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Critiques de Milan Kundera (970)
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L'ignorance

C’est le premier livre de Milan Kundera que je lis…

Je découvre avec surprise que L’Ignorance a d’abord été publié en langue espagnole en 2000, puis en vingt-six autres langues avant d’être publié en français, sa langue originale, en 2003… Pour moi, Milan Kundera est un écrivain d’origine tchèque vivant et écrivant en France. Voilà un paradoxe que je ne m’explique pas.



Sur fond d’exil politique, de retour au pays natal, de recherche du temps perdu en quelque sorte, L’Ignorance démontre en phrases sobres que la nostalgie des exilés politiques se heurte, au moment du retour tant espéré, aux ressentis opposés de ceux qui ont fui le régime et de ceux qui sont restés. Ce livre entre idéal et réalité est, en effet, à la limite du roman et de l’essai philosophique.

Les deux héros principaux, Irena et Josef, sont presque des sujets d’expérience que l’auteur a placés dans deux situations d’émigré similaires à quelques variantes près ; de temps en temps, ce même auteur vient commenter les résultats de ses observations en faisant irruption dans la narration à la première personne.

Irena et Josef, chacun à leur manière, vivent la difficulté de réconcilier le présent du retour avec le passé de l’exil et du pays retrouvé. À tous deux, ce retour est imposé par la famille où les amis dès que les évènements historiques le rendent possible. Je m’étonne que Kundera emploie plutôt le terme d’émigré pour ceux qui ont choisi l’exil : c’est peut-être une formulation plus actuelle, plus moderne.

Irena et Josef doivent faire face à des situations qui mettent en avant un profond décalage entre les souvenirs fantasmés de leur pays, de leur famille ou de leurs amis et la réalité des confrontations du retour. Tout devient source de malaise : la langue toujours comprise mais trop longtemps inusitée, la ville de Prague livrée au tourisme, les maisons des émigrés confisquées puis rendues aux parents qui se les sont appropriés comme une sorte de dédommagement d’avoir du subir la honte de la fuite de leurs proches… Et puis surtout, leur expérience d’émigré n’intéresse personne !



Ce malaise semble inéluctable ; en effet la référence à L’Odyssée d’Homère et au personnage d’Ulysse inscrit L’Ignorance dans une filiation littéraire avec un texte mythique et fondateur. Ulysse, libéré par Calypso, reprend son errance et entame son long voyage de retour vers Ithaque ; il raconte des épisodes de son périple à la cour des Phéaciens, où il est particulièrement bien reçu et où sa personnalité intrigue ; par contre, lors de son retour chez lui, personne ne va véritablement s’intéresser à ce qu’il a vécu durant son voyage. De même, Irena et Josef ont suscité une forme d’intérêt en France et au Danemark en qualité d’émigré fuyant le régime tchèque, mais cet intérêt a décru quand leur pays d’origine a retrouvé un meilleur équilibre politique. Comme Ulysse, ils ont du faire preuve d’adaptation au cours de leur exil : par exemple, Irena déclare avoir exercé au moins sept professions différentes. Enfin, ils ont réussi à recréer une forme de bonheur et d’équilibre tout comme Ulysse avait su profiter de son séjour chez Calypso…

Enfin, tout comme le monde homérique à la fois poétique et littéraire peut être lu comme une histoire des représentations collectives car Homère recrée le passé, sans refléter une période en particulier, les expériences vécues par les personnages d’Irena et de Josef ont valeur générale de preuve par l’exemple.



Milan Kundera va très loin dans son étude ; le récit part dans trois directions à travers les deux personnages étudiés d’abord séparément puis ensemble. Mais même le rapprochement entre eux ne fonctionne pas, se réduit à un moment de sexe, entre obscénités et alcool. La fin, que je ne dévoilerai pas ici, est aussi lourde de sens avec deux personnages féminins un moment fusionnés dans l’imaginaire du lecteur puis opposés dans l’ignorance réciproque de leur vécu.

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L'ignorance

Les auteurs publiés dans la collection Pléiade de leur vivant ne sont pas nombreux.

Kundera est l'un d'eux.

C'est une consécration, et je trouve que ce n'est que la justice.

Je ne lis pas les critiques dans les journaux , "objectives" et professionnelles: celle que j'ai lu aujourd'hui sur un livre de Kundera n'a fait que renforcer mon aversion pour ce genre de textes. En effet, quel intérêt de savoir l'opinion de quelqu'un qu'on ne connaît même pas ,sur l'oeuvre que l'on connais bien et qu'on aime ? Sur Kundera je ne veux lire que les posfaces de François Ricard.



Je n'ai pas de bibliothèque personnelle, mai les livres de Kundera je les ai tous.

J'en prends l'un, le feuillète: c'est "L'ignorance"..

Je relis quelques chapitres , vers la fin.

La solitude, d'après Milan Kundera, c'est traverser la vie sans intéresser personne, parler sans être écouté, souffrir sans inspirer la compassion.

Sa vision de la condition humaine:

Tout ce qui vit sur la terre mange et peut être mangé.

Un homme peut être mangé, mastiqué, avalé, transmué en excréments.

L'effroi d'être mangé n'est que la conséquence d'un autre effroi plus général, celuid'exister sur la forme d' un corps vivant.

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L'ignorance

Le premier roman me donnant envie d'y revenir, encore et encore, de revenir tout court. Par le biais des pérégrinations (avant tout psychologiques) d'Irena et de tous les protagonistes qu'il construit, Kundera touche l'intimité de chacun lorsqu'il évoque avec tant de justesse l'expérience de l'exil, et sa sensation. Si la nostalgie s'avère être la saveur omniprésente dans les mots de l'auteur, jusque dans ses virgules, l'on comprend d'autant mieux pourquoi l'Ignorance porte ce nom, et l'incarne à merveille. En effet, que serait l'élan nostalgique sinon la conscience de ne pas savoir, de ne plus voir, et d'en souffrir ? Quand Irena revient à Prague, ce ne sont pas seulement les traces de sa jeunesse qu'elle retrouve mais bien celles des possibilités qu'elle n'aura plus jamais et que Kundera nous souffle avec une étonnante intensité. Une tristesse également. Pourtant, l'on ne peut s'empêcher d'admirer avec quelle lucidité l'auteur nous parle du thème de l'émigration (et de l'immigration) alors même qu'il doit susciter en lui bon nombre d'implications morales et sentimentales. Voilà donc les raisons de ce retour sur cet ouvrage, il exhorte au retour (sinon chez soi, vers soi) et dans le cas présent, vers l'expérience d'une (re)lecture réconciliatrice.
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L'ignorance

Entre essai et roman, Kundera, qui connaît bien le sujet, revient dans un texte court, mais concis sur la nostalgie qu’engendre l’exil.

Il nous parle des « émigrés »et non pas « immigrés » subtile nuance s’il en est.

L’exilé modèle est Ulysse et Homère dans son Odyssée évoque le besoin de retour au pays, aux racines .

Pourtant , après quelques années (pas si malheureuses) passées avec la nymphe Callypso, Ulysse revient chez lui, mais hormis par son chien, il n’est pas accueilli à bras ouverts, et c’est ce que retranscrit Kundera par le truchement de ses deux personnages, Irena et Josef .

Ces deux là ne se croisent d’ailleurs que sur un temps assez court ; ils se sont exilés lors du changement de régime, l’une en France, l’autre au Danemark et 20 ans plus tard tentent de retrouver Prague avec certes une légère appréhension, qui sera justifiée parce que l’accueil qui leur est réservé par chaque famille ou amis est froid, et leur absence ou plutôt ce qu’ils en ont fait n’intéresse personne.

L’exil quand il est forcé ou choisi finit par connaître une fatigue de l’âme, un sentiment de perdition ; ce texte si court est si profond qu’il mérite d’être lu et relu comme je l’ai fait avec un vrai plaisir ; de l’intelligence et du coeur à chaque page.
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L'ignorance

Tel Ulysse revenant à Ithaque, 20 ans après l’avoir quittée, Irena et Josef reviennent à Prague après avoir émigré, elle à Paris, lui au Danemark.

Et s’ils se sont connus autrefois, il n’y a de commun entre eux que ce déracinement assumé, qui en fait des « frères et sœurs » d’immigration.

L’ignorance, c’est celle de la vie qu’ils n’ont pas vécue dans leur pays d’origine, avec leurs amis d’enfance et leurs parents.

Mais c’est aussi celle de la vie qu’ils ont vécue pendant 20 ans, dont personne au pays ne se soucie ; comme si en partant, ils disparaissaient aux yeux de ceux qu’ils ont quittés.

C’est à la fois un roman racontant l’histoire des retrouvailles de deux êtres que tout a séparé ; et c’est aussi un essai sur le malaise de l’émigré qui ressent de la nostalgie pour son pays d’origine, mais qui oublie en même temps la plupart des souvenirs de son ancienne vie.

J’ai été très touchée par ces personnages qui se sentent à la fois heureux des choix qu’ils ont faits , mais qui gardent en eux la blessure de l’exil.

Kundera sait nous atteindre par sa façon si profonde de voir les choses simples de la vie et d’y apporter un autre regard, et c’est superbe.
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L'ignorance

Irena est Tchèque. Elle a immigré à Paris avec son époux en 1968 quand les troupes russes envahissent son pays. En 1989, lorsque le pays redevient libre, son amie Sylvie la presse de retourner vivre à Prague, chez elle. Irena s'ingurge. Chez elle, c'est la France depuis 20 ans. A Prague Irena rencontre Josef du Danemark et ils se reconnaissent.



Kundera nous raconte l'histoire de ces immigrés qui ne veulent pas retrouver ce que l'on nomme "leur pays", ni ceux que l'on nomme "leurs amis" ou "leurs familles" et dont après des dizaines d'années ils ne connaissent plus rien. Un conte philosophique instructif qui se lit très facilement.


Lien : http://partageonsnoslectures..
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L'ignorance

Comme je ne lis pas la quatrième de couverture, je ne savais pas de quoi parlait le roman. En ces temps le titre m'a attiré et l'a fait sortir de ma longue PAL.

Je découvre que Kundera traite ici un sujet cher à son coeur. L'exile, l'immigration et la nostalgie qui en découle.

Le roman est concis, précis, sans longueurs ni fioritures. Kundera sait nous amener à l'essentiel, il sait nous livrer ses pensées philosophiques.

Il le fait avec brio dans cette succession de chapitres où on découvre des exilés dont le chemin finit par se croiser:

Irena qui vit en France.

Josef exilé au Danemarque.

Milada exilée dans son propre pays, à sa propre histoire.

Des personnages ayant quitté leur pays, laissant tout derrière eux, ignorant cet avenir dans le pays laissé, tous torturés par cette ignorance, par cette nostalgie forte, celle de leur ithaque.

Un plaisir renouvelé à chaque lecture des oeuvres de kundera.
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L'ignorance

Comme d'habitude le style clair et sans ostentation de Kundera est au rendez-vous pour raconter une histoire qui se dévore en quelques heures. Une histoire ou plutôt un récit divisé en courts chapitres qui alternent les anecdotes de vie et les pensées intérieures de divers personnages qui se croisent.

Comme d'habitude, l'auteur nous emporte dans ses méditations philosophiques qui serpentent et nous prennent à rebrousse-poil. Quand il parle des souvenirs, c'est pour s'étonner de leur maigreur sèche et sans émotion (le contraire de Proust). Et quand il évoque l'exil, il renouvelle la lecture de l'Odyssée en y lisant un récit de désillusion et de solitude. L'émotion transmise au fil des pages est une immense mélancolie, celle d'une longue nostalgie finalement déçue par la Tchéquie post-communiste. Si personne ne regrette le régime déchu, les seuls personnages épargnés par l'esprit du temps, cupide et ignorant, semblent être ces communistes qui ont vraiment cru en une chose plus grande qu'eux.

Comme d'habitude, le récit s'érotise pour montrer dans la sexualité des personnages le symbole de leur existence. Anxiété de l'horloge, danse macabre, ou poésie sans sexe.

Mais il y a beaucoup de tendresse et aussi comme une jubilation de Kundera à régler ses comptes avec les bourgeois qui ont encensé ses livres pour les mauvaises raisons (idéologiques).

Il reste que ciel étoilé de la fin est celui d'une Tchéquie vue d'avion, idéale, celle de quelqu'un qui la quitte définitivement en laissant au sol deux corps vieillissants et sans avenir.
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L'ignorance

Un livre sur le temps et sur la mémoire.

Un livre sur le temps humain de la vie.



Comme souvent maître Milan joue avec ses personnages de roman et les observe en bon entomologiste. Et là, depuis le point de vue de Sirius, il digresse, raconte, explique, construit l'intelligence.

On pourrait craindre le pire en matière de discours pontifiant. Mais voici Kundera: même quand il parle de deuil, creuse les questions existentielles, son propos n'assomme pas. Les très courts chapitres s'appellent l'un l'autre sans lasser. La lecture est fluide, agréable. Même en citant Arthur Schönberg le propos de Kundera n'assomme pas. C'est dire.

Ainsi Kundera ne pontifie pas plus que nécessaire.



Ceci dit, voilà une forme romanesque (de l'intimité surplombée ?) qui a ses détracteurs. Il me semble qu'il passent à côté d'une très bonne expérience de lecture. D'autant que ce volume est bien bref, contrairement aux tous meilleurs Kundera qui le sont moins.



Reste un livre sur le temps et sur la mémoire.

Un livre sur le temps humain de la vie, entre Paris et Prague, via l'île des Phéaciens.

Et toujours pas de prix Nobel en vue....
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L'ignorance

Ce roman de Kundera, comme tous ses romans, est un roman existentialiste où les personnages sont ballotés entre leur passé, le présent, le hasard des rencontres (ou des non rencontres), les circonstances historiques, leurs désirs, leurs actes et leurs renoncements. L’histoire, là aussi une caractéristique de Kundera, est réduite à peu de choses, et l’action est quasi inexistante. Car les personnages servent en réalité de supports ou de points d’appui pour aborder divers thèmes chers à l’auteur et en produire une sorte de partition musicale.

Ici, l’émigration forcée et la possibilité soudaine du retour au pays est le nœud central qui emprisonnent quelques personnages clés. Il va sans dire que sur cet aspect le roman est en partie autobiographique et que Kundera utilise ses personnages pour nourrir une réflexion qui est construite sur sa propre expérience.

Mais pas que.

Car Kundera débordent largement ce thème pour en étreindre d’autres, comme celui de la mémoire qui s’efface ou se reconstruit, tel un fantôme qu’on n’aperçoit qu’au travers d’une brume épaisse et incertaine. Il aborde aussi le rôle étrange de la langue natale qui, malgré l’apprentissage d’une autre que l’on parle couramment, détient toujours les affects, érotiques entre autres, mais qui, dans le même temps, de retour au pays est devenue méconnaissable en raison de son évolution. Ou encore celui du temps qui passe, de l’impossibilité du retour en arrière, des facettes de l’amour (ou ce qu’on appelle tel), etc.

Ce roman est court, écrit très simplement, mais, il ne faut pas s’y tromper, d’une très grande densité de réflexions et de pensées philosophiques.

Comme souvent chez Kundera, c’est brillant, lumineux même parfois, et on se surprend à relire des passages pour mieux s’imprégner de leur justesse.

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L'ignorance

La mémoire a des caprices qu’on lui pardonne parfois difficilement… Lycéenne, une amie m’avait fait découvrir –pour mon plus grand bonheur- Milan Kundera, dont je me suis empressée de dévorer un certain nombre de romans… que j’ai totalement oubliés depuis ! Imaginez un quidam en train d’examiner votre bibliothèque : « Tiens, tu as lu Kundera ? » « Bien sûr ! », répondez-vous avec un air savamment désabusé, en priant pour qu’il n’embraye pas sur : « Et quel passage as-tu préféré dans « Risibles amours ? » ou « Tu te souviens, dans « L’insoutenable légèreté de l’être », quand… ? ». Voilà. Je crois que j’éprouve autant de honte que Zaph le jour où il nous a avoué qu’il n’avait jamais lu Dickens !

C’est pourquoi, lorsque Thom a publié son excellent (1) article sur « L’ignorance », j’y ai vu une occasion de combler, du moins dans une certaine mesure, cette terrible lacune, puisque selon ses propres termes, il s’agit du roman le plus achevé de l’auteur.

Je ne saurai vous dire (comme vous pouvez le comprendre au vu des explications ci-dessus) si c’est aussi mon avis. En revanche, quand Thom le qualifie de chef-d’œuvre, je ne peux que confirmer.



L’auteur y réussit la triple performance de puiser dans les émotions individuelles leur portée universelle, de s’intéresser aux résonances de l’Histoire sur les destins personnels, et tout cela sans nous ennuyer une seule seconde, puisque c’est un livre que l’on ne peut plus lâcher une fois entamé.

A partir des histoires –séparées- d’Irena et Josef, qui ont fui la Tchécoslovaquie lors du Printemps de Prague, pour n’y revenir que 20 ans plus tard, avec la chute du bloc de l’Est, il s’interroge sur les véritables motivations de nos actes, les malentendus et l’incompréhension qui parasitent les relations humaines, sur les difficultés que chacun rencontre tout au long de son existence pour trouver sa place, et composer avec les carcans qu’il s’est lui-même imposé par ses choix de vie.

Leur statut d’émigrés est comme un révélateur des problématiques qui se posent aux individus dans leur coexistence avec autrui : étant considérés uniquement comme tels, on attend d’eux qu’ils se comportent en conséquence, comme des personnes habitées par la souffrance d’avoir été bannies de leur patrie, leur interdisant ainsi le droit de trouver le bonheur dans leur pays d’accueil. Et pourtant, en 20 ans d’exil, c’est bien une vie que l’on se construit… Que ses compatriotes d’adoption refusent de l’admettre constitue pour Irena une immense déception. D’autant plus que l’on peut se demander si cet exil n’était pas finalement, aussi bien pour Josef que pour Irena, une occasion de fuir non seulement le régime communiste, mais aussi –et surtout ?- un contexte personnel et familial qui ne leur permettaient pas de s’épanouir ?

Le comble, c’est que lorsqu’ils retrouvent leurs compatriotes, ceux-ci semblent vouloir occulter leur années d’exil, comme s’ils refusaient de l’autre sa part d’inconnu, parce qu’ils n’en n'ont pas été des acteurs. Seuls comptent les souvenirs d’avant qu’ils ont en commun. A cela s’ajoute le fossé que creuse la relativité de la mémoire : chacun entretient du passé ses propres souvenirs, nourris de ses impressions subjectives. L’immigré en cela a un handicap supplémentaire, lui qui pendant la durée de son éloignement ne peut s’appuyer sur des points de repères concrets (visuels ou humains) pour entretenir la mémoire de ce passé.

Décalages entre les souvenirs, les attentes, les désirs, incommunicabilité… n’apprécierait-on l’autre qu’en fonction de l’image qu’il nous renvoie de nous-mêmes ?



J’ai eu au final le sentiment que le contexte historique de « L’ignorance » n’avait pas tant d’importance, mais servait de prétexte à l’auteur pour dresser le portrait d’hommes et de femmes à travers lesquels chaque homme et chaque femme peuvent se retrouver. Et par là-même, c’est comme s’il désacralisait l’amour de la patrie, (en tous cas dans le sens d'une patrie à laquelle on devrait tout), en insistant sur l’importance de l’individu et de sa capacité à être maître de ses choix (par opposition notamment à l’approche collective de l’Homme du régime communiste).
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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L'ignorance

Milan Kundera, c'est ma récompense.

Que je vous explique.

Après un temps plus ou moins long de découvertes, de services presse, d'auteurs inconnus..., je m'octroie une valeur sûre, une friandise, un opéra, un tour de magie ou de manège... appelez-le comme vous voudrez 🙂



L'ignorance.

Irena est Tchèque, exilée en France.

Josef est Tchèque, exilée au Danemark.

Tous deux reviennent à Prague pour un court séjour, après avoir fui le régime communiste. Un séjour qui va remettre pas mal de choses en perspective pour eux, notamment leur condition d'immigrés.



C'est un livre sur la nostalgie. En espagnol, la racine de nostalgie est souffrance.

La souffrance de ne pas savoir ce que devient l'autre, ou son pays, sa ville natale. Nostalgie de ce qui aurait pu être et ne deviendra jamais.

C'est un livre sur l'exil, et sur les racines bien sûr.



Et comme d'habitude, avec Monsieur Kundera, on se laisse porter par cette écriture si belle, si musicale. Pas un détail qui ne romp le rythme, dénote ou denature.

Même les occasions de digressions philosophiques sont un régal de littérature.
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L'ignorance

Je relis par épisodes toute l'oeuvre de Milan Kundera, romans, théâtre, essais. Une oeuvre peu abondante, mais d'une exceptionnelle qualité.



Quand je reviens à un texte de lui, j'ai le sentiment de retrouver un ami; peu d'autrices et d'auteurs me donnent cette sensation, Duras, Woolf, Auster, Modiano, et plus loin dans le passé Tolstoï.



Mais avec Kundera, c'est encore différent, chacun de ses romans me touche au plus profond de moi-même, comme c'est le cas dans d'autres domaines, par exemple avec Brel, ou avec Rembrandt.

Comment l'expliquer? Je ne sais, et celles et ceux qui n'aiment pas Kundera ne pourraient pas comprendre, pourraient se moquer de cet attachement à cet auteur. Si Proust nous dit, et je suis d'accord,

« Chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même », cela doit être cela, chacun des livres de Kundera me permet d'explorer un peu de moi-même, de me révéler à moi-même, comme font les chansons de Brel et les tableaux de Rembrandt.



Ce court roman, L'ignorance, n'a pas pourtant la complexité de construction de L'insoutenable légèreté de l'être ou de l'Immortalité, la virtuosité implacable de la valse aux adieux, la puissance de La plaisanterie ou de la vie est ailleurs.

Mais sa beauté bouleversante est autre, et ressentie plus fortement dans cette deuxième lecture, les années ont passé et changé ma perception.



Dans les premiers pages, l'auteur nous évoque l'histoire d'Ulysse, et ce faisant, en vient à cette notion de nostalgie, mot dont la racine en espagnol est l'ignorance. Ainsi, la nostalgie est elle la souffrance de ne pas savoir ce qu'est l'autre, ce que devient l'autre, qu'il s'agisse de son pays, de sa région, sa famille, et même de ses chers disparus.



C'est par les histoires d'Irina et de Josef, deux tchèques qui ont émigré, l'une en France et l'autre au Danemark, et qui font un séjour dans leur pays d'origine après 1989, que le thème du retour de l'exilé sera le prélude à un grand développement sur la mémoire, l'incommunicabilité et la solitude.



De l'injonction des amies françaises d'Irina à retourner dans sa patrie, de l'indifférence des familles et amis d'Irina et Josef à ce qu'ils sont devenus en exil, du sentiment de ne plus exister aux yeux des autres autrement que comme l'exilé(e) qui revient, qui doit revenir, du sentiment que celles et ceux que vous avez connus il y a vingt ans ne sont plus que des étrangers pour vous, du temps qui efface progressivement de la mémoire le souvenir de l'être cher (la femme décédée de Josef), que l'on n'arrive à maintenir en soi que par la présence d'objets, de rituels du quotidien, de l'histoire de Milada qui tenta autrefois de se suicider par amour pour Josef et qui vit dans la solitude, c'est l'ignorance, voulue ou subie, l'incommunicabilité, ce thème si cher à Kundera, et la désolation du monde, comme le dit si bien François Ricard dans sa postface.

Mais ce tableau pessimiste se termine pourtant par la rencontre sentimentale et intime d'Irina et de Josef, et malgré la découverte par Irina de « l'ignorance » de Josef (il a feint de se souvenir de leur amitié passée, alors qu'il ne se souvient pas du tout d'elle), c'est la rencontre de deux êtres qui se comprennent profondément, qui se découvrent partager la même vision de la vie, de l'âme soeur, « ma soeur » comme l'écrit Josef dans son petit mot. Et donc sur l'idée que, oui, c'est possible de partager avec quelqu'une ou quelqu'un, et d'envisager de vivre le même chemin.



En conclusion, ce roman va bien au-delà du propos de l'histoire de l'exil et du retour au pays.

Et puis, je trouve que c'est un vrai roman , et non comme le trouvent certains, le prétexte à une digression philosophique.

Et enfin, il y a, comme toujours, cette écriture si fluide, si belle.
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L'ignorance

Milan Kundera a fait la douloureuse expérience de l’exil lorsqu’il a quitté son pays natal, la Tchécoslovaquie, pour la France en 1975. Le roman « L’ignorance » raconte à travers une brochette de personnages ce déracinement et les conséquences du retour aux sources vingt ans après. Le contexte politique a changé, la société a muté, leurs familles et amis les ont oubliés. Cette idée qu’ils se faisaient de leur Odyssée, la nostalgie des temps anciens qui les a poussés dans ce pèlerinage décevant les laissera sur leur faim. Ils se pensaient des héros regagnant ce qui avait été un foyer pour eux, accueillis en vainqueur. L’action corrosive du temps a eu raison du souvenir qu’ils pensaient avoir laissé. Ils ne trouvent que rancœur ou ignorance.

« Mais quand les gens se voient souvent, ils supposent qu’ils se connaissent. Ils ne se posent pas de questions et n’en sont pas frustrés. S’ils ne s’intéressent pas les uns aux autres, c’est en toute innocence… Les gens ne s’intéressent pas les uns aux autres et c’est normal. »

le retour après l’exil ne fait qu’exacerber cet état de fait, que nous ne sommes que spectres.

Milan Kundera a cette phrase magique :

« Et puis un jour on sait et on comprend beaucoup de choses, mais il est trop tard, car toute la vie aura été décidée à une époque où on ne savait rien. »

« L’ignorance » est un petit roman par la taille, mais immensément riche par les idées qu’il véhicule sur le rapport des uns aux autres, la valeur toute relative de chacun et sur l’oubli.

Postface de François Ricard.

Editions Gallimard, Folio, 237 pages.

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L'ignorance

L'ignorance ou l'hypothèse d'un avenir ou le passé joue le rôle primordial du rêve humain, va au-delà du bon roman et de ses protagonistes, en cela réside la recherche à la réflexion approfondie de Milan Kundera. Le projet du futur offrant des possibilités individuelles pour chacun d'entre nous tous, afin de contrôler de ce temps non advenu pour déjouer les conséquences nocives, et infléchir le cours de l'existence comme une fiction existentielle réussie?

Milan Kundera pose la question: peut-on se passer du futur? Peut-on se passer du lendemain même s'il est apocalyptique?

Cette perspective d'un horizon d'attente est aussi nécessaire que l'air que nous aspirons pour vivre et concevoir les prédications d'un futur, si possible, meilleur que celui du passé.

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L'ignorance

A travers les personnages d'Irena, Josef, Gustav, Kundera analyse l'exil, la mémoire, la nostalgie. La nostalgie peut être selon les langues la souffrance, le mal du pays, le désir de retour (en français un seul mot avec le nostos grec, le retour) ou dans d'autres langues un deuxième mot pour qualifier l'ignorance de ce qu'est devenu le pays dont on est parti, dont on s'est éloigné, dont on ne fait plus partie. C'est de ce mal, de cette ignorance dont souffrent Teresa et Josef qui reviennent à Prague après 1989 et la Révolution de velours, la chute du communisme. Une rupture avec ceux qui sont restés, un sentiment d'être étrangers à son passé et une incompréhension de ceux qui sont restés et de ceux qui, dans le pays d'accueil, ne comprennent pas ce non désir de retour, ce sentiment d'être étranger dans son pays d'origine.

Des histoires d'amour comme dans un roman classique mêlées à des réflexions, des analyses à travers les comportements ou pensées des personnages sur l'exil, la mémoire, la dictature, la nostalgie. Des thèmes sérieux désacralisés par l'humour ou des situations cocasses. Un texte simple, concis et complexe, foisonnant d'idées.
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L'ignorance

Troisième roman de Kundera et je retrouve à travers ces lignes, l'auteur qui m'avait séduit de sa plume dans Risibles amour.



Il est ici question de destins mêlés qui s'entrecroisent le temps de quelques jours dans une république Tchèque au sortir du communisme.



Nostalgie d'un pays qu'on ne reconnaît plus, d'une famille qui nous a oublié, d'amis qui se sont construits sans nous. Kundera nous dresse ici le portrait de deux émigrés, dans leur intimité, leurs pensées secrètes, dans un bouleversement qui les touche au plus profond d'eux même : celui d'un retour au pays après 20 ans d'absence.



Dans une construction littéraire qui le caractérise, Kundera propose un écrit concis mais émotionnellement dense, complexe mais en restant léger. Ce paradoxe qui caracterise ce grand écrivain n'en finit pas de me surprendre et me pousse à continuer ma découverte de ses œuvres littéraires.
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L'ignorance

La disparition de l’écrivain est une occasion saisie pour se replonger dans son œuvre. Ou de relire.

Kundera, dans ce roman- essai, revient sur la nostalgie qu’engendre l’exil, ce qu’il connait.

Le roman aborde le sujet des « émigrés », à partir de son modèle Ulysse dans « l’Odyssée ».

Deux personnages, Irena et Josef, se sont exilés lors du changement de régime, l’un en France et l’autre au Danemark.

Ils retrouvent Prague vingt ans plus tard. Et se retrouvent à l’occasion de ce retour.

L’accueil de chacune des familles et relations est froid.

Les liens se sont étirés, et imprégnés d’indifférence.

« Le pire, c’est qu’elles me parlaient de choses et de gens dont je ne savais rien. Elles ne voulaient pas comprendre que leur monde, après tout ce temps, s’est évaporé dans ma tête. »

Le texte est court, simple qui sait exprimer ce sentiment de déracinement.

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L'Immortalité

On devrait tous lire Kundera !
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L'Immortalité

Un chef-d'oeuvre.
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