Citations de Maurice Blanchot (547)
Le malheur nous fait perdre le temps, nous fait perdre le monde.
A propos de Simone Weil.
Et à quoi servirait-il de sauver son âme, de lui rendre cohérence et équilibre, lorsque la vérité du monde n'est plus qu'un déchirement passionné ?
A propos de Hermann Hesse.
Qui veut se souvenir doit se confier à l'oubli , à ce risque qu'est l'oubli absolu et à ce beau hasard que devient alors le souvenir .
Du "ne pas encore" au "ne plus", tel serait le parcours de ce qu'on nomme l'écrivain, non seulement son temps toujours suspendu, mais ce qui le fait être par un devenir d'interruption.
Incipit :
Thomas s'assit et regarda la mer. Pendant quelque temps il resta immobile, comme s'il était venu là pour suivre les mouvements des autres nageurs et, bien que la brume l'empêchât de voir très loin, il demeura, avec obstination, les yeux fixés sur ces corps qui flottaient difficilement. Puis, une vague plus forte l'ayant touché, il descendit à son tour sur la pente de sable et glissa au milieu des remous qui le submergèrent aussitôt.
Attente, se rendre attentif à ce qui fait de l’attente un acte neutre, enroulé sur soi, serré en cercles dont le plus intérieur et le plus extérieur coïncident, attention distraite en attente et retournée jusqu’à l’inattendu. Attente, attente qui est le refus de rien attendre, calme étendue déroulée par les pas…
..
La mort, considérée comme un évènement attendu, n’est pas capable de mettre fin à l’attente. L’attente transforme le fait de mourir en quelque chose qu’il ne suffit pas d’attendre pour cesser d’attendre…. Celui qui vit dans l’attente voit venir à lui la vie comme le vide de l’attente et l’attente comme le vide de l’au-delà de la vie..
...
Nous n’allons pas vers l’oubli, pas plus que l’oubli ne vient à nous, mais soudain l’oubli a toujours déjà été là, et lorsque nous oublions, nous avons toujours déjà tout oublié : nous sommes, dans le mouvement vers l’oubli, en rapport avec la présence de l’immobilité de l’oubli
Nous ne pensons pas absolument l'idée de fin, nous ne la pensons qu'en rapport avec l'idée de commencement. La fin révoque le commencement.
La patience, persévérance retardée.
Ce qui importe davantage, c’est la force d’opposition qui s’est exprimée dans l’œuvre même et qui est mesurée par le pouvoir qu’elle a de supprimer d’autres œuvres ou d’abolir une part du réel ordinaire, ainsi que par le pouvoir d’appeler à l’existence de nouvelles œuvres, aussi fortes, plus fortes qu’elles ou de déterminer une réalité supérieure. Ce qui compte aussi, c’est la force de résistance que l’auteur a opposée à son œuvre par les facilités et les licences qu’il lui a refusées, les instincts qu’il a maîtrisés, la rigueur par laquelle il se l’est soumise.
De ces œuvres il sort une puissance qui est vraiment révolutionnaire. Leur action est obscure et presque toujours peu prévisible. Mais la violence, parfois cachée où elles durent, la tension où elles nous contraignent, l’acte de libération qu’elles nous font désirer par la perfection où elles nous portent sont tels qu’elles agissent, à un moment qu’on ne sait pas, sur un monde qu’elles ont ignoré. Ainsi il est possible, il est presque certain que quelques-uns des grands ouvrages classiques accomplissent aujourd’hui leur dessein en nous préparant un univers où les grandes œuvres soient à nouveau concevables et en nous apportant non pas un héritage tout fait, mais les raisons, l’espoir et la force de rassembler notre héritage personnel, de devenir nos propres héritiers. Par quoi se vérifie encore l’axiome qui établit que seule la perfection est infiniment révolutionnaire.
Jacques Rivière s'est-il rendu compte de cette anomalie ?
Des poèmes qu'ils jugent insuffisants et indignes d'être publiés cessent de l'être, lorsqu'ils sont complétés par le récit de l'expérience de leur insuffisance.
Artaud.
A la vérité, presque rien ne le distinguait des autres. Il était plus effacé, mais non pas modeste, impérieux quand il ne parlait pas ; il fallait alors lui prêter silencieusement des pensées qu'il rejetait doucement ; cela se lisait dans ses yeux qui nous interrogeaient avec surprise, avec détresse : pourquoi ne pensez-vous que cela? pourquoi ne pouvez-vous pas m'aider? Ses yeux étaient clairs, d'une clarté d'argent, et faisaient songer à des yeux d'enfant. Il y avait, du reste, sur son visage quelque chose d'enfantin, expression qui nous invitait à des égards, mais aussi à un vague sentiment de protection.
Certainement il parlait peu, mais son silence passait souvent inaperçu. Je croyais à une sorte de discrétion, parfois à un peu de mépris, parfois à un trop grand recul en lui-même ou hors de nous. Je pense aujourd'hui que peut-être il n'existait pas toujours ou bien qu'il n'existait pas encore. Mais je songe à quelque chose de plus extraordinaire : qu'il avait une simplicité dont nous n'étions pas surpris.
Il gênait pourtant. Il m'a gêné plus que d'autres. Peut-être a-t-il changé la condition de tous, peut-être seulement la mienne. Peut-être fut-il le plus inutile, le plus superflu de tous les êtres.
Seul demeure le sentiment de légèreté qui est la mort même ou, pour le dire plus précisément, l'instant de ma mort désormais toujours en instance.
Pas d'encyclopédie sans traduction. Mais qu'est-ce que traduire ? Traduire est-il possible ? Traduire n'est-il pas, acte littéraire singulier, ce qui non seulement permet l'ouvrage encyclopédique, mais en même temps l'interdit, le menace ? Traduire, mise en "oeuvre" de la différence.
– Cette idée, tant de fois proposée et toujours déplacée, c’est que dans la littérature se jouerait quelque affirmation irréductible à tout processus unificateur, ne se laissant pas unifier et elle-même n’unifiant pas, ne provoquant pas à l’unité. C’est pourquoi nous ne pouvons la saisir que par le biais d’une suite de négations, car c’est toujours en termes d’unité que la pensée, à un certain niveau, compose ses références positives. C’est pourquoi aussi la littérature n’est pas vraiment identifiable, si elle est faite pour décevoir toute identité et pour tromper la compréhension comme pouvoir d’identifier. Qu’à côté de toutes les formes de langage où se construit et se parle le tout, parole d’univers, parole du savoir, du travail et du salut, il faille pressentir une tout autre parole libérant la pensée d’être toujours seulement pensée en vue de l’unité, voilà donc ce qui peut-être nous resterait encore au fond du creuset.
– Du moins momentanément.
Du moment que je le regardais, j'appartenais au défilé et aussi longtemps que je défilais, je ne pouvais faire autrement que de le regarder.
Est-il vrai que nous ne saurions nous aimer, que nous soyons trop légers pour cela, trop unis en notre légèreté ?
Mais lentement - brusquement - se fit jour la pensée que cette histoire était sans témoin : j'étais là - le "je" n'était déjà plus qu'un Qui ? une infinité de Qui ? pour qu'il n'y eût personne personne entre lui et son destin, pour que son visage restât nu et son regard indivisé.
L'écriture ne commence que lorsque le langage, retourné sur lui-même, se désigne, se saisit et disparaît.
Le langage est le lieu de l'attention.
Il ne saurait jamais ce qu'il savait. C'était cela, la solitude.