Citations de Sarah Chiche (414)
Et puis, très tranquillement, j'ai choisi de vivre. Et pourtant, aujourd'hui encore, le fleuve qui coule et se déroule comme un long ruban de mélancolie sous le pont des Arts est gris comme ses yeux.
Les premiers mots du livre...
Les morts ne sont pas avalés, ni par l'eau ni même par la terre. Ils continuent de marcher parmi les vivants. Quand nos souvenirs avec nos proches s'effacent dans le lointain de chambres, d'écoles, de fêtes d'anniversaire, de champs, de sentiers de montages ou de plaques, que nous n'arpentons même plus dans nos songes, restent les récits que nous tenons des autres. Puis un jour, ces autres 'évaporent eux aussi. La dernière personne qui pouvait nous parler de la personne que nous avons perdue meurt à son tour ; et dans cette césure fatale, le temps devient, dit-on, irréversible. (p27-28)
Il y a bien longtemps que j'ai perdu ceux que j'aimais. De ce monde d'alors, il ne reste plus rien ; tout s'est dissous. Je n'ai jamais bien su pourquoi j'ai survécu à ce dont, d'ordinaire, on ne revient pas. Il est des pertes sèches qui, loin d'empêcher l'amour ou la joie, les rendent plus brûlants encore, mais dont on ne se remet jamais et dont on ne souhaite pas se remettre.
Le souvenir que la mort laisse en nous ne s’efface pas. [...] Mais c’est aussi précisément pour cette raison là qu’il est possible d’aimer plus intensément : parce que tout est déjà perdu, il n’y a désormais plus rien à perdre.
[ Pour les gens comme moi ], le temps du deuil ne cesse jamais. Car nous ne souhaitons surtout pas qu’il cesse.[...]
De Saturne, astre immobile, froid, très éloigné du soleil, on dit que c’est la planète de l’automne et de la mélancolie. Mais Saturne peut être aussi l’autre nom du lieu de l’écriture - le seul lieu où je puisse habiter.
J'étais terrifiée. Il y avait quelque chose de pourri dans notre royaume. Je le sentais confusément. J'avais neuf ans. Et bien d'autres rêves ridiculement plus petits, solitaires et féroces, sans remède aucun. Les enfants savent tout mais ne comprennent rien. Leur égoïsme et leur silence les
protègent _ et, parfois, les rendent, malgré eux, monstrueux.
Pour l'aîné, le cadet est surtout un boulet qui lui a refilé la rougeole, puis la varicelle, puis les oreillons, puis la grippe, et qu'il doit sans cesse surveiller, ainsi qu'il l'a promis à ses parents. Durant le voyage vers l'internat, son père lui a fait un long sermon : Ton frère est plus petit que toi mais si mignon, ton frère est plus fragile que toi mais si intelligent, ton frère est ton proche le plus proche, vous êtes sortis du même ventre, vous avez été faits avec le même cœur, je veux le meilleur pour vous deux, tu dois l'aimer et donner l'exemple. Mais Armand en a assez.
Il y a bien longtemps que j'ai perdu ceux que j'aimais. De ce monde d'alors, il ne reste plus rien ; tout s'est dissous. Je n'ai jamais bien su pourquoi j'ai survécu à ce dont, d'ordinaire, on ne revient pas. Il est des pertes sèches qui, loin d'empêcher l'amour ou la joie, les rendent plus brûlants encore, mais dont on ne se remet jamais et dont on ne souhaite pas se remettre. L'émerveillement et la douleur devant la beauté féroce de la vie m'ont rendue à la nuit, là où la seule richesse qui vaille vient du tréfonds des êtres.
Tous les enfants rêvent à un moment donné qu'ils ont été adoptés, sauf les enfants adoptés.
La pensée cupide qui me vint à la lecture de ce testament fut une abjection parfaite, de celles qui amènent à considérer que le cancrelat est supérieur à l'homme en ceci que lui, du moins, n'est pas la cause directe de sa laideur.
Il y a des riches et des pauvres, des forts et des faibles, et si les forts écrasent ou tuent les faibles, c'est la loi de la nature.
Les enfants savent tout mais ne comprennent rien.
Il était dingue. Il ne savait rien de moi. Il avait tout compris. Et tout pardonné. Il m'a aimé comme j'étais, malgré ce que j'étais, malgré moi. Je crois que c'est ça, l'amour. Alors, relève la tête, car tu es née d'un immense amour. Et ça, ça ne peut pas mourir. Ça ne meurt jamais. Même ce soir, là, quand je te parle, je sais qu'il est là. Il est mort, mais il n'est pas mort.
page 147
Tu vois, le temps fait son œuvre. On dit que le temps fait son œuvre. Mais parfois l’œuvre du temps, c'est affreux. on voudrait ne jamais oublier. On voudrait pouvoir garder les mots. Mais même ça, on finit par l'oublier. J'ai oublié les mots. Mais je me souviens de la sensation. ....
Et je voyais cet homme, assis face à moi. Je voyais son cœur qui s'ouvrait, son cœur dans son sourire, son cœur dans ses mots. IL m'aimait tellement que je me suis mise à l'aimer moi aussi. En quelques jours, il est devenu tout pour moi. Mon père, ma mère, mon amant, mon amour. J'ai jamais vu ça, quelqu'un qui s'effaçait à ce point, dans l'oubli de son propre plaisir. Il voulait me faire vivre l'enfance que je n'avais pas eue.
page 146
On sait ce que l'on a perdu quand on se souvient l'avoir connu. On ne sait pas ce que l'on a perdu de ce qui a toujours déjà été perdu.
page 136
Les enfants savent tout mais ne comprennent rien. Leur égoïsme et leur silence les protègent - et parfois, les rendent, malgré eux, monstrueux.
page 41
Car ainsi voguons-nous disloqués dans la tempête des années, otages de la mer sombre où l'exil des uns n'efface jamais celui des autres, coupables et victimes du passé. p. 65
Alors, il embrasse ses yeux, il lui dit qu'elle est une infraction à la loi du jour, qu'il va boire ses larmes et qu'elle ne pleurera plus, qu'elle est belle, et pure, qu'elle fait sa joie, qu'il n'est pas permis d'être si heureux, qu'il va lui montrer ce qu'est la vie bonne, et qu'il se sent tous les courages, et qu'il va l'aimer, malgré tout cette nuit qu'elle a en elle, malgré la peur qu'elle lui inspire, parce que ça fait partie de l'amour. p. 15
Pour nous, le temps du deuil ne cesse jamais. Car nous ne souhaitons surtout pas qu’il cesse. Nous ne voulons pas de son évacuation forcée. Nous ne tenons pas à surmonter la perte. Nous n’aimons pas être consolés, séparés de la chose perdue. Nous vivons, en permanence, dans et avec nos morts, dans le sombre rayonnement de nos mondes engloutis ; et c’est cela qui nous rend heureux. De Saturne, astre immobile, froid, très éloigné du Soleil, on dit que c’est la planète de l’automne et de la mélancolie. Mais Saturne est peut-être aussi l’autre nom du lieu de l’écriture – le seul lieu où je puisse habiter.
Personne n’a demandé à naître, ni vous ni moi. Et il faut, dès l’enfance, l’absurde et merveilleux foisonnement de l’amour, amour du monde, amour de la vie, amour des parents, pour s’enfoncer, avec force et joie, dans l’épaisseur des jours. Jusqu’à quel point la manière dont nous pensons que nos parents se sont aimés façonne-t-elle notre propre degré d’idéalisation de l’amour ?
Pour ta voix qui me fait bander. Pour tes silences qui m’enseignent. Pour tes seins à foutre, ta bouche à jouir, pulpeuse, rosée. Pour les perles de sueur sur tes épaules. Pour les ailes de ton nez qui frémissent et se retroussent à la moindre contrariété. Pour ton visage du matin, ton visage fardé, ton con velu, ton con rasé, ton con inextinguible capable de m’assoiffer la bouche et la queue. Pour tes sanglots quand tu as joui entre mes bras, hier, en haut des marches d’escalier, tes yeux rivés dans les miens. Pour tes mensonges d’enfant sauvage. Pour toutes les larmes que tu as versées pour ta mère. Pour ce bébé que tu attends et qui sera le couronnement de tout, j’en suis sûr. Ève, tu es mon unique, et je suis à tes genoux.