Citations de Lucien Jerphagnon (149)
Mourir? Ce doit être quelque chose que font les grandes personnes, de ces choses dont on vous dit qu'on les saura plus tard.Mais quand vous avez réalisé, quand vous avez saisi de quoi il retourne, alors là...Moi, j'ai compris cela vers douze ans. Drôle d'impression. Le monde pète d'un seul coup, et vous en prenez les éclats, dont rien ni personne ne vous débarrassera jamais. Il faudra vivre avec cela, jusqu'à la fin. Quand la poussière de l'explosion est un peu retombée, vous reprenez vos esprits, mais plus rien n'est comme avant. Vous savez.
J'adore les romans policiers, que je trouve très supérieurs aux tranches de quotidien que vous servent tant de raseurs, pourris d'idées mais dépourvus de talent. Leurs analyses sophistiquées, leurs laborieuses abstractions de quintessence m'assomment. À tout prendre, je préfère de beaucoup lire Kant.
La peur-ma vieille compagne-la peur me reprend d'un coup : peur de crever sans en avoir assez profité, sans avoir épuisé ce qui me revenait de la beauté du monde...
On ne ne jète pas en l'air une bêtise qu'un badaud ne la rattrape.
Cela dit, "que savons-nous d'une autre vie?", se demandait Euripide. Je serais tenté de répondre que là-dessus, nous n'avons que l'embarras du choix. En aura-t-on imaginé au cours des siècles, des lendemains du jour fatal!
Il faudrait entasser des pages par milliers pour rapporter ce qui s'est raconté partout et toujours sur ce dont nul n'a jamais su.
"Vaincu par le général grec mercenaire Xanthppe,Régulus fut fait prisonnier.Il était promis à un sort aussi moralement glorieux que physiquement pénible"
Tiberius Gracchus: "Les bêtes sauvages ont leur tanière, tandis que ceux qui meurent pour la défense de l'Italie n'ont d'autre patrimoine que l'air qu'ils respirent; ils errent avec leurs femmes et leurs enfants sans un toit où s'abriter. Ils ne meurent que pour nourrir le luxe et l'opulence de quelques-uns."
Savoir parler en public ne signifiait pas seulement s’exprimer sans bafouiller, mais aussi et surtout capter l’attention de l’auditoire et décocher comme une flèche l’argument qui fait mouche s’il est pointé où et quand il faut.
Rien de plus grec que le mot d’ordre Kairon gnôthi, « Repère le moment » ! Aussi cette denrée nouvelle et surfine que proposait l’enseignement des Protagoras, Gorgias, Hippias, Prodicos, Antiphon, Thrasymaque et autres, suscita-t-elle dans le monde politique une formidable demande, un remaniement complet des habitudes de pensée, et aussi une violente réaction allergique dont les effets, comme nous venons de le dire, se font encore sentir de nos jours.
Qu'il y ait du mal dans ce monde, ce n'est pas douteux, mais il n'est que privation du bien. A chacun de s'en délivrer par l’ascèse et par la contemplation philosophique , et non en cédant à des mirages inconsistants où le philosophe ne voit qu'un charlatanisme spirituel.
Nulle part dans l'histoire, l'homme n'aura pris de sa condition plus exacte connaissance que dans la civilisation grecque, ne l'aura traduite avec pareil génie dans les cosmogonies, les épopées, les tragédies, la philosophie. Cela même valut aux Grecs un rayonnement à nul autre pareil.
S'engager en philosophie, c'était donc décider du sens qu'on allait donner à sa vie. Comment devenir maître de soi, se réaliser, être heureux?
Mais attention: en ce temps-là, la philosophie, ce n'était pas une matière parmi les autres, en terminale. Philisophia, en grec philo tès sophias, cela veut dire "amour de la sagesse".
Ce qui valait mieux: la République de Platon était-elle autre chose qu'un mythe, glorifiant le Bien, la Justice, etc.? Toutes valeurs rares en politique, sauf dans les discours.
Dans cet univers où chaque être conspire avec tous les autres à l'harmonie générale, la morale n'a rien d'un code abstrait de devoirs; exprimant la physique, elle inspire à l'homme la volonté d'apporter à l'ordre naturel sa contribution individuelle. On voit donc que la morale stoïcienne n'a rien d'une passivité fataliste: c'est au contraire la conviction du savant qui, comprenant que les choses ne peuvent être autrement, estime que le plus sage est encore de s'en accommoder et donc de les prévenir ey de les supporter, avec bonne grâce s'il le peut. Le philosophe ne va pas se proposer de changer le cours de choses mais bien plutôt l'opinion qu'on s'en fait.
Ainsi, la Cité heureuse a besoin de principes exacts selon lesquels fonctionner; ses dirigeants doivent se retirer de la foire aux opinions pour accéder à la pure objectivité, essentielle, immuable, guide et règle de toute pensée et de toute action.
Dans la philosophie d'Occident, Socrate apparaît comme beaucoup plus qu'un homme: c'est un symbole, un "totem". C'est le héros éponyme de la philosophie, et eux-mêmes qui n'auront jamais de cette science la moindre idée se souviendront au moins d'un étrange bonhomme dont le savoir consistait à ne rien savoir, et qui but la cigüe avec une dignité souriante - la plupart ignorant d'ailleurs au juste pourquoi. Il faut donc dépasser ces clichés.
[Relax67: Lucien Jerphagnon commente les légendes sur les premiers rois de Rome]
Il ne serait évidemment pas raisonnable de prendre au pied de la lettre ces légendes, dont on se trouva bien jusqu'au milieu du XVIIIe siècle... On serait pourtant mal inspiré de les rejeter en bloc, et cela pour deux raisons. D'abord parce que certains de leurs éléments ont trouvé dans l'archéologie moderne une confirmation. Mais surtout, à mon sens, parce qu'elles nous délivrent un enseignement plus important qu'on ne le pense souvent. L'ouvrage d'Alexandre Grandazzi, "la Fondation de Rome" (1991), l'a confirmé: entre le "tout est vrai" et le "tout est faux", il y a la conquête des certitudes partielles.
Chacun de ses livres (de Jankélévitch) emportait nos pensées comme dans un tourbillon, et nous nous retrouvions plus nous-mêmes qu'avant. Non que nous ayons forcément ni toujours empilé de nouvelles connaissances sur les vieilles. Simplement, et sans que nous puissions dire comment, nous nous trouvions savoir autrement ce que nous avions cru savoir. Le monde devenait d'un coup inépuisable, et nous plus modestes à proportion.
S’il me fallait absolument définir le malheur de l'époque présente, je serai tenté de dire: c'est de croire que le bonheur lui est dû. Le bonheur au sens où on l'entend: l'argent, le... sexe puisqu'on localise l'amour, le maximum de loisir. Bref, le malheur de notre temps est de s’être fait une trop courte idée du bonheur. (p.225).