J’ai été étonné de lire que ce dernier roman de Milan Kundera, La fête de l’insignifiance, pouvait être considéré comme la synthèse de l’œuvre de cet écrivain décédé le 11 juillet 2023. Il l’a écrit vers ses quatre-vingt-cinq ans et formerait une sorte de testament... Quel héritage nous lègue-t-il ? Un héritage grandiose si j’en crois l’interview de Kenzaburo Oé par Laure Adler citée dans ma précédente chronique, où le prix Nobel de littérature affirmait, enthousiasmé, que ce livre ultime de Kundera était « stupéfiant, le plus grand, une construction gigantesque » et « renfermait même le monde entier »… L’occasion devenait impérieuse de relire cet auteur réputé incontournable, dont je ne connaissais que "L’insoutenable légèreté de l’être".
Il s’agit d’un court récit en sept parties divisées elles-mêmes en petits paragraphes. Alain est fasciné par le nombril des jeunes femmes. Charles obnubilé par Staline. Caliban et Ramon se retrouvent au cocktail d'anniversaire de D'Ardelo, un ancien collègue de Ramon, qui feint d'être atteint d'un cancer incurable. Autant de personnages masculins, assez peu caractérisés, et des femmes réduites à leur nombrils, évoquées comme conquête, à séduire. J’ai vite compris que les héros ne sont que des marionnettes actionnées par l’auteur pour une vaine recherche de bonheur, illustrant « une époque qui est comique parce qu’elle a perdu tout sens de l’humour ». On y disserte : « Une plumette plane sous le plafond » puis de la « chute des anges » (les héros, les dieux ?). La fête de l’insignifiance est vue à coups de sentences définitives par des compères que j’ai fini par imaginer refaire le monde – le défaire plutôt – autour d’un verre au café de la gare. Des histoires cocasses mises dans la bouche de Staline, Khrouchtchev... mauvaises blagues d’une époque révolue.
« En effet, de quoi cette chute est-elle le signe ? D’une utopie assassinée, après laquelle il n’y en aura plus aucune autre ? D’une époque dont il ne restera plus de traces ? Des livres, des tableaux rejetés dans le vide ? De l’Europe, qui ne sera plus l’Europe ? Des blagues dont plus personne ne rira ? »
Curieux roman qui dérive souvent vers l’essai, une succession d’impressions vagues, des sentiments du moment, sur le ton d’évidences qu’il n’est pas nécessaire d’argumenter – logique puisque rien n’a d’importance...
Pourtant l’autobiographie n’est pas loin et si Milan Kundera est un auteur très secret sur sa vie personnelle, transparaît en quelques passages des fêlures familiales. Il y est question d’une mère trop tôt absente (on trouve facilement des renseignements sur son père mais rien concernant sa mère). J’ai trouvé ces passages là intéressants, dommage qu’ils soient rares et disséminés dans un ensemble décousu.
« Alain se taisait, puis il dit d’une voix paisible : De quoi te sens-tu coupable ? De ne pas avoir eu la force d’empêcher ma naissance ? Ou de ne pas t’être réconciliée avec ma vie qui, par hasard, n’est quand même pas si mauvaise ? »
Un livre que je trouve bien sombre et inquiétant, l’insignifiance peut-elle être philosophique alors qu’elle signe l’impossibilité même d’un sens quelconque ? Comment Kenzaburo Oé dans l’interview citée auparavant, peut-il voir l’insignifiance de Kundera comme l’affirmation d’un monde contenant tous les sens, toutes les possibilités ? Une condition humaine dépourvue de sens ou qui les contient tous, en quoi l’absolu peut-il être compatible avec notre monde ? Pour ma part j’y ai vu une fois de plus mis en avant l’absurdité d’un angélisme passé de mode, de droits de l’homme nuls et non avenus, l’affirmation que tout se vaut et que se moquer de tout est la solution pour conserver sa bonne humeur, seul horizon encore atteignable...
Une lecture qui m’a fortement déconcerté, vous l’avez compris si vous m’avez lu jusqu’ici. La douleur des échecs chez ce vieil homme qu’est alors Milan Kundera transparaît et, il me semble, bien peu de chose autre, ce qui ne fait pas le chef-d’œuvre annoncé. Renfermer le monde entier dans une centaine de pages ? Ou grosse blague d’un vieil homme désabusé qui ne devrait pas être utilisé pour l’édification de nouvelles statues ?
L’avez-vous lu ? Quel est votre avis sur cet auteur et ce livre en particulier ?
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