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Critiques de Natsume Soseki (250)
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Oreiller d'herbes

Je me souviens d'avoir débuté, il y a longtemps, mon commentaire de Sur la Route par : « Ceci n'est pas un livre, c'est un état d'esprit. » Eh bien je crois que je pourrais débuter celui-ci par une formule exactement similaire, tant l'impression laissée sur moi est du même type (mais non pas comparable).



Ici, l'auteur Natsume Sôseki écrit le roman d'une quête. Mais est-ce un roman ? Est-ce une quête ? Je ne sais… Car c'est si différent des écrits à l'occidentale, c'est si chargé de codes, qui me sont, pour bon nombre, inconnus, que je n'arrive guère à me prononcer. Bref, c'est spécial.



Au départ, j'ai vraiment adoré l'entrée en matière du roman, pleine de réflexion et de philosophie, le tout délicatement recouvert d'une fine couche de lyrisme. Et puis, est venue la narration, au sens le plus classique du terme, avec des personnages, des événements, si bien que l'impression première — très positive — est un peu retombée comme un soufflet, car, avons-le, l'auteur n'est pas franchement un as de l'intrigue.



Oui, c'est cela qui m'a un peu déroutée, cette espèce de mélange entre une introspection de haut vol teintée de poésie comme sut en faire Fernando Pessoa avec son Livre de l'Intranquillité et cette soupe narrative, plus prétexte qu'autre chose. Et puis, par moments, ça revenait, les phases méditatives, apaisantes et lyriques à la fois, mais sans le charme des débuts.



L'auteur, donc, nous fait prendre part à la quête personnelle du narrateur, un peintre japonais de Tokyo (Edo) qui souhaite se rendre dans la montagne la plus reculée pour toucher aux racines vraies de l'art, de la poésie tout particulièrement bien qu'il fût peintre, je le rappelle. C'est en cela que ce livre n'est peut-être pas si éloigné du roman de Jack Kerouac sus-mentionné, l'idée d'une quête d'un objet immatériel. Il appartient peut-être également à la catégorie de ceux qu'a signés Hermann Hesse, son Siddhartha, son Loup de Steppes, par exemple, mais avec des tonalités bien à lui, très extrême-orientales, plus proches à certains égards de celles d'auteurs nippons du XXème tels que Kawabata ou Mishima.



Vous voyez, c'est assez étrange comme objet littéraire. Pas désagréable, de mon point de vue, mais pas non plus à m'y sentir totalement à l'aise : un rythme lent, réflexif, méditatif et contemplatif, mais pas que, des épisodes narratifs où l'on suit des personnages, mais pas que, et puis surtout, une gageure insurmontable, à savoir, essayer désespérément de pister, de s'approcher de manière asymptotique de ce que pourrait être un être poétique, le tout sur fond de séparation entre un homme et une femme couplé à un arrière-plan de guerre sino-russe.



Vous admettrez que ce n'est pas évident à définir un machin pareil, ça résiste à toute forme de catégorisation et je me demande encore, plusieurs semaines après en avoir terminé la lecture ce que je dois en penser. Peut-être est-ce cela finalement, l'accession à la poésie vraie, ne plus penser, lâcher prise, dériver sur l'onde, laisser glisser les lignes et les impressions sous nos yeux de lectrices et de lecteurs inconséquents… Quoi qu'il en soit, de cet avis comme de beaucoup d'autres choses, cela ne signifie pas grand-chose, et si le coeur vous en dit, allongez-vous sous les nuages, la nuque posée sur un oreiller d'herbes et laissez-vous porter…
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Le voyageur

Un roman étrange qui prend lieu dans le Japon du début du siècle dernier.

Jirô, un jeune employé de Tokyo, apparemment sans histoire, projette de rejoindre un ami à Osaka pour une excursion estivale. Mais l'ami en question se retrouvant à l'improviste à l'hôpital, la nature de l'excursion va changer. L'hôpital, et la suite des événements vont susciter des excursions à l'intérieur même des terres du caractère humain, où sa complexité et sa médiocrité se révèleront dans tout ses états.

Je dis étrange, car tout est étrange dans cette histoire: son lent déroulement, les personnages, dont les principaux ici sont les membres d'une même famille, les Nagano, leurs relations, leur mode d'introspection pragmatique, où le narrateur Jirô, un des leurs, y sera lourdement impliqué. Soseki nous croque de son point de vue masculin, des profils de femmes, d'une analyse fine et intéressante, à travers les relations intrinsèques d'une famille et la condition de la femme japonaise au siècle dernier. Une belle-fille difficile à cerner, et le mal-être de son mari, le fils aîné de la famille, sont les noeuds de l'histoire. Étrange monde, mais si réaliste, où chacun seul ou en couple, indifféremment, vit avec ses propres démons, à partir desquels il définit les autres, et par conséquent ses relations aux autres.

Soseki signe ici un roman magistral, où l'apothéose est dans les cinquante dernières pages empreintes de réflexions philosophiques sur la complexité de l'être humain et son mal-être, et où l'on apprendra la véritable identité du voyageur. C'est insolite et intéressant. Soseki est sans aucun doute pour moi, un grand maître de la littérature japonaise.



« Le visage d'un tireur de pousse-pousse, d'un manoeuvre où d'un voleur, à l'instant où je me sens reconnaissant envers lui, n'est-il pas précisément Dieu ? La montagne, la rivière , la mer, la nature à l'instant où je la trouve sublime, n'est-elle pas précisément Dieu ? Qu'y a-t-il d'autre comme Dieu ? ........Dieu est le soi. »











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Le pauvre coeur des hommes

"La seule chose profonde que j'ai sentie en ce monde, c'est le péché qui est sur l'homme. C'est ce sentiment [...] qui me faisait souhaiter d'être cravaché dans la rue par chacun des inconnus que j'y croisais. Et, à monter marche par marche l'escalier de cette expiation, c'est ce même sentiment qui me poussait, non content d'appeler la cravache des autres, à désirer me cravacher moi-même. Et, plus encore qu'à désirer me cravacher moi-même, à désirer me détruire moi-même."

(Natsume Sôseki en préface).



"Le Pauvre Coeur des hommes" ou "Kokoro : Sensei no Isho" a paru au Japon en 1914 sous la forme de feuilletons dans un premier temps, dans le "Asahi Shinbun" (journal japonais). La version française a paru bien plus tard, en 1957.

L'on peut aisément supposer que Natsume Sôseki a écrit ce roman durant les dernières années de sa vie (il est décédé en 1916) et quand on sait que l'écrivain nourrissait une véritable obsession pour "l'inéluctable péché de l'homme" on peut y voir là une analyse profonde et intimiste de la part de celui-ci, réalisée à des fins derivatives voire même exutoires. Un roman dont le thème principal est l'expiation. L'expiation : la pénitence, la souffrance imposée qui est considérée comme nécessaire lorsque l'on a commis une faute grave. Quelle que soit cette faute par ailleurs, libre à chacun d'en apprécier le degré de gravité.



Un roman qui dès les premières pages m'a troublée. Un style dépouillé de tout superflu, une atmosphère étrange presque éthérée, marquée par les silences et les non-dits car dans ce roman le silence s'invite tel un personnage à part entière, il hante chacune de ses pages jusqu'à la dernière, lourd, oppressant, comme pour masquer le terrible drame dont nous avons conscience dès le début sans toutefois pouvoir parvenir à le saisir (et c'est là que réside tout le talent de l'auteur) car derrière la banalité apparente des faits qui nous sont décrits se cache une analyse psychologique fine et complexe des deux personnages principaux que sont notre jeune narrateur et celui qui tout au long de ce récit sera nommé "Le Maître". D'aucuns nous ne saurons le nom, d'aucuns il n'est utile de le savoir.



Un roman que l'auteur a souhaité structurer en trois parties dont la dernière présentée sous la forme d'un récit épistolaire (pas moins de 129 pages d'une très longue lettre que le Maître adresse au narrateur) est à mon sens magistrale. J'ai rarement ressenti autant de gravité, d'abnégation, d'humilité dans une écriture. Outre le thème de l'expiation, l'auteur nous parle aussi des valeurs familiales nippones propres à l'ère Meïji, période durant laquelle la famille impériale représentait le modèle idéal de la famille japonaise, les mariages co-sanguins étaient monnaie courante à l'époque et le mariage était sacralisé et cela prend tout son sens dans ce récit. L'auteur nous parle aussi du rapport à la mort et à la maladie au travers de ces deux personnages énigmatiques qui se font face.



L'histoire d'une rencontre qui aurait pu en rester là et s'achever dans la politesse et le respect comme bon nombre de rencontres mais il en fut autrement...

De cet homme entre deux âges que notre jeune narrateur nomme "le Maître", de leur toute première rencontre (alors qu'il est étudiant à l'université de Tokyo) dans la station balnéaire de Kamakura au sein d'une des maisons de thé qui bordent la plage, à la naissance de cette relation ambiguë, de cette fascination inexplicable qu'exerce cet homme sur le narrateur. Cet homme dont finalement nous ne savons rien si ce n'est qu'il est un intellectuel, né de bonne famille, qu'il vit seul avec sa femme à Tokyo et qu'il s'est volontairement retiré, et cela depuis de nombreuses années, de toute vie sociale pour une raison que nous ignorons mais que nous devinons fort grave.

Au fil des pages nous suivons la quête spirituelle et parfois même désespérée de notre narrateur dont l'obsession pour le Maître va grandissante autant que le mystère qui entoure sa personne. Désespérée, au point de prendre toute la place, trop de place dans son esprit, au point même de prendre la place du "Père" puisque notre jeune narrateur n'hésite pas à laisser son père à ses derniers jours d'agonie pour se rendre auprès du Maître.



Tout au long de ce récit je n'ai eu de cesse de me demander : qui est cet homme ? de quoi et pourquoi se punit-il ? le poids de ses actes passés est-il si lourd à porter qu'il n'est jamais parvenu à s'en absoudre ? Et finalement le sujet d'étude ici ne serait-il pas notamment notre narrateur en proie à son obsession qui s'immisce dans la vie du Maître et finit par s'y perdre lui-même ?



Un roman puissant et dense que je vous invite à lire, dans lequel l'auteur dissèque la complexité et les douleurs de l'âme humaine. L'envie, la lâcheté, le silence, le remord, la honte... Natsume Sôseki nous rappelle combien nos actes et nos paroles aussi anodins puissent-ils paraître, ont le pouvoir de rompre l'équilibre de nos vies et cela de manière inéluctable et dès lors l'expiation devient la seule forme d'absolution possible si l'on veut pouvoir continuer à vivre en paix avec nos consciences.



"C'est dans l'abnégation que chaque affirmative

s'achève.

Tout ce que tu résignes en toi prendra vie.

Tout ce qui cherche à s'affirmer se nie ;

Tout ce qui se renonce s'affirme."

(André Gide)

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Oreiller d'herbes

Séduit la semaine dernière par le roman satirique de Natsume Sôseki, « Je suis un chat », l’envie était grande d’explorer sur-le-champ l’univers de cet auteur japonais disparu voici près d’un siècle.

Est-ce le besoin de goûter à un quelconque repos ? Mon choix s’est porté sur un titre on ne peut plus évocateur et qui fleure bon la campagne : « Oreiller d’herbes ».



Le repos de l’esprit, c’est précisément ce qu’espère trouver le narrateur sur ce chemin montagneux où le conduisent ses pas.

Ce peintre trentenaire est en recherche d’impassibilité, d’inspiration. Ce voyage en altitude loin de Tokyo, lui permettra peut-être de fuir quelques temps le monde d’ici-bas, de s’affranchir des passions terrestres, de s’élever au-dessus de la mêlée, de trouver la sérénité propice à la création.



Poète à ses heures il aime composer des haïkus, ces poèmes qui en seulement dix-sept syllabes traduisent si justement l’évanescence des choses.

Une chanson à peine audible et une silhouette féminine, brièvement entraperçue au clair de lune, inspirent son âme poétique lors de sa première nuit dans une auberge située près d’une source thermale.

Mais transcrire le lendemain sur la toile sa sensation de plénitude n’est pas chose aisée et l’artiste, perdu dans ses pensées vagabondes sur l’art, reste improductif devant son chevalet.



Avec une sensibilité toute japonaise, Sôseki décrit le processus fait d’introspection, de tâtonnements, de doutes, par lequel l’artiste arrive après un long cheminement à matérialiser son état d’esprit, ses sensations.

Les réflexions sur l’art, par petites touches au fil des chapitres, ne sont jamais rébarbatives. Fin connaisseur de l'Occident, sa préférence pour la culture orientale est cependant manifeste et argumentée avec pertinence et mesure.



Loin des sentiers battus, ce roman poétique dégage une grande bouffée d’oxygène. Sa lecture permet de s’élever pendant quelques heures au-dessus des standards occidentaux, « d’errer dans l’univers impassible ».

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Je suis un chat

Miaou ! Miaou ! Contrairement à mes congénères et amis du quartier, Kuro un gros matou un peu bourru et Mikeko une gracieuse petite chatte, je suis un chat sans nom.



La maîtresse de maison et les fillettes m’ignorent, la bonne m’a en horreur, seul mon maître m’apprécie et me caresse.

Ce dernier est un drôle d’animal qui fait des gargouillis d’oie étranglée dès le matin. Il est professeur et quand il revient de l’école il s’enferme dans son bureau ; son entourage le croit studieux mais en fait il s’endort aussitôt. Les livres qu’il entasse autour de lui font penser qu’il est un peu savant mais, détrompez-vous, ils sont rarement ouverts…



Ses amis, Meitei et Kangetsu, lui rendent souvent visite et les trois hommes adorent s’écouter parler : ils sont toujours dans la surenchère, c’est à celui qui racontera avec pédanterie l’histoire la plus loufoque. Ils se réfèrent constamment aux auteurs étrangers et se croient obligés de les citer, lorsque l’un parle les autres ne savent jamais s’il dit vrai ou s’il affabule, ils sont vraiment très perturbés. A voir tout cela d’un œil de chat, quelle tristesse !



A leur décharge, il faut dire que l’ère Meiji transforme radicalement le pays depuis quatre décennies. Le Japon encore moyenâgeux au milieu du siècle dernier s’occidentalise à marche forcée et en ce nouvel an 1905 la guerre russo-japonaise qui fait rage perturbe de surcroît les esprits.

La période n’est pas facile pour ces intellectuels mal dans leur peau dont l’horizon se rétrécit au profit des politiques et affairistes de tout poil. S’il est dans l’air du temps de railler la civilisation occidentale, de se rattacher aux traditions ancestrales, encore faut-il éviter le ridicule d’une analyse simpliste et stérile.



Tapi dans mon coin j’observe ces êtres à deux pattes pérorer à qui mieux mieux.

C’est drôle, c’est affligeant, à peine croyable !



Toutes griffes rentrées, en faisant patte de velours et bouffer mes 88 880 poils, je vous invite à découvrir cette prose féline, cette satire nipponne qui interpelle et parfois même défrise les moustaches.

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Je suis un chat

C'est la guerre entre la Russie et le Japon. En ce début d'année 1905 Port-Arthur a été pris par l'armée japonaise. Un jeune chat sans nom vagabonde et entre par effraction, à cause de la faim et du froid, dans la maison d'un professeur, bravant à plusieurs reprises la violence de la domestique qui le jette dehors; mais le professeur finit par le laisser entrer. Celui-ci est un homme taciturne, miné par une maladie d'estomac, s'intéressant peu à sa femme et ses filles... Bref le portrait est peu flatteur et notre chat observe avec un regard caustique, dans la maison du professeur, un monde d'intellectuels désoeuvrés, d'huluberlus, dont les conversations sont interminables et vaines, d'hommes d'affaires cupides et vulgaires. Dans ce roman publié d'abord en feuilleton, Sôseki fait une satire de la société japonaise de l'ère Meiji, avec autant d'humour que d'amertume.
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Le pauvre coeur des hommes

"For sweetest things turn sourest by their deeds;

Lilies that fester smell far worse than weeds"

(W. Shakespeare, sonnet 94)



Ah, le pauvre coeur des hommes !

Après avoir refermé le livre, je me dis que le traducteur ne pouvait pas mieux saisir le titre original "Kokoro", un mot qui signifie à la fois le coeur, mais aussi l'esprit, l'âme, les sentiments... bref, tout ce dont est faite l'essence d'un être humain.

Décidément, ce n'était pas une bonne idée de finir ce roman juste avant de me coucher, car le saké littéraire de Sôseki est bien fort. Il serre la gorge, laisse un arrière-goût amer, et se prête à toutes sortes de ruminations nocturnes. Mais malgré l'impression de solitude, d'impuissance et de vanité de l'existence, le lecteur ne se sent pas abattu pour autant ; il se retrouve plutôt dans cet indéfinissable état de douce mélancolie empathique que les esthètes japonais appellent "mono no aware".



Une très belle lecture, donc, même si ceux qui espèrent d'y trouver quelque scénario épique seront bien déçus. Pareil pour les amateurs de détails historiques sur la fin de l'ère Meiji. On n'apprendra pas non plus les noms des personnages principaux, car ce n'est vraiment pas nécessaire.

Ce qui frappe tout d'abord chez Sôseki est le minimalisme de ses personnages, qui contraste avec la grande profondeur psychologique du roman.

Le livre est divisé en trois parties, chacune consistant en de très courts chapitres (qui rappellent la publication originale sous forme de feuilleton) qui vous poussent à continuer à lire, encore et encore...

Le récit est situé en 1912, et le narrateur des deux premières parties est un jeune étudiant à l'université de Tokyo. Lors d'un séjour estival, il fait connaissance d'un homme vieillissant, qu'il appellera bientôt le Maître. Un homme réservé, retiré de la société, qui ne veut plus s'investir émotionnellement, ni s'ouvrir aux autres. le jeune homme gagne sa confiance et ils discutent souvent... mais très vite, il devient évident que le Maître ne dit pas tout.

On découvre ensuite la famille campagnarde de l'étudiant, ses sentiments compliqués envers ses parents, et ses efforts pour trouver une place dans la vie. Et le livre finit par une longue lettre du Maître, qui dévoile sa tragique histoire et le secret qu'il avait gardé toute sa vie. le jeune étudiant sera la seule personne au monde à qui le Maître ouvrira entièrement son coeur.

La lettre du Maître retrace le choc violent d'un garçon honnête et naïf avec la réalité. Obligé de jouer son rôle dans cette mauvaise pièce, il finira par se méfier de tous ses acteurs, y compris de lui-même. Il sait qu'on ne pourra jamais effacer certaines répliques et tout recommencer... la seule possibilité qui reste, c'est mettre fin à cet engagement raté au théâtre du Monde.



Le livre a été écrit en 1914, à la fin de l'ère Meiji. Après des siècles d'isolation, l'empereur Meiji ouvre le Japon au monde occidental, à sa pensée, sa culture et son style de vie. Sôseki a réussi à saisir l'esprit de cette époque, ses conflits entre la tradition et la modernisation, entre la vie citadine et campagnarde, entre le conservatisme et libéralisme japonais. Et il les a tous projetés dans l'âme d'un vieux professeur sans importance.

Dans ce choc de deux cultures, il a ensuite implanté l'éternel thème de crime et de châtiment, de faute et d'expiation. Tout cela en dehors de la réalité judéo-chrétienne, à commencer par Job, en passant par Dostoïevski, pour aboutir à Jung et la psychanalyse moderne. Rien de tel. Son point de vue, c'est l'ancien code bushido et le mot "junshi"... vous les comprendrez parfaitement en lisant le roman.

Je ne connais rien à la littérature japonaise, alors j'ai surtout ruminé "à l'occidentale" : que va devenir cet étudiant ? Il perd en même temps deux personnes très importantes, c'est fatal ? Ou, au contraire, sain ? Il sera obligé de se débrouiller seul, désormais. La lettre du Maître lui a brusquement asséné des vérités sur la vie qu'il n'a pas encore pu comprendre seul, à son âge. Pourrait-il supporter la révélation que tant que l'homme vit, il doit douter ?

Il a pourtant vu lui-même comment il était difficile au Maître de se distancier du monde... et aussi comme c'était inhumain.



Et voilà précisément la modernité de "Kokoro", servie comme sur un plateau. Tant de questions bouleversantes qui nous concernent toujours, dans un roman raconté si posément, écrit il y a plus de cent ans à l'autre bout de la planète. Contrairement aux romans "à la mode", l'histoire de Sôseki restera toujours "moderne", tout comme celles de Shakespeare cité en exerque, ou de n'importe quel autre auteur "classique".

On doit parfois partir à la recherche de la littérature moderne dans le passé. Pour comprendre que ces anciennes histoires parlent toujours de nous. Qu'une autre époque ou une autre culture ne sont pas forcément incompatibles avec la nôtre.

Consciemment ou inconsciemment, Sôseki montre la grandeur éthique mais aussi les limites de la tradition japonaise. le tableau qu'il propose est étonnant, et déconcertant pour la pensée européenne. Il nous ouvre les portes de pièces curieuses, en disant : regarde, ne touche à rien, ne juge rien. Bien des choses que tu verras ici ne sont plus que du passé. Mais sans cela, tu ne comprendras pas le présent. 5/5
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Botchan

Ce roman (1906) aussi intitulé Botchan est très populaire au Japon. C'est un roman d'apprentissage très vivant et plein d'humour caustique.

Le jeune narrateur qui n'est pas nommé commence par tracer son auto-portrait peu flatteur en quelques pages. Depuis qu'il est enfant, il est casse-cou, impulsif, colérique, bagarreur car il est perpétuellement en conflit avec l'autorité. Il n'a pas été aimé par son père, il a fait preuve d'une totale immaturité quand sa mère était mourante et il ne s'entend pas avec son frère aîné. La seule personne qui l'aime et il se demande bien pourquoi, c'est Kiyo la vieille servante. C'est elle qui l'a surnommé Botchan (Petit maître avec un suffixe affectif).

Devenu orphelin, son frère aîné lui octroie 600 yens. Il peut étudier la physique. Ensuite, il accepte sans réfléchir un poste de professeur de mathématiques dans un trou paumé très loin à la campagne. Il est hébergé chez l'habitant dans une chambre sous l'escalier. Il ne comprend rien aux habitudes des logeurs ni à celles des ploucs qui sont toujours en train de l'épier. Dès son arrivée en effet ses manières de jeune citadin (Edokko) et sa condescendance à l'égard des péquenauds du cru le font remarquer. Au collège, il donne un surnom péjoratif à tous ses collègues (Blaireau, Porc-Epic, Citrouille verte etc.) comme le ferait un collégien. Et il les juge tous à l'emporte-pièce, sans discernement aucun et révise son opinion chaque jour. Aussi, quand ses élèves le chahutent, et pas qu'un peu, on peut trouver que c'est bien fait pour ce jeune blanc-bec. Mais, lors du conseil de discipline qui suit, on commence à comprendre que le collège est dirigé par des hypocrites, prêts à toutes les manipulations pour arriver à leurs fins. Nous revoyons nous aussi notre jugement pour nous ranger du côté du franc Botchan...qui va finir par mûrir un peu.



Natsume Sôseki s'est inspiré de sa propre expérience, malheureuse d'enseignant à Matsuyana. Mais son narrateur est tout le contraire d'un fin lettré ou d'un intellectuel. le trait commun c'est qu'il est individualiste. Il veut suivre sa voie tout en la fondant sur des valeurs morales irréprochables, bien peu partagées dans cette école pourtant traditionnelle. C'est aussi un roman sur l'amitié et la bonté.



Je conseille cette traduction. Elle est accompagnée d'une préface explicative du traducteur (à lire de préférence après).
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Petits contes de printemps

Dans ces brèves nouvelles écrites en 1909,Soseki raconte des petits fragments de vie,des souvenirs de jeunesse de sa propre vie ou celui d'un autre,au Japon ou en Angleterre où il y a séjourné deux ans.Il y mélange réalisme et fantastique où des détails de la vie quotidienne deviennent les protagonistes.Il n'y a pas à proprement parler d'histoire dans ces contes ,ceux sont plutôt des petits tableaux poétiques où la délicatesse de la touche,la finesse de l'observation,la précision et l'attention aux détails surprend,émeut et nous fait aussi sourire: cet ivrogne qui entouré de la foule déclare "je,j'suis un être humain!"(l'être humain),les traces d'incendie durant une tempête de neige,qui le lendemain disparaissent ne laissant qu'un"son presque imperceptible de koto"(l'incendie),cette magnifique description ,pur sensations visuelles d'un cortège d'enfants déguisés ,ceux de l'auteur(le cortège)....La lecture de ces vingt-cinq petits textes ne sont que du pur bonheur !A lire et à relire!
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Le pauvre coeur des hommes

Le Pauvre coeur des hommes (Kokoro) est un roman de Natsume Sôseki (1867-1916) écrit en 1914, deux ans après la fin de l'ère Meiji. Avec la mort de l'empereur et le suicide rituel anachronique du général Nogi s'achève la période de transition du Japon.



Ce roman est bouleversant. Les personnages sont des gens ordinaires, des anonymes, sans talent, ni ambition particuliers. Les uns sont encore soumis aux devoirs, aux traditions et au regard de la communauté. Les autres exercent leur liberté individuelle avec égoïsme, éprouvent des remords, souffrent de solitude. Tous essaient de se parler mais n'y arrivent pas. le roman décrit avec finesse cette misère existentielle tragique et touche par la grande compassion qui l'accompagne.



Le livre est composé de trois parties. Les chapitres y sont sont très courts car le roman fut d'abord diffusé en feuilleton. le lecteur est amené à découvrir puis à tenter de résoudre des énigmes au fur et à mesure de son avancée dans la lecture. le style est sobre et précis.



« Le Maître et moi » s'ouvre sur une plage de la station balnéaire de Kamakura. le narrateur est un jeune provincial en vacances qui s'apprête à poursuivre des études à Tokyo. Il remarque un homme d'âge mûr qui ne se mêle pas à la foule qu'il semble dominer. Aussi il a décidé tout naturellement de l'appeler « Maître ». Il réussit à se présenter et ils partagent bientôt baignades, promenades et conversations. A Tokyo, le jeune homme devient peu à peu un familier du Maître. Celui-ci est un intellectuel oisif qui mène une vie ascétique entouré d'une forteresse de livres. Il ne se préoccupe pas du monde extérieur et ne semble pas connaître de problèmes matériels. Il se méfie de l'argent. Il se méfie de l'amour. Il se méfie des hommes. Prudemment, au gré de promenades, le narrateur l'interroge sur son passé, sur les raisons qui le poussent à se rendre périodiquement au cimetière. Il semble avoir été trahi par un proche. Il semble également rongé par la culpabilité. le narrateur interroge également son épouse Shizu qui lui paraît résignée. le Maître demeure insaisissable. Pourquoi est-il aussi mélancolique ? Quelle est la nature de son traumatisme ? Pourquoi le jeune homme est-il à ce point fasciné par cet homme qui pourrait-être son père ?



Dans « Mes parents et moi », le narrateur revient dans son pays natal à la campagne à la fin de l'année universitaire. Son père est très malade ce qui l'oblige à demeurer près d'eux plus longtemps. Son frère aîné vit loin et sa soeur enceinte ne peuvent se rendre au chevet du père et soutenir la mère. Les parents sont des gens modestes, soucieux des apparences. Sa mère insiste pour que son fils trouve un emploi après l'obtention de son diplôme. S'il ne fait rien que vont dire les autres ? Ils se méfient du Maître qui vit sans rien faire mais peut-être pourrait-il l'aider à obtenir cet emploi ? le narrateur est attaché à ses parents, connaît ses devoirs de fils cadet. Il écrit une lettre au Maître. On apprend la mort de L'empereur et le suicide du général Nogi. le narrateur reçoit une longue lettre...



« Le maître et le testament » est comme un roman dans le roman. le Maître expose dans la longue lettre les événements tragiques qui l'ont conduit à sa profonde solitude intérieure. le personnage du narrateur étudiant disparaît et un autre apparaît : K. Ils étaient alors étudiants et logeaient dans une pension tenue par une mère et sa fille. le futur Maître est alors fasciné par K mais également rongé par la jalousie…







Ce roman considéré comme le plus représentatif de l'ère Meiji est sans doute le plus universel de tous les romans de Natsume Sôseki. Un classique qui vous transperce le coeur.
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Je suis un chat

Instinct de survie, culot et persévérance ont conduit le chat dans la maison du professeur Kushami où il a été recueilli malgré l'opposition farouche d'O-San, la bonne. Ignoré par la maîtresse de maison, harcelé par les fillettes du professeur, détesté par la bonne, le chat n'est pas très apprécié, on ne s'est même donné la peine de lui donner un nom, mais il a un toit sur la tête, des repas réguliers et un certain prestige, dû au statut de professeur de son maître. Aussi mène-t-il tranquillement sa vie de chat, entre exploration du quartier, rencontres avec ses congénères et surtout observation des humains qui l'entourent et qu'il juge avec acuité et ironie.



Sentiments ambigus à la lecture de ce roman : plaisir et ennui.

Plaisir d'abord parce que tout commence très bien avec ce jeune chat qui s'immisce dans un foyer où il n'est pas forcément le bienvenu. L'animal est malin, sagace, attachant et très drôle. Par sa bouche, Sôseki met à mal la nouvelle société japonaise qui se dessine avec l'ère Meiji et l'ouverture du Japon sur le monde. On rejette les valeurs traditionnelles, on glorifie tout ce qui vient d'Occident sans esprit critique et les intellectuels perdent de leur prestige au profit des hommes d'affaires. Plaisir aussi devant l'autodérision de Sôseki qui, s'il parle avec la voix d'un chat, s'est également mis en scène dans le personnage du professeur Kushami avec qui il a de nombreux points communs. Discrètement, le chat écoute son maître et ses amis refaire le monde. Histoires abracadabrantes, théories loufoques, batailles d'ego sont au menu des discussion de ces pédants ridicules qui sont plus sots que malins.

Mais si l'on s'amuse de cet homme dépassé par l'évolution de la société, entêté dans ses certitudes et aux prises avec ses voisins, on finit par se lasser des discussions philosophiques de ses acolytes. Au fil des pages, l'humour s'étiole et l'intérêt aussi, dommage.

Je suis un chat reste un livre au ton original qui met la lumière sur cette période charnière où le Japon a opéré sa mutation d'une société traditionnelle vers une ère plus ''occidentalisée'', provoquant une vague de suicides chez les intellectuels. En même temps roman et essai, il est parfois ardu à suivre et demande beaucoup d'attention. A réserver aux passionnés de l'histoire du Japon.
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Une journée de début d'automne

Ce recueil regroupe sept petites pépites de Natsume Sôseki (1867-1916). Ce sont de courts textes très divers, qui mêlent voix personnelle et récit. Ils ont été composés entre 1907 et 1912 qui clôt l'ère Meiji. On y voit « l'écrivain-narrateur» dans un voyage à Kyôto ou dans sa vie quotidienne, à sa table de travail. Il est souvent grognon, maussade et narquois. Il reçoit ses disciples et accède à leurs demandes ou à celles de son épouse en traînant les socques. Et puis, par un tour de passe-passe dont Sôseki l'enchanteur a le secret, vous vous retrouvez projeté dans une réminiscence poétique ou une histoire touchante et délicate parfaitement construite qui vous remue et vous amène à méditer sur la fragilité de la vie.



1. le soir de mon arrivée à Kyôto (1907). Ce texte est magnifique ! Moderne dans son mouvement, son rythme et ses couleurs et puis totalement bouleversant. On suit « l'écrivain-journaliste » frigorifié et d'humeur maussade dans un périple oppressant à Kyôto plongé dans la nuit et le silence. Par endroits, il remarque une lanterne étrange qui éclaire le mot « zenzai » écrit en rouge et qui signifie » bouillie de haricots rouges », une des spécialités de Kyoto. Il se souvient alors que quinze ans auparavant, il vint pour la première fois dans la cité avec son grand ami Masaoka Shiki qui mangeait une orange...



2. le Moineau au bec rose (1908). le récit qui s'apparente à un conte est très beau. Les descriptions de l'oiseau toutes en variations soyeuses et colorées, sont magiques (voir citations). « L'écrivain » est à son bureau, en mal d'inspiration et bien ronchon . Il reçoit l'un de ses disciples qui veut lui faire acheter un moineau au bec rose pour l'égayer un peu. le maître s'enquiert surtout de la cage, puis enfin convaincu, il donne à son disciple quelques yens. Il attend, il attend en se demandant ce que ce gaillard a bien pu faire avec l'argent. Enfin l'élève revient avec une superbe cage, l'adorable petit oiseau et les instructions pour s'en occuper…



3. le professeur Koeber (1911). L'écrivain rend visite à son vieux professeur de philosophie. Un Allemand qui enseigne depuis vingt ans au Japon et qui est bien décidé à y rester.

4. L'adieu au professeur Koeber (1914). Les deux récits sont liés et traitent avec subtilité du difficile dialogue entre Japonais et Européens.. La fin est très émouvante.



5. Bruits étranges (1911). Une très belle nouvelle. L'écrivain très malade séjourne à l'hôpital dans un espace qui reçoit des mourants. Il entend un bruit très étrange en provenance de la pièce voisine. Lui-même doit faire du bruit et se faire entendre du voisin. Plus tard de retour dans l'établissement, une infirmière dévouée à la voix douce éclaircira le mystère.



6. La lettre ( 1911). Cette fois-ci l'écrivain est dérangé par son épouse pour un problème domestique. Il faut qu'il se rende en province sonder les moeurs du prétendant d'une cousine de sa femme...La découverte d'une lettre sera décisive. le récit fait ouvertement référence à une nouvelle De Maupassant mais c'est son aspect documentaire et la réflexion de Soseki sur ces mariages arrangés qui m'ont intéressée.



7. Une journée de début d'automne (1912). L'écrivain se rend avec deux amis à Tôkyo à l'occasion des funérailles de l'Empereur Meiji . Celui-ci vient de mourir un an après le roi Edouard d'Angleterre. Cette journée pluvieuse et bleue de début d'automne s'achève sur un ciel brumeux.
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Choses dont je me souviens

Choses dont je me souviens est un journal d'hospitalisation qui mêle prose, haïkus et poèmes.

L'écriture est limpide, les réflexions claires, les poèmes merveilleux. La seule difficulté, c'est le traitement du temps plutôt complexe. Il vaut mieux avoir en tête la chronologie. Elle est récapitulée dans la préface mais je la résume, pour vous et pour moi. Natsume Soseki (1867-1916) a 44 ans quand il est hospitalisé à Tokyo une première fois le 18 juin 1910 pour soigner un ulcère à l'estomac. Il quitte l'hôpital le 31 juillet pour se reposer dans une station thermale de la péninsule d'Izu. Mais, le 24 août, il est terrassé par une hémorragie gastrique et pendant trente minutes il perd connaissance, plongé dans un semi-coma. Dès le 8 septembre, encore très affaibli, il se remet à lire, reprend son carnet et commence à noter faits, perceptions, impressions de lecture. Il écrit surtout de nombreux haïkus ainsi que des kanshi, poèmes rédigés en chinois classique, ce qui ne lui était pas arrivé depuis sa jeunesse. de retour à l'hôpital de Tokyo en octobre, dans la même chambre que la première fois, il commence à rédiger Choses dont je me souviens qui paraîtra dans le journal Asahi entre le 29 octobre et le 20 février 1911. Il sortira de l'hôpital le 26 février 1911.

« Choses dont je me souviens n'est rien de plus qu'un ensemble feutré, reposant sur les réflexions et le quotidien banal d'un homme aux prises avec la maladie, mais mon intention est d'introduire tout au long du texte un ton qui, bien que passé de mode, a le charme de la rareté, et je souhaite ardemment éveiller mes souvenirs sans attendre, les écrire de suite et pouvoir ainsi respirer dans la nostalgie ce parfum suranné avec mes nouveaux lecteurs, avec tous ceux qui sont dans la peine. »

Ce journal est très beau. Il a souffert terriblement, il a cru mourir, il a perçu des sensations, des images, qu'il veut retenir en toute hâte dans son petit carnet avant qu'elles ne s'évaporent. Mais pourquoi celles-ci plutôt que celles-là, pourquoi se remet-il à écrire des kanshi ? Ces choses dont il se souvient sont mêlées de rêveries. Il s'interroge sur la mémoire et nourrit sa réflexion de ses lectures ( (Bergson via son ami le philosophe pragmatique et traducteur Willian James dont il apprend la mort). Il décrit de manière crue ses souffrances interminables pour ingérer, déglutir ou digérer et puis son sommeil de chien. Il évoque la gentillesse et le dévouement du personnel médical. Il insiste sur son expérience de rescapé, sa joie intense d'avoir échappé à la mort annoncée. Il s'attarde longuement sur l'expérience de Dostoievski « revenir de justesse à la vie » après un simulacre d'exécution, connaître en moins d'une heure « trois tournants abrupts » : avancer de la vie vers la mort, faire demi-tour, revenir à la vie". Il nous fait partager son plaisir de vivre, de retrouver le simple « goût du gruau que le printemps verse goutte à goutte sur (ses) entrailles », la conscience de vivre une douce, apaisante et fugace parenthèse loin des pesanteurs et des mesquineries quotidiennes du monde moderne, en communion avec une nature réinventée.

Une lecture marquante.

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Je suis un chat

« Je suis un chat » est une critique acerbe, cynique, ironique et souvent très drôle, de la société Meiji. Un professeur voulant absolument évoluer avec les nouveaux critères sociaux, en adoptant un mode de vie occidentalisé, est vu à travers le regard sagace de son chat, qui lui, ne s'y trompe pas. Son maître se ridiculise sans s'en apercevoir. C'est une fois de plus, cette société en transition, qui est épinglée par Soseki. Peut-être un des meilleurs récits de l'auteur !
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Je suis un chat

Un chat se retrouve dans le jardin d'un homme qui l'adopte. Il fait alors partie de la famille et assiste aux élucubrations, rituels et conversations humains avec beaucoup de critique...



Honnêtement, c'est drôle, plein d'esprit, intelligent, bien foutu et pensé.

Mais honnêtement, c'est trois fois, cinq fois trop long pour ce que c'est.

Une fois qu'on a compris la structure des "scènes" auxquelles le chat assiste, on remarque vite que les dialogues sont interminables. Certes, ils montrent combien la race humaine peut être pleine de contradictions, auto-centrée, égoïste, ridicule et j'en passe. Mais le format est beaucoup trop long pour faire de ces histoires à l'origine des historiettes publiées les unes après les autres un roman complet, avec les quatre volumes compilés en un alors qu'ils sont déjà eux-mêmes des compilations. Bref, vous avez compris le jeu de poupées russes en termes d'édition.

Honnêtement, faut le lire. Un peu, en partie. Pour se rapprocher du canon de la littérature japonaise classique.

Mais honnêtement, faut pas se le farcir d'un coup, sinon c'est l'ennui dû à la répétition et au manque d'action assuré.
Lien : http://livriotheque.free.fr/..
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Et puis

Ce récit qui se situe au début du XX iéme siècle , et, à la fin de l'ère Meiji pour le Japon, il y a cent ans, détonne avec la modernité de son écriture et de ses propos.

C'est l'histoire d'un homme confronté à une société en mutation, à cheval entre les traditions d'une civilisation millénaire et une modernité importée d'Occident, que l'ère Meiji avait inauguré en 1868.

Daisuké, trentenaire, un homme indifférent à tout, indolent, vit encore aux dépens de son père, sans aucun souci de travail, un père ,pourtant pour qui, il n'a aucune considération. Profitant de cette dépendance, ce dernier veut lui imposer un mariage arrangé, soutenu par son frère et sa belle-sœur.Mais Daisuke aime une autre femme....une affaire compliquée ....

Pris entre deux feux, il doit devoir prendre une décision.Dur, dur pour cet homme détaché de tout, famille, société , au sens large, et même de son propre cœur et esprit. Un homme qui se pose de multiple questions existentielles, et souffre de l'imposture sociale. L'auteur nous plonge dans son désarroi, analysant finement au scalpel ses émotions, ses pensées , ses gestes...sans pour autant nous faire perdre le fil de l'histoire.

Soseki nous livre un très beau roman, profond , limpide, avec un personnage attachant malgré sa complexité et ses contradictions, et des scènes magnifiques , rappelant celles des estampes de Hokusai et de Hirogishe. La fin est inattendue, intrigante et laissée à notre imagination. De quoi vous laissez tenter!
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Echos illusoires du luth (suivi de) Goût en..

Le recueil contient deux nouvelles du grand Sôseki qui n'ont pas grand chose à voir entre elles mais qui m'ont plu toutes les deux.



Echos illusoires du luth (1905)

Le narrateur est un jeune homme qui vient de quitter sa pension d'étudiant pour emménager dans une maison car il va bientôt se marier. Il se plaint de ses nouvelles tracasseries ménagères auprès de son ancien colocataire, un scientifique, ex premier de la classe qui lit quand même de drôles de bouquins. La femme de charge qui s'occupe de son nouveau domicile lui casse les pieds. Elle est pleine de superstitions et un bonze l'a mise en garde : il doit déménager s'il ne veut pas qu'il arrive un grand malheur à une femme. Et la fiancée du narrateur a justement un petit rhume, un influenza. le camarade ne prend pas du tout l'histoire à la légère et lui raconte alors une histoire de fantôme...

J'ai beaucoup aimé le ton légèrement ironique de cette nouvelle qui rappelle celui de Je suis un chat. La conversation entre les deux amis est savoureuse, pleine de digressions inattendues, apparemment farfelues qu'il faut savoir déguster en oubliant la trame du récit. le narrateur est un petit gars geignard et influençable qui a la trouille de ses nouvelles responsabilités autant que des fantômes. le colocataire est un scientifique qui a du mal à mettre au rancard les vieilles traditions japonaises et accorde aux histoires de fantômes une attention scrupuleuse. La femme de charge est impayable, les dialogues chez le barbier très drôles.



Le Goût en héritage (1907)

La guerre russo-japonaise (1904-1905) était présente par allusions dans la nouvelle précédente. Elle est cette fois-ci au coeur du récit.

Le narrateur est un jeune professeur de biologie qui, perdu dans de sombres cauchemars éveillés, se retrouve à la gare de Shimbashi où il assiste au retour triomphal des soldats. Mais il est incapable de crier "Banzaï !" comme les autres. La vision d'un général à la barbe hirsute et aux yeux hagards puis celle des retrouvailles entre une mère et son fils l'envahissent de tristesse. Il pense à son ami Kô mort héroïquement à Port-Arthur et à sa mère inconsolable. Il se rend au cimetière et, non loin du gingko fantôme, il voit une belle jeune fille en kimono coloré déposer des chrysanthèmes blancs sur la tombe de son ami. Mais, qui est donc cette femme ?

La nouvelle est un peu plus naturaliste que la première au départ mais elle prend ensuite des détours inattendus, non dénués d'humour, à la Soseki. Il est clair que l'auteur dénonce l'absurdité et l'horreur de la guerre et donne la parole à ceux et celles qui doivent normalement se taire. J'ai été touchée par l'évocation de la tristesse et des tourments du narrateur et de la mère. La description réaliste de l'arrivée des soldats à la gare au début, la description de la mort de Kô, les extraits du journal de celui-ci sont poignants et magnifiquement écrits.
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Rafales d'automne

Le roman débute par la description d'un professeur, ne souhaitant pas être traité comme le commun des mortels...convaincu qu'avec sa formation intellectuelle, il pourrait changer un tant soit peu le monde...Il se révèle trop orgueilleux, asocial, indifférent à ses renvois pour "insoumission" ou "insolence". Son épouse semble excédée de voir son époux rester en

marge; se moquant d'une carrière comme de l'argent !

Dôya renonce à l'enseignement, et se met à écrire des articles, des textes-enquêtes... contre une rétribution des plus modestes, quand il ne fait pas les choses gracieusement !!





Ensuite, nous faisons connaissance avec deux jeunes amis, dont l'un a été l'élève du professeur, ci-dessus décrit...Ces deux amis, très proches, sont aussi opposés que le jour et la nuit...

L'un, esthète, issu de famille aisée; l'autre , aspirant romancier à la santé fragile, qui tire le diable par la queue !



Nous assistons à leurs palabres, leurs visions de la vie et de la société, diamétralement contradictoires. Notre professeur malmené, Dôya, se retrouve à la porte d'un des deux jeunes gens, afin de réaliser une enquête sur les questions & attentes de la jeunesse...



Soseki doit, à travers ses personnages, transmettre ses propres convictions, colères... regrettant que la majorité des individus ne s'en tiennent qu'aux apparences , et à la position sociale...Texte qui a dû, en effet, paraître subversif, lors de sa publication initiale, en 1908....Soseki est très virulent vis à vis de cette société japonaise qui évolue dans un sens où les puissances de l'argent prennent toute la place au détriment des individus et des "hommes de bien"..., "savants comme tout homme de culture" !



Un roman philosophique, en quelque sorte !... Des digressions parfois un peu longues ou redondantes... mais ce texte reste étonnant, et toujours d'actualité dans un monde de plus en plus matérialiste !

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Haikus

Je ne cesse de m'émerveiller devant la puissance d'évocation que peuvent avoir des poèmes de seulement trois petites lignes, capables de battre à plate couture des poèmes qui en possèdent 14. Bien composés, ces quelques mots nous emportent directement au coeur d'une émotion ou d'une sensation.

Les haïkus de Soseki, écrivain japonais de la fin du dix-neuvième siècle, tentent de capter l'instant, celui de la feuille qui tombe ou celui du silence, le temps d'un baillement partagé entre deux amis qui vont se quitter, le mouvement d'une hirondelle en plein vol, un changement de lumière quand le soir arrive ou que le jour se lève.

La mort, aussi, est présente, celle à laquelle il a échappé, celle, bien réelle, de sa belle-soeur pour qui il entretenait des sentiments complexes. La mort et le miracle d'être encore en vie quand l'aube arrive.

D'autres haïkus sont plus mystérieux voire hermétiques, malgré la préface et la postface, toutes les deux bien fournies.



Ce n'est sans doute pas le recueil de haïkus le plus abordable mais j'y ai fait de belles découvertes.
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Mon individualisme (suivi de) Quelques lett..

Natsume Sôseki (1867-1916) est un écrivain très célèbre quand il prononce ce discours le 25 novembre 1914, dans la prestigieuse Ecole des Pairs, très conservatrice, où se forme l'élite intellectuelle du Japon.



Sôseki commence par raconter, avec son apparente nonchalance et son auto-dérision habituelles, comment son individualisme s'est développé dans son esprit, à travers des anecdotes et des allusions à ses romans bien connus. Il part de sa propre expérience malheureuse d'étudiant d'anglais, ingurgitant des inepties puis de jeune enseignant à la Botchan trimballé de droite à gauche. Il évoque ensuite son séjour forcé et déboussolant en Angleterre. Personne ne lui a appris ce qu'était la littérature mais il était pour la première fois une personne indépendante. Subrepticement on glisse alors du récit autobiographique  au petit traité de morale. Sôseki développe deux idées essentielles : le droit d'avoir un jugement esthétique ou moral autonome et le devoir de laisser les autres en avoir un également. Cela nous semble évident mais au Japon, en 1914, cela ne l'est pas du tout. Dans la tradition japonaise ce sont les autres qui décident ce qui est bon pour vous et quelle sera votre place dans la société. Et l'attitude individualiste qui crée des tensions avec le groupe, la famille, la société ou l'État est réprimée. Sôseki au passage et avec précaution, évoque la censure d'une de ses critiques. L'individualiste qui se passe de l'approbation du groupe est seul, pauvre et isolé dans ce Japon moderne en pleine transition. Pourtant ce n'est qu'a travers l'individualisme que l'homme peut trouver sa voie et développer ses talents uniques, que l'écrivain japonais peut conserver sa capacité contemplative orientale et répondre à la question : qu'est-ce que la littérature ? Dans la dernière partie du discours, Sōseki s'attarde sur l'aspect politique de l'individualisme, sur la responsabilités des hommes de pouvoir et d'argent et également sur la nécessité de maintenir un équilibre entre la Nation et l'individu. L'individualisme doit prévaloir lorsque le pays connaît une phase de stabilité mais il accepte aussi la nécessité de limiter la liberté individuelle et de reconnaître les besoins collectifs de la Nation en temps de guerre ou d'invasion étrangère.



Ce petit livre original et agréable à lire permet d'appréhender la singularité du Japon moderne et donne envie de lire ou relire les romans de Natsume Sôseki.
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