous étreint, vous marque de son empreinte. L'écriture est cette longue mélopée intérieure, compagne fidèle des chevaliers errants qui rêvent leur vie, de ce Messire Gauvain chevauchant son vieil Horace à la poursuite ultime de la quête dont il se voit le garant. La magie d'Ishiguro s'est de faire remonter d'un très ancien déchirement venu d'une lance ou d'une épée, ce géant enfoui en chacun de nous dans les brumes de notre mémoire. Un moment rare de pure communion à travers les siècles, l'éblouissement lorsque la brume se dissipe avant de respirer l'essence dont sont faits les hommes.



Et moi tel un de ces étranges bateliers de te poser la question : " Ami(e), oseras-tu cette traversée ?"





PS. Ici à Mons ce dimanche 22 mai au combat dit Lumeçon, tous de s'écrier "El biète est morte"*, lorsque St Georges achève le Dragon mais deux jours plus tard s'inscrit en lettres de feu "In vla co pou ein an"* pour terminer la ducasse et rappeler aux esprits embrumés par forces ripailles et moultes bières que le combat entre l'ordre et le désordre est sans cesse à recommencer. Il faut recommencer, année après année, pour ne pas oublier le Dragon, souffle de liesse et liberté, terrassé par St Georges engoncé dans son armure, conforté par le bon droit, main armée aux ordres de l'autorité. Où est le Bien ? Où est le Mal ? Qui en décide ? Faudrait-il oser l'année du Dragon, lui accorder notre confiance ? Ou continuer à préférer la quiétude de l'oubli à une année de folie ? Ici l'histoire se répète, sa magie serait-elle moins forte que celle d'Ishiguro ?



* La bête est morte

* En voilà encore pour un an
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Lumière pâle sur les collines

Pour le style, pour la narration, pour les mots, pour l'écriture , pour toute cette joliesse, je mets 5 étoiles. L'art de Kazuo Ishiguro de mettre en scène des vies ordinaires et de me tenir intéressée tout au long de la lecture me fascine.

Je crois que malgré le peu d'action, de rebondissements ou d'intrigue, il réussit toujours et avec brio à mettre la lumière sur une société et à nous faire réfléchir. Dans Lumière pâle sur les collines, on se situe à Nagasaki et autour après la bombe. C'est la fin (ou presque) de l'occupation américaine. Le monde a changé. On sent bien que plus rien ne sera comme avant. En filigrane, on nous parle des femmes de leur vie, leur rôle dans la société , leurs rêves , leurs préoccupations dans ce Japon en reconstruction et oui ça m'interpelle. C'est la fin d'un monde et le début d'un autre. Et ce récit en est la preuve. Une chronique de vie, une tranche de vie qui ne finit pas, dont on ne peut connaître le dénouement. C'est comme juste une jolie et très intéressante conversation dans laquelle on se remémore un lointain souvenir. À lire pour la magnifique plume de Kazuo Ishiguro.
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Klara et le Soleil

"Lorsque je mis un pied sur les cailloux, le Soleil était haut, mais paraissait las. J’hésitai à refermer la porte derrière moi, mais comme il n’y avait pas de passants, et parce que je ne voulais pas déranger Josie en faisant sonner le carillon à mon retour, je tirai la porte sans enclencher le mécanisme de verrouillage. Puis je m’avançai au-dehors."



Qui est au fond cette Klara ? Corporellement, c'est une A.A., une amie artificielle, dont nous ne saurons presque rien de l'apparence et du fonctionnement. Mais dans sa psyché, c'est beaucoup plus compliqué. Elle fait partie d'une série dont la construction est vite abandonnée, au profit de modèles plus récents et plus performants.



Sa particularité ? Elle se pose beaucoup de questions et semble vouer un culte au Soleil (dont elle a besoin pour se recharger). Mais surtout elle développe une grande empathie vers les humains avec qui elle va séjourner.



Ces êtres artificiels sont conçus pour assister des jeunes ados, tous issus de familles privilégiées dans une société encore plus inégalitaire que la nôtre. Avec Josie, c'est déjà un quasi-coup de foudre alors que Klara est encore en exposition dans le magasin. Mais Josie est malade et l'on craint pour sa vie.



Kazuo Ishiguro développe son roman en nous plaçant dans le mental de Klara, qui est une narratrice sensible. Beaucoup de faits lui échappent pourtant, et par ricochet aussi au lecteur. Elle a aussi une manière bien particulière de voir le monde.



J'ai retrouvé dans ce roman la stupeur étrange qui nimbait 'Le géant enfoui", paru avant celui-ci. Il m'a décontenancé à plusieurs reprises mais vaut absolument d'être découvert.



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Les vestiges du jour

Un roman de l’auteur Ishiguro qui a reçu le Nobel de littérature 2017, une œuvre primée du Man Booker Prize et adaptée au cinéma.



Détrompez-vous, malgré la consonance du nom de l’auteur, ce roman est tout à fait britannique puisqu’il s’agit de l’histoire d’un genre d’individu bien particulier, le majordome anglais du siècle dernier.



Le héros du roman est fier d’avoir travaillé pour sa « Seigneurie », d’avoir servi la soupe à Churchill, d’avoir été proche des cercles du pouvoir. Il a consacré sa vie à son travail, sa conception de la « dignité » est telle qu’il continue de servir le whisky pendant que son père se meurt à l’étage! Il ne se sent pas le droit d’avoir une opinion, seule compte la voix de son maître…



Un roman fascinant, qui démonte les ressorts psychologiques d’un homme qui passera à travers les bouleversements de guerres mondiales tout en veillant à garder sa « dignité ». Si le majordome et l’attachement à la hiérarchie héréditaire britannique semblent tout à fait surannés, on aimerait parfois un peu plus de cette « dignité » de la part de personnalités politiques actuelles…
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Les vestiges du jour





J’avais vu, revu, aimé le film de James Ivory, et été bouleversé par les personnages de Miss Kenton (Emma Thomson) et Mr Stevens (Anthony

Hopkins).

Je savais aussi que Kazuo Ishiguro a reçu le Prix Nobel de Littérature, et que cette distinction s’accompagnait de l’appréciation très spéciale du Comité Nobel pour un auteur qui avait révélé « l’abîme de l’illusion que nous avons de notre relation au monde ».



Mais il a fallu que je lise les commentaires éminents (comme toujours, me direz vous) de quelques-unes et quelques-uns de mes ami.e.s babeliotes, et non des moindres, un grand merci à elles et eux, pour être incité à lire Les Vestiges du jour, et que j’y découvre une pure merveille.



Car ce roman est un vrai diamant taillé, et ses différentes facettes m’ont absolument ébloui.



Le thème du roman (repris en grande partie dans le film, je crois) en est pourtant simple.

Après la seconde guerre mondiale, Mr Stevens, majordome d’un riche américain, Mr Farraday, mais qui fut avant la guerre au service d’un Lord influent, Lord Darlington, dans la grande demeure dénommée Darlington Hall, rachetée par Mr Farraday, sent qu’il a des difficultés à assurer ses fonctions, fait « quelques petites erreurs », et, en fin de compte les attribue, à l’insuffisance quantitative et qualitative de personnel en service dans Darlington Hall.

Il saisit l’opportunité que lui offre Mr Farraday de prendre quelques jours de congé en empruntant sa voiture, pour former le projet de visiter une partie de l’Angleterre avec comme l’objectif plus ou moins incertain de revoir, et de faire revenir à Darlington Hall, Miss Kenton, qui y fut intendante plusieurs années, qui s’est mariée il y a un peu plus de vingt ans, et qui vient de lui écrire, lui faisant de sa nostalgie des années passées à ses côtés dans cette grande demeure.



Le roman est la narration de ces quelques jours de voyages, et je dois dire que j’ai eu le cœur de plus en plus serré au fur et à mesure de la lecture.

Chemin faisant, Mr Stevens mêle ses impressions de voyages avec ses opinions sur le métier de majordome et la notion de « grandeur » et de « dignité », ses souvenirs des grands personnages politiques de l’entre-deux guerres qu’il a côtoyé dans le cadre de son service, et de ses rapports difficiles avec son père vieillissant recruté comme majordome adjoint, et enfin, de sa relation compliquée, en dents de scie, avec l’intendante Miss Kenton.



Mais peu à peu, le lecteur que je suis a ressenti, avec une grande tristesse, derrière la façade d’un homme bien comme il faut, imprégné de l’importance que son service a eu pour son Maître et pour les « grands » qu’il a servi, les multiples failles que cet homme se cache à lui même, et ne veut pas exprimer.

Dans son métier, la sensation, inavouée, de la perte de son importance au service des « Maîtres » dans un monde qui a changé; et aussi au cours de son voyage et de sa relation aux gens qu’il rencontre, la difficulté de se définir.

Et puis, on découvre l’opprobre qui a frappé son Maître, Lord Darlington, après la guerre, en raison de son absence de clairvoyance à l’égard du régime nazi, lui qui recevait l’ambassadeur Von Ribbentrop dans l’espoir de resserrer les liens de la Grande-Bretagne avec l’Allemagne de Hitler. Dans sa façon de déclarer qu’il n’y est pour rien et qu’il a fait tout ce qu’il estimait utile à son niveau, j’ai ressenti, en creux, le sentiment d’échec d’avoir servi avec zèle un homme politique qui s’est fourvoyé, voire a mal agi.

Et puis, il y a sa relation professionnelle avec Miss Kenton. On ne peut que ressentir à quel point cet homme corseté dans ses principes, la vision de son métier, est passé à côté de sa vie, n’exprime les choses passées sans jamais avouer ses sentiments ( par exemple sa lâcheté dans l’affaire du renvoi des deux employées juives).

Et même lorsque, à la fin du roman, arrivé au bout de son voyage, le majordome a un entretien de deux heures avec Miss Kenton devenue Mrs Benn, entretien dans lequel on le sent prêt à craquer, suite à l’aveu à peine voilé de Miss Kenton, rien ne se passera, et Mr Stevens ne lui proposera même pas de revenir travailler à Darlington Hall.

Apres avoir passé un jour de plus au terme de son voyage «aller », et contemplé les « vestiges du jour » au bord de la mer, et pleuré sans qu’il s’en rende compte, le majordome reprendra la route du retour.

Et les deux dernières pages du livre, dans lesquelles Mr Stevens évoque son retour à Darlington Hall, avec un objectif de s’améliorer dans l’emploi de la badinerie, m’ont paru tristes et pathétiques.



« Pourquoi, Mr Stevens, pourquoi, mais pourquoi faut-il toujours que vous fassiez semblant? » dira Miss Kenton à Mr Stevens.

Oui, c’est cela. Mr Stevens est la caricature de celles et ceux qui ont plongé dans « l’abîme de l’illusion que nous avons de notre relation au monde ».



Et pourtant, ce roman fait, mine de rien, transparaître l’effort, même inachevé, qu’un homme, prisonnier de ses principes, fait pour essayer de mettre au clair son passé.



Et finalement, que d’êtres humains, (à commencer par soi-même, quand on y réfléchit), se sont ainsi enfermés dans un rôle, se sont bercés de fausses idées, de faux espoirs.

Que d’êtres humains acceptent d’être dans un asservissement choisi et assumé à un chef, un parti, une religion, une idée….

Et que d’êtres humains, cette fois ceux qui sont (ou se pensent) supérieurs, pensent qu’il y a eux qui savent et les inférieurs qui ne savent pas.

Et que d’humains sont ainsi passés durant tout leur parcours terrestre à côté d’eux mêmes, de la vraie vie.



Le roman est écrit d’une façon admirable, les descriptions des paysages aussi sont magnifiques. C’est un vrai bijou de concision, il n’y a pas un mot de trop, mais il nous appelle aussi à savoir lire entre les lignes, et cela aussi en fait un chef-d’œuvre.
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Les vestiges du jour

Troisième roman de son auteur, paru en 1989, c’est peut-être le roman le plus célèbre du prix Nobel : couronné par le Booker Prize, porté à l’écran par James Ivory, avec son efficacité habituelle, servi par des grands comédiens, le film a sans doute énormément fait pour permettre à Ishiguro de rencontrer un très large public.



Le roman est un récit à la première personne de James Stevens, un majordome dans une grande maison, un peu le haut du panier de sa profession. Suite à l’invitation de son employeur, et d’une manière exceptionnelle pour lui, il fait un voyage de quelques jours, pour aller revoir une femme, qui a été intendante dans la même maison que lui il y a fort longtemps, et qu’il se propose d’essayer de faire revenir dans la propriété où le personnel qualifié manque. Mais ce voyage sera en réalité une occasion de se souvenir, de faire le bilan de sa vie, professionnelle, de sa vie tout court, tant les deux sont imbriquées, et tant Stevens semble avoir choisi de s’identifier complètement à sa seule vie professionnelle. Les petits incidents du voyage, les rencontres, les regards qui se posent sur lui, et la rencontre avec celle qu’il s’obstine à appeler Miss Kenton, alors qu’elle est marié et mère de famille et bientôt grand-mère, tout simplement le temps libre dont il dispose du jour au lendemain, vont l’obliger à se voir, à reconsidérer sa vie et les choix qu’il a fait.



C’est vraiment un très beau livre, plein d’une forte charge émotionnelle, d’une grande sensibilité. Stevens a passé sa vie à se construire une carapace, à refuser de voir ce qui le gênait, ce qui ne rentrait pas dans sa façon de catégoriser le monde. Etre majordome, comme son père l’a été avant lui, a été le choix central, celui à quoi tout le reste a été conditionné. Cela signifiait pour Stevens, du moment qu’il s’est choisi un maître selon son coeur, de s’oublier complètement au service de ce maître, ne plus avoir de choix à faire, ne plus avoir à penser en quelque sorte : il suffisait de servir. Et s’il se trouve déstabilisé dans le livre, c’est que son nouveau maître, un Américain, lui reste en partie incompréhensible, peut-être parce que ce dernier s’attend à être en face d’un être humain et non seulement en face d’un domestique particulièrement efficace. Or Stevens ne sait plus être une personne, autre chose qu’un majordome. Son récit nous montre à quel point il a refoulé ses aspirations personnelles, à quel point il a refusé à se laisser aller à des sentiments que l’on pourrait considérer comme les plus naturels chez un être humain : l’attachement familiale, l’amour, ont été étouffés, niés. Au moment de l’approche de la vieillesse, au moment aussi où son travail se vide de son sens dans de nouvelles conditions, quelque chose comme un regret semble surgir.



Mais Stevens a passé tellement de temps à refouler ses ressentis, à se mentir à soi-même, que ce regret se devine plus qu’il ne s’exprime ouvertement. Tout l’art de Kazuo Ishiguro consiste à suggérer, à laisser parler son personnage, et à laisser deviner petit à petit, les mensonges, les sentiments jamais exprimés, la véritable histoire de son maître qu’il continue à admirer alors qu’il a gravement failli. Mais l’admettre, serait avouer sa propre faillite, et Stevens ne peut se résoudre à la prononcer. Derrière les vantardises et l’expression policée d’une auto-satisfaction revendiquée, le personnage se lézarde de plus en plus et apparaît dans une poignante solitude.



Une grande réussite, je regrette simplement d’avoir vu le film avant d’avoir lu le roman, qui comme souvent, est beaucoup plus fin et subtile que le film, plus riche.
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Klara et le Soleil

J'aimerai multiplier les éloges sur ce livre. J'aimerai le brandir comme mon précieux, le garder auprès de moi toujours... Passés les premiers chapitres, je ne sais encore pas quoi en penser : déception ? Rendez-vous manqué ? Et plus j'avance dans cette histoire, plus j'ai le sentiment que c'est moi qui suis en train de le manquer, ce rendez-vous ! Qu'est-ce qui me met mal à l'aise ? Ce manque de sentiment et d'émotion dans l'expression ? Mais n'est-ce pas justement ce que l'auteur cherche à nous transmettre ? Ce qui coule de source quand on connaît la narratrice : Klara ! Cette AA - amie artificielle - créée pour tenir compagnie aux enfants et adolescents de cette modernité qui ne fait vraiment pas rêver. Mais Kazuo Ishiguro, n'est pas là pour nous faire rêver... Il nous assène un futur où l'on devine que tous, adultes comme enfants, ne sont pas les bienvenus. Un peu comme au concert ou au ciné, si tu n'as pas ton sésame.



Rick et sa mère vivent en marge de la société, pourquoi ? Josie est malade, mais de quoi ? Et qu'est devenue sa sœur ? Deviner, Découvrir. Toutes les clefs n'y sont pas. Parce que Klara ne les a pas ? Parce que l'auteur ne veut pas nous les donner si facilement ? Et qu'est-ce que cela changerait ? L'Intelligence Artificielle est là. Plus personne ne s'en étonne. Pas de rejet, ni de lutte. C'est un fait. on s'y soumet. Le monde que l'on découvre, ne semble pas si éloigné du nôtre quand on y pense. Un monde où l'on fait beaucoup semblant, où les apparences comptent plus que la vérité, car la vérité, ici, c'est souvent l'exclusion, la sélection et la mise à mort sociale. Pas de sésame, pas d'avenir.



"Je voudrais pouvoir sortir, marcher, courir, faire du skate et nager dans les lacs. Mais je ne peux pas parce que ma mère a du Courage. Alors au lieu de cela je dois rester au lit et être malade. J'en suis très heureuse, vraiment".



Kazuo Ishiguro est dans la retenue, l'ellipse. Le lecteur a son rôle à jouer dans Klara et le soleil. Et lorsqu'on assume ce Je(u), on prend une belle claque. Et cette fin !
Lien : http://page39.eklablog.com/k..
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Les vestiges du jour

Attention chef d'œuvre !

Le majordome d'un manoir anglais effectue un voyage en voiture dans l'Angleterre des années 1950.

Il se remémore les grands événements survenus à Darlington Hall dans les années 1920 et 1930 alors que son maître cherchait à œuvrer en faveur de l'Allemagne, estimant que les termes du traité de Versailles étaient trop rigoureux.

Ce personnage, Stevens, affiche une rudesse et une froideur qui de prime abord le rendent antipathique au lecteur. Pourtant, les émotions qui le traversent au cours de ce périple, révèlent un homme dont l'engagement professionnel suprême s'est manifesté dans l'effacement de sa propre personne. Il refuse l'expression de ses émotions au nom de la grandeur de sa tâche.

L'adaptation cinéma de James Ivory rend très bien l'atmosphère délicatement surannée qui plane dans le roman et qui imprègne le personnage principal.

Superbe, magnifique

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Les vestiges du jour

Cet ouvrage ne manquera pas de plaire aux amateurs du bien parler. Maîtrise de la grammaire et usage d'un vocabulaire choisi, mais pas seulement pour ce qui concerne le métier de Mr Stevens dans Les vestiges du jour. L'exercice auquel doit se livrer quotidiennement le majordome d'une maison prestigieuse est selon lui de faire preuve, en toutes circonstances, de la plus grande dignité. Vertu dont Mr Stevens tente de nous faire entrevoir les contours. Parmi lesquels la maîtrise de ses propres instincts pour exercer avec succès une profession somme toute très anglaise, et pour laquelle la dignité n'est bien souvent que le linceul de la trivialité d'autrui.



Après la disparition de son maître, Mr Stevens est parvenu à un stade de sa vie professionnelle où il peut faire quelques entorses à l'autre grande qualité du métier : la discrétion, la confidentialité. Dans le périple qui le conduit vers une de ses anciennes collaboratrices, il revient sur ces moments entre les deux guerres au cours desquels son maître, Lord Darlington, essayait de sauver la paix. Pressentant bien que l'humiliation, que l'Allemagne ne pouvait manquer de ressentir à l'issue du traité de Versailles, allait précipiter cette dernière dans les velléités revanchardes.



La maîtrise des émotions qui préside à chacune des circonstances du métier l'a en contre partie conduit à étouffer ses sentiments. On comprend alors que la visite qu'il s'apprête à faire à celle qu'il appelle encore Miss Kenton, bien que mariée, lui laisse comme un arrière goût d'échec dans une vie consacrée au service des autres. L'impression d'être passé à côté de quelque chose. Amertume qu'il s'efforce de dissimuler avec la même maîtrise que celle qui a prévalu tout au long de sa carrière.



Lecture onctueuse que celle de cet ouvrage. Plaisir de lire que ne gâche pas la traduction de Sophie Mayoux fort réussie pour restituer dans la langue de Molière quelques tournures bien senties à n'en pas douter dans celle de Shakespeare.



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Auprès de moi toujours

Un roman troublant.

Kathy, Ruth et Tommy sont les pensionnaires d'une école qui paraît idéale , un endroit

coupée du monde , un havre de paix , loin de toute contingence matérielle.Ils y sont bien mains un petit doute les taraude.Oh , pas grandchose , de petits détails sans importance . Un personnage mystérieux, Madame, qui vient régulièrement choisir parmi leurs créations les plus brillantes pour sa Galerie.Pourquoi sont ils si privilégiés ? Même si les barrières sont lâches, pourquoi vivent ils hors du mond.Ils grandissent, changent d’endroit pour un lieu tout aussi agréable et sans contrainte.La sexualité apparaît mais ils savent qu’ils ne pourront pas avoir d’enfants

Kazuo-Ishiguro est bien malin qui sait par petites touches distiller un tel suspens dans une ambiance bien feutrée.Ici, pas de violence , pas de vision apocalyptique , pas de méchants exploiteurs.Il y a un secret que tout le monde semble accepter dans cette vie où tout semble couler de source. Il faudra attendre les dernières pages du roman pour comprendre, à postériori, les attitudes des nos trois jeune gens tout au long de leur vie

C’est sûr qu’il y a des longueurs mais je pense que le rythme lent fait parti du livre et Ishiguro l’assume .Ce n’est pas un livre facile ,justement en raison de longues digressions qui peuvent apparaître inutiles. Mais c’est un livre surprenant , faussement simple et dérangeant .Allez jusqu’au bout du livre sinon vous n’y comprendrez rien
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Les vestiges du jour

Si j'ai bien aimé le film de James Ivory je ne m'attendais pas à un tel coup de coeur en lisant "Les vestiges du jour" de Kazuo Ishiguro.

J'étais restée sur l'histoire d'un butler, Mr. Stevens, majordome au service de sa seigneurie Lord Darlington dont la maîtrise de soi propre aux anglais lui permet une certaine dignité revendiquée dans sa vie professionnelle et personnelle.

Pour autant, le roman montre une intensité dans le portrait d'un homme qui refuse de montrer ses sentiments et permet aussi de mieux comprendre les enjeux politiques et le rôle des aristocrates dans l'entre-deux guerres.

Je trouve le roman très bien construit, au rythme du voyage que fait Mr. Stevens en 1956 avec la Ford qui lui a laissé Mr. Farraday le nouveau propriétaire de Darlington Hall. Il va voir Miss Kenton, l'intendante avec qui il a travaillé avant la guerre pour lui proposer d'y revenir après avoir reçu une lettre qui lui rappelle le passé. Son périple en voiture dans la campagne anglaise est ponctué des souvenirs qu'il garde et l'on comprend qu'une passion aurait pu naître entre eux.

Mais la question qui le taraude est surtout Qu'est-ce qu'un grand majordome ?

Il est obsédé par la dignité qui lui permet de rester de marbre en toutes occasions et par la grandeur qui, pour lui, est liée à l'affiliation d'une maison réellement distinguée.

Ne s'intéressant pas à ce qu'il appelle le babillage, il va vivre des moments historiques sans jamais prendre parti y compris quand il doit organiser en 1923, une conférence internationale officieuse pour envisager les moyens d'obtenir une révision des termes du traité de Versailles en faveur de l'Allemagne.

Il décrit en quelque sorte ce qu'est le lobbying des puissants et leur implication dans la montée du nazisme.

La servilité de Mr. Stevens vis à vis de son employeur est terrifiante et pourtant on ne le déteste pas, conscient qu'il fait partie de la classe des dominés.

Et puis, quand il retrouve Miss Kenton on a envie qu'il la prenne dans ses bras quand elle lui dit qu'elle aurait pu vivre avec lui de façon plus explicite que dans le film. Il ne le fera pas car c'est avant tout l'histoire d'un amour impossible qu'écrit majestueusement Kazuo Ishiguro.





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Les vestiges du jour

J'avais beaucoup aimé ce roman, lu plusieurs fois, le film aussi, d'ailleurs.

Et j'avais lu à la suite ses autres romans , sauf Auprès de moi toujours, lu beaucoup plus tard.

Donc, c'est un ..mélange qui parle de plusieurs de ses romans, le thème m'intéressait.



Il est né au Japon de parents japonais, il est arrivé en Angleterre à cinq ans. Avant de devenir un écrivain reconnu, il a exercé divers métiers, dont celui de rabatteur de grouses pour la reine! Ce n'est peut-être pas un métier d'avenir, mais plus anglais, il ne doit pas y avoir...Seulement, un immigré, aussi assimilé soit-il, a toujours une vie antérieure qui finit par le rejoindre. Preuves en sont les deux ouvrages "japonais", "Lumière pâle sur les collines" et "Un artiste du monde flottant".Un thème récurrent qui m'a frappée, celui de la mémoire individuelle. On connait de mieux en mieux sur le plan neuroscientifique les mécanismes de la mémoire et des souvenirs, mais c'est toujours intéressant de découvrir ce qu'on peut faire de ces souvenirs.



Amnésie quasi complète dans "L'inconsolé". Un musicien de renommée internationale arrive dans un pays de l'Europe Centrale pour y donner un récital. On attend tout de lui, on le connait, il le constate, mais lui, il ne se souvient de rien. Personnage complètement décalé, il assume et essaie de faire face.



Souvenirs occultés ou refoulés ? Dans "Lumière pâle sur les collines", le premier livre paru. Une femme et sa petite fille à Nagasaki. Elles doivent partir aux Etats-Unis. On retrouve cette femme en Angleterre, elle a une autre fille, quelques mots nous apprennent le suicide de sa fille aînée, que s'est-il passé, on ne le saura pas.



Souvenirs embellis, magnifiés, dans "Quand nous étions orphelins". Souvenirs d'une enfance magique , rupture brutale et un héros, persuadé que tous les mystères du monde se résolvent aussi facilement que dans les romans d'Agatha Christie, qui retourne à Shangaï résoudre le mystère de la disparition de ses parents. Seulement la concession, ce milieu fermé, paradis de l'enfance, n'existe plus, c'est une ambiance de fin d'un monde, et cette enfance était-elle si belle que cela ?Bien sûr que non...



Souvenirs sans cesse justifiés, le plus connu, "Les vestiges du jour". Pendant un voyage soit disant à des fins professionnelles, Stevens, majordome dans une très grande famille anglaise, laisse enfin les souvenirs affleurer. C'est le bilan d'une vie, et il sait que ce qu'il a manqué, c'est en fait pour de fausses raisons. Miss Kenton, le personnage féminin du livre, qu'il aurait pu aimer, lui dit à un moment : "Mais pourquoi faites vous toujours semblant ?" Avait-il le choix, d'ailleurs ?



Souvenirs affrontés, enfin, "Un artiste du monde flottant", très beau titre utilisé par Christine Jordis en tête de chapitre pour parler des artistes anglais des années 80.

Dans ce très beau livre, Ishiguro nous dit : "Il peut arriver, certes, les années passant, qu'on n'accorde plus du tout la même valeur à ses propres oeuvres, mais il est toujours réconfortant de savoir que votre vie a comporté un moment ou deux de satisfaction réelle..."



Le butler et le samouraï, tout un mélange, et de beaux romans.

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Quand nous étions orphelins

Ma lecture des Vestiges du jour s'est révélée fort décevante, c'est donc avec un brin d'appréhension que j'ai ouvert Quand nous étions orphelins..... je suis conquise.

Christopher Banks a réalisé son rêve. Il se voyait, enfant, devenir un grand détective. C'est chose faite. Il lui reste cependant une affaire à élucider, ses parents ont disparus à quelques mois d'intervalle. D'abord son père a été enlevé, puis ce sera le tour de sa mère. Il est alors rentré en Angleterre chez sa tante , est allé à Cambridge, s'est installé à Londres où il vit à l'aise grâce à son héritage.

Mais Christopher n'a pas oublié Shanghai, la ville où il est né, la Concession internationale, et surtout Akira, son voisin et ami, celui avec qui il a passé des heures à courir, jouer, rêver de leur futur. Les années passent et puis un jour il se décide à retourner à Shanghai et à découvrir la vérité.

Nous sommes en 1937 et la ville que Christopher Banks retrouve est à la fois la même et bien différente de celle de ses souvenirs. Les japonais sont là offensifs et belliqueux, Chiang Kaï-shek leur tient tête. Et impassibles, les "étrangers" assistent aux combats, essayant pour la plupart de tirer les marrons du feu.

Christopher est horrifié, le monde qu'il imaginait n'était qu'utopie et ce qui se prépare sera terrible. Kazuo Ishiguro nous entraîne sur les pas de Christopher dans la "garenne", cette zone de ruines et de sang entre les 2 zones de front. Pourquoi, pour qui? éternelles questions qui se posent quand des conflits éclatent questions auxquelles pourront sans doute répondre les historiens quand l'heure de l'Histoire aura sonnée.

Second volet de ce récit et non le moindre,quelle place l'enfance occupe t'elle dans la vie d'un homme devenu adulte? L'amitié qui s'est nouée entre Akira et Christopher est une amitié à la vie à la mort, sans jeu de mots. La plume de Kazuo Ishiguro sait se faire tendre, timide, intrépide, complice, un véritable régal.

Quand nous étions orphelins est un magnifique roman, un hymne à l'enfance et une question lancinante: si rendus à l'âge adulte nous étions orphelins de notre enfance?







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Les vestiges du jour

Connaissez-vous l’écrivain britannique d’origine japonaise Kazuo Ishiguro, prix Nobel de littérature en 2017 pour avoir révélé dans ses romans « l’abîme sous l’illusion que nous avons de notre relation au monde »?



Le personnage central et narrateur, Mr Stevens, est majordome. Un authentique « butler » anglais, pour qui cette charge est une vocation, une raison d’être et de penser.



1956. Mr Stevens entreprend seul un périple de six jours en voiture dans la campagne anglaise, pour rendre visite à Miss Kenton, l’ancienne intendante. La solitude et les paysages champêtres sont propices à l’introspection et aux réminiscences.

Réflexions autour de la question « qu’est-ce qu’un grand majordome ? »

Et comment se caractérise la dignité ?

Au cours de ses pérégrinations lui reviennent en mémoire des incidents qui ont jalonné sa carrière. Une carrière qu’il a voulue exemplaire. Trente-cinq ans au service de Lord Darlington, lors desquels son maître a eu l’honneur de recevoir des hôtes illustres tels que George Bernard Shaw, Sir Anthony Eden, Lord Halifax ou Lady Astor. Et lors desquels Stevens s’est employé à ne jamais rien laisser paraître de ses émotions.



Le roman dresse un tableau de la société anglaise des années 20 et 30, et est prétexte à aborder des sujets sérieux tels que les relations internationales entre deux guerres, notamment les conséquences du Traité de Versailles, l’antisemitisme et la montée du nazisme.



Certaines scènes m’ont bien sûr fait penser à la série Downtown Abbey, que vous connaissez peut-être.



J’ai aimé l’originalité du propos, l’écriture juste et sobre, merveilleuse alchimie entre le fond et la forme, et surtout l’humour « pince sans rire » de ce gentleman si respectable et si peu enclin au badinage. So British !



Si vous ne connaissez pas, je vous conseille ce petit bijou qui aux côtés d’un personnage unique et touchant nous emmène loin de notre monde. Suranné et intemporel.
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Klara et le Soleil

Dimanche 29 août 2021, gare de Bordeaux: je quitte mon amoureux après trois semaines de vacances ensemble. C'est beau la distance, c'est chouette, ça donne un petit frisson, on n'empiète pas l'un sur l'autre, mais quand même qu'est-ce que ça fait ch... (et cliché) de se séparer sur le quai de la gare. Pour me mettre un peu de baume au coeur, je m'offre un magazine sur la rentrée littéraire, le seul de ce genre que j'achète dans l'année.



Dimanche 29 août 2021, deux heures et quelques minutes plus tard, gare Montparnasse (ou plutôt quai du métro): j'ouvre ma revue et tombe sur un article sur le nouveau roman de Kazuo Ishiguro. Je dévore l'interview de l'auteur durant le trajet.



Dimanche 29 août 2021, 20 minutes plus tard, gare du Nord: je cours acheter Klara et le soleil, tant pis, ça ne sera pas chez ma libraire préférée.



Dimanche 29 août 2021, 1 heure après, à bord du train me ramenant chez moi: je commence la lecture de ce roman, j'adore.



Lundi 30 août 2021, de retour de chez ma mère: misère! J'ai oublié mon livre chez elle, je vais devoir attendre plusieurs jours avant de le récupérer (heureusement, j'ai de quoi faire chez moi);



Dimanche 12 septembre 2021: je récupère mon livre et le termine le 13 au petit matin... Ouais, j'ai boulot mais tant pis.



Comme vous l'aurez constaté, j'ai une vie passionnante. Mais vous ne pouvez pas savoir la frustration que j'ai ressentie quand je me suis aperçu que je l'avais oublié, surtout que j'étais arrêtée à un des moments les plus palpitants du roman.



Il faut savoir que j'ai découvert cet auteur il y a deux ans avec Auprès de moi toujours qui fut une claque magistrale, un énorme coup de coeur, ma meilleure lecture de l'année 2019. La révélation d'un auteur (pourtant déjà auréolé du prix Nobel de littérature quand j'ai fait sa connaissance), d'un raconteur d'histoire, d'un créateur de personnages et d'une plume. Oui, Kazuo Ishiguro pourrait écrire le bottin que je le lirais. Son écriture, à la fois simple et soignée, me ravit; il n'a pas besoin d'en faire des tonnes pour me prendre dans ses filets, et c'est pour moi la marque d'un grand écrivain (c'est très subjectif, bien entendu).



Cet homme, cet écrivain sait raconter des histoires, rendre des personnages réels, arriver à me faire totalement chavirer de leur côté; donner une âme à un robot. Car c'est de cela qu'il s'agit ici.

Klara est ce que l'on appelle une AA, pour Amie Artificielle. Elle a été choisie dans un magasin par Josie, une jeune adolescente malade. Son rôle sera de lui tenir compagnie, l'aider à grandir. Elle est intelligente, Klara, mais elle a surtout un truc en plus: savoir lire les émotions, ce qui la rend, finalement, la plus humaine de tous. L'histoire est racontée de son point de vue et je me suis très vite attaché à elle.



Alors, tout n'est pas parfait dans ce roman, l'auteur suggère beaucoup au lieu de dire clairement, mais ça laisse la place à l'imagination et à l'interprétation du lecteur, ce qui est aussi très appréciable de mon point de vue. La fin, même si un peu trop précipitée, m'a touchée et je n'avais qu'une envie à la fin de ma lecture: relire Kazuo Ishiguro, encore et encore.



Vous l'aurez compris, ce fut une excellente lecture même s'il m'a manqué un je ne sais quoi pour qu'elle soit un coup de coeur.

Je ne suis pas une adepte des nouvelles technologies et autre intelligence artificielle mais cela ne m'a nullement empêchée d'apprécier ce roman. Et, je me répète, l'écriture de l'auteur, servie en prime par une excellente traduction, vaut le coup: ni compliquée, ni tordue, d'une justesse comme je les aime.





Lu en septembre 2021
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Les vestiges du jour

Ce bouleversant roman a été l'occasion de découvrir Kazuo Ishiguro, auteur fraîchement couronné du prix Nobel de littérature.

Il nous offre dans les vestiges du jour le récit à la première personne de Mr Stevens, majordome à Darlington Hall, grande maison anglaise.

On entre facilement dans ce récit particulièrement fluide qui restitue de manière particulièrement réaliste le point de vue d'un homme qui a consacré sa vie à servir les grands de ce monde.

Prenant appui sur le récit d'un voyage à travers la campagne anglaise qu'entreprend Mr Stevens au crépuscule de sa carrière de majordome, Kazuo Ishiguro nous livre l'analyse fine d'un homme qui est passé à côté de sa vie en même temps que le récit bouleversant d'une personne qui n'ose pas s'avouer ses échecs.

On lit ce récit d'un trait et on en sort remué, voire bouleversé.

Un excellent roman dont je ne regrette pas l'acquisition faite à l'origine pour découvrir le dernier prix Nobel.

Voilà qui donne envie de poursuivre un bout de chemin avec cet auteur.
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