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Citations de Mohammed Dib (352)


Mohammed Dib
Il en est passé, du temps, et hadj Merzoug toujours: protégé par ma djellaba de laine brute, face à la porte ouverte, je me borne à regarder. J'y passe des heures. Elles ne me servent à rien, ces heures. Elles n'ont qu'à passer. J'ai couru après la vie et maintenant je ne cours plus. Elle m'a malmené, la vie... autant qu'elle sait le faire. Je l'ai malmenée à mon tour et j'ai gagné, si avec elle on croit avoir gagné à un moment ou à un autre.
Et dit-il : j'ai gagné au moins l'indépendance de mon pays. Mais ça n'aurait pas suffi. Il fallait gagner aussi son pain, s'assurer contre les jours calamiteux, parer aux besoins de sa progéniture et à ceux de la fille d'Adam qui vous a soutenu au long de ce chemin de servitude.
Puis il dit: avec le temps, Djawhar, malgré ses quelque dix ans en moins, m'a rattrapé. Aujourd'hui nous portons, elle et moi, le même âge sur la figure, nous ne sommes plus qu'un couple de frère et sœur.
Il dit : cependant personne, pas même elle, ne sait, sauf celui qui sait tout, combien j'ai couru, combattu. Et si elle s'en doute, ça ne va pas plus loin. Mais quelle importance? A présent, il ne reste de moi qu'un homme assis.
Il dit: on m'appelle hadj Merzoug et je ne suis pas plus hadj qu'un âne dans son écurie. C'est à cause de mes terres, de mes troupeaux. Des terres, des troupeaux que j'ai affermés, mis entre les mains d'un khammès finalement. Ainsi ne suis-je pas le seul à en vivre. On se détache peu à peu des choses de ce monde et on dit avoir appris la sagesse.
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Mohammed Dib
Un temps encore, long ou court, il n'importait. A l'instar de ces freux, si c'en étaient là-haut, autour de l'Azru Ufernane, de telles pensées lui tournoyaient autour de la tête ! Elle vivait, la petite, disait-il, puis elle a vécu, et les jours ont passé. Ainsi va la vie, tandis que vous en êtes encore à vous demander: «Que s'est-il passé qu'il n'ait pu en être autrement? » Ymran aussi est parti et les jours ont passé. Sa route ne devait pas finir chez nous. Et il est reparti. Ce n'est pas la première fois que nous nous trompons d'espoir. Nous l'avions, et il est retourné dans son monde où il est chez lui. C'est là-bas, le pays auquel il appartient et là-bas il se doit d'être. Quant à Safia, je l'ai portée moi- même en terre comme si je faisais partie des justes. Son père, dans l'état où il était, en aurait été de toute façon incapable. Puisque je l'avais trouvée, moi, cette morte quand bien même, elle m'appartenait, elle n'appartenait à personne d'autre. En l'épousant, Ymran aurait réparé. Par méconnaissance, il a offensé notre monde, n'empêche. Elle seule l'aurait lavé de sa faute. Elle aurait été pour lui l'eau des ablutions à l'heure de la prière. Pouvait-il demeurer, une fois elle partie ? Les gens n'auraient pas compris ; que ce soit à Tadart ou ailleurs, on lui aurait jeté la pierre et il serait parti à la fin. Il n'y avait plus place, ici, pour lui. Mais nous, qui demeurons parce que nous n'aurions su où aller, que dire de nous ?
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Mohammed Dib
D'abord, composer avec la sorte de temps qui semble n'appartenir qu'à ceux de Tadart, une sorte de temps dont ils disposent d'une manière bien à eux. Je n'ai ni connu ni vécu ça. Et à présent que j'en fais l'expérience, je n'en vois que les lenteurs, pour ma part. Tu n'en vois que les lenteurs, mais tu finiras aussi par voir que leurs faits et gestes consomment, dans tous les cas, le plein de temps qu'il leur faut, guère plus, guère moins; l'exacte mesure.
Ymran dit : C'est ça ! Ni trop, ni trop peu. L'accomplissement fixe lui-même son temps et son terme. Pas les horloges. Les villageois si on veut, leur horloge c'est le soleil, vers lequel il leur suffit de lever les yeux pour savoir où ils en sont de leur journée, et de leur ouvrage, s'ils travaillent. Une horloge, avec son grand œil, de même nature que leur œil, qui s'ouvre dès que l'astre ouvre le sien et se ferme dès qu'il le ferme. Une sorte d'entente informulable.
Il n'a pas été long, d'instinct, à se débarrasser de la montre qu'il portait au poignet, une montre de prisunic d'ailleurs. Et, depuis, il se sent plus léger. A Tadart, hommes et femmes s'activent à longueur de jour sans que le temps les rende fous. Ils en gardent un bon peu pour eux. Pour vivre et, vivre, c'est parler aussi. P71
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Mohammed Dib
Couverte, bordée par une autre terre que la sienne, elle est couchée à présent dans ce cimetière où ils l'avaient conduite et laissée. Pas un brin d'herbe à l'entour, Zahra, toi qui as grandi au milieu des champs; pas un arbre non plus pour garder les tombes, recevoir les oiseaux, faire de l'ombrage aux morts. Des quartiers et des quartiers de pierre, sans plus, et leur mutisme: comme après un cataclysme quand les gens se sont vus ensevelir sous les décombres de ce qui a été leur foyer. On a mis un peu d'ordre dans ce territoire de ruines refroidies, balayé de-ci de-là, puis scellé le tout de croix.
C'était propre, c'était net, il n'y a rien à dire. Cependant sous ta dalle, Zahra, sans une croix comme les autres, toi, n'étant pas chrétienne, tu es tenue à l'écart. Mais prenant en tenaille votre lieu de repos, une autoroute et une voie ferrée te bercent d'un chant perpétuel. Aussi stable que la sérénité des tombes, un murmure propre à te rappeler les seghias de tes montagnes. Esseulée en compagnie de ces étranges étrangers avec lesquels tu ne t'es jamais découvert une langue commune et n'as jamais frayé, tu devrais feindre de dormir et tromper encore une fois ton monde puis, en secret, cingler vers les rivages où les morts se gardent jeunes. Tu serais alors chez toi.
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Mohammed Dib
Sur sa couche, la mère, étendue à même le sol parce qu'elle n'avait jamais accepté de dormir dans un lit. La mère. Celle qui ne s'accordait aucun repos, qui aurait été scandalisée si la pensée l'en eut effleurée, et que voici prenant ses aises au mitan du jour !
Mais c'était pour mourir. Sa famille ne la verrait pas se relever.
Ils allaient le vérifier et verser toutes les larmes qu'ils avaient épargnées dans leur exil, et les filles de surcroît se répandre en lamentations.
L'heure de la levée du corps vint toutefois à sonner. Si, étant ce qu'on est, il arrive qu'on émigre, on se préoccupe de sa fin, de sa disparition de ce monde, autant que d'une vieille paire de babouches. Il y a de l'immortel chez le migrant, ou des prédispositions à l'être.
Immortelle également était la pauvre Zahra, génitrice d'Ymran, de ses frères et sœurs, jusqu'au jour où elle ne l'a plus été. Personne dans la famille n'avait prévu la fatale issue. Ils n'en avaient tout simplement pas envisagé l'éventualité. Et que fallait-il faire d'elle alors? La renvoyer là-bas, où elle aurait dû être en cette circonstance? Il ne saurait en être question, ils ne possédaient pas le premier sou pour y songer et il en coûtait les yeux de la tête. Mais sinon quoi, l'enterrer sur place? Comment enterre-t-on les gens dans cette partie du monde ?
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Mohammed Dib
Mais un jour, le hasard lui en fit rencontrer une autre, qu'il reconnut pour être celle de son ancien professeur, M. Franc-Jamin. C'était bien elle et qui disait: la réalité excède les limites du monde des apparences au-delà de tout ce qu'on peut imaginer. Idée en soi guère originale; néanmoins elle commence à le devenir dès l'instant où on découvre que le monde des apparences est un monde fini alors que la réalité ne l'est pas et ne le sera jamais, que le monde des apparences est celui de la nécessité et de la contingence alors que la réalité c'est l'inalienable dans toute sa splen deur. Je dis bien toute sa splendeur. Mais l'homme, mauvais joueur, s'en accommode mal, qui invente la ratio en même temps que la folie. Celle-ci, portée par la ratio tel le bébé dans le ventre de sa mère, n'en est ni l'opposé ni la négation. Elle en serait plutôt l'inéluctable produit, l'aboutissement. Je dis bien, tel un bébé dans le ventre de sa mère, et arrivé à terme. En un certain sens, on est en droit d'affirmer que la psychanalyse, dans ses tentatives malheureuses de rationaliser la réalité, a créé la folie. Les théories scientifiques les plus assurées sur leurs bases, elles-mêmes, ne résistent un temps à l'épreuve de la réalité qu'en raison de l'obstination, l'aveuglement de savants toujours dépassés, toujours désavoués par leurs propres systèmes. L'esprit scientifique est cette part de l'homme qui ne trouve de repos qu'après avoir enchaîné la réalité dans des codes, comme il semble le croire.
Et M. Franc-Jamin se lançait dans des diatribes contre des gens qu'il appelait tantôt des polichinelles tantôt des matassins sans expliquer en quoi les uns étaient différents des autres. Mais régulière- ment, il concluait sur un ton sinistre par ce rappel :
- N'allez surtout pas ressortir ça devant un examinateur.
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Mohammed Dib
Le figuier, cet arbre aux fruits de jade et au cœur de braise, le figuier aux souples ramures emperlées de larmes sucrées qui affolent les oiseaux, et gare si on ne les cueille sans différer: rameutés, les martinets et autres volatiles seront par milliers à en vouloir, et en vouloir encore. Figuier dont le lait caustique nous guérit des verrues, figuier drapé de clair et de cette odeur de semence mâle quand, le vent plein les feuilles, tu te dépenses en gesticulations. Arbre de toutes les exubérances, arbre-jouvenceau dans ton éternelle jeunesse qui réjouit la vue et l'âme, garant es-tu de tous les soleils, de toutes les questions et de leurs réponses, quand tu prodigues à profusion tes fruits. Nous naissons de notre mère et de notre imagination, arbre-gardien. Tu as, de notre imagination, et la forme et la force, arbre- gardien.
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Mohammed Dib
Hadj Merzoug dit: le monde est vaste, il se peut. Mais, fraternel? Est-ce pour être aimé qu'on s'expatrie ?
Un moment, des moments ont passé, hadj Merzoug dit: le monde est vaste sans doute. Nous, il nous suffit d'être de chez nous. La bouchée de pain mangée ailleurs me deviendrait, moi, une bouchée de chagrin et la gorgée d'eau que je boirais, une gorgée de fiel. Je me dis ça, mais qu'ai-je à dire d'eux, qui sont partis, que vais-je me permettre de dire?
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Mohammed Dib
Dévidant sa pelote mais, cette fois, sans véhémence, tranquillement, elle-même, yéma Djawhar, s'adresse moins à hadj Merzoug qu'à des tiers bien présents encore qu'invisibles :
- Dans son pays étranger, avait-il mieux? Pas sûr. On n'y trouve pour se loger, dit-on, que des espèces de ruches. Des ruches, dit-on, hautes à toucher le ciel ! Entassé là, vous essayerez en vain de l'entrevoir, ce ciel. Vous ne quittez une chambre que pour accéder à une autre avec un plafond au ras de la tête. Sur mon âme, j'ignore comment ces malheureux parviennent à respirer.
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Et dit-elle encore: mais attention, la personne qui repérera un aigle pour la première fois devra pro- noncer: «Je t'ai aperçu, roi des airs, et je me tiens debout devant toi. » Elle peut alors, cette personne, en tirer un présage. Les yeux fermés, qu'elle ramasse donc une poignée de terre sous son pied droit et l'examine bien ensuite. Y découvrira-t-elle quelque poil d'animal, elle en observera la couleur: s'il est noir, c'est signe qu'elle achètera un âne ou un mulet noir. Mais que vous vous trouviez couché au moment où le rokhma vous apparaît, demandez à ce moment protection aux saints, c'est une annonce de maladie, ou pis, de mort. En revanche, si vous vous trouvez assis, vous n'aurez rien à craindre de tel.
Elle ajoute, lalla Djawhar après une pause: et non plus, si vous êtes surpris en marche, mais vous serez accablé de corvées toute l'année. Comme moi. Comme je le suis.
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Chaque fois que la nuit tombe, reprit Ba Hamida, le pays redevient nôtre… Il nous revient.
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L’œil reposé

Juste regarder, Jessamyn,

Tu n’as fait que regarder

juste à niveau d’horizon

et les bras m’en tombent.

Regarder puis regarder.

Statue pour n’avoir rien

à dire, faire ou accepter

et en avoir le regret

Ton œil reposé disant :

et pourquoi toujours moi

pas les autres, eux tous

donner, recevoir, rendre ?

Aller main dans la main

aimer et sourire toujours

et non pas juste regarder

et juste faire que mourir ?
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À un voyageur
à Pierre Seghers


2. pour vivre

l’or de la fatigue peut-être
l’arme candide muette plus loin

l’entre-temps d’une neige
annoncée à cris dévorants

ce songe de vérité peut-être
son aurore aux mains de louve

tu vas avec d’autres gestes
recevoir ton exil d’une blancheur
habitée par quelques oiseaux

p.27
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À un voyageur
à Pierre Seghers


1. lieu de mémoire

entre les maisons du jour
et les feux de dernière main
ressac de splendeurs sur les collines
dont la cendre colporte le souvenir
la saison a flambé derrière toi
le soleil s’écaille à te chercher
c’est le temps opaque de la terre
c’est le temps de la suie étalée
un archipel noir et perdu
de doutes se hâte de souffler
la dernière lampe allumée
qui délire dans les dunes du nord

p.26
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À un voyageur
sens inverse


le soleil fruitier
a vu ton visage
se trahir tomber en lanières
puis retrouver
de secrètes lèvres

les femmes dans leur asile
ont replacé sous tes doigts
la bête de grâce rousse et noire

p.31
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À un voyageur
empire variable


fracasse et rue le temps
taille sa part de chasseur le temps
défende la complicité et le silence

là-bas prochaine mine de chaleur
un bois de femmes bruit dans le jour
exigeant le repos donnant à baiser
une robe de charité libre de temps

p.32
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À un voyageur
enseigne de foi


la chaleur ‒ l’ombre autour ‒ la maison méditant dans
un berceau ‒ l’activité  congédiée ‒ le pain devenu
pensée ‒ et sur la porte la connaissance du jour ‒ le
souci de te définir ‒ peut-être le remords ‒ d’où ta
mémoire semble exclue

p.30
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À un voyageur
brutal lieu de la faim


les voix nues tandis que
les mains s’emmêlent dans
une heure abandonnée

brutal lieu de la faim

le lait arrive sur la table
avec le désastre de trembler
et l’aventure de mourir

p.28
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J'ai fait mon lit dans la langue française ; ce n'est précisément pas un lit de roses ! Un Algérien habitué à dormir à la dure, n'en demande tant.
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Mohammed Dib
dans les années 50, «Camus avait déjà pris ses distance avec l'Algérie». «Il ne se voyait pas en Algérien indigène. Sa préférence était pour l'Algérien européen. Pour moi, son titre L'Etranger est une sorte d'adieu à l'Algérie.
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Mohammed Dib est originaire de :

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Tlemcen
Alger
Constantine

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