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Critiques de Kenzaburo Oé (244)
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Seventeen

« On the Edge of Seventeen » scandait l’ensorcelante chanteuse du groupe Fleetwood Mac, Stevie Nicks.



Kenzaburô Ôé nous rappelle ce qu’on ressent quand on a dix-sept ans. Dernière ligne droite avant le sevrage de l’âge adulte, souvent paumé, anxieux, le jeune y va à reculons.



Le début de la nouvelle jette une lumière crue sur ce malaise adolescent, entre honte de soi et narcissisme exacerbé. Rien n’existe autour, les parents ne sont que des ombres vagues dans le décor de son inconfort, les enseignants des tortionnaires facultatifs, et les camarades des concurrents acnéiques dans une lutte égotique.



Le Prix Nobel de littérature nous donne à voir un univers nippon obsédé par la sexualité contrariée, de même que chez Tanizaki ou Kawabata, le personnage de Ôé est victime d’un désir impulsif et impuissant, se noyant dans une mer séminale, à force d’onanisme désespéré, sur fond entêtant de « Carol » de Neil Sedaka. Usant de cette gêne monochrome et grisâtre, d’une fade lourdeur dont seul l’Empire du soleil levant a le secret, l’auteur japonais parvient magistralement à engluer son lecteur dans ce plasma mortifère page après page.



A 17 ans la force des convictions le dispute à l’ignorance des complexités de l’Histoire. Fatalement, dans un Japon en proie aux affres de la Guerre Froide, le fascisme qui lui coûta pourtant tant de vies n’a pas dit son dernier mot, les seventeen’s sont une proie de choix pour les endoctrineurs d’extrême-droite.

Cependant le mythe de l’homme supérieur et nouveau fait psschit car derrière la terreur il y a le pathétique, le monstre à visage humain.



Il ne faut jamais cesser de vouloir comprendre, de vouloir expliquer. La radicalisation comme une fuite en avant, un oubli de soi dans la masse, l’homme n’étant plus qu’une cellule au service d’un organisme qui le dépasse, le prend en charge et supprime toute capacité à vivre avec l’incertitude.



Au-delà de la rhétorique nationaliste, le radicalisé est à la fois spécial, élu, différent, chose qu’il ne ressentait pas auparavant et toute à la fois il s’oubli, il n’est qu’un maillon, il n’a plus de pensée critique et de volonté propre, ce que résume Ôé dans cette phrase glaçante : « dans la loyauté, il ne peut pas y avoir d’esprit individuel. »



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Gibier d'élevage

Gibier d'élevage est un court récit de Kenzaburo Oé, qui valut à l'auteur de recevoir en 1958 le prix Akutagawa, équivalent de notre prix Goncourt. Kenzaburo Oé a par ailleurs été récompensé du prix Nobel de littérature en 1994. Cette lecture est pour ma première incursion dans son univers littéraire.

Et quelle incursion ! J'en suis encore rudement retourné.

Le récit est ramassé dans une chronique de guerre presque ordinaire.

Nous sommes au Japon, durant la seconde guerre mondiale. Un avion américain s'écrase dans les montagnes japonaises. le rescapé est aussitôt fait prisonnier par les villageois. Or il est noir...

Au tout début, les villageois ne savent pas trop que faire de ce captif. Ils s'en retournent vers le chef du village qui s'enquiert auprès de l'autorité préfectorale du territoire. Bon, vous savez, au Japon comme ici et en plus à cette époque-là et en temps de guerre, bref... Les villageois finissent par poser leur propre loi : détenir le prisonnier selon les conditions qui leur conviennent en attendant que la guerre s'achève...

L'épisode qui nous est livré ici est raconté à la hauteur d'un enfant et cela n'est pas anodin dans la force du propos mais aussi dans le malaise qui résulte de cette lecture. Le narrateur, c'est l'enfant d'un des hommes du village qui a capturé le prisonnier, chargé de nourrir celui-ci et d'enlever ses déjections.

L'homme, le prisonnier, parfois on l'appelle le Noir ou le nègre ou le captif, on ne s'enquiert jamais de son nom, celui qu'il portait avant de chuter ici, avant que d'être réduit à ce que les villageois vont décider de faire de lui : une bête, un animal domestique, domestiqué, le réduire à cela, le cantonner à cela car on ne sait jamais l'animal sauvage peut à chaque instant surgir... On n'en oublierait presque qu'il fut un soldat ennemi, cela ne compte plus désormais, il devient peu à peu étranger à toute humanité et c'est terrifiant.

L'écriture est une prouesse littéraire et contribue à porter un récit extraordinaire dans sa densité, sa sauvagerie, sa capacité effroyable à dénoncer la folie et la bêtise humaine. Son acuité, sa pertinence à venir fouiller les tréfonds de notre âme.

Vu à la hauteur d'un enfant, cet enfant du récit, il existe encore en lui l'hésitation d'un regard, la naïveté de l'étonnement, l'émerveillement, la tentative d'une complicité avec celui qui est étranger, différent... Mais il y a aussi le poids de la paternité, de la parole officielle, celle qui conditionne... Mais il y aussi une sorte de méchanceté naïve, enfantine... La puissance narrative, aidée d'une construction subtile du récit, nous plonge de manière troublante dans son esprit et rend totalement inconfortable la lecture.

L'homme prisonnier est réduit à l'état d'animal, il n'a pas le choix il accepte son sort docilement.

Le récit est traversé de scènes parfois cocasses, peuplées d'enfants qui s'amusent comme on s'amuse avec un animal qu'on apprivoise peu à peu.

De cette tendresse qui existe, qui naît parmi les gestes fraternels des enfants, on se dit qu'il va se passer quelque chose, on guette l'humanité qui pourrait jaillir comme une source au hasard d'un chemin...

J'y ai lu la force d'une parabole intemporelle, celle qui dit la bestialité qui gît dans l'humanité, cette humanité qui hésite encore à grandir dans les yeux étonnés de l'enfance...

C'est une lecture difficile, éprouvante, parfois dérangeante, d'un texte superbe, celui d'un grand auteur.

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Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants

A priori, les listes genre « Les 1001 livres à lire avant de mourir » m’indiffèrent et même me font ricaner -Le côté emphatique, ben oui à lire avant de mourir c’est mieux, parce qu’ensuite on n’est sûr de rien et aussi le côté littérature à thèse, 1984 en tête de gondole, Dieu sait que je n’ai rien contre 1984 mais enfin ce n’est pas Le Livre le plus exceptionnel de tous les temps. Mais, soyons juste, un tel recensement a l’immense avantage de ne pas être euro-centré, et encore moins franco-centré; me voilà donc à piocher de la littérature japonaise -ce qui s’apparente chez moi à une vaste terra incognita- et à ouvrir ce court roman au titre énigmatique.

Eh ben c’est la claque. Comme si son auteur avait décidé d’accumuler tous les trucs les plus difficiles à accomplir en fiction -et à chaque fois c’est une réussite totale. Narration à la première personne, sans être un roman de formation. Personnages frustres, ô combien, décrits sans le moindre écart stylistique, ni condescendance, à hauteur d’auteur. Tragédie absolue, sans pathos, âpre et radicale.

C’est un adolescent qui parle, aucun doute, un ado roublard et brutal, naïf et pitoyable et le grand écrivain qui lui prête sa voix parvient à le rendre intensément réel sans jamais s’effacer et jamais l’ado ne dégrade le romancier ni le romancier ne phagocyte le jeune homme.

Bref c’est un chef d’oeuvre

Et je m’en vais ravaler mes blagues à 2 balles pour explorer consciencieusement les 1000 titres qui m’attendent encore.
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Une affaire personnelle

Glaçant, écoeurant ce livre et pourtant lu d'une traite, en apnée, avec la nausée certes. Il faut dire que l'auteur présente son personnage principal immédiatement de façon très antipathique, de manière à ne pouvoir l'aimer. Un être méprisable, nauséabond. Tant psychologiquement que physiquement. Un homme lâche et menteur.



Un homme de vingt-sept ans, surnommé « Bird » depuis l'âge de quinze ans, petit et mince, aux épaules recroquevillées telles celles d'un vieillard, au nez luisant et crochu ressemblant à un bec, aux yeux brillants, d'une couleur indécise, n'exprimant pas d'émotion, aux lèvres minces toujours serrées, au visage en forme d'un V pointu. Un homme frêle ressemblant à un oiseau fragile. Un alcoolique, sentant la sueur et à l'haleine fétide. Voilà notre homme peu ragoutant qui va devenir papa. Avant même l'accouchement, Bird sait que l'arrivée de cet enfant va fermer définitivement la porte à sa liberté et notamment à son rêve le plus cher, le seul rêve : aller en Afrique. Il semble être enfermé dans une cage, dans son rôle de mari alors qu'il a le dégout des femmes, redevable envers sa belle-famille à qui il doit son emploi (sorte de chargé de cours dans une boite à bac). Bird s'est marié à vingt-cinq ans, en mai, et « au cours de ce premier été il n'avait pas dessoûlé pendant quatre semaines, Robinson abruti en perdition sur un océan d'alcool. Négligeant ses obligations, son travail, ses études, se désintéressant de tout, il passait ses journées et ses soirées enfermé dans la cuisine de son appartement, les volets clos, à écouter des disques en buvant du whisky. » Pas la peine de vous dire que l'arrivée de cet enfant l'angoisse terriblement. Il n'a pas les épaules pour être un mari responsable, il ne les a encore moins pour être papa.



Le comble : cet enfant est lourdement handicapé ; il souffre d'une hernie cérébrale et est difforme avec sa boursouflure énorme sur son crâne. Comme s'il avait deux têtes. Un handicap très rare. Nous le pressentons immédiatement, ce bébé le renvoie à sa propre monstruosité et la honte aussitôt éprouvée est celle qu'il porte sur lui-même. Une punition. D'ailleurs tout le monde semble le regarder lui à la maternité, comme si personne n'était dupe de sa nature méprisable, et non le bébé. Honte qu'il tente d'oublier en se soulant le jour même de l'accouchement et en couchant avec une femme à la dérive, qu'il avait vaguement violé dans le passé, ivre et quasi inconscient. Une fuite ignoble. Une envie de voir mourir cet enfant. Mais lâche et menteur comme il est, il préfère que ce soit le corps médical qui se charge de cette basse besogne. Mais l'enfant ne meurt pas « Apparemment, il n'était plus sur le point de mourir, et cette pensée oppressait Bird. Plus question de se réfugier dans un chagrin facile. L'enfant commençait à vivre, férocement, en traînant le boulet de sa difformité. Mènerait-il une existence de végétal ? ». Bird est incapable d'agir, n'a pas le courage d'être soit un monstre et le tuer lui-même ou un ange en décidant de le sauver via une opération.



Contre toute attente, Bird choisira finalement l'opération pour sauver cet enfant. C'est pour lui qu'il le fait, seul espoir qui lui reste de ne plus être un homme qui fuit sans cesse ses responsabilités. Cette expérience le fera grandir. Ce livre se révèle être une fable piquante, mettant en valeur ce que peuvent apporter les épreuves dans la vie. Même sur un être aussi répugnant que Bird.





L'ambiance est oppressante grâce à une écriture nerveuse, surprenante, à la margelle du rêve, de la folie, elle fait mouche et nous met dans la peau de cet homme, nous donne à voir et à ressentir cette oppression. J'avais l'impression de suer, de mal respirer, d'être regardé avec suspicion, de sentir cette odeur rance et fétide. La scène où Bird regarde tous les nouveaux nés regroupés dans une salle afin de trouver le sien est juste incroyable, je vous mets un petit passage afin de vous donner une idée de cette écriture puissante : « Obéissant à ces regards, Bird plia les genoux et jeta un coup d'oeil dans l'incubateur le plus proche. Il y vit un bébé à peine plus gros qu'un poulet plumé, avec une peau bizarrement marbrée ou crevassée. Il était nu, un petit sac de vinyle enveloppait son minuscule pénis et il avait de la gaze sur le nombril. Tel un nain sur une illustration de conte de fées, il parut regarder Bird avec une expression d'antique circonspection, comme si lui aussi avait participé au jeu des devinettes. Bien que ce ne fût manifestement pas son fils, cet enfançon silencieux, au visage de vieillard prématuré, inspira à Bird une curieuse sympathie. »



Selon moi, Bird est la version caricaturale et exagérée de l'auteur qui a eu lui-même un enfant handicapé, et qui a du confusément ressentir ce qu'a ressenti Bird en termes de honte, d'envie de fuite, d'envie de mort. Kenzaburo Oé a voulu analyser son histoire personnelle, faire ressortir ses sentiments honteux et inavouables qu'instinctivement il a probablement du éprouver. Son expérience personnelle amplifiée tel un exutoire. Son affaire personnelle. Cette face sombre et glauque à la fois universelle et taboue, tue et combattue en société, par la société. Une affaire personnelle qui peut être celle de n'importe qui. Ecrire l'indicible, écrire l'instinct. La vomir pour s'en délester. Par moment c'est non plus Bird mais Kenzaburo Oé que nous entendons parler : « Ce qui m'arrive me donne l'impression que je m'enfonce, seul, dans un tunnel sans fond, en m'éloignant de plus en plus du monde des autres. Comment faire partager à quiconque ce que j'éprouve ? ». Son histoire personnelle liée à son fils handicapé est présente dans d'autres livres qu'il me faut absolument découvrir.



Merci à @Bison qui m'a ouvert une porte en chroniquant « Gibier d'élevage » du même auteur.





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Seventeen

Bonjour, aujourd’hui j’ai 17 ans. C’est mon anniversaire et tout le monde s’en fout royalement. Personne ne se souvient de cette date, pourtant 17 ans cela devrait compter, même pour mes parents. Mais bon tant pis, je ne vais pas chialer sur mon sort. Tiens, et si j’allais me branler dans la salle de bain en pensant à ma sœur.



Il n’est jamais trop tard, ni trop tôt, comme il n’y a pas d’âge pour se branler. Des années de pratique qui se transforment en années d’expériences. De l’adolescence à la découverte de son corps, en passant par l’âge adulte, le plaisir solitaire fait partie de ma vie. Et de toi à moi qu’il est bon de se masturber et de voir les étoiles scintiller au moment d’éjaculer tout son potentiel.



Kenzaburo Oé met en scène ce jeune garçon, cet être frêle et solitaire, un être fait de chair et de sperme qui passe ses journées à se masturber et affranchir ainsi son plaisir d’un orgasme puissant. Le mal-être de l’adolescence, mal qui inonde la jeunesse de nos jours, terrible fléau d’une société trop bruyante et trop avide de pouvoir. Alors, ce plaisir solitaire le soulage, en même temps qu’il l’enferme dans un carcan. Toujours plus solitaire, toujours plus sombre.



Jusqu’au jour, où sur un stade pour une compétition lycéenne, il croise le chemin d’un mouvement d’extrême-droite. L’esprit faible, il découvre ce nouveau monde. L’uniforme qui lui donne une autre stature, cette sensation de pouvoir qu’un brassard au bras lui donne. Subitement, il n’est plus transparent, les gens semblent le respecter, le craindre même. I’ve got the power, maudits envahisseurs du Pacifique. Il retrouve goût à la vie, la puissance en plus. Il devient fière, hautain, sûr de lui, il est d’extrême-droite !



Kenzaburo Oé a eu quelques problèmes avec ce court roman, qui se lit presque aussi rapidement qu’une branlette matinale. Apparemment, l’extrême-droite n’a pas aimé voir ainsi caricaturé une de leur jeune recrue. Ma foi, est-ce sa faute, si l’esprit abandonné peut facilement être embrigadé par de beaux discours politiques et y adhérer, corps et âme. Ma foi, est-ce sa faute, si à 17 ans, on pense aussi souvent à se masturber qu’à boire une bière, et ce n’est certes pas l’apanage de l’extrême-droite de se branler dans une salle de bain. Et puis, putain, si tous les jeunes de 17 ans – et les moins jeunes même – qui se masturbent finissent dans l’extrême-droite, le monde serait franchement bien mal barré. Tiens, moi, est-ce que je suis de l’extrême-droite, et pourtant…
Lien : http://leranchsansnom.free.f..
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Seventeen

Il se pense laid et sans intérêt. Il est complexé, introverti. Sans cesse titillé par ses pulsions sexuelles, il passe son temps à se masturber mais son plaisir est de courte durée, très vite, la honte et le dégoût prennent le dessus. Au lycée, il n'a pas d'amis. A la maison, il ne rencontre que l'indifférence de sa famille. D'ailleurs, il vient de "fêter" ses 17 ans et ses parents n'y ont même pas songé. C'est un adolescent mal dans sa peau dans le Japon des années 60, pas encore remis de la défaite de 45. Mais lui n'est pas engagé politiquement. Il se dit de gauche, simplement. C'est pourtant à droite, et même à l'extrême droite, qu'il va trouver un nouveau sens à sa vie. Approché par un camarade de classe, il est engagé pour applaudir lors des meetings politique du parti de l'Action impériale. Et très vite, il se prend au jeu, emporté par le charisme de son leader. Radical et violent, le parti lui offre enfin l'occasion d'exprimer toute sa frustration et sa colère. Fort de son appartenance à un groupe, fier de porter l'uniforme, il devient l'homme puissant et cruel qu'il a toujours rêvé d'être.





Ecrite dans les années 60 alors que le Japon subit une poussée nationaliste, Seventeen est une nouvelle qui s'inspire d'un fait réel : le meurtre par un adolescent d'un leader socialiste. Kenzaburô ÔE y dénonce la façon dont les partis extrémistes jouent avec la fragilité d'une jeunesse en perte de repères pour en faire des robots prêts à tout. Son héros, perdu dans une famille qui se délite et un pays qui panse encore ses blessures de guerre, passe lentement d'opprimé à oppresseur, d'agressé à agresseur, de vaincu à vainqueur. Violence et cruauté montent en puissance, tout le mépris et la haine qu'il éprouvait contre lui-même trouvent un autre coupable vers qui se tourner. Ce sont les autres qui désormais sont laids et sans intérêt, ce sont les socialistes, les rouges qui dirigent le pays vers sa perte et doivent être combattus par tous les moyens. Marionnette d'un leader qui sait caresser dans le sens du poil, l'adolescent se sent grand et fort, patriote et sûr de son bon droit.

Belle description du parcours d'un jeune homme en mal d'identité qui bascule dans la sauvagerie, Seventeen est un texte sombre et dérangeant qui trouve encore un écho des décennies plus tard, l'adolescence, période troublée de questionnements et de malaises, étant le terrain propice dans lequel les extrémistes cherchent toujours à planter la graine de la haine.
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Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants

En lisant Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants, on sait dès le titre qu'on n'entre pas dans cet univers contemplatif si caractéristique d'un pan de la littérature japonaise. Ôè Kenzaburo démontre ici qu'ils sont très forts dans le domaine du réalisme le plus cru.



Pendant la seconde guerre mondiale, les jeunes garçons d'une maison de correction sont conduits jusqu'à un village perdu dans la montagne afin d'échapper aux bombardements aériens. Mal nourris, harassés, ils doivent en outre subir injures et humiliations dans chaque village traversé. Une fois parvenus à leur refuge, les villageois leur font très explicitement comprendre qu'ils sont des "bouches inutiles et indésirées". Alors que les animaux meurent en nombre d'une mystérieuse maladie ainsi que quelques humains, tout le village s'enfuit, bloquant le seul passage possible. Les enfants se retrouvent abandonnés et prisonniers.



Difficile de ne pas se sentir ébranlé et bouleversé par cette terrible histoire. L'auteur la place dans la bouche du narrateur, adolescent accompagné de son petit frère. Celui-ci, envoyé à la maison de correction par son père afin d'être évacué avec son aîné, est le personnage le plus pur du roman. Son innocence représente le pivot qui maintient le fragile équilibre du groupe abandonné



Ôè Kenzaburo imprègne son récit d'une force incroyable. Les émotions s'exacerbent et s'entremêlent dans cette situation si particulière. Je quitte son ouvrage éreintée, coeur et gorge serrées. Voilà un livre que j'ai envie de faire découvrir à mon entourage, malgré la noirceur dramatique. Pour partager la puissance narrative et l'engagement intellectuel si palpable de l'écrivain.
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Tribu bêlante

Je vous recommande d'écouter la nouvelle Tribu bêlante (1958) sur le site de France culture. Cette version audio de 56 mn précédée d'un entretien avec l'auteur ( 1987) est particulièrement réussie. C'est une nouvelle très riche, dérangeante et marquante.

Un soir d'hiver, le narrateur, un étudiant fatigué, monte dans un bus de banlieue bondé. Il se retrouve à côté d'un groupe de jeunes soldats étrangers souls et surexcités par l'alcool. L'un d'eux tient sur ses genoux une fille ivre elle aussi qui essaye de se défaire des soudards en vociférant. Les autres voyageurs japonais détournent le regard et l'étudiant se claquemure en lui-même. Elle vient s'affaler contre l'épaule du narrateur en beuglant des injures contre les étrangers. Elle prétend qu'elle va coucher avec l'étudiant. L'instituteur japonais le regarde avec réprobation. Au moment où l'étudiant se lève peut se débarrasser d'elle, l'autobus vire brutalement et il doit s'accrocher. La fille se retrouve par terre les jambes écartées comme un poulet . Alors l'un des soldats empoigne l'étudiant par la peau du cou et lui hurle quelque chose, un couteau à la main...



La nouvelle est formidable. Les descriptions saisissantes. L'humiliation, le sadisme, la passivité ou la lâcheté sont vus à travers le regard du narrateur complètement impuissant. le lecteur est amené tantôt à compatir, tantôt à vouloir le secouer. Ensuite le regard du narrateur nous amène à suivre la réaction des victimes et de ceux qui ont été épargnés par les soldats. Ceux qui faisaient semblant de ne rien voir regardent de haut ceux qui baissent la tête. Enfin le récit se focalise sur deux personnages. L'instituteur, qui a été épargné, poursuit impitoyablement l'étudiant épuisé pour qu'il porte plainte jusqu'au poste mais celui ne veut rien dire, ne pas se nommer...









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Le faste des morts

Les trois nouvelles du recueil sont exigeantes et dérangeantes. Elles ont été écrites de 1957 à 1961 par un jeune homme profondément marqué par la violence de la guerre et celle de l'après-guerre au Japon. Elles sont assez différentes mais traitent toutes du mal de vivre d'adolescents déboussolés et désespérés, incapables de trouver leur place dans une société japonaise hiérarchisée et déresponsabilisée. Ils sont en proie à des pulsions morbides.



1) le Faste des morts (1957) ****

Le narrateur est un étudiant en lettres qui a trouvé un travail méprisé à la morgue de la fac de médecine. Il déplace des cadavres d'une cuve à l'autre en compagnie d'une fille enceinte. Ce travail se révèlera absurde suite à une erreur que personne ne voudra endosser. L'odeur pestilentielle et l'atmosphère suffocante créent le malaise au propre et au figuré. Les corps des cadavres côtoient ceux des vivants et bientôt le narrateur dialogue intérieurement avec un soldat mort. Quand la guerre s'est terminée, les adultes ont digéré sa dépouille, pas les enfants.



2) le ramier (1958) ***

Le narrateur a quatorze ans. Il fait partie d'un groupe d'adolescents incarcéré dans une maison de redressement. Il décrit sans complaisance la violence des gardiens mais aussi celles des rapports de fascination et de domination sexuelle au sein du groupe. Pour monter dans la hiérarchie et être protégés par "le marin", les adolescents se lancent dans un concours morbide. Il faut prendre la vie d'un animal et l'exhiber pour être reconnu et protégé. le narrateur raillé par "la femme" du marin entre dans le jeu.Le fils du directeur, un métis aux yeux bleus, se lance aussi dans la compétition. La vie du narrateur va alors basculer. La nouvelle est vraiment très dure, jusqu'au bout.



3) Seventeen (1961) *****(je reprends le billet dédié à cette nouvelle)

Une nouvelle forte et dérangeante qui s'intéresse à la formation d'un militant d'extrême-droite dans les années soixante. Elle est inspirée d'une histoire vraie.

Le narrateur, anonyme, a dix-sept ans ce jour-là. Sa famille oublie son anniversaire à l'exception de sa soeur, infirmière dans les Forces d'auto-défense. il n'a pas d'ami Il passe son temps à se masturber, en rêvant de beauté, de puissance et de gloire. La réalité est toute autre, il se trouve très petit, très laid, trop sensible. Il angoisse au point d'uriner de honte au cours d'un huit cent mètres où il est largué devant les filles...

La narration à la première personne fait que l'on s'attache à ce teenager empoté, omnibulé par ses pulsions sexuelles , rongé par la culpabilité et capable de soudains excès de violence. Il est en quête de reconnaissance qui ne viendra malheureusement qu'associée à un groupuscule nationaliste d'extrême droite. A travers ce personnage, Kenzaburô Oe nous parle aussi du Japon déboussolé des années soixante.

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Gibier d'élevage

Voici une longue nouvelle de Kenzaburo Oé...nouvelle qui a reçu le prix Akutagawa en 1958, l'équivalent du Goncourt japonais.



Le résultat est là, car en une petite centaine de pages de gros caractères d'une histoire en apparence très simple, l'auteur nous amène à réfléchir sur différentes thématiques touchant à la conscience humaine.



Pendant la guerre, un avion américain s'écrase dans la nature japonaise. Son occupant est un soldat noir, qui va aussitôt être prisonnier des habitants du village proche. En attendant les ordres de l'administration sur la conduite à tenir, on le fait croupir comme une bête dans une cave. Mais bientôt, devant l'attentisme des adultes, les enfants du village, dont le narrateur, vont s'occuper de lui...



Cette nouvelle est une réussite du genre, concentrant en seulement quelques dizaines de pages la progression dramatique, réservant des coups de théâtre, traduisant remarquablement les sentiments ambivalents de l'enfant narrateur et de ses amis et leur perception de ce Noir, à leurs yeux homme-animal (on le nourrit, on joue avec, on le scrute sous toutes les coutures, y compris lorsqu'il fait ses besoins...).



Dans leurs yeux, leurs paroles, leurs actes, on découvre la curiosité, la peur, la haine, la pitié, et évidemment la xénophobie, l'acceptation de l'Etranger dans la mentalité japonaise n'allant pas de soi et faisant question de manière constante.



Mais Oé est subtil (pas prix nobel de littérature pour rien !), l'enchevêtrement des thèmes forge une oeuvre plus complexe et moins monolithique qu'il n'y paraît, qui interroge sur la nature de l'Homme, ce qui le différencie de l'animal...



On voit poindre également chez l'enfant les notions de découverte du corps, de la sensualité, de la sexualité, qui lorsqu'il s'agit d'un autre homme, qu'on perçoit quasi comme une belle bête, créent une forme de trouble pervers.



Ce texte riche et superbement écrit sans pour autant céder aux artifices, prend finalement l'allure d'un récit initiatique et philosophique, et d'une dénonciation de la folie et de la bêtise humaine.
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Gibier d'élevage

Un village isolé dans les montagnes japonaises. Des hommes rudes, pauvres, peu éduqués. Une vie quasi autarcique, quelques incursions dans la vallée, peu de contacts avec l'extérieur. Et au loin, la guerre. Une guerre qui va s'immiscer dans le quotidien de ces gens simples et ignorants en la personne d'un aviateur américain dont l'avion est tombé dans les montagnes. Un américain, oui, mais pas vraiment un ennemi. Un noir. Un animal. Enchaîné, jeté au fond d'une cave, observé, surveillé, puis finalement confié aux enfants, apprivoisé comme un animal domestique. Et la guerre s'éloigne à nouveau devant un quotidien embelli par cette présence exotique. Jusqu'au jour où les autorités prennent enfin une décision. Le prisonnier se rebelle, redevient l'ennemi à abattre.



C'est par la voix d'un des enfants que Kenzaburô Ôé raconte cette rencontre incongrue entre des montagnards japonais et un pilote américain noir. Leur premier noir. La frayeur, la curiosité, l'admiration, l'attachement. Le bonheur de posséder un si bel animal. Aucune communication n'est possible, ni même envisagée, mais des moments sont partagés, des liens se créent. Et pourtant...Quand l'ignorance, la bêtise, la folie s'en mêlent...Le noir s'est plié aux traitements imposés par les villageois, il a partagé les jeux des enfants, a accepté son statut d'animal de compagnie. Mais quand il résiste, c'est la mort qui l'attend. Comme une bête rétive et dangereuse qu'on abat quand elle se retourne contre son maître.

Court roman ou longue nouvelle, Gibier d'élevage est une dénonciation de la folie humaine, de la violence née de l'ignorance. Une lecture dérangeante mais nécessaire.
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Moi, d'un Japon ambigu

J'admire énormément Kenzaburo Oé, né en 1935. L'écrivain révolté et dérangeant mais aussi poète et humaniste ; l'intellectuel engagé contre le nucléaire et le nationalisme mais aussi le père de Hikari, handicapé mental devenu compositeur.



J'ai lu uniquement le discours de réception du prix Nobel 1994 intitulé aussi "Moi, d'un Japon ambigu". Il permet de se faire une idée de son univers en quelques pages limpides. le texte est clair et sobre. Kenzaburo Oé commence par évoquer son enfance au coeur de la forêt sur l'île de Shikoku pendant que la guerre fait rage. La forêt est source d'apaisement. Il lit Les Aventures de Huckleberry Finn et le Merveilleux voyage de Nils Holgerson à travers la Suède. Oé voulait apprendre le langage des oiseaux comme Nils. C'est son fils Hikari, retardé mentalement qui réalisera cette expérience et deviendra compositeur. Depuis l'enfance, Kenzaburo Oé vit donc en littérature. Il se sent plus proche d'un Keats que d'un Kawabata, son compatriote nobélisé en 1968. Celui-ci s'était présenté ainsi : "Moi d'un beau Japon". Oé le respecte mais il prend ses distances avec lui en disant Moi d'un Japon ambigu et en s'exprimant en anglais. Pour Oé le Japon moderne est fondamentalement déchiré depuis 1868 entre l assimilation et le rejet de l'occident, ce qui a conduit le Japon au pire. Les Japonais doivent assumer ce passé en particulier leur rôle d'envahisseur de l'Asie tout en maintenant la part d'ombre difficile à comprendre des occidentaux. A l'ère post-moderne (on est en 94) l'ambivalence est toujours là dans la prospérité économique et l'hyperconsommation, mais aussi dans la contestation du serment de non-belligérance fondateur du Japon de l'après-guerre, il faut être vigilant.

Oé rend hommage à son mentor Kazuo Watanabe, spécialiste de la littérature française de la Renaissance. Au milieu de la dernière guerre et du fanatisme patriotique, il se démenait pour ajouter l'humanisme aux conceptions traditionnelles des japonais quant à la beauté et à la nature. Il a traduit Rabelais en japonais et lui a enseigné le "réalisme grotesque". Enfin Kenzaburo Oé clôt son discours par un touchant retour à la musique d'Hikari.

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M/T et l'histoire des merveilles de la forêt

M/T et l’histoire des merveilles de la forêt. Cet étrange et irréel univers est pourtant presque véridique. Le narrateur (Kenzaburô Ôé lui-même) raconte son village natal tel que le lui racontait sa grand-mère quand il était très petit, les aînés des environs, et sa mère plus tard. Une histoire remplie de légendes mais aux accents de vérité. Quand on dit que la réalité dépasse parfois la fiction… Ou bien les mythes se mélangent avec. Dans tous les cas, un monde fascinant. Un amateur (et connaisseur) de l’écrivain Kenzaburô Ôé reconnaitront quelques éléments de sa vie. Sa naissance dans un village au cœur d’une forêt, juste avant la Seconde Guerre mondiale, la naissance de son fils handicapé qui deviendra compositeur, etc. Une autobiographie ? Un legs ? La clé pour comprendre son œuvre unique, tant de la littérature japonaise que mondiale ?



Dans tous les cas, est-ce que j’ai aimé ? Oui, non, souvent, parfois. Cette étrange histoire m’a laissé perplexe plus d’une fois. Un début prometteur, qui « mettait en scène » un décor idyllique, campagnard, propice à la magie de la nature et aux apparitions de créatures fantastiques qui ont bercé l’enfance. D’ailleurs, assez rapidement, l’auteur-narrateur introduit la géante Oshikomé ou le guerrier légendaire Meisuké. C’est qu’on remonte loin, jusqu’à la fondation du village par l’ingénieuse Oobaa et « le destructeur » ainsi que leurs compagnons.



Malheureusement (ou heureusement, selon les goûts), ces légendes sont difficiles à résumer tellement elles sont complexes et éclatées en nombreuses actions secondaires et considérations philosophiques, sociales ou autres. Sans oublier les passages qui mettent en vedette l’auteur-narrateur, qui débutent, finissent ou même entrecoupent les différents chapitres. Et il y a souvent des parralèlles à faire entre les deux trames.



Aussi, cet entremêlement est présenté d’une manière qui me semblait étrange, comme si Ôé passait du coq à l’âne. Par exemple, au début du chapitre 17, il annonce la mort de son père peu de temps après celle de sa grand-mère. Je me serais attendu à plus de détails mais non (est-ce si trivial ?), il passe à l’incident du « nid des vandoises ». J’allais l’accuser d’incohérence – grand mal m’en aurait pris ! – avant de saisir qu’il s’agissait d’une technique. Du moins, c’est ce que je crois. N’empêche, ça ne rend pas la lecture plus facile. Ça aura au moins l’avantage de forcer le lecteur à être attentif, à relaxer et à se laisser raconter l’histoire au lieu d’essayer d’échafauder des dizaines d’hypothèses pour donner un sens à cet univers magique. Certaines choses sont ainsi faites et il n’y a pas d’explications à trouver, ou bien ces explications doivent attendre.



En effet, plus on avance dans la lecture, plus on se rend compte qu’on a affaire à un esprit classique (certains diraient borné) et que l’auteur-narrateur nous ramène invariablement à son histoire première et au message qu’il veut transmettre. D’ailleurs, pour être complètement honnête, je le cherche toujours, ce message. J’ai quelques idées, évidemment, mais je crois que je suis encore en train de « digérer » ce roman.
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Une affaire personnelle

L’histoire s’ouvre sur une carte de l’Afrique que contemple Bird, notre héros sur le point de devenir père, et l’on comprend vite qu’il n’atteindra pas sa terre promise.

L’annonce de la naissance vient, son fils est anormal. Commence alors pour Bird un cauchemar éveillé, une spirale de fuite pleine de désir et de frustration, d’errance alcoolisée dans une ville interlope la nuit et entre pression familiale et corps médical oppressant et hypocrite le jour, de refuge dans les bras d’une jeune paumée, de démarches malgré tout difficilement assumées, d’envie d’en finir, jusqu’à l’éclair au bout du tunnel.

Un roman à l’atmosphère lourde comme le poids des responsabilités et de la pression sociale sur les jeunes épaules de Bird, velléitaire et antipathique mais dont la faiblesse a fini par attirer ma compassion. Je ne suis pas sûre de fait que le ‘ouf’ poussé lors du retournement dans la scène finale du roman soit l’expression d’un soulagement.

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Une affaire personnelle

À vingt-sept ans, Bird devient père. Enfin, génétiquement parlant car en vérité, il ne se sent pas père. D'autant moins que son bébé est né anormal. Et les médecins font peu de cas de son handicap et de sa vie. Bird, lui-même attend la mort de son bébé. Il ne veut pas le voir, pas l'entendre et pas le nommer. Il attend...



La lecture de ce court roman est une épreuve. Une épreuve pour le père bien sûr, en butte à ses interrogations. Pour la mère que l'on tient éloignée de la réalité. Et pour le lecteur qui aborde un véritable cas de conscience.

Le lecteur est au cœur des réflexions du père, atteint dans son intégrité physique (comment a-t'il pu engendrer un tel monstre), dans ses rêves (il voulait partir visiter l'Afrique), dans ses projets de vie. On vit le cauchemar avec lui et rien n'est épargné au lecteur de sa longue descente aux enfers.

Car Bird fuit. Il fuit ses responsabilités, ce choix impossible à faire : laisser mourir le bébé ou l'accepter tel qu'il est. C'est d'abord dans l'alcool qu'il trouvera un semblant d'accalmie, puis dans les bras d'une maîtresse. Mais ni l'un, ni l'autre ne lui offriront de réponse et c'est seul qu'il la trouvera.



C'est une lecture difficile, douloureuse et cruelle à la fois. C'est une lecture dont on ne tire aucun plaisir. Non pas que l'écriture soit gênante ou mal composée, c'est le thème abordé qui est pesant, lourd, révoltant. Les mots crus claquent, choquent. L'égoïsme de Bird met mal à l'aise. Mais bien sûr, cette façon d'être, on le comprend à la lecture, n'est que la marque d'un profond désarroi face à la réalité.



Et en faisant des recherches sur cet auteur, j'ai appris que l'histoire de Bird et celle de Kenzaburo Ôé se confondaient...

C'est un roman difficile à lire, mais c'est un roman qui soulève une vraie question, celle de la vie, de l'existence et du sens qu'on donne à celle-ci.


Lien : http://mes-petites-boites.ov..
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Seventeen

Japon, années 60.

Notre héros a 17 ans aujourd'hui. Mais cette journée se passe sans qu'aucun membre de sa famille ne lui souhaite son anniversaire. Cette indifférence le blesse profondément, même s'il s'en défend. de ce fait, il va alors faire sa propre introspection : pas beau, pas d'ami(e), sujet à la masturbation intense (ce qui l'attire et le dégoûte en même temps)... Bref, il est pétri de complexes et mal dans sa peau. Il se déteste et déteste les autres.

Et puis, un peu par hasard, il assiste à un meeting d'Action Impériale, un mouvement d'extrême droite. L'orateur est un fin tribun et l'adolescent se laisse porter par ses mots, par ses idées. Il se reconnaît dans les paroles du dirigeant, d'autant plus que celui-ci lui annonce bientôt qu'il est l'Elu, son digne successeur.

Son avenir s'éclaircit : il est pris en charge, on lui propose un uniforme, on lui confie des missions. Enfin, il est quelqu'un. Enfin, il n'a plus peur. Enfin, il trouve sa place dans la société, quitte à user de la violence.



En quelques pages, Kenzaburô Ôé nous montre comment les extrémistes arrivent à capter l'attention des jeunes, au moment où ceux-ci sont fragilisés dans leur recherche identitaire, comment la haine germe sur ce terreau fragile et spongieux, chez ces jeunes avides de reconnaissance et de gloire.



Une nouvelle coup-de-poing, inspirée de faits réels.

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Seventeen

Une nouvelle forte et dérangeante qui s'intéresse à la formation d'un militant d'extrême-droite dans les années soixante. Elle est inspirée d'une histoire vraie.

Le narrateur, anonyme, a dix-sept ans ce jour-là. Sa famille oublie son anniversaire à l'exception de sa soeur, infirmière dans les Forces d'auto-défense. il n'a pas d'ami Il passe son temps à se masturber, en rêvant de beauté, de puissance et de gloire. La réalité est toute autre, il se trouve très petit, très laid, trop sensible. Il angoisse au point d'uriner de honte au cours d'un huit cent mètres où il est largué devant les filles...

La narration à la première personne fait que l'on s'attache à ce teenager empoté, omnibulé par ses pulsions sexuelles , rongé par la culpabilité et capable de soudains excés de violence. Il est en quête de reconnaissance qui ne viendra malheureusement qu'associée à un groupuscule nationaliste d'extrême droite. A travers ce personnage, Kenzaburô Oe nous parle aussi du Japon déboussolé des années soixante.

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Le faste des morts

Sans que ça n'ait été un choix prémédité, je me rends compte que je découvre l'oeuvre de Kenzaburo Oé, depuis des années, à rebours: me voilà arrivée au but, à la naissance de l'auteur en tant qu'auteur, c'est-à-dire à ces trois nouvelles, écrites alors qu'il avait 21 ans seulement, et parfaitement maitrisées.



Comme tous ses romans de jeunesse, son écrit est violent, glauque et sans concession; et pourtant magnifique, bouleversant et sensible.

Les protagonistes de ces trois récits semblent jetés dans un monde comme on le serait dans le tambour d'une machine à laver en marche: tributaire du cours de la vie, dans l'incapacité de décider de leurs actes et destins, soumis à une violence absurde. La première nouvelle qui donne aussi son titre au recueil sa passe dans la morgue d'un hôpital: deux jeunes étudiants y sont engagés pour transférer sur une journée des dizaines de cadavres flottant dans une cuve de conservation dans une autre. Le jeune narrateur se voit confronté à ce monde inversé des morts et semble un instant perdre pied face au monde des vivants. Le deuxième récit, mon préféré, se passe dans l'un de ces centres de redressement pour jeunes ados délinquants (ça m'a fait penser aux Quatre cents Coups mais aussi à Genet) coupés du monde et de ses règles.

Le troisième, je l'avais lu il y a quelques années et s'avère incroyablement contemporain par rapport à ces fusillades qui ont lieu un peu partout dans nos sociétés avancées.

C'est un peu comme boire cul sec un shot d'alcool fort qui reste là à brûler la gorge encore longtemps après, violent et puissant.



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Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants

Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants. Le ton est donné dés le titre. Ici pas de place pour une évocation sensible du monde, ni pour la noblesse des sentiments. On est au cœur de la haine et la violence dans un Japon en pleine bourrasque, l’auteur ayant choisi pour cadre le Japon de la seconde guerre mondiale.





A quelques mois de la capitulation, sous le feu des bombardements ennemis, la population des villes se réfugie dans les campagnes. Parmi elle, des enfants d’une maison de correction dont le narrateur et son petit frère. Echoués dans cette institution parfois pour des faits étrangers à la délinquance, ils prennent la route d’un village isolé, perdu au milieu d’une forêt dense sur le flanc de la montagne, accessible uniquement par un wagonnet "sur des rails qui enjambaient la vallée", escortés de leur éducateur et des regards méprisants des paysans croisés sur leur chemin. Ils sont sales, ont des manières assez primaires et peu d’instruction. On se dit que la rencontre entre ces jeunes criminels de la ville et les villageois chargés de les accueillir que l’on imagine paisibles s’annonce rude.

Rude, glaciale, hostile, elle le fut, mais pour les enfants, qui seront enfermés dans un hangar lorsqu’ils ne seront pas chargés d’accomplir des tâches ingrates à la place des paysans. Une maladie mortelle s’insinue au sein du village, l’hostilité se transforme en haine fiévreuse… et le village en un piège qui se referme douloureusement sur les réfugiés.





Du monde extérieur, ces jeunes n’en découvrent que sa face la plus abjecte. Cynisme, barbarie, humiliation, ils sont les témoins de ce que l’auteur appelle sans cesse une "époque de folie" car " tel un interminable déluge, la guerre inondait les plis des sentiments humains, les moindres recoins des corps". Abandonnant toute humanité pour exorciser leurs peurs et les menaces, les paysans se montrent in fine bien plus rustres et féroces que les jeunes délinquants traités pas mieux que des bêtes. Pour le jeune narrateur, "il aurait mieux valu qu’ils soient des êtres sans volonté ni regard, comme une pierre, une fleur, un arbre, des êtres simplement regardés".

Un roman donc sombre, hanté par la mort, mais Kenzaburo Ôé maîtrise l’art de transformer cette réalité impitoyable et écœurante en un roman magnifique, une véritable quête, formatrice, à laquelle les jeunes accèdent en faisant la paix avec leurs démons d’enfants. Car derrière leurs mauvaises manières et leur frustration contenue, il y a en embuscade de la solidarité, du courage profond, du désir de sincérité. Surtout chez le narrateur, personnage lumineux de ce roman prêt à se lever contre l’injustice. Et derrière l’écrivain il y a en embuscade l’homme d’empathie capable de mettre de la beauté là où il n’y en a pas. Une plume élégante, un rythme infiniment précis, une violence contenue font de cet auteur un magicien des émotions.

Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants fait partie de ces romans qui interpellent le lecteur par l’émotion vive qu’ils suscitent.

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Seventeen

Kenzaburô Öé fait partie du cercle très fermé des écrivains qui ont été récompensés par un Prix Nobel - en 1994 dans son cas. Un fait connu de tout bon rat de bibliothèque, que l'on soit un amateur de littérature japonaise ou pas. Je n'avais jamais rien lu de cet auteur, et du fait que je fait partie de la 1ère catégorie de lecteurs - précédemment cités - j'ai voulu palier à ce manque.



Il y a quelques jours, je tombe sur Seventeen. Le sujet me paraît original et prometteur, alors je craque.



Le récit peut être divisé en 2 parties. Dans la 1ère moitié, on découvre peu à peu un jeune garçon mal dans sa peau obnubilé par la masturbation, qui est la seule façon pour lui de contrôler un corps qui le révulse et lui échappe. Il nous parle de 2 "personnages" qu'il admire : Bandit, un chat sauvage, et Shin-Tôhô, un élève de son lycée. A travers ces 2 figures, on comprend les désirs et les frustrations que le jeune garçon a au plus profond de lui.



Puis le récit s'accélère lorsqu'il écoute un genre de prédicateur d'un groupuscule extrémiste, vindicatif et frustré d'avoir l'étiquette de perdant de la guerre. Là tout bascule. La haine qu'il avait jusque là contre lui-même est redirigée vers ceux qu'il estime plus faibles que lui. L'adolescent, jusque là pathétique (au sens grec) devient méprisable tant sa cruauté grandit.



Kenzaburô Ôé retrace très bien ce parcours d'une victime devenue agresseur et il expose la haine de soi et la haine de l'autre - en opposition binaire "je vs ils" - avec brio. L'atmosphère est pesante et de plus en plus oppressante, façon nippone.

On reconnaît donc sans peine l'écriture d'un maître. A tel point qu'il fait partie, je pense, de ceux dont on peut apprécier pleinement l'oeuvre qu'a posteriori, après très mure réflexion !

Mais il m'a manqué le petit je ne sais quoi en plus pour me donner envie de retourner vers cet auteur dans l'immédiat.
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