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Critiques de Oya Baydar (29)
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Et ne reste que des cendres

Ce roman, dont le titre est littéralement : « Il resta LEURS cendres chaudes », conte l'épopée, entre le début de la décennie 70 et la fin 90, de la politisation de cette génération de Turcs, dont le feu des espoirs, idéaux, aspirations, illusions a été étouffé par les coups d’État militaires du 27 mai 1960, du 12 mars 1971 et du 12 septembre 1980, puis par l'effondrement du communisme soviétique et l'intensification du conflit turco-kurde dans les régions orientales.

L'intrigue gravite autour de l'héroïne Ülkü Öztürk et de la série de malheurs épouvantables qu'elle-même et son entourage subissent, notamment sous forme de terrorisme d’État, dont pâtissent aussi, de proche en proche, tous les personnages secondaires, chacun à sa manière. La focalisation sur ce personnage féminin permet d'établir une thèse politiquement subtile et fortement imbue de vérité et de sagesse : à travers les destins des deux amours de la vie d'Ülkü, que tout oppose et surtout le parcours politique – l'un responsable communiste de premier plan, l'autre évoluant dans les plus hautes sphères de l'appareil étatique, les plus secrètes, meurtrières et impitoyablement conservatrices – les positions victimaires des uns et des autres s'immiscent et se confondent ; le véritable tyran n'est autre que la soif de pouvoir, de quelque bord qu'il provienne et quel que soit l'idéal élevé auquel il aspire. Les espoirs une fois brisés, les échines rompues, les trahisons consommées, il reste des hommes et des femmes abîmés sous le poids des décombres, qui n'ont pour seul recours qu'une improbable quête d'îles désertes. Précocement vieillis à la cinquantaine, leur élan vital ou mortifère, selon les cas, brûle et se consume à la fois, à l'instar des cendres ou braises du titre.

De plus, toujours dans la perspective féminine qui sait rendre justice à l'éros et thanatos, sourd toute une série de motifs archétypaux : le sacrifice du fils par le père, la révolte des fils contre leur géniteur, l'ambivalence du désir sexuel féminin en rapport dialectique avec la soumission, les fidélités contradictoires entre responsabilités maternelle et uxorielle, entre idéaux publics et affects familiaux, entre l'exil et le retour aux origines – endroit où (re-)vivre ou endroit où mourir...

La construction du roman est également extrêmement raffinée : non seulement par des flash-back qui complexifient la narration, au moins jusqu'à la moitié du livre, mais surtout par un subtil jeu de miroirs entre personnages, comme regroupés dans leur cheminement biographique et dans leur évolution personnelle sous la voûte de neuf chapitres très habilement conçus, afin de renforcer les analogies.

Enfin, la moisson d'informations historiques et sociologiques est extraordinaire sur la situation politique de la Turquie au cours des trois décennies précédant les nouvelles catastrophes survenues depuis le début des années 2000... lesquelles font sans aucun doute l'objet des romans plus récents de l'auteure, qui ne sont pas encore traduits en français, à l'exception de Parole perdue, qui, dans son édition originelle, remonte à 2007, soit 7 ans après celui-ci.
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Et ne reste que des cendres

Paris, milieu des années 1990. Ülkü Öztürk, journaliste française d’origine turque, est sollicitée par la police pour identifier le corps d’un diplomate turque brutalement assassiné. En voyant le corps étendu sur un chariot, à la morgue, Ülkü se replonge dans ses souvenirs…



Et ne reste que des cendres est un roman-fleuve, qui balaie de manière virtuose l’histoire de la Turquie à la fin du XXème siècle. Au centre de l’intrigue, une héroïne inoubliable, la mystérieuse Ülkü, qui tombe amoureuse très jeune d’un homme qui est tout son contraire. Elle est libre et volontaire, il préfère suivre une voie toute tracée. Elle est communiste, il est l’héritier d’une riche famille et veut occuper de hautes fonctions au ministère des Affaires étrangères. Avec eux, Oya Baydar ne se contente pas de raconter une belle histoire d’amour : son intrigue, universelle, est aussi éminemment politique. Elle narre de manière efficace, sans clichés, les désillusions des militants, les espoirs qui brûlent et partent en fumée, les dangers du pouvoir.



Autour de ses personnages principaux, l’auteure tisse une belle toile de personnages secondaires, réalistes et vivants, comme l’irritante mère d’Ülkü ou Mehmet, le timide militant communiste. L’histoire est très dense, pas toujours facile à suivre en raison des multiples flash-backs qui se succèdent d’un paragraphe à l’autre, mais toujours passionnante, servie par la plume aiguisée et poétique d’Oya Baydar.



Un très beau roman. Merci à Babelio et aux éditions Phébus de m’avoir permis de le découvrir dans le cadre de l’opération Masse Critique.

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Et ne reste que des cendres

Ülkü Öztürk est journaliste pour un grand quotidien français. A ce titre, elle est convoquée par la police pour être interrogée sur ce qu'elle sait de Arin Murat, homme d’État turc qui vient de se faire assassiner rue des Écoles à Paris et avec qui elle a dîné la veille. Elle qui a milité dans les rangs communistes, qui a été incarcérée et torturée, dont le fils Umut (« espoir » en turc) a été exécuté pour rien, elle devra s'expliquer à la fois devant la police française et l'ambassade de Turquie à Paris.

Commence alors un savant va et vient entre la Turquie des coups d’État et des révoltes estudiantines et celle d'aujourd'hui, entre Paris, Istanbul, Ankara et Leipzig ou Moscou. Va-t-on s'y perdre ? Non, car la précision de la construction et la clarté d'écriture sont telles que nous retrouvons nos repères, notamment grâce à des personnages au profil psychologique et au parcours très précisément rendus.

Longue méditation en action sur l'écart entre les idéologies les plus généreuses, les plus enthousiastes, les plus libertaires et la réalité politique d'un pays qui vit de soubresaut en crise, qui voit fleurir les politiques les plus liberticides et répond par le sang, la geôle et la torture aux mouvements de la jeunesse.

L'arrière-plan politique de ce roman, omniprésent comme un personnage à part entière laisse dans ce roman – sans doute en grande partie autobiographique – une part belle à l'histoire d'amour entre Ülkü, la révoltée aux idées de gauche bien arrêtées, et Arin, le politicien qui choisira sa carrière plutôt que sa passion.

Un portrait de la société turque se tisse au long des lignes, tradition, ambitions, qu'en dira-t-on, espoirs fous de la jeunesse, aspiration à la modernité sont ici rendus avec une grande vérité. Aujourd'hui, l'espoir – déçu – d'entrer dans l'Union européenne laissera-t-il la place à un régime tyrannique, celui d'Erdogan, à l'exaspération du sentiment religieux, à la tentation de faire acte de violence contre une Europe hermétique et méprisante ? Un livre qui permet une réflexion à partir d'une analyse certes partisane mais sincère. On aurait aimé que figure, un peu plus qu'en toute fin du livre, une approche du sentiment religieux en Turquie et qu'on en apprenne davantage sur ce que pensent les milieux progressistes de l 'actualité dans ce domaine.
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Et ne reste que des cendres

Paru il y a déjà quinze ans en Turquie, ce roman d'Oya Baydar -dont j'avais beaucoup aimé "Parole perdue"- vient enfin de bénéficier d'une traduction en français.



Construit en un savant tissage de flash-back maîtrisé de façon éblouissante, très ancré dans l'histoire de la Turquie moderne, des années 60 environ jusqu'à la fin des années 90, "Et ne reste que des cendres" résonne avant tout comme un hommage nostalgique, à la fois tendre et plus encore triste et amer, à toute une génération passionnée, engagée, pénétrée de l'idéologie marxiste-léniniste, qui se sera battue avec enthousiasme et conviction, en vain, croyant lutter pour un monde meilleur.



L'histoire débute quasiment par la fin, en 1996 à Paris. Ülkü Öztürk, journaliste turque naturalisée française se retrouve convoquée par la police pour reconnaître le corps d'Arin Murat assassiné la veille, Arin avec qui elle connut autrefois une relation passionnelle par lui sacrifiée à des ambitions carriéristes. Ce haut fonctionnaire turc, appartenant aux plus hautes sphères de l'état, avait pour mission de faire avancer le dossier de l'entrée de son pays dans l'Union européenne. Quel est ou quels sont les auteurs de ce crime? Quels en sont les mobiles précis? Là ne sera pas finalement le sujet du livre; tout au plus le prétexte à toucher du doigt des aspects obscurs impliquant l'existence probable d'un réseau criminel dont les ramifications s'étendraient jusqu'au sein de l'appareil d'état.



Pour qui n'en est pas familier (c'est mon cas) ce livre, par sa dimension politico-historique très présente, constitue, sinon une bonne approche, (les évènements marquants sont évoqués mais demeurent souvent confus pour les non-initiés) du moins une bonne sensibilisation au climat chaotique et délétère d'une Turquie transformée en champ d'exactions, d'affrontements entre factions radicalisées de gauche comme de droite et violence d'état sur fond de guérilla kurde. Le lecteur un peu curieux y trouvera en tout cas incitation à enrichir ses connaissances sur la question.



Dans ce contexte troublé, Oya Baydar, s'inspirant probablement de son propre parcours, nous invite à suivre celui de son personnage principal, figure féminine forte, libre et lumineuse et de quelques autres figures non moins marquantes dont les destins s'entrecroisent. Ülkü, comme d'autres militants communistes, se verra contrainte à l'exil à Moscou ou ailleurs en Europe, loin de son fils, pour échapper à la terrible répression suite au coup d'état de 1980. Pour les uns, l'effondrement du régime soviétique sonnera le glas de leurs espoirs engendrant leur propre effondrement: "Désormais, il ne leur restait pas plus de monde nouveau en vue que de force pour en supporter le poids"; d'autres suivront d'autres voies sans que leur destin soit pour autant plus heureux ou porteur d'espérance.

La fin relativement ouverte semble mettre en avant une assertion de l'un des personnages comme quoi " la vie n'(aurait) pas d'autre but, d'autre sens qu'elle-même". Et cette porte meurtrie par les atteintes de la vie et du temps, définitivement cadenassée, illustrant fort à propos la couverture de l'ouvrage, se refermera sur un passé désormais irréversible de souffrances et d'illusions perdues.



Comme à son habitude, semble-t-il, l'auteure nous entraîne dans une réflexion riche de questionnements notamment sur la responsabilité et la nature corruptrice du pouvoir.



Je ne saurais faire l'impasse sur le volet histoire d'amour auquel certain(e)s pourront être plus sensibles, histoire d'une passion unique et dévorante qui défiera l'espace et le temps, braises mal éteintes, réactivées au fil de rencontres rarissimes qui jalonneront ce parcours de femme, ne laissant au final que des cendres comme tout le reste...



Enfin concernant l'écriture, comme dans "Parole perdue", Oya Baydar joue à la fois avec subtilité de la subjectivité des personnages et de l'omniscience de l'écrivain. Mais je voudrais insister sur la remarquable construction évoquée précédemment, point fort du roman selon moi. Toutes ces bribes du passé livrées dans un désordre apparent, s'articulent en réalité selon un schéma virtuose de telle sorte que l'auteur parvient à en exprimer toute l'intensité douloureuse tout en préservant la découverte de ces destins. De la belle ouvrage!
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Et ne reste que des cendres

Ulku est une journaliste turque. Elle a été convoquée pour identifier les cadavre de son ami Arin, homme politique turc assassiné dans une rue de Paris. Le passé resurgit. Sa vie a été marquée par son engagement dans le parti communiste turc. Elle a été emprisonnée, torturée. Puis, s'est réfugiée avec son mari Omer en Russie. Sa vie, c'est aussi son amour pour Arin. Leurs univers sont opposés . Lui est issu d'une famille riche et devient un homme d' Etat, fidèle à son devoir : servir le pays quelque soit le gouvernement. Il renonce à épouser Ulku de famille modeste et militante révolutionnaire.

Roman sur la Turquie actuelle avec ses coups d' Etat, ses droits de l'Homme bafoués. Roman sur les désillusions . Désillusions politiques : le communisme s'effondre. Désillusions sur l'amour . Qu'en reste-t-il ? Rien que des cendres.

Un livre profond, triste mais illuminé par des citations de poète. Superbe
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Et ne reste que des cendres

Oya Baydar nous livre les éclats d'une vie, des souvenirs par bribes lancés au lecteur. Un roman qui évoque la fragilité de la conscience politique face à l'attrait du pouvoir; qui nous offre un panorama de la Turquie des années 70 à nos jours, de sa résonance en Europe.



D'une écriture douce qui dépeint la violence des hommes et celle des idées, elle fait entendre la voix d'Ülkü, une femme forte et tourmentée, dévorée par la passion.



Entre la France et la Turquie, d'hier à aujourd'hui, les époques et les lieux s'entremêlent pour dévoiler au fur et à mesure les pièces d'un même puzzle. Les sentiments d'une femme, qui porte en elle les valeurs et les idéaux d'un espoir fou, se heurtent aux convictions, à la machinerie politique.



Oya Baydar m'a envoûtée avec des mots justes, poignants et humbles.









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Dialogues sous les remparts

Je remercie Babelio et les éditions Phébus pour l'envoi de ce livre dans le cadre de l'opération "Masse critique"



Deux femmes d'un même pays dialoguent. L'une appartient à la minorité persécutée par l'Etat , l'autre appartient à la caste dominante, c'est une intellectuelle engagée en faveur de la paix. Que se raconte-t-elle?



Le point fort de ce récit c'est son universalisme: j'ai l'impression que ce dialogue (échangé entre kurde et turc) pourrait l'être, en d'autres temps, entre noir et blanc en Afrique du Sud ou entre catholique et protestant en Irlande. On sent le poids du passé, les pertes dans chaque camp, les accusations réciproques....



Malheureusement ce point fort est aussi sa faiblesse: Où est la Turquie? Où sont les kurdes? Je suis un peu resté sur ma faim. Ce qui rassemble ou éloigne ces deux cultures n'est pas du tout abordé. C'est finalement beaucoup plus un récit sur la culpabilité d'appartenir par, sa seule naissance, au clan des oppresseur.
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Et ne reste que des cendres

J'ai connu la romancière avec son premier roman traduit et publié en français "Parole Perdue", un roman que j'avais apprécié mais que j'avais trouvé étouffant tant l'évocation du Kurdistan (officiellement le Sud-Est de la Turquie) était lourde, plombante, suffocante. Les émotions sont malheureusement, ici, les mêmes. Oya Baydar, par la longueur de son récit, sa pesanteur, m'a effectivement étouffée. L'ambiance est lourde, chargée, sombre, noire, malsaine. Elle évoque tant de choses qui attristent et qui font la réalité en Turquie: les répressions, les tortures, les arrestations arbitraires, les coups d'Etats, les désillusions de celles et ceux qui ont, un jour, cru à un monde meilleur, la violence au sein de la société, l'injustice rampante, les conséquences désastreuses du programme servi par l'Otan (Gladio) dans le pays... autant d’événements qui continuent à exercer leur influence sur le présent, qui pèsent, qui alourdissent le corps et l'esprit. Oya Baydar a donc un talent indéniable pour dire, raconter, dévoiler la triste et tragique histoire de son pays. Elle parvient à transmettre au lecteur tout son poids. Il est lourd, très lourd. Alors, quand l'auteure ne donne aucun répit, quand elle ne laisse pas glisser un peu de légèreté, son roman finit par écraser. Il est trop imposant pour être tendrement savouré. Il est, malgré tout, à conseiller.
Lien : http://kanimezin.unblog.fr/2..
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Et ne reste que des cendres

Un très très beau livre écrit par une femme exceptionnelle : Oya Baydar, ancienne militante communiste, longtemps frappée d'exil et figure importante de la littérature turque. Elle dit avoir écrit dans "Et ne reste que des cendres" l'histoire d'une génération, sa génération, certainement utopique, et qui a vécu des tragédies. Elle a voulu écrire un livre non seulement politique, mais aussi l'histoire d'un très grand amour qui traverse les années.



Oya Baydar nous raconte ainsi le destin d'une femme, Ülkü, et celui d'un homme qu'elle a aimé, Arin Murat ; petite jeune fille pauvre, Ülkü a connu Arin en donnant des leçons à son jeune frère. Tombés amoureux au grand désespoir de la mère d'Arin, ils se séparent car Mme Murat fait comprendre qu'il ne peut être question de mariage, leur famille étant riche et puissante. Chacun poursuivra son chemin, Arin qui n'a pas eu le courage de s'opposer à sa mère épouse une autre femme et devient quelqu'un de très haut placé en Turquie ; Ülkü sera dans le camp adverse, celui qui pense que le communisme peut être une solution pour ce pays. Elle se marie elle aussi, avec Ömer, un homme qui croit également à l'idéal marxiste.



Nous sommes en Turquie, à Paris, à Moscou, dans les années soixante à quatre-vingt-dix. Pour Ömer et Ülkü, si la jeunesse correspond à leur lutte pour le communisme, leur âge mûr doit faire face à la chute de l'URSS ; et on sent l'immense désillusion, le désespoir même que cela a entraîné, ils y avaient vraiment cru.



Cette écrivaine qui fouille jusqu'aux tréfonds de l'âme de ses personnages, dénonce les assassinats arbitraires et l'emploi de la torture en Turquie. Le fils d'Ülkü est tué parce que soupçonné d'appartenir à une cellule terroriste ; mais n'était-il pas seulement un sympathisant de gauche ?



Et dans un second temps, les enfants de ces militants vont les remettre sévèrement en cause par rapport à ce qui se passe à l'est ; les problèmes kurdes sont assez présents dans le livre, par ceux d'un ami d'Ülkü, Mehmet.



A travers ces destins douloureux mais très humains, c'est toute l'histoire récente de la Turquie qui apparaît et c'est extrêmement intéressant ; Arin Murat a été tué, assassiné le lendemain d'un discours qu'il a fait à Paris ; ayant longtemps fait partie des plus hauts placés du pouvoir turc, il a été petit à petit mis de côté ; il s'occupe alors des relations avec l'occident et surtout des discussions pour l'entrée de la Turquie dans la Communauté Européenne. Et son discours a été personnel et courageux sur les possibilités de développement de la démocratie en Turquie, bien loin des thèses officielles.



Comme le dit Oya Baydar, un des thèmes principaux du livre est le pouvoir ; Arin Murat s'interroge, et Ülkü aussi sur la recherche du pouvoir et sur tout ce que cette recherche "défait" entre les hommes et à l'intérieur d'eux également.



Livre passionnant, remarquablement construit mais assez triste ; et si l'auteure fait le constat que certaines choses ont pu progresser, elle ne semble pas très optimiste à travers ses écrits.
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Parole perdue

Bien que chez nous elle ne jouisse pas de la même notoriété qu'Orhan Pamuk ou Elif Shafak, Oya Baydar est une figure importante de la littérature turque. Née à Istanbul en 1940, elle publie son premier roman à l'âge de 17 ans avant de passer dans les rangs du marxisme et de s'engager dans une carrière politique. Arrêtée en 1971 à la suite du coup d'Etat, elle est emprisonnée pendant deux ans avant de s'exiler en Allemagne jusqu'en 1991. C'est à cette époque qu'elle rejoint la Turquie et renoue avec la littérature. Sociologue de formation, femme engagée, Oya Baydar livre avec Parole perdue un roman puissant qui mêle habilement destins personnels et histoire collective.



Les personnages de Baydar sont des êtres en souffrance. Omer Eren est un écrivain en panne d'inspiration, et sa femme Elif, une scientifique de renom dévorée par l'ambition. Leur blessure s'appelle Deniz. C'est leur fils unique, un être sensible que les aspirations démesurées de ses parents à son égard ont fragilisé un peu plus encore. Ne se sentant pas à la hauteur des attentes parentales, Deniz a préféré les fuir et s'installer sur une île norvégienne où il élève seul son fils après que sa femme ait été victime d'un attentat à Istanbul.

L'autre couple de ce roman est constitué de Zelal et Mahmut, deux jeunes Kurdes qui ont fui les montagnes et se sont trouvés, eux aussi, dans la trajectoire d'une balle perdue. Elle a été grièvement blessée et a perdu l'enfant qu'elle attendait.



Omer rencontre Mahmut et décide d'aider ces jeunes gens : expiation de l'amour qu'il n'a pas su donner à son fils mais aussi désir de porter leur voix et, à travers eux, celle d'un peuple opprimé qu'il a défendu dans sa jeunesse à travers des écrits virulents. Pour mieux les comprendre, il part aux confins de l'Anatolie découvrir un monde en souffrance et en révolte, soucieux de préserver son identité.



Dans une longue incantation, Oya Baydar bascule constamment du désir de parole des uns au désir de parole des autres. Dénonçant la violence et les conditionnements familiaux, politiques ou géographiques, elle pose la question fondamentale du choix, de la liberté de suivre sa propre trajectoire. Dans ce roman où chacun fuit quelque chose ou quelqu'un, on lit aussi l'espoir d'une réconciliation mais le chemin est long et semé d'embûches, et la violence présente à chaque pas. Un roman sombre mais nécessaire qui ne vous lâche pas une fois la dernière page tournée et permet de comprendre un peu mieux l'actualité que les médias nous déversent quotidiennement.


Lien : http://livredailleurs.blogsp..
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Et ne reste que des cendres

Entre les années 1960 et la fin du xxe siècle, entre Ankara, Berlin, Moscou, Paris..., la romancière circule avec une grande maîtrise, suivant les faits et gestes de ses personnages.
Lien : http://www.telerama.fr/criti..
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Parole perdue

Elif et Ömer, deux quinquagénaires stambouliotes, forment un couple apparemment solide. Et pourtant tout les éloigne. Quand débute le roman, cet éloignement devient géographiquement concret : Elif, biologiste de renom, part en Scandinavie pour plusieurs colloques scientifiques, tandis qu'Ömer, célèbre romancier, rejoint l'extrémité orientale de la Turquie.

En réalité, ces voyages les emportent bien plus loin.

Elif projette de tenter de renouer les liens avec leur fils unique, qui a fui ses parents depuis des années pour s'installer sur une île norvégienne peu peuplée.

Ömer, quant à lui, cherche la parole. Lassé des facilités littéraires purement commerciales dans lesquelles il s'est embourbé depuis plusieurs années, il n'arrive plus à écrire la moindre ligne. Témoin d'un attentat dans une gare routière d'Ankara, il prend sous son aile un couple de jeunes kurdes, payant l'hospitalisation de la femme blessée et donnant à l'homme les clés d'une maison qu'un ami lui prête régulièrement. Il lui suffit alors de quelques heures de discussion avec ces deux amoureux en fuite pour se décider à aller chercher la parole qui lui échappe dans leur région en guerre.

Cette immersion dans le Kurdistan, ses paysages, ses traditions, sa violence, est absolument passionnante. Elle permet aussi d'appréhender la réalité d'un pays morcelé et la psychologie de ses habitants, soumis à la peur, à l'exil, à la résignation, et contraints de s'engager d'un côté ou de l'autre, l'armée turque ou la guérilla kurde. À moins qu'il existe une troisième voie : la paix.

Cependant, outre ces réflexions et ces enseignements géographiques, ethnologiques, politiques, qui sont déjà une grande richesse, l'autrice nous offre un texte superbement écrit. Bien sûr, les passages les plus sombres font appel à un style cru, tranchant ; mais la beauté de la plume y est visible. À côté de cela, Oya Baydar sait aussi tisser des pages pleines de poésie, pour évoquer l'amour et la détermination du jeune couple kurde, l'engagement pour la paix de certaines personnalités, dont ce magnifique et puissant personnage de femme, Jiyan ("vie" en kurde) ou encore l'attachement d'un père ou d'une mère pour son enfant, parti combattre dans les montagnes du Kurdistan ou ayant choisi de fuir tout combat et toute violence en s'exilant sur un îlot perdu.

Vous aurez peut-être remarqué que je parle plus du voyage d'Ömer que de celui d'Elif. Il y a plusieurs explications à cela. Il m'a semblé que l'autrice donnait plus de place au premier dans son livre. Les chapitres se déroulant au Kurdistan sont par ailleurs beaucoup plus intenses, beaucoup plus prenants que ceux qui sont situés en Norvège. Enfin les discussions entre Elif et son fils m'ont semblé bavardes et creuses et un peu artificielles, tandis que les échanges d'Ömer avec la population des villes et villages kurdes où il s'installe étaient beaucoup plus profonds. J'en suis même arrivé à me dire que les chapitres autour d'Elif livres aurait pu être supprimés sans que le roman y perde.

Quoi qu'il en soit, c'était ma première expérience avec la plume d'Oya Baydar elle fut marquante.
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Dialogues sous les remparts

Dans ce dialogue - peut-être avec une autre personne ou peut-être avec elle-même - Oya Baydar confronte deux visions de la Turquie et de ses déchirures. Le peuple Kurde est opprimé depuis longtemps en Turquie. Les Kurdes sont traités comme des sous être-humains. Cela a entrainé de nombreux conflits et des violences innommables. Une guerre sévit entre les Turcs et les Kurdes.



Oya Baydar évoque la guerre, le fait que la guerre et la violence ne mènent à rien. Elle est partagée entre les souffrances des Turcs et celles des Kurdes. Et alors que sa deuxième interlocutrice - ou sa deuxième petite voix intérieure - prend partie pour les Kurdes et lui démontre tout ce qu'ils ont enduré, Oya Baydar défend un pacifisme à tout épreuve et souffre de voir souffrir tant de gens qui aimeraient juste vivre tranquillement.



Je comprend ce dialogue. C'est une discussion que toute personne modérée et aux valeurs humanistes pourrait avoir avec elle-même. La guerre est un déchirement pour ceux qui la vivent et on aimerait tellement que tout ça s'arrête. Mais on se sent souvent impuissant(e) et désespéré(e) devant ces peuples qui souffrent. Que faire ? Que dire ? Pour qui prendre parti ? Peut-on mener une guerre "propre" ? Et puis à quoi, à qui, ça sert toutes ces guerres ? A ceux qui ont soif de puissance et de domination. Qui ne voit pas l'autre dans son humanité mais dans son utilité.



Bref. C'est un très beau texte, superbement écrit. Mais malheureusement, le dialogue tourne un peu en rond. C'est un sentiment d'impuissance et de désolation qui me reste sur le coeur en refermant ce livre. J'ai de la peine pour Oya Baydar et pour tout ceux dont la vie est déchirée par des conflits qui n'en finissent pas.

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Parole perdue

L'auteure Oya BAYDAR est relativement peu connue. Quel dommage! Dans son roman 'Parole perdue', elle met en scène un célèbre écrivain turc qui a perdu la parole. En panne d'écriture après avoir trop servilement suivi les attentes du monde de l'édition et ses lecteurs, Ömer décide d'aller chercher la parole perdue à l'Est de l'Est, dans ces territoires Kurdes où vit un pays déchiré, une Anatolie en feu et à sang, en recherche d'elle-même, en recherche de paix, de sécurité. Ce faisant, il s'éloigne de sa femme, une scientifique ambitieuse qui, elle aussi, perd peu à peu ses repères et cherche à comprendre pourquoi leur fils a fui la Turquie pour aller se perdre sur une île norvégienne et y vivre une vie en tous points dissemblables aux rêves qu'ils avaient pour lui.



De nombreux thèmes sont abordés dans ce roman: la fidélité, la projection de soi sur l'enfant, la famille, y compris ses dérapages menant aux crimes d'honneur. Mais aussi le combat de tous ceux qui veulent sortir du moule social que l'entourage familial veut imposer, les pouvoirs que se donnent les puissants pour tuer dans l'oeuf la langue, la culture, la vie même des minorités assujetties.



Parole perdue est un roman politique (même s'il est, à plusieurs moments, très poétique). C'est un livre riche qui nous invite à réfléchir à propos d'une Turquie en plein désarroi, en recherche d'identité qui se voudrait humaniste mais qui a bien de la peine à se trouver.
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Et ne reste que des cendres

"Et ne reste que des cendres" ou la vie retracée d'Ülkü, jeune femme engagée à gauche dans une Turquie en pleine transition démocratique.



A travers la vie de cette femme, Oya Baydar met en lumière des événements peu connus de l'histoire turque tels que les tortures et assassinats d'activistes communistes poussant certains à l'exil, les vastes mouvements de grèves ou de protestations contre le pouvoir en place... Il est très souvent fait référence à des dates capitales de l'histoire de la Turquie : le 12 mars 1968 (mouvement étudiant ayant pris une ampleur politique et idéologique pour se transformer en terrorisme sanglant) ou le 12 septembre 1980 (coup d'état militaire suivi d'une forte répression se traduisant par un recul de la démocratie). Ces événements ne sont jamais vraiment explicités et poussent le lecteur à réaliser ses propres recherches pour comprendre à quel point ils ont pu façonner la vie des différents protagonistes.



La curiosité suscitée par ce roman en est pour moi la principale richesse. La qualité de l'écriture m'a également happée dès la première page. En revanche, les incessants flash-backs m'ont souvent déboussolée (Oya Baydar envoie le lecteur d'une page à l'autre du Paris des années 2000 à l’Istanbul des années 60, en passant par Leipzig ou Moscou) et l'histoire très axée sur les relations intimes de l'héroïne n'a pas suffisamment, à mon goût, laissé la part belle à l'immersion dans cette Turquie trouble et qui reste pour moi mystérieuse.
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Parole perdue

Dense, complexe, sinueux, implacable ..., combien d'autres qualificatifs pourraient convenir à ce roman, Parole perdue, portrait sans concession et d'une lucidité effrayante d'un pays en guerre intérieure : la Turquie ? Le livre d'Oya Baydar a 6 ou 7 personnages centraux, des lieux d'action nombreux : Istanbul, Ankara, la Norvège, et, avant tout, l'Anatolie, "à l'est de l'est", là où séparatistes kurdes et troupes gouvernementales s'affrontent quotidiennement. De quoi se perdre dans les méandres d'un roman qui fait la part belle aux portraits d'hommes et de femmes au croisement de leurs destins, perdus dans le maelström d'événements sanglants qui les dépassent et annihilent leur volonté. Il y a là un écrivain en panne de mots, son épouse qui a perdu sa foi de militante, leur fils exilé qui ne croit plus en rien, un ancien de la guérilla kurde qui fuit, sa fiancée échappée d'un crime d'honneur, une pharmacienne énigmatique entre deux mondes, d'autre encore. Oya Baydar dit la souffrance, questionne les raisons d'une telle violence entre les communautés et tente d'apercevoir une lumière au bout de ce tunnel de douleurs et d'incompréhensions. Pas facile, pas plus que la lecture de ce livre épais dans tous les sens du terme, et parfois trop lourd pour les frêles épaules du lecteur éreinté. Il lui reste des images fortes, des mots coupants comme un poignard et le sentiment que la haine est décidément le seul carburant qui alimente le coeur des hommes. Une noirceur et un pessimisme qui laissent exsangue, ni plus, ni moins.
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Dialogues sous les remparts

Diyarbakır, ville du sud-est de la Turquie, épicentre de la répression des forces de sécurité gouvernementales après les affrontements qui ont opposé de jeunes kurdes du mouvement marxiste révolutionnaire aux unités de protection civile. La partie la plus ancienne de la ville, Sur, située à l'intérieur des remparts, a été le théâtre de violents affrontements qui ont fait de nombreuses victimes dans la population. Là, au pied des remparts, deux femmes engagent un dialogue, l'une kurde et l'autre turque, venue de l'ouest pour manifester pacifiquement son opposition à la répression. La discussion est âpre, difficile. L'une reproche à l'autre ses atermoiements, ses postures de pacifiste, sa bonne volonté compassionnelle. Que fait-elle devant la vieille ville dévastée si ce n'est essayer encore et encore de départager les responsabilités entre combattants d'une juste cause et militaires à la solde de l'oppresseur ? Que peut-elle comprendre des aspirations à la liberté d'une population abandonnée à la violence ? Malmenée dans sa tentative d'honnêteté intellectuelle, l'autre est contrainte peu à peu d'abandonner sa posture de militante de gauche, pacifiste. Elle en vient à s'interroger sur sa vision du conflit qui est forcément construite – au sens sociologique du terme – par le discours nationaliste de l'État républicain depuis sa fondation kémaliste. Mais elle en vient aussi à s'interroger sur son militantisme dans une Turquie qui a fait disparaître bon nombre de ses opposants sous la torture et en prison. Le « virus de la bonne conscience » que produit-il sinon de la culpabilité, de la douleur et de l'impuissance ?



Formidable dialogue où nous entraîne Oya Baydar dont la force repose sur la sincérité du ton et l'humanité du propos. Deux voix qui essaient d'échanger malgré le rempart de la guerre qui se dresse entre elles et les espoirs déçus de part et d'autre. Il n'y a pas de réconciliation parce qu'il n'y a pas de fraternité dans le creuset d'un combat qui les sépare irrémédiablement. Et pourtant, chacune y a gagné quelque chose, de rêver un monde qui ne sera plus gouverné par la haine et la colère. Le livre se referme sur une magnifique et poignante ode à l'amitié dans ce qu'elle a de plus difficile : accepter de se perdre pour se trouver dans l'autre.
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Parole perdue

Le livre d'Oya Baydar aborde des thèmes qui traversent de nombreux romans contemporains : l'usure du couple, la destinée des enfants, la capacité d'un individu à faire face à un drame personnel. Trois voix distinctes s'élèvent dans ce roman, chacune donnant sa lecture de la ruine de l'édifice familial. Ömer et Elif Eren incarnent la réussite d'un couple d'intellectuels. Lui est un écrivain de renom, dont les livres se vendent bien et que la célébrité a presque statufié. Elle est une scientifique connue internationalement et ses travaux font l'objet de communications dans les colloques de biochimie. Cependant l'un et l'autre s'éloignent car ils perdent chaque jour un peu plus de leur goût de vivre et se confrontent au vide intérieur qui grignote lentement leur existence. Quant à Deniz, le fils du couple, il vit presque reclus sur une île norvégienne, refusant le monde et sa cohorte de malheurs et de cruautés. Trois voix brisées qui s'épuisent dans le silence, la parole vraie, profonde s'est depuis longtemps perdue entre ces êtres.

Ömer sent que ce qu'il écrit relève de plus en plus de la recette à succès. Où est l'écrivain engagé d'autrefois ? Où sont la conviction et la sincérité qui donnaient de la force à son œuvre ? Un soir, dans une gare routière d'Ankara, une jeune femme est blessée et, sans qu'il sache pourquoi, Ömer va apporter son aide à Mahmut et Zelal, un couple de jeunes Kurdes en fuite. Zelal fuit pour échapper à un crime d'honneur et Mahmut tente d'échapper à la vengeance de la guérilla depuis qu'il a déserté. L'écrivain accepte de partir à l'est pour transmettre un message à la famille de Mahmut. Il arrive dans un bourg morne où règne une fausse paix avec la présence armée de la garnison turque. Là, Ömer rencontre Jihan, la pharmacienne, figure de la dignité ancestrale des Kurdes. À son contact, il retrouve une sorte d'acuité qui lui permet de sortir de son apathie et de s'ouvrir à un univers différent du sien.

Elif a trouvé refuge dans ses activités de laboratoire. Expliquer la complexité des mécanismes biologiques est parfois plus facile que de s'interroger sur ce qui grippe les rouages familiaux. Elle s'est imposée par ses travaux scientifiques, mais ne parvient pas à donner une image convenable, lisse de la petite cellule familiale. Son fils Deniz ne suit pas le parcours prestigieux de ses parents. Timide, maladroit en société, peu doué pour les études, il ne sait que faire de sa vie jusqu'au jour où on lui met un appareil photo entre les mains. La question qui taraude Elif et qu'elle ne se pose pas ouvertement est : pourquoi a-t-elle échoué dans son rôle de mère ? Comment a-t-elle élevé un enfant qui ne montre aucun goût pour ce qui est si important pour ses parents ? Chaque fois qu'elle quitte son pays, elle voudrait renouer le dialogue avec son fils, lui rendre visite dans son île lointaine, mais les mots ne franchissent pas ses lèvres. Pourtant, il lui faudra surmonter cet obstacle si elle veut rencontrer son petit-fils.

Deniz Eren est le fils déconstruit du couple. Quand le succès le rattrape enfin, il quitte tout pour aller se réfugier en Norvège, refusant une réussite professionnelle bâtie sur le malheur des autres. Photographe de guerre, il se met à haïr ce métier qui le reconnaît quand il étale la souffrance et les drames d'autrui. Il revient à Istanbul avec sa jeune femme norvégienne dont la simplicité, le naturel heurtent ses parents, membres de la bourgeoisie éclairée d'Istanbul. Voilà donc la femme que s'est choisie leur fils, une étrangère sans culture et sans éducation. Un attentat se produit au cœur d'Istanbul et la lumineuse Ulla est tuée. La parole se tarit chez Deniz puisque son pays le prive à jamais de ce qu'il avait de plus cher en dehors de son fils Björn qu'il va élever seul dans l'île, ultime rempart contre la violence et la cruauté du monde.

Oya Baydar tisse l'intime et l'universel, les trajectoires personnelles et les heurts de l'histoire. En écho à la question kurde qui ensanglante la Turquie depuis près d'un siècle, il y a les vies brisées de Mahmut, Zelal et Jihan, mais aussi de Deniz. À leur manière, Ömer et Elif sont des combattants, ils ont milité pour la démocratie, l'émancipation des femmes, la modernisation de la société. Leur combat a été victorieux, mais bien d'autres combats ont été perdus et leur succès ne peut cacher la vulnérabilité et l'impuissance de beaucoup de leurs semblables. Il faudra la générosité de Jihan pour qu' Ömer comprenne qu'il a encore un rôle à jouer en tant qu'écrivain, que sa parole peut donner une nouvelle voix à son pays. Il faudra le pardon de Deniz pour qu'Elif comprenne qu'une grand-mère peut faire ce qu'une mère n'a pu assumer.

Ce livre, remarquable dans ce qu'il nous conte, l'est aussi dans sa construction et dans son style. Une œuvre forte, envoûtante et pleine d'espoir.
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Parole perdue

J’ai reçu et lu ce roman d’Oya Baydar dans le cadre de ma deuxième participation à l’opération « Masse Critique » de Babelio.



Je ne regrette absolument pas mon choix. C’est un livre tellement riche, où l’on passe de la beauté à la simple horreur, de l’émotion à la réflexion.



Bien que j’aie eu un peu de mal au début à appréhender l’écriture d’Oya Baydar qui passe successivement de la première personne à la troisième, une fois suis habituée ça a été un vrai régal de lire ce roman. Oya Baydar a un style pur, rythmé et fluide.



Je connais assez mal la Turquie et ce roman m’a permise de découvrir un pays riche. Mais il ne faut pas s’y tromper, Oya Baydar a décrit son pays sans complaisance, sa richesse mais aussi les choses terribles qui s’y passent. J’ai tendance à penser qu’elle nous a décrit la vraie Turquie.



Un livre sur la famille, sur l’identité, le militantisme et l’engagement mais aussi sur l’écriture. Un récit à plusieurs voix à la fois politique et intimiste.



C’est un roman fort que je vous conseille sans hésitation.

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Parole perdue

C’est le premier livre de littérature turque que je lis de toute ma vie et ce grâce à Babelio et son opération Masse critique. J’avais choisi ce livre dans la liste pour une simple raison : je voulais découvrir un peu la culture de ce pays. À force d’entendre les partisans et les opposants de l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne embellir ou diaboliser, je ne savais plus trop que penser. Dans ma tête, la littérature sert à s’ouvrir à d’autres mondes et c’est exactement ce qui s’est passé ici. J’ai la chance d’être tombée sur le premier livre traduit en français de Oya Baydar. Cette femme est lucide sur son pays : elle montre les qualités et richesses mais aussi les défauts sans rien cacher.



On suit une famille : Ömer l’écrivain reconnu, Elif la scientifique de renommée internationale et Deniz le fils. Chacun vit séparément même si Elif et Ömer habitent la même maison. En effet, ces deux là se sont perdus au fil des années. Ce qui les a rapproché c’est leur militantisme mais avec la renommée ce point commun est devenu moins fort. Ömer écrivait avant des livres engagés sur les pauvres, les laissés-pour-compte … mais au fur et à mesure, il a suivi les goûts du public et a commencé à écrire des bleuettes sans aucun intérêt. Il est devenu alcoolique (plus ou moins) et n’arrive plus à écrire. Il s’est mis dans la tête de retrouver sa voix ou une voix en voyageant. Il se retrouve à la gare routière d’Ankara lors d’un attentat. Il fait alors la connaissance de Zelal et Mahmut, deux Kurdes en fuites. La première fuit une sentance de mort déclarée par sa famille car elle s’est retrouvée enceinte à la suite d’un viol (in extremis son père l’a aidé à s’enfuit). Le garçon fuit lui les montagnes où il s’est retrouvé à la suite de plein de malheurs. Il faisait des études de médecine pour lesquelles sa famille entière s’est sacrifiée et s’est fait virer pour avoir été fière de son origine kurde. Zelal vient de se faire tirer une balle dans le ventre, son bébé est mort. Ömer va aider les amoureux. En échange ceux-ci lui conseille de partir dans les montagnes kurdes pour retrouver une voix. C’est ce qu’il fait. Tout au long du livre, on va suivre le périple d’Ömer mais aussi la vie (et surtout le passé qui va les rattraper) de Zelal et Mahmut.



Au même moment, alors qu’Ömer part à l’Est, Elif part à l’Ouest en Scandinavie pour deux congrès scientifiques. C’est une femme froide qui est motivée uniquement par son ambition de devenir de plus en plus connu pour ses travaux. C’est le personnage qu’on a le plus de mal à comprendre à mon avis car elle ne montre aucune faille, aucune faiblesse (la seule que j’ai repéré c’est qu’elle se sent diminuée par rapport aux scientifiques des autres pays comme si elle avait toujours quelque chose à prouver). De passage en Scandinavie, elle en profite pour aller voir son fils qu’elle considère comme un fuyard de la vie. En effet, quand il était jeune, il a très mal vécu la renommée de ses parents et eux ne supportaient pas son côté nonchalants : ils le voulaient combattifs et militants. Après s’être fait renvoyé de l’école, ils l’ont plus ou moins obligés à être photographe de guerre en Irak alors qu’il n’en avait pas envie. Il en est revenu traumatisé et a préféré fuir dans une île norvégienne, que tous les trois ont visité il y a longtemps. Là il a trouvé le bonheur avec Ulla dans un monde protégé où il ne voit pas la misère du monde. Manque de chance, la première fois qu’il emmène Ulla, avec qui il a eu un petit Björn, en Turquie, celle-ci est tuée lors d’un attentat suicide. Elle n’était jamais sorti de son île. La violence du monde a rattrapé Deniz qui s’est re-réfugié dans son île dans laquelle il essaye de retrouve de retrouver un peu de sérénité. Sa mère ne comprend pas son désir d’avoir une vie pépère et va essayer de le faire changer d’avis lors de ce voyage.



Ce résumé en dit très peu malgré les apparences sur ce livre qui est très très riche. J’ai mis un certain temps à l’apprivoiser à cause d’une écriture différente et nouvelle pour moi . Cependant, une fois fini, il en ressort que c’est un livre qui m’a fait réfléchir parce que l’auteur ne considère pas le lecteur comme quelqu’un de bête. Elle ouvre des pistes sur la question kurde, sur ce que l’on peut attendre du militantisme, de la présence de la violence du monde, qui ne touche pas seulement le Moyen-Orient, de la relation à l’étranger, et même sur un plan personnel de la vie de famille, du bilan d’une vie … mais jamais elle ne conclu pour le lecteur. Je crois que c’est ce qui m’a particulièrement plu dans ce livre ; c’est cette vision intelligente du monde et de la vie.



Pour tout dire, ce livre a quand même un défaut qui m’a dérouté et parfois agacé. D’une phrase à l’autre, on peut passer du je au il/elle pour parler du même personnage.



En conclusion, si vous le lisez, ne vous découragez pas. Vous en retirerez forcément quelque chose !
Lien : http://cecile.ch-baudry.com/..
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