Qui sont ces funambules que va rencontrer notre narrateur ? Des artistes assurément. Des artistes pour tenter de rester debout sur le long fil de l’existence qui menace de se rompre et même qui, souvent, s’est brisé. Certains chutent inexorablement, d’autres se raccrochent aux balanciers que d’aucuns tendent depuis les associations qui aident hommes et femmes à se reconstruire sur ce périlleux chemin suspendu sur leurs vies, car vivre pour ces blessés de la vie est une acrobatie perpétuelle.
Le narrateur est biographe pour anonymes. Il est parfois une prête-plume pour une personnalité, politique ou autre, qui n’a « pas le temps » d’écrire elle-même… mais à la demande d’un éminent neuropsychiatre il a va recueillir le témoignage des écorchés de la vie, ceux qui n’osent avouer leurs fêlures ou qui ne savent comment les exprimer, de ceux qui voudraient « vivre comme tout le monde », une phrase prononcée par une funambule et qui résonne comme un électrochoc.
Du narrateur, on ne connaîtra son prénom qu’à la toute dernière phrase mais on sait qu’il est, lui aussi, porteur d’une fêlure, celle de l’exil. Un exilé de l’enfance parti de « chez lui » qui est désormais un « là-bas ». Depuis, il lui semble qu’il n’habite « nulle part ». Il va parcourir les centres d’accueils, les entités caritatives, s’entretenir avec ceux qui donnent de leur temps et ceux qui reçoivent des souffles d’humanité. En même temps, il continue à fréquenter des âmes errantes comme Le Philosophe, à s’occuper de sa mère, sa seule famille, qui n’est plus que l’ombre d’elle-même, et à tenter de retrouver Nadia, un amour perdu parlant « toutes les langues de la vie ».
Les Restos du Cœur, ATD Quart Monde, les Petits Frères des Pauvres, le Collectif Les Morts de la rue, sont les organisations qui vont être visitées par le biographe et qui met en lumière l’immense courage de ceux qui essaient de réparer le fil cassé, un fil qu’il faut continuer à saisir malgré l’absence de l’amour reçu pendant l’enfance, malgré la violence d’un conjoint, malgré le chômage, malgré le rejet et le regard des autres. Aux bénévoles de rendre moins périlleux le fragile équilibre, eux aussi nécessitent une sacrée dose d’énergie et du don de soi.
Mohammed Aïssaoui signe un livre d’une humanité inouïe et rend hommage à ces oubliés de la société. Pourtant, comme le souligne le titre d’un chapitre, « la misère a un visage et un prénom ». Une âme également et une histoire à raconter. Tout porte à croire que le journaliste écrivain a lui aussi une histoire à nous dire mais il a préféré s’épancher sur celle des autres. Une noblesse également dans l’écriture, toute en humilité et sans voyeurisme, juste mettre en lumière les cœurs assombris et d’expliquer ce qui semble inexplicable.
Une ode à la bienveillance, un socle d’humilité, une voix pour rompre le silence, qui apportent une aube sur ceux qui naissent et grandissent en cherchant un fil plus solide face aux souffrances, puissent ces funambules devenir des jongleurs de vie.
Lien :
https://squirelito.blogspot...