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Critiques de Marguerite Duras (1668)
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L'amant

Marguerite Duras nous ressert le couvert d'Un Barrage Contre Le Pacifique en écrivant cette sorte d'addendum trente-cinq ans plus tard, où elle redore le blason de celui qu'elle appelait alors Monsieur Jo et qu'elle ne nomme désormais plus dans L'Amant que "l'homme de Cholen", nous offrant, ce faisant, un genre de pendant à la Lolita de Nabokov, mais raconté du point de vue de la jeune fille.

Avec l'âge, la reconnaissance et la maturité, Marguerite Duras n'éprouve plus le besoin de romancer ou d'aménager ses souvenirs autobiographiques comme dans le Barrage. Ici, elle laisse couler ses souvenirs et ses sensations à la façon du cours paisible du Mékong et nous les livre, non pas bruts, car l'âge aidant, ils sont largement passés au tamis des omissions, des hypertrophies et des embellissements divers mais donnent un réel sentiment d'authenticité, car on sent bien qu'elle ne cherche plus à plaire.

On dirait plutôt un addendum, un testament littéraire sur sa vie à Sadec en Indochine, destiné à ses proches pour quand elle ne sera plus. Aussi, je conseille au lecteur de lire préalablement Un Barrage Contre Le Pacifique, qui est en quelque sorte la pièce maîtresse à laquelle l'auteur souhaite apporter des éclaircissements ou des modifications (notamment le fait qu'à l'époque où elle écrit le Barrage, sa mère et son frère aîné ne sont pas encore morts et elle ne peut donc pas avouer dans le livre ce qu'elle leur a caché durant toute sa vie, d'où le rôle tronqué de Monsieur Jo, qui retrouve ses lettres de noblesse dans L'Amant tandis que son frère Joseph subit, lui, plutôt une rétrogradation et devient moins attachant).

Néanmoins, il faut prévenir le lecteur qu'à aucun moment on ne retrouve la construction et la linéarité d'Un barrage Contre Le Pacifique. L'Amant est une somme de souvenirs souvent pêle-mêle comme notre cerveau les emmêle parfois en oubliant de les classer.

Stylistiquement, ces discontinuités et cette manière de ne pas nommer les personnages principaux engendrent un certain mystère et possèdent un potentiel lyrique et nostalgique indéniable, mais ce n'est là que mon avis, autant dire, pas grand-chose.
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L'amant

J'ai adoré...refermer ce bouquin et passer à autre chose...

Un point commun cependant avec l'auteur , la lassitude profonde suscitée par la vision cinématographique d'Annaud à l'esthétisme outrancier et ennuyeux .

Point de discorde , enfin j'imagine , concernant le style Durassien qui m'a profondément déplu .

D'aucuns argueront que je manque cruellement de sensibilité ! Ça me ferait mal , j'ai adoré la quadrilogie des Rambo , argument imparable s'il en est...



S'il n'avait pas été autobiographique et rendu bien moins lisse par la présence de ce frere ainé traumatisant et de cette mere aux sentiments ambivalents , il est fort possible que je sois passé de l'ennui au coma le plus profond ! Les mots glissaient sur moi tels Balasko sur la poudreuse virginale dans " Les bronzés font du ski " ! Et là , je vous entends déjà me rétorquer : peut-etre que sur un malentendu , c'eut pu plaire ? Que nénni , point d'équivoque à l'horizon...Le constat est là , implacable avec cette impression d'avoir tourner les pages dans le brouillard le plus total...

J'aurais aimé , tel Gabin dans " Quai des brumes " , déclamer en le refermant : t'as de beaux yeux tu sais...Seulement voilà , ces premiers émois amoureux , dans un contexte familial et societal foncierement hostiles , m'ont laissé sur le bas coté . Aucune empathie , aucune adhésion à l'histoire...Malgré des themes interessants , ce livre ne me donna jamais l'impression de passer à coté de quelque chose d'intangible , prix Goncourt ou pas...

Foin de tergiversations , inutile d'en rajouter , ce livre n'était tout simplement pas fait pour moi mais saura certainement , vues les nombreuses ondes positives ressenties à sa lecture par le plus grand nombre , toucher en plein cœur le ou la romantique qui sommeille en vous !

Quant à moi , il ne me reste plus qu'à aller martyriser une nouvelle boite de kleenex devant ce poeme visuel et lyrique qu'était " Rambo 4 " ! J'suis trop sensible tiens..Beuaaaaahhh , Colonel...



L'Amant , histoire d'un rendez-vous manqué...
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Moderato cantabile

Qu'on ne s'y trompe pas, bien qu'incolores et inodores, les maux des râteaux quand t'as bilé, dans la hiérarchie nociceptive des divers types de maux, sont parmi les plus pénibles et les plus douloureux qui soient. En effet, les râteaux, et plus particulièrement ceux après lesquels on s'est fait énormément de bile, provoquent chez celles ou ceux qui ont à en souffrir, des décharges d'une rare violence, dans le coeur et dans l'esprit, excessivement aiguës et parmi les plus terribles à supporter qu'on puisse concevoir…



— Pssst !

— Hm ? Qu'y a-t-il ?

— Et si tu passais au livre maintenant ? Les gens s'ennuient, là, du rythme, du rythme, du rythme, que diable, faut pas perdre de temps, on n'a pas que ça à faire ! Alors, t'en as pensé quoi du bouquin ? Quelles furent tes émotions à la lecture ? Vas-y accouche !

— Ce que j'en ai pensé de ce livre ? Vraiment ? Vous êtes sûrs de vouloir le savoir ? Bon, okay, si vous y tenez, mais ne venez pas vous plaindre après, hein, d'accord ?



Eh bien que se passe-t-il pour moi, lectrice lambda, lorsqu'une auteure me sert une héroïne pas attachante, avec son enfant pas attachant, qui prend des leçons de piano auprès d'une professeure pas attachante, qui rencontre — dans des conditions hautement peu probables — un homme pas attachant avec lequel elle nourrit une relation sentimentale bizarre dans un bar pas attachant d'une ville pas attachante ?



Eh bien, eh bien… au risque de vous surprendre, je ne m'attache pas, et je puis vous affirmer, même, que cela confine plutôt au franc décrochage. En effet, voici un livre ridiculement petit, écrit très gros, et j'ai bien cru, peuchère !, que je n'allais pas pouvoir aller au bout tellement j'étais captivée. J'ai dû mettre, au bas mot, plus d'une semaine à le lire, en bâillant fort, en m'arrêtant souvent et en me disant à la fin : « Tout ça pour ça ! »



De plus, moi qui aime bien noter des citations lors de mes lectures, je constate avec peine — mais non avec surprise — qu'arrivée au bout du quai, c'est-à-dire à la fin de cette étonnante platitude, je n'ai pas épinglé la moindre phrase, le moindre passage qui ait éveillé, aussi peu soit-il, mon intérêt. Est-il utile que j'en dise encore bien davantage ?



Je n'en ai pas l'impression, alors je ne vais ni prendre les mots des râteaux quand t'as bilé, ni de quelconques autres mots, je vais simplement moderato critiquile et prompto reportile sur une autre lecture, je l'espère, plus à mon goût. (Sans mentir, je ne sais pas si dans un mois je me souviendrai encore d'avoir un jour lu ce livre tellement il fut marquant pour moi.)



Ce faisant, comme toujours et à jamais, gardez à l'esprit que ceci ne représente que l'expression de mon simple avis, qui plus est l'avis du moment, dont on sait qu'il peut varier au cours du temps et en fonction des cycles émotionnels que l'on traverse, une matière éminemment labile en somme, c'est-à-dire, vraiment pas grand-chose.
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L'amant

« L'amant », livre écrit par Marguerite Duras en 1984 a reçu cette même année le prix Goncourt. Édité aux Éditions de Minuit en Juillet 2011, l'ouvrage est très court (137 pages) et se lit d'une traite bien qu'il fasse partie de ces livres qui présente plusieurs facettes.



Première facette, celle d'un amour impossible entre un Chinois richissime qui découvre le corps de Marguerite mais ne peut exprimer ses sentiments qu'à travers la parodie (page 61), Marguerite qui n'est alors qu'une enfant de quinze ans, avec un corps en pleine transformation. Ce Chinois, « l'homme de Cholen », n'aura pas la force de l'aimer, elle, contre son père, ce père Chinois qui obligea son fils à quitter la France alors qu'il y achevait ses études universitaires.



Deuxième facette, celle de la découverte par Marguerite de sa sexualité. Cette initiation amoureuse, Marguerite la vit comme une soif de savoir, une soif d'émotions, un jeu subtil où tout est permis, sans tabous : « c'est à elle de savoir » (page 46). Elle découvre le corps de l'homme de Cholen, mais aussi celui d'Hélène Lagonelle, un corps lourd, innocent, avec des seins à dévorer (page 88).



Troisième facette, celle de l'émancipation. Marguerite a quinze ans. Elle veut aller à la découverte du monde et couper le cordon ombilical avec sa famille. Adolescente, elle agit avec conviction, pleine de certitudes, voulant se mettre à l'écart de sa famille, pour la première fois et pour toujours (page 46). Cette démarche la projette dans le monde des adultes, loin des rêveries enfantines ; elle s'immerge dans une réalité nouvelle, pleine de surprises : se prostitue-t-elle vraiment quand elle couche avec son Chinois ? Elle n'en est pas convaincue, et puis elle ne peut échapper à certaines obligations envers elle-même, à commencer par l'obligation de tracer sa propre route.



Quatrième facette, celle d'une famille pas ordinaire. Le père est absent, la mère est accablée, seule avec ses enfants, à savoir un fils ainé, un jeune frère et Marguerite. Cette famille, c'est une histoire commune de ruine et de mort (page 33). La mère hurle dans le désert de sa vie (page 55). Le fils ainé est chéri par la mère (« mon fils, c'est mon enfant ») et haï par Marguerite car il dilapide la fortune familiale, vole sa propre mère, viole la domestique et menace son jeune frère. Ignorant Marguerite, il semble souffrir de ne pas pouvoir faire le mal librement (page 72). Marguerite lui préfère son frère cadet, d'ailleurs elle aime danser avec lui (page 66), avec cet attrait qu'exerce le rapprochement des corps. Elle lui portera un amour insensé (page 125). La mère est clairement folle (page 32) ; elle achète des couveuses électriques, y place 600 poussins qu'elle fait griller suite à une fausse manœuvre ; en hiver, elle fait monter des moutons dans sa chambre. Folle et violente de surcroit : Marguerite, toute petite déjà, était nue et frappée, longtemps, jusqu'au danger, obscur et terrifiant (page 72), car les deux autres enfants ne sont jamais que « les plus jeunes » : le rejet est total, et cette mère -qui sait être intelligente, vive, gaie et d'un naturel incomparable (page 72)- porte en elle beaucoup d'amour et beaucoup de haine.



Cinquième facette, celle d'une Indochine de l'entre deux guerres avec ces Français qui vivent de chasse, de réceptions, de jeux et d'alcool au cœur de Saigon, avec ce pensionnat et ses règles strictes, ces grandes voies à l'américaine, sillonnées par les tramways, ces pousse-pousse, ces cars, ces terrasses qui donnent sur le Mékong, ces plantes vertes, comme mortes de chaleur sous la fournaise (page 54). Les blancs y vivent dans l'opulence et l'indifférence (pour ne pas dire le mépris) envers la population indigène. Ils résident dans des maisons bâties sur des terre-plein, isolées des serpents, des fourmis rouges et des inondations. L'après-midi, on y joue du piano en dégustant le thé apporté par les boys. Chez Marguerite, l'argent manque et les frères ne font rien pour y remédier : coucher avec l'homme de Cholen, c'est le moyen pour Marguerite d'obtenir des diamants, de l'or, du jade, de « sauver les apparences », d'affirmer leur statut de famille française en pleine Indochine, par fierté, par orgueil. L'argent, c'est le moyen de réaliser un rêve : retourner en France.



« L'amant », roman largement autobiographique de Marguerite Duras, plonge le lecteur dans des souvenirs jetés pêlemêle, au fil des pages, avec ce mouvement perpétuel d'allers-retours entre le passé, le présent et le futur. L'atmosphère est riche d'émotions, de mystère et de nostalgie. L'ouvrage, écrit avec sincérité, sans pudeur, avec mélancolie, dans un style, avec une syntaxe et une ponctuation si peu classiques (cf. ma citation), sur un ton lent et décousu, avec une grande économie de mots et des non-dits, laisse pointer, parfois à l'excès, le tragique, le pathos. De l'ennui ? Non point. Sur le ton de la confidence, Marguerite s'observe et dissèque ses émotions, de l'extérieur, résignée, avec calme et persévérance : laissant derrière elle le principal de sa vie, la misère (page 73), elle entrevoit son destin, écrire des livres (page 122). Belle recherche de soi, et bel aboutissement. Je recommande et mets quatre étoiles.
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Un barrage contre le Pacifique

Marguerite Duras nous livre ici ses souvenirs d'adolescence indochinoise d'avant guerre (période 1920-1930) au moment même où la France est engagée dans la guerre d'Indochine. C'est donc probablement avec une certaine douleur que ces lignes furent écrites, d'autant plus que son histoire personnelle n'est pas elle-même, dénuée de douleur.

Elle nous conte, de façon un peu romancée, le calvaire de sa mère, institutrice pauvre ayant perdu son mari et s'étant fait berner par l'administration coloniale dans l'achat d'un terrain complètement inexploitable car inondé par les eaux salées de la mer de Chine en période de mousson. Laquelle mer de Chine est dénommée Pacifique par la mère, comme si seul un ennemi de cette taille avait le droit de lui causer des misères, et contre les furies duquel elle va s'échiner à tenter de construire une digue pour protéger les terres du sel dévastateur et ainsi les rendre exploitables.

L'aventure tournera au fiasco et la mère y laissera jusqu'à son dernier sou, plongeant la famille dans une misère noire. Joseph, le frère aîné de la narratrice, garde rancune de ce mauvais coup du sort et cultive une sorte de misanthropie bourrue d'homme des bois qui a quelque chose de touchant.

Aussi, la jeune Marguerite va-t-elle être convoitée par un fils de famille richissime, un chinois, inversant ainsi le rapport ordinaire entre blancs et asiatiques. Une relation très ambiguë va naître, soutenue par l'argent, où la jeune héroïne sera tiraillée entre les désirs avides de sa famille néanmoins pondérés par leurs accusations de prostitution. Un amour impossible d'un côté comme de l'autre (le père fortuné menace de déshériter son fils s'il se compromet avec la française), et plus largement une vie impossible, sans espoir autre que l'exil, à savoir le retour en France.

Un très bon livre, peut-être pas le plus grand chef-d'œuvre de tous les temps, mais une vision poignante à 99% autobiographique. J'en retiendrais surtout les personnages ambigus qu'on ne sait trop si l'on doit aimer ou détester, à savoir le frère et la mère. L'histoire de l'héroïne m'a moins transporté. Marguerite Duras est revenue trente-cinq ans après la publication de ce roman sur cette période et y a apporté des précisions et des modifications dans L'amant.

D'une façon générale ce livre vaut surtout, à mon sens, pour ses personnages et sujets secondaires, comme par exemple la critique de l'administration coloniale, mais comme toujours, ce n'est là que mon avis, c'est-à-dire, une goutte d'eau dans le Pacifique.
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Moderato cantabile

Le piano de Duras,



Dit-on un style “durassien” ou “dur à suivre” s'interrogeaient De Caunes & Garcia (grimé en Duras sur le plateau de Nulle Part Ailleurs) face à une Fanny Ardant hilare…



J'ai déjà discuté du style Duras dans “Les Petits Chevaux de Tarquinia” notamment, écrit quelques années plus tôt, mais cette fois-ci l'aura, l'écrin littéraire de Marguerite Duras semble plus pur encore, peut-être par contraste, parce que la narration y est plus décousue (si tant est qu'une telle chose soit possible), les personnages comme les évènements moins nombreux. Jusque dans ses derniers romans, on retrouvera le style de Duras d'une rare singularité et toujours tendu vers plus d'abstraction et d'économie.



La répétition des mots et des gestes, le retour au café, au Boulevard de la Mer, le canard à l'orange, des mêmes questions, des mêmes réponses, des négations, ces éternels “non”, la répétition des prénoms et patronymes contrastant avec le refus d'identifier “l'homme”, le crime comme déclencheur du roman, tout cela se retrouve dans d'autres oeuvres antérieures et postérieures de Duras. C'est une façon d'ancrer le lecteur dans quelque chose de charnel, peu importe la ville, on ne la connait pas, mais on se figure les cris des oiseaux marins, le ciel capricieux du front de mer, la promenade sur les remparts et ses embruns d'écume et d'algues mêlés…



L'amour impossible et impassible, l'adultère comme transgression pavlovienne d'une certaine bourgeoisie, l'ennui, le désir, la maternité, l'alcool, les antiennes durassiennes jouent en sourdine tout au long de Moderato Cantabile, on a l'impression de lire non pas une histoire mais des émotions, des ressentis. C'est cette alchimie mystérieuse jusqu'au bout qui fait le mesmérisme de sa plume.



“Des dialogues pour ne rien dire, j'adore ça (…) lorsqu'on croit qu'un dialogue est signifiant il ne signifie pas davantage qu'un dialogue bavard, de rencontre” disait l'écrivaine, figure du nouveau roman et parfois appelée romancière de “l'incommunicabilité”. de fait, les dialogues, omniprésents dans son oeuvre quasi cinématographique, sont vidés de leurs fonctions traditionnelles, il ne renseignent plus, ils ne signifient plus, cela fait presque penser au théâtre de Samuel Beckett qui entretien un rapport à la fois méfiant et ironique vis-à-vis de ce qui fait ou doit faire sens. Pourtant, les dialogues durassiens nous semblent lourds, intenses, crispant le coeur, parfois d'une profondeur insondable. Ainsi on ne peut pas non plus dire qu'ils ne signifient rien, mais assurément plus ou autre chose que ce qu'ils veulent bien dire, derrière se joue parfois la tectonique tribale du désir, un peu comme l'analysait Roland Barthes dans Fragments d'un discours amoureux, je “frotte mon langage” contre l'autre, tantôt est-ce un appel au secours d'une femme, au bord du précipice psychique, entourée d'invités mondains mais finalement “seule dans sa grande baraque” pour reprendre une réplique hilarante de la voisine du film “Mon Oncle” de Jacques Tati, paru la même année que le livre de Duras. Pour l'écrivaine, le roman est la “transposition de la vie intérieure”, elle s'inscrit dans cette généalogie du XXe siècle, dans les pas de Proust, de Woolf, de Svevo.



“Anne Desbaresdes resta un long moment dans un silence stupéfié à regarder le quai, comme si elle ne parvenait pas à savoir ce qu'il lui fallait faire d'elle-même.”



J'ai l'impression d'avoir préféré mes excursions précédentes dans le monde de Duras, peut-être davantage d'analyse et de réflexions dans “Les Petits Chevaux de Tarquinia", une tension épidermique plus puissante dans “Dix heures et demie du soir en été” ou un feu d'artifice stylistique dans “L'Amant de la Chine du Nord”. de plus, lorsque l'on commence à connaitre un auteur, passé l'effet de surprise, il faut veiller à ne pas lui reprocher justement ce que l'on est venu chercher à nouveau et qui ne nous surprend plus… Cependant chaque nouvelle lecture, quand on adhère et entre en résonance avec la langue continue, sinon de nous habiter, du moins de nous toucher et cela fonctionne à nouveau complètement avec cette leçon de piano signée Marguerite Duras.



La musica. Duras admettait que son art n'était rien comparé à celui de la musique, elle aurait voulu poursuivre une carrière de musicienne. Incapable de composer Duras s'inspire d'abord des musiques des autres, mais elle ne s'avoue pas vaincue et bientôt on composera pour elle, à l'image de l'entêtante India Song dans le film éponyme, avec Delphine Seyrig, tiré de son roman le Vice-Consul.



Moderato Cantabile, sous ses apparences “modérée” et “chantante” comme la Sonatine de Diabelli, est un volcan sous-

marin dont l'éruption sourde et désespérée est couverte par les vains assauts des vagues contre la digue des convenances, inébranlable.



Qu'en pensez-vous ?

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Un barrage contre le Pacifique

Un barrage contre le Pacifique, sans être une autobiographie, a été inspiré à Marguerite Duras par son adolescence en Indochine.



Après avoir économisé pendant de longues années, une veuve achète une concession dans le sud de l'Indochine. Mais les terres se révèlent incultivables car inondées régulièrement par le Pacifique. La seule solution est de construire des barrages. Malheureusement, comme ils s'avèrent insuffisants face aux assauts de l'océan, la vie de la femme, avec deux adolescents à sa charge et la pression d'une administration corrompue, devient une survie. Pour s'en sortir, il y a bien ce jeune chinois qui tourne autour de sa fille, mais quand le riche père de celui-ci refuse l'idée d'un mariage, devant tant d'infortune, la folie n'est plus loin.



Marguerite Duras dépeint une vie dans les colonies qui va à l'encontre de l'idée que l'on s'en fait habituellement. En Indochine, les maîtres sont les locaux fortunés et non les colons grugés, harcelés et ruinés par l'administration coloniale, qui ne leur laisse d'autre choix qu'un retour en France. Bien que décrit avec beaucoup de froideur, on ne peut qu'être touché par le sort de ces gens qui ont tout perdu, alors qu'ils espéraient dans un exil salutaire. Mais ce pays et cette adversité ont forgé des personnalités fortes. Il suffit pour s'en convaincre de voir le parcours exceptionnel et le talent de celle qui nous raconte son histoire dans Un barrage contre le Pacifique.

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Les petits chevaux de Tarquinia

La chaleur écrase d'emblée. Anesthésie des sentiments. L'action sédative des vapeurs d'alcool imbibant les pages achève l'abattement du lecteur.



Cet engourdissement fait de Duras une lecture immersive. La mort, l'adultère, le drame paraissent en apesanteur. On croit bien que quelque chose se passe, mais on ne peut pas vraiment réagir, l'action est inhibée. Pour le personnage comme pour le lecteur. Une sorte de nivellement des évènements.



« Qu'est-ce qu'on ne fait pas trop tard dans la vie ? Et qu'est-ce que ça veut dire se lever à l'heure ? »



Les petits chevaux, c'est la chaleur, “égale à elle-même”, du matin jusqu'à dix heures et demi du soir en été. La chaleur est un personnage du roman, l'été un adjuvant. C'est le désir en tension, la lassitude des couples qui s'aiment. Inextricable. Ils rient de ça. de cet ennui-là. le rire chez Duras rend toute dramatisation convenue, exagérée, impossible. Pas de guimauve. le rire est résilience chez Duras. Il est recul, il est dépassionné, fatalité ou rédemption. On rit pour parler. Pour pas parler.



« Si tu n'aimes faire l'amour qu'avec un seul homme, alors c'est que tu n'aimes pas faire l'amour.” Liberté tranquille des moeurs, sans militantisme, « la littérature doit être scandaleuse, représenter l'interdit » disait Marguerite Duras. L'interdit (très relatif) de l'adultère confine au plaisir quasi-avoué du partage de l'être aimé. Il y a une connaissance de ça. du désir de l'autre. Comme une anesthésie locale de la jalousie. Une acceptation, une anticipation. L'envie d'être l'amie du désir de lui. Comme un avant-goût de ce que sera le fameux ravissement de Lol V. Stein.



« Les couples sont fatigants à vivre. Tous ». La villégiature de Sara, Jacques, Diana, Ludi et Gina en Italie, juste après l'accident mortel d'un jeune homme, semble insupportable à ce groupe d'inséparables. Ils voudraient être ailleurs, partir à Pointa Bianca ou Tarquinia. Duras déploie une mythologie des vacances bourgeoises, ces moments arrachés au travail, où tout peut basculer, les jours, si peu nombreux, qui passent avec leur programme sans cesse reporté, la tentative d'instaurer une routine éphémère, les boules à telle heure, l'apéro à tel endroit.

« Pourquoi on est tous méchants comme ça ? » Gina et Ludi s'adressent tous les reproches du monde et une assiette de vongoles suffit à créer l'étincelle, Sara aussi voit s'allumer l'étincelle dans les yeux de l'homme au bâteau, sous le regard de Jacques.

« Nous arrivons chargés d'encombrants paquets de vie » écrivait Tristan Tzara. En réalité, le groupe peut bien être en congés estival, “il n'y a pas de vacances à l'amour. Ça n'existe pas. L'amour, il faut le vivre complètement avec son ennui et tout, Il n'y a pas de vacances possibles à ça.”



« Ce n'était pas si grave, dit-elle, des vacances que je voulais prendre de toi. - je sais. Tu es libre de les prendre.” quelques mots, quelques caresses esquissent un autre avenir possible, mais on ne peut pas vivre toutes les vies ensembles. On ne saura pas ce qui aurait pu être, si après la partie de pétanque, on va à l'autre bal, sur l'autre rive. On ne saura pas non plus si le « macadam a jamais tué aucun arbre ».



« C'est ceux qui se plaignent le plus de leur vie qui en changent le moins volontiers ». Un livre presque scénaristique. Les dialogues avant tout. Tantôt brumeux, tantôt obsessionnels, martelés, comme un rythme implacable, un jour, deuxième jour, la ritournelle des vieux sur la colline, avec l'épicier, de la vieille qui ne signera pas, elle refuse ça encore à la douane. La moindre banalité revêt, par sa solennité impromptue, le caractère d'acmé du livre.



« Si dure qu'elle eut été, chacun tenait à son existence et était prêt à la justifier comme étant la moins mauvaise » Les personnages sont comme filmés. le lecteur n'accède pas davantage à leurs pensées que le spectateur dans une salle de cinéma, tout au plus quelques traits qu'en projection nous lirions aisément sur un visage nous sont retranscrits. C'est formidable pour le lecteur, la liberté que ça lui laisse de construire son décor, sa chaleur, son désir.



“Avant tout, c'est contre la vie qu'elle en a ou... contre leur fidélité, c'est pareil. -est ce qu'il y a des fidélités qui ont un sens ? (...) - je crois que oui (...) celles-là précisément, auxquelles on ne peut se soustraire.” Ressemblances dans l'architecture avec « dix heures et demi du soir en été », écrit 7 ans plus tard. le décor est toujours la sueur de l'été, dans un pays sec, comme l'Espagne ou l'Italie. On retrouve certains tropismes de la romancière : le triangle amoureux, les vacances, l'enfant unique, l'alcool, un drame : l'accident du démineur ou le meurtre par Rodrigo Paestra.



“Il faut toujours se mêler des histoires des autres”. Ce ne sont pas seulement les camparis bitter qui causent l'ivresse littéraire que l'on ressent face à Tarquinia, publié en 1953, si la jeune romancière de trente-neuf ans n'a pas encore l'économie de mots et de moyens de ses derniers livres, elle impose déjà son style, reconnaissable entre tous.



Bel été,
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Moderato cantabile

Un après-midi de printemps. Une ville côtière. Les usines qui fument à l'autre bout de la ville. Une sonatine qui s'échappe de la fenêtre d'un immeuble. le petit garçon rechigne à jouer la sonatine de Diabelli. Tous les vendredis, sa maman, Anne Desbaresdes, l'épouse du directeur des Fonderies, l'emmène chez Melle Giraud. Elle, reste un peu à l'écart. Or, ce vendredi, un terrible cri provenant de la rue surgit. A la porte du café d'en face, des hommes et des femmes s'agglutinent. Une fois la leçon finie, Anne s'approche de l'établissement. Une femme aurait été assassinée par son amant. le lendemain, accompagnée de son fils, elle retourne sur les lieux du drame pour en savoir plus...



Une intrigue minimaliste, peu de personnages, un mystère qui reste entier et des non-dits chargés de sens et d'émotions... Voilà un roman aux tonalités particulières. Marguerite Duras orchestre parfaitement la rencontre entre ces deux âmes esseulées que sont Anne et Chauvin, ces deux coeurs qui battent la chamade en discordance. L'auteur chuchote les mots plus qu'elle ne les clame. L'on devine, l'on suppose, l'on attend ce qui va se jouer entre eux dans ce bar. On étouffe et on se débat. Ce court roman, troublant et passionnel, porté par une écriture précise et sans fioritures, est empreint d'une certaine mélancolie.



À noter que ce roman a été adapté au cinéma, deux ans après sa parution, avec Jeanne Moreau et Jean-Paul Belmondo.



Semplice ... Moderato cantabile...
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Le Ravissement de Lol V. Stein

Chère Marguerite,



Me permettras-tu de te tutoyer Marguerite ? Quel joli prénom ! Marguerite, ô Marguerite, j’effeuille ton nom parce que je t’aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout.

Enfant, je te voyais dans les émissions télévisées, je te trouvais austère, intellectuelle brumeuse, imperméable, indécodable. Aujourd’hui que je te relis pour la première fois depuis le lycée, je m’aperçois que certains de ces aspects se retrouvent dans ton livre mais pour autant ils ne m’apparaissent plus aussi négatifs, au contraire tu as ouvert une petite porte dans mon esprit que je croyais fermée.



Pour être honnête avec toi, au départ cette histoire de ravissement ne m’enchantait guère, mais je me devais de la découvrir pour supporter mon fils dans son effort pour te comprendre, lui qui n’a pas le choix de te lire.



J’ai d’abord cru que je ne me trompais pas. Chère Marguerite, ton écriture est ardue, presque étrangère, combien de fois ai-je dû relire certains passages pour en saisir la substance, je ne le sais plus moi-même. Ta poésie semble une bulle de savon suivant les fantaisies d’une brise d’été, virevoltante, imprévisible, arc-en-ciel humide et flamboyant, éphémère qui se meurt dans un plop éclatant de surprises. Mais je le sens Marguerite, tout est travaillé, rien n’est laissé au hasard, c’est même comme ça que tu m’as cueillie.



Non que l’histoire de Lol soit exceptionnelle, mais elle est intentionnellement floue. Car enfin Lol est-elle folle ou bien guérie ? Subjuguante, on voudrait l’atteindre, la posséder même, mais elle reste insaisissable, fuyante, absente. Enlevée à elle-même par la force de la sensualité d’une danse, elle est pourtant bien là, avec nous, raisonnante et rayonnante. Vivante d’amour et d’absolu, elle se cherche et elle nous trouve.



Tu te joues de nous Marguerite, tu casses les codes, judoka des mots tu m’as mise au tapis. Je me connais, j’aurais dû détester ce livre et pourtant… Quelle magie incantatoire as-tu utilisée pour qu’à mon tour, à l’instar du narrateur : “À sa convenance j’inventerais Dieu s’il le fallait.”, je me retrouve fascinée par Lol ? Car j’ai été ravie par “Le Ravissement de Lol V. Stein”, ravie par son mystère, par ses non-sens, ses non-dits mais aussi par sa poésie brute et insaisissable. Cette Lola, est-ce un peu de toi Marguerite ? Mystérieuse et déterminée, peut-être un peu “perchée”.



Je ne suis peut-être guère plus claire que toi Marguerite, je crains de ne pas t’avoir toujours comprise, de n’avoir pas toujours suivi les chemins de traverse que tu as tracés, mais ce qui me reste de ton roman c’est un mystère enivrant et une poésie qui, lorsqu’elle m’a atteinte, m’a ravie. Je ne sais si c’était ton désir, Marguerite, mais je voulais que tu saches qu’à force de mensonges, d’omissions, d’imprécisions, d’abstractions et de douce folie, jamais je n’oublierai Lola Valérie Stein.



De ton effeuillement je garde “à la folie”, merci Marguerite,

Sophie

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L'Amant de la Chine du Nord

Marguerite Duras a l’écriture courante, « pressée d’attraper les choses » car quand on écrit, on oublie, disait-elle. Et c’est vrai. On atterrit pas avec ce livre. Jamais on se plonge. C’est ça qui rend magnétique, hypnotique son écriture. Elle écrit comme elle parle. Avec ce débit-là. On l’entend lire dans la tête.



Le style de Duras me fait penser aux propos de Roland Barthes dans Le Plaisir du Texte. Il compare la littérature classique au roman moderne. Dans la littérature classique nous sommes distraits parfois, les descriptions, le décor prenant une place telle que nous avons une lecture pressée d’ôter les vêtements du texte pour arriver à la « satisfaction romanesque », alors que dans le roman moderne on ne peut pas faire l’économie de cette lecture totale du texte, autrement nous n’y trouvons pas le plaisir.

Chez Duras il n’y a que la moelle.

Les phrases sont courtes, se répètent, le propos tantôt est définitif (péremptoire pourraient dire quelques critiques), tantôt très incertain, comme la mémoire qui trahit son doute, qui réécrit sans cesse, qui invente pour combler les trous de gruyère des souvenirs d’Asie.



Le monologue intérieur, nous dit à nouveau Roland Barthes, est en dehors de la phrase, il est comme un bruit de fond dans un café, jamais il ne fera phrase, c’est ainsi pour Duras qui confessait : « des mots d’abord » et la phrase s’attache aux mots « comme elle le peut ».

Sa syntaxe même est impayable, plusieurs fois on se prend à relire une phrase : « ce n’est pas français » se dit-on.

Elle joue avec le sens, se contredit, fait sienne la langue, c’est en cela qu’elle est une (grande) écrivaine.



L’histoire de l’Amant de la Mandchourie est une réécriture « en cas de film » de l’Amant, prix Goncourt 7 ans plus tôt, en réaction à l’adaptation cinématographique que l’auteure jugea insatisfaisante.



C’est une œuvre scénaristique autant que littéraire. Les descriptions sont sommaires et la place est toute faite à l’image et au dialogue. On sait plus bien si c’est le jour ou la nuit, s’il lui a dit cela ou si c’est elle qui l’a dit. Parce que peu importe. C’est ça qui importe. Il y a tout un jeu entre la certitude et l’incertitude qui déstabilise opportunément le lecteur.



« Je ne suis pas allée au Lycée aujourd’hui. Je préfère rester avec toi. Hier non plus je n’y suis pas allée. Je préfère rester avec toi pour parler ensemble. » Ça commence en Indochine française, avec l’enfant au chapeau d’homme, le bac sur le Mékong, la Léon Bollée avec chauffeur.

C’est une œuvre initiatique, la première fois. Elle rit de ça ; de ce scandale-là. Ce rire est comme un exutoire, un anticyclone, après la mousson des pleurs et des piastres et avant un autre scandale, familial. Duras aborde son entrée dans l’adolescence sous l’empire des sens.



C’était les corps communicants. Les « mains miraculeuses » du chinois. Hélène Lagonelle. Les frères. Sadec. La garçonnière. Ce sera la jouissance. Pas d’hédonisme joyeux. Une jouissance qui nait sur un sol moite et infertile, un cri dans la nuit. Duras raconte « le désespoir du bonheur de la chair. »

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La douleur

Un cri, une parole brute, arrachée à la mémoire, hors de toute conscience.



Marguerite attend son compagnon, Robert Antelme, que "Morland" alias François Mitterrand - à qui elle vouera, dès lors, une reconnaissance indéfectible- est allé chercher dans l'enfer des camps, usant de son impact pour faire sortir Antelme de l'infirmerie où il était retenu en quarantaine, condamné à une mort certaine.



Après celui d'une attente fiévreuse, la sienne, Duras fait le récit d'un corps qui se vide de sa mort et tente de se rouvrir à la vie: celui de Robert Antelme , l'auteur magnifique de L'Espèce Humaine.



Elle dit la dysenterie, la maigreur, la nourriture devenant menace de mort.



Elle dit le dialogue impossible entre celle qui a attendu et celui qui est revenu.



Elle dit les mots qui n'existent pas pour parler des camps.



Elle dit les ravages d'une présence vidée de toute énergie, d'une énergie réfugiée dans son silence.



Elle dit La Douleur.



Un grand texte. Unique. Foudroyant. Viscéral.
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Un barrage contre le Pacifique

Vivre sa vie en aventurière,

n'avoir pas froid aux yeux !



C'est ainsi que je vois Marguerite Duras. Partager sa vie entre l'Indochine coloniale et la métropole. Avoir mené de front des études de droit et de mathématiques. A une époque prude, avoir une vie sentimentale turbulente, et ce dès le plus jeune âge. Être résistante tout en travaillant pour les allemands. Rejoindre le PCF et s'en faire éjecter pour fréquentation de boîtes de nuit et moeurs dites bourgeoises. Passer les dernières décennies de sa vie sous l'emprise de l'alcool et continuer à écrire malgré les problèmes de santé. Marguerite Duras se foutait des frontières comme des limites.



Le Barrage contre le Pacifique est un récit qui contient des éléments autobiographiques, oui, mais c'est une oeuvre de fiction, non une biographie.

S'il aborde des thèmes tels que le colonialisme, le racisme,les inégalités, l'érotisme ou le sort de la femme, ce n'est pas non plus un roman à thèses.

C'est un livre ou la romancière mêle des éléments de son passé à bien

d'autres sources d'inspiration pour en faire une oeuvre de fiction. C'est peut-être aussi sa façon de traiter le problème de ces limites qu'elle a si joyeusement enjambées.



Car des limites, il en est question. Il y a d'abord ce barrage, que la mère a essayé de construire pour sauver les terres arables d'une vallée d'inondations d'eau salée. Femme de peu d'imagination, impulsive, ne prenant pas la peine de se documenter sérieusement sur ce qu'elle entreprend, elle y laisse ses économies, sa santé et son courage. Sa vie se casse sur un projet impossible. L'obstacle était frontière, une frontière infranchissable. Envers ses enfants, cette même mère était dominante, exigeante voir tyrannique. Elle leur faisait obstacle, était cette frontière qu'ils apprendront à franchir au fur et à mesure de son déclin. Pour franchir des obstacles, pour dépasser les limites, Il faut avoir du courage, oser, mais aussi avoir de l'imagination et de la chance. Marguerite, cette acrobate de la vie, avait tout cela en abondance. A-t-elle trouvé ce qu'elle cherchait ? Si oui, cela l'a-t-il comblée ? Comment savoir… ?







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L'amant

L'amant, un classique de la bibliographie de Marguerite Duras, reste pour moi un merveilleux souvenir de lecture.

Marguerite Duras raconte, toujours avec une écriture fluide et directe, l'amour passionnel qu'elle a eu pour ce chinois, rencontré par hasard dans un bac sur le Mékong. L'histoire se passe dans l'Indochine des années 30, époque encore coloniale, où la différence culturelle et raciale se fait encore sentir.

C'est finalement une rencontre entre deux personnes que tout semble séparer: la classe sociale, les origines et la culture. Pourtant, Marguerite Duras connaitra avec ce chinois un amour passionnel et irraisonné, au vu de la société indochinoise, notamment de sa famille. En effet, cette relation sera très mal perçue par sa mère et son frère et des rapports conflictuels naîtront entre elle et sa famille.

J'ai beaucoup apprécié la façon dont Marguerite Duras raconte ses souvenirs, on ressent beaucoup d'émotion, de romantisme, de poésie et de sensualité dans ses écrits. Elle nous raconte cet amour avec beaucoup de sincérité et sans tabou.

Une passion dévorante qui restera longtemps dans le cœur de Marguerite Duras.

Un roman qui m'a émue et profondément marquée.

Une magnifique rencontre entre ces deux amants et entre Marguerite Duras et moi.
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L'amant

Intensément présent à sa blancheur diaphane,

Intensément aligné à ses courbes frémissantes,

Intensément sarclé à ses hanches mouvantes

D'une jeune fille de 15 ans…

sur les rives du Mékong !



Métissage de peau en Indochine en 1930.

La garçonnière!



Elle est là ,

Dans le froissement des draps

Qui plient,

Qui ploient sous la tiédeur des rues de Saigon

Qui rugissent la voilure de l'envie,

Il estime, espère, respire son corps allègrement

pour y nicher son besoin vital d'elle.



L'amant chinois,

Qui contrôle, décale ,s'insinue dans ses chaires,

D'une jeunesse qui s'offre,

S'arrime à sa douceur,

Serpente dans ses sens en éveille,



Elle y dépose son cri,

Déesse exotique d'un instant ,

dans ce corps à corps fusionnel .



Etrange partance pour l'étroite

Prison de ces sentiments sans avenir.



Un richissime chinois déjà promis à une autre !



Juste la possibilité pour elle de cueillir l'instant présent !

Elle devra se détacher,

Briser les liens de ces anneaux d'amour ,

Partir sans se retourner

Sans chaine,

S'envoler,

Disparaitre

Vers cet ailleurs à quai…

Un bateau pour horizon !

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Le Ravissement de Lol V. Stein

Lol V. Stein voit se produire lors d'un bal l'événement qui va la conduire au seuil de la folie. Michael Richardson, son fiancé, tombe amoureux au premier regard d'une autre femme. Un événement qui sur l'instant ne semble pas l'atteindre, ce n'est que par la suite que Lol semble payer " l'étrange omission de sa douleur pendant le bal ", passant par tous les stades de la sidération, des cris assourdissants à la prostration.



Puis, Lol se marie et devient mère de trois enfants. Elle est joyeuse, semble heureuse, on pourrait la dire guérie. C'est à ce moment, qu'après dix ans d'absence, elle vient se réinstaller avec sa famille dans la ville de sa jeunesse, celle du bal, et y retrouve Tatiana Karl, l'amie témoin de l'événement initial.



Dans ce lieu retrouvé, Lol rejoue le passé. Mais inverse les rôles. La femme trompée sera l'autre, son amie, dont elle prend l'amant. Lol passe de l'autre côté du miroir. La fin de l'amour, la minute où l'amour se sépare, dont il ne reste : " que son temps pur, d'une blancheur d'os ", c'est Tatiana qui va la connaître.



Lire Marguerite Duras me subjugue, me transporte. Je lis, relis les mots, les fulgurances, les phrases magnifiques. M'en imprègne. Quelque chose m'impressionne. Quelque chose qui est peut-être en nous comme l'amour, la sensualité, la passion, la folie qu'on reconnaît dans Le Ravissement, qui nous saisit et nous éclaire sur l'amour absolu - l'amour pour l'amour, l'amour dont l'objet serait lui-même.
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Moderato cantabile

Moderato cantabile c'est comme souvent avec Marguerite Duras une ambiance très particulière, une incursion dans un décor imaginaire très cinématographique, avec le charme des films des années cinquante, un peu désuet dans le jeu des acteurs ou du cadrage, mais terriblement envoutant.



Peu de personnages : une jeune femme et son fils, une prof de piano, la tenancière d'un bistrot et un client intrusif : c'est autour d'une mort violente survenue dans le bar alors que les ouvriers de la fonderie voisine viennent trinquer à la fin d'une journée de labeur que des liens se nouent.



L'intrigue est mince et n'aboutit pas. Beaucoup de questions sans réponse, questions amenées par les personnages, sur le crime passionnel, sur les relations troubles entre Anne et Chauvin.

Peu importe, ce n'est pas ça qui compte. Les situations successives sont terriblement banales, et c'est leur répétition , qui crée cette impression d'épaisseur, de force. C'est ce qui subsistera à distance : une répétition de piano, l'ambiance d'un café à la sortie du travail, les échanges troubles entre une jeune femme bourgeoise et un des employés de son mari qui semble connaitre beaucoup d'elle.





La fascination du crime dont elle a été quasiment témoin agit comme un détonateur dans la vie d'Anne. Un événement extérieur et fortuit bouleverse l'édifice fragile sur lequel sa vie est construite. C'est une femme peu consistante, qui réagit peu aux leçons d'éducation de la prof de musique. Les leçons de piano deviennent un prétexte à une relation trouble avec un quasi-inconnu, avec qui elle n'hésite pas à s'enivrer. Les verrous s'ouvrent les uns après les autres.



Une femme, un enfant, un homme, de l'alcool, le décor durassien est planté. Reste au lecteur à se laisser emporter au fil des pages.

Belmondo et Jeanne Moreau ont-ils su mettre leur art au service de ce monument de la littérature?
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L'amant

Ce roman se comporte comme le ferait une œuvre

d’art sujette à polémique : On sort du conformisme et du linaire pour préférer un écrit déstructuré dans le temps comme dans la désignation des personnages, des variations de rythme, rapide quand il s’agit de la famille de Marguerite Duras, avec de courtes phrases parfois assassines, et plus lente, peut-être signalant l’apaisement quand elle sort du contexte familial, particulièrement quand elle se souvient de l’amant, avec l’emploi de pronoms ou de substituts pour parler d’elle : la petite fille, ou emploi de la troisième personne du singulier...



Ce roman quasi autobiographique raconte l’histoire d’une femme émancipée, l’histoire d’une liaison sans avenir, l’histoire dune femme qui met une distance entre sa famille et elle-même, une histoire amoureuse, celle des premières expériences sexuelles, celle de l'Indochine française...



Je n’ai toutefois pas apprécié cette littérature, et je me suis demandé si elle devait son succès au snobisme ambiant des réunions littéraires qui faisaient se pâmer les critiques. Je dois avouer que ce roman m’a à la fois agacée et fatiguée, et j’ai vraiment ressenti cet écrit comme une masse d’informations que l’on aurait jeté là pêle-mêle en invitant le lecteur à se servir, à prélever la substantifique moëlle.



Peut-être aurais-je dû commencer par une autre œuvre de Duras, plus linéaire avant de me plonger dans ce récit. Je crois donc, malgré tout, que tout n’est pas fini entre Duras et moi, je n’ai pas été sensible à ce roman, il faudra que je fasse plus ample connaissance de cette auteure.
Lien : https://1001ptitgateau.blogs..
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Le Ravissement de Lol V. Stein

En terminant «Le Ravissement de Lol V. Stein» de Marguerite Duras, je ressens comme un soulagement, vraiment un gros soulagement, car ce livre est bien loin de nous offrir une «lecture détente ou plaisir», comme on dit...



C'est vrai que j’ai eu du mal avec ce livre, je l’ai trouvé très inégal. En fait, j’ai terminé ma lecture comme je l’ai commencée : je n’ai rien appris et j’ai l’impression d’être passée à côté de tout, je ne garde rien de cette lecture qu’un sentiment étrange, comme un échec. L’atmosphère malsaine –folie, mensonges, non-dits- m’a énormément pesé également, il est donc très difficile d’entrer dans l’histoire, de comprendre les personnages qui ne se révèlent que très peu tout au long du récit, qui restent distants, ce qui ne nous les rend pas vraiment passionnants et intéressants… Le thème de l’amour absolu qui nous hante, nous bouleverse, nous fait souffrir, au-delà d’être troublant, se révèle tout aussi pesant, et je l’ai trouvé trop froidement évoqué ; j’ai eu beaucoup de mal avec cela, ainsi qu'avec l'omniprésence d'un passé qui inhibe et emprisonne l'héroïne…

Marguerite Duras donne l’impression de vouloir se rendre inaccessible, élitiste dans son écriture… et ça fonctionne. J’ai eu beaucoup de mal à suivre certains passages, là ou d’autres sont empreints d’un mystère délicieux, et d’une réelle beauté… Il faut s’arrêter pour les relire et s’en imprégner pleinement, et, bien qu’ils soient assez rares, ils sont les seuls à ne pas m’avoir fait regretter ma lecture.



Je ressors donc de cette lecture à l’image de ce qu’elle est : troublée, frustrée aussi de ne pas avoir tout compris, égarée. Je crois qu’une relecture s’impose, mais pour bien plus tard…

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Un barrage contre le Pacifique

Ma première lecture de Marguerite Duras remonte à presque vingt ans. J’avais lu L’Amant suite à l’étude d’un extrait pour le bac ( j’étais même tombée dessus à l’oral). Le souvenir que j’en garde se limite à des impressions dues au cadre de l’intrigue, l’Asie coloniale, la chaleur, l’atmosphère lourde, quelques visions de persiennes laissant filtrer les rayons du soleil et les clameurs de la rue mais aussi et surtout un profond ennui.

A l’occasion du centenaire Marguerite Duras, j’ai lu Un barrage contre le Pacifique et j’ai bien cru que j’en retirerai la même chose. D’une manière générale, j’ai trouvé ma lecture assez difficile, surtout au tout début. Il m’a fallu près de la moitié du roman pour me plonger dedans et m’adapter au style. J’étais assez perplexe, j’avais l’impression de lire un livre écrit à deux mains. Des passages au style pauvre et maladroit alternant avec des envolées de toute beauté. Les personnages sont au premier abord assez antipathiques et pas du tout attachants. Leur vulgarité et leur vénalité m’ont choquée presque plus que leur misérable condition et leur malchance.



La première moitié du roman se consacre principalement à mettre en place les personnages et leur situation : une femme ayant perdu très tôt son mari doit se débrouiller pour pourvoir à ses besoins et ceux de ses enfants. D’abord institutrice à sa venue en Indochine, elle a du trouver d’autres postes pour nourrir les siens et se constituer un petit capital. Ce capital, représentant une bonne dizaine d’années d’économies, elle décide de l’investir dans une concession qu’elle s’engage à mettre en valeur et à cultiver. Malheureusement, son terrain est régulièrement recouvert par de hautes marées rendant toute culture impossible. Sa mésaventure ne semble pas être un cas isolé mais plutôt une arnaque bien rôdée profitant aux agents du cadastre et à l’administration coloniale. La mère et ses enfants tentent de survivre comme ils peuvent et attendent.

Ce roman est celui de l’espoir et de l’attente, l’attente de l’événement qui viendra changer leur condition, le miracle qui leur permettra de partir et de vivre enfin. La mère se démène et s’entête : la construction des barrages, ses entreprises pour caser sa fille, toutes ses tentatives se soldent par des échecs. Mais elle persiste jusqu’à s’en rendre malade et son impuissance la mène jusqu’aux portes de la folie.

L’ennui que l’on peut ressentir à la lecture de cette première partie reflète celui de cette famille qui voit les jours passer dans cette même et pénible attente, dans la lenteur du temps qui s’écoule quotidiennement tantôt à l’ombre du bungalow, tantôt sous la chaleur écrasante du bord de piste.



Tous les détails relatifs à la vie dans la colonie sont passionnants. Marguerite Duras brosse un portrait de l’Indochine coloniale bien loin de toute vision idyllique : la corruption des fonctionnaires coloniaux, la misère des petits colons, celle des indigènes, la ségrégation géographique des villes coloniales. Elle se livre à une véritable étude sociologique de la population coloniale, des habitants permanents, des agents de passages, les colons qui ont su profiter de la manne coloniale : plantations de latex, de riz, marchands de textiles, diamantaires, ceux qui sont contraints au trafic pour survivre : contrebande d’alcool, trafic de l’opium … A travers le personnage du caporal, les indigènes ne sont pas oubliés : la faim, la prostitution, la forte mortalité des enfants, les maladies sont autant de calamités que les colons ne cherchent même pas à enrayer.



Je disais donc que j’avais eu des difficultés à prendre les personnages en sympathie. Hormis la mère, qui ne peut que susciter la compassion par sa force, son courage et son espoir obstiné, j’ai trouvé Suzanne, sa fille, et Joseph, son fils, effroyablement égoïstes, vulgaires et comme le dit également M.Jo : immoraux. Ils semblent se moquer des efforts de leur mère et ne cherchent leur salut que par la fuite. Joseph attend qu’une femme et l’amour l’emmènent loin de cette vie dont il ne veut plus. Suzanne attend patiemment le long de la route qu’une des rares voitures s’arrête pour s’enfuir à son bord. Elle refusera deux bons partis auxquels elle ne s’intéressera que par intérêt et pour réconforter sa mère.

Malgré tout, peut-on les blâmer au vu des conditions de vie qui sont les leurs ? Au fur et à mesure qu’on avance dans le roman, on finit par les comprendre et on se laisse attendrir. La plume de Marguerite Duras se fait plus assurée, plus constante, plus incisive et rageuse. La lettre de la mère aux agents du cadastre est un véritable bijou, un cri de colère délectable. La longueur des chapitres s’adapte au rythme des évènements et on ressent bien cette accélération dans la deuxième moitié du roman.



Le titre même du roman souligne le côté dérisoire de la situation : un seul petit barrage contre la force des flots d’un océan, reflet des efforts désespérés de la mère et qui semblent si insignifiants face aux obstacles de la vie : le pouvoir, les autorités, les éléments naturels, la société, la quête du bonheur, le dénuement matériel.



Au final, Un barrage contre le Pacifique est un roman qui déroute et qui nécessite, tout comme la mère, de la patience et de l’obstination pour découvrir derrière une façade d’ennui et de simplicité, un récit engagé dont l’inspiration autobiographique renforce la puissance et le tragique.




Lien : http://0z.fr/yGDpM
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