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Critiques de Vladimir Nabokov (666)
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La Vénitienne et autres nouvelles

J'ai écouté les cinq nouvelles sur les deux C.D que propose Gallimard en coffret. Eric Caravaca est un excellent lecteur. En quelques secondes vous rentrez dans l'histoire, vous pouvez fermer les yeux et la magie nabokovienne opère. Vous vous retrouvez comme Alice dans un rêve vertigineux qu'un enchanteur malicieux a crée pour vous perdre. Les nouvelles ont toutes en commun la relation entre l'art et la vie. Elles ont été écrites en russe dans les années 20 et publiées sous le pseudonyme de Sirine dans les revues d'exilés à Berlin et Paris. Elles ont été traduites et publiées en français après la mort de Vladimir Nabokov.

CD 1 :

La Vénitienne (1h 15 environ) :Un riche colonel anglais passionné de peinture a invité son ami, Mr Magor, un restaurateur de tableaux, et son épouse, Maureen, dans son château, où résident également son fils, Frank, et l'ami de celui-ci, Simpson, étudiant en théologie à Cambridge. Magor lui a permis d'acquérir “La Vénitienne'', qui aurait été peinte par Sebastiano del Piombo, peintre vénitien de la seconde moitié du XVIe siècle (voir couverture). le jeune Simpson est frappé par la ressemblance entre le portrait de la Vénitienne et Maureen qui le fait tant rougir. Un soir, alors qu'il discute avec Magor, ce dernier lui indique que, si on se concentre bien, il est possible d'entrer dans un tableau…

La nouvelle, datée de 1924, est riche et passionnante. Elle commence par une partie de tennis qui permet de peindre avec une ironie féroce et ludique les cinq personnages. Les quatre rôles qui gravitent autour de l'oeuvre. Les personnages des deux jeunes sont formidables et leurs destins divergent. L'un choisira la vie et l'autre l'art. La nouvelle reprend des motifs fantastiques bien connus en les modifiant : la traversée du miroir et le portrait animé. Simpson « aux yeux doux et fous" traverse le miroir volontairement parce qu'il est mal à l'aise dans la bonne société anglaise, qu'il trouve la vie réelle monotone et la femme réelle totalement inaccessible, parce qu'il a cru aussi reconnaître dans le tableau le petit chemin familier de son enfance. Il est envoûté par le portrait et le discours de Magor, le bien nommé. Il traverse le portrait volontairement dans une joie extatique. Encore faut-il ne pas se perdre et retrouver le chemin de la réalité. Pour Nabokov, l'art n'est pas une tragédie morbide mais un jeu. le récit manipule aussi le lecteur. En même temps qu'on lit l'histoire fantastique on relève quelques indices au passage qui nous font penser à une supercherie, habitués que nous sommes à lire Edgar Poe ou Conan Doyle mais bien évidemment, à la fin, il reste quelques petits mystères et un citron.



CD 2 :

Bonté (14:42) : c'est l'histoire d'un sculpteur amoureux qui s'adresse à sa maîtresse/modèle infidèle. Il l'attend au coin d'une rue vers la porte de Brandebourg. Près de lui une vieille femme qui vend des guides touristiques et des cartes postales attend elle aussi. L'histoire est magnifique, poétique et se déroule entièrement dans le regard du narrateur. le sculpteur malheureux observe sous les gouttes d'eau scintillantes l'indifférence des passants, l'humilité de la vieille, la bonté du soldat qui lui offre un bol de café au lait chaud et il s'aperçoit que la joie intérieure qu'il cherchait est là chez les gens ordinaires. Il retourne à son atelier.



Le rasoir (10:14) : Ivanov ancien capitaine de l'armée blanche officie désormais comme barbier à Berlin. Un jour un homme trapu rentre dans son salon et lui fait signe qu'il veut être rasé. Ivanov le reconnaît dans tous les miroir à la fois, : c'est un ancien bolchevique qui fut autrefois semble-t-il son bourreau. Ivanov l'installe confortablement dans son fauteuil, le badigeonne de mousse à raser et affûte son rasoir…. Suspense et ironie. La nouvelle joue sur le contrastes des deux hommes: Ivanov est taillé au couteau, les traits anguleux et tourne autour de l'autre ; le client anonyme est tout en rondeur, le visage bouffi avec un grain de beauté dodu.



Le Voyageur (15:00) : un écrivain et un critique dialoguent. le critique prétend qu'un écrivain ne peut pas améliorer ce qui arrive dans la vraie vie. L'écrivain lui raconte alors une histoire vraie qui lui est arrivée dans un train...L'histoire courte, très ludique montre qu'on peut manipuler le lecteur en créant des attentes. La démonstration est formidable : L'art a été trompé par une vie plus inventive mais...il reste une énigme à la fin. Nabokov suggère qu'on peut certes se jouer des attentes du lecteur mais il faut lui laisser au bout du compte une porte ouverte.



Musique (17:06) : Victor arrive en retard dans un salon de musique alors que le récital de piano a débuté. Les spectateurs sont comme envoûtés, sauf Victor que la musique ennuie. Il observe alors les hôtes et voit son ex-femme, il revit leur histoire, il pense au temps qu'il a mis à essayer de l'oublier et la musique épouse ses états d'âme, il s'apprête à lui pardonner...Il a compris que la musique lui avait permis de transformer une histoire malheureuse en félicité mais...la fin est malicieuse avec un clin d'oeil à la Sonate à Kreutzer si chère à Tolstoï.
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Autres rivages



"Il y a cela de vrai dans l'«art pour l'art» : on se met à sa table et l'on goûte le pur arbitre, un arbitre pour lequel la nécessité de lois internes est un sel, parce qu'il fait naître de nous seuls un ordre et un choix exempts de toute extériorité brutale, un ordre et un choix qui jaillissent, palpitants, de notre conscience même.» (Cesare Pavese)



Pour reprendre une formule que l'on voit souvent passer sur le site à propos de «monstres sacrés» tels par exemple, Joyce ou Proust, je dirais à mon tour qu'avec Nabokov le lecteur n'aurait pas à craindre de devoir «gravir une montagne» : d'entrée de jeu, on en est directement propulsé à un sommet !!

Il serait ensuite question de savoir plutôt comment s'y tenir en équilibre, ou de comment s'y acclimater sans trop de risques de tomber en hypoxie...!

Car Nabokov, c'est le génie littéraire par excellence, et sa prose, dotée d'une aptitude particulière à éblouir et à subjuguer, respire cette même atmosphère enivrante et potentiellement vertigineuse des grandes altitudes.

Aussi, par la maîtrise avec laquelle il sait faire plier la langue aux seuls caprices de sa création, son oeuvre se situe-t-elle au-dessus de toute considération extérieure à elle-même, soumise uniquement à l'impératif de ses «lois internes».



Avec un art consommé de la focalisation, avec la précision optique d'un observateur derrière son microscope, ouvrageant ses motifs en ramifications complexes, l'écrivain s'amuse volontiers à les superposer, à quelquefois les disposer en spirales («la spirale est un cercle spiritualisé [qui) a cessé d'être vicieux, rendu libre»), ceux-ci s'exilant alors momentanément du fil narratif -fenêtres s'ouvrant du plus petit et contingent sur l'horizon immense d'une «synchronisation cosmique» - avant d'y être replongés quelques lignes plus tard, parés d'une coloration et d'une profondeur de vue nouvelles et surprenantes !

Croisant instantanéité, simultanéité et intemporalité, par exemple à partir d'un pétale de fleur qui tombe en tournoyant, ou d'une gouttelette de pluie glissant sur une feuille d'arbre, la plume, d'une beauté qui laisse souvent pantois, se révélera également, à l'occasion d'un exercice d'un genre d'ordinaire aussi sans surprises et formaté tel l'autobiographie, un puissant catalyseur de sensations et d'images, susceptibles de ravir le lecteur vers d'insolites hauts-plateaux intérieurs sans pour autant être dans la sur-démonstration ou dans une esthétisation artificielle.



Avec l'obstination, la patience et la rigueur de l'entomologiste, passion héritée de son père et dont il sera par ailleurs largement question dans ces mémoires couvrant pratiquement deux tiers de sa vie -depuis sa naissance, en 1899, et son enfance aristocratique à St Pétersbourg (pas moins d'une cinquantaine de domestiques au service de sa famille!), jusqu'à à son départ précipité pour les États-Unis durant la guerre, en 1940-, Nabokov a construit une oeuvre romanesque à l'architecture aussi complexe que son parcours de vie, rebelle à toute catégorisation, avant tout très personnelle et cérébrale.

Même si celle-ci n'exclut pas les comportements impulsifs chez ses personnages, les idées obsédantes, les transports amoureux et les extases des sens, l'auteur ne semble pas, en effet, avoir accordé beaucoup de place, ni à l'analyse psychologisante, ni aux conventions enfermant le roman dans un registre «réaliste» ou «irréaliste», ni d'ailleurs à toute autre forme de contrainte ou bien-pensance, et encore moins à toute guimauve sentimentale !



L'on serait d'autre part tenté de supposer que les récits de Nabokov aient été également conçus quelque peu à l'image de cette autre passion, les échecs, et notamment de ces «problèmes d'échecs» qu'il avoue avoir composé en grande quantité pendant sa jeunesse, leur consacrant presque autant de temps et d'énergie qu'à la littérature !



À savoir : comment en l'occurrence, en quelques déplacements astucieux sur l'échiquier du jeu littéraire auquel s'invite le lecteur, mettre ce dernier mat !!!

Dans l'ouvrage en question, issu -permettez-moi le raccourci facile !- d'une série de «problèmes » littéraires publiés d'abord séparément, puis repensés, retravaillés, complétés et réunis en un seul volume dans les années 1960, et que l'auteur nous présente d'ailleurs comme le résultat d'un «montage de souvenirs personnels» (sic), lorsque sera évoquée plus en détail cette passion dévorante pour les «problèmes d'échecs», on pourra y déceler une certaine similitude entre sa manière de décrire le processus présidant à la composition d'un problème de la sorte et, d'autre part, ce qui relèverait de l'invention littéraire typiquement nabokovienne :

«Une inspiration de type quasi musical, quasi poétique, ou, pour être tout à fait exact, poético-mathématique.»



Glissements subits de sens entre domaines et disciplines différentes, abolition momentanée de la géométrie spatio-temporelle à laquelle nous sommes habitués en tant que lecteurs bien disciplinés, jeux de correspondances savants, entre situations, entre faits et évènements distants, quelquefois ornés de mots en provenance de champs lexicaux assez éloignés, ou bien d'anagrammes, font également partie des tactiques de déstabilisation utilisées face à l'adversaire-lecteur, dont le grand-maître ne se priverait pas complètement ici en abordant son histoire de vie et la genèse de sa vocation littéraire.



Le vrai poète, dit-il, «serait capable de penser à plusieurs choses à la fois». Et - citant le mot qu'il attribue à l'un de ses grands (et rares) amis, le philosophe Vivian Bloodmark (à vous de jouer...!) -, au contraire de l'homme de science qui «voit tout ce qui arrive en un point donné de l'espace », « sentirait », lui, «tout ce qui peut arriver en un point donné du temps».





Mais alors, qu'est-ce qu'il en résulterait en définitive, s'agissant là tout de même, non pas d'une «fiction», mais d'une «autobiographie» ?



Autres Rivages, située aux antipodes de tout registre ou ton confessionnels, ne ressemble pas, on s'en doutera bien au bout de quelques pages, à une autobiographie classique. Et l'auteur, guère disposé à déroger aux lois fondamentales ayant guidé jusque-là l'élaboration de son oeuvre fictionnelle.



Nabokov m'aura, quant à moi, laissé le sentiment d'avoir, consciemment ou pas, «crée», à partir de sa vie, une fiction hybridée, dans laquelle d'une certaine manière il figurerait davantage au titre de personnage que d'«agent» de son histoire, avec la distance que cela comporterait.

Un livre d'images en quelque sorte, suspendues dans le temps, plutôt qu'un essai autobiographique «actif» faisant des allers-retours constants entre passé et présent. Et dans lequel, comme dans ses romans, toute dimension critique, d'introspection ou de "psychologie" dans le sens large, tout «repentir», toute tentative de justification ou d'explication par rapport aux choix existentiels de ses personnages, occuperaient aussi une place secondaire, pour ne pas dire quasiment inexistante, si bien que, me trouvant échec encore une fois en cette fin de partie, je me verrais demander de quel homme pouvait bien s'agir au fond, sous l'ombre magistrale du jeu de l'écrivain (?)



Quoi qu'il en soit, ce «montage de souvenirs personnels» peut paraître extrêmement réservé quant aux mobiles intimes et aux sentiments profonds de l'homme, proportionnellement à la richesse et profusion de détails servant d'enluminure aux différentes épisodes qui y sont évoqués par l'écrivain. Détails qui dans une large mesure, me semble-t-il, seraient matériellement impossibles à extraire de la seule mémoire en tant que «catalogue d'images». Et bien que l'auteur ait l'air de les présenter comme provenant d'authentiques souvenirs, il est difficile d'imaginer que certains passages ne relèveraient plutôt d'un trompe l'oeil astucieux entre traces mnémoniques et pure fiction, telle cette longue évocation où, dans un wagon-restaurant, et du fait d'«amalgamations optiques» de la nuit approchante, le petit Vladimir aurait vu défiler sous ses yeux des images géométriques aussi élaborées et sophistiquées que : « (…) le wagon en train d'être rapidement enfoncé, garçons titubant et tout, dans la gaine du paysage, cependant que le paysage lui-même exécutait une série compliquée de mouvements, la lune diurne s'entêtant à marcher de pair avec nos assiettes, les lointaines prairies s'ouvrant à la façon d'un éventail, les arbres proches s'élançant vers la voie sur d'invisibles escarpolettes, des rails parallèles se suicidant tout à coup par anastomose, un talus d'herbe nictitante s'élevant, s'élevant, s'élevant, jusqu'à ce que l'on fît dégorger au petit témoin de vitesses diverses sa portion d'omelette à la confiture de fraises.(!!)



N'y a-t-il de quoi se demander à quelle sauce l'auteur aurait trempé sa petite madeleine?



Ou si l'écrivain ne prendrait pas une place trop importante par rapport à celle de l'homme «se souvenant» tout simplement, la beauté de la langue à celle d'émotions à l'état pur?



«J'ai souvent remarqué que, une fois attribué aux personnages de mes romans, tel détail de mon passé, dont j'avais précieusement gardé le souvenir, dépérissait dans le monde factice où je venais de si brusquement le placer. Il s'attardait bien encore dans mon esprit, mais c'en était fini de sa chaleur personnelle, de son attrait rétrospectif, et bientôt il s'identifiait plus étroitement avec mon roman qu'avec mon moi antérieur, où il avait jusqu'alors paru si bien à l'abri de l'intrusion de l'artiste »



En essayant ainsi de mettre provisoirement de côté l'envoûtement que la prose magnifique de Nabokov aura encore une fois provoqué chez le lecteur que je suis, l'autoportrait de l'homme me paraîtrait finalement quelque peu « «lisse», secondaire en tout cas par rapport à des tableaux qui, quoiqu'exécutés de main de maître, sont pour la plupart dépourvus d'une véritable dimension de remémoration et de relecture susceptible de remettre en perspective le passé depuis le moment présent, autrement que sous une forme «poético-mathématique»...



Ne faudrait-il pas, d'un autre côté, entendre cependant comme un faible aveu, «en négatif», cette dissonance intime qu'on croit entrapercevoir par moment entre l'homme dont le paradis de l'enfance fut une fois pour toutes saccagé par la révolution bolchéviste, et celui qui décida ensuite de se reconstruire une nouvelle identité en exil, en parfaite autarcie, en parfait apatride ? Quoi penser sinon, lorsque, expéditif, celui-ci déclare ne pas regretter un seul instant ce qui lui était arrivé ? («Cette cassure dans ma propre destinée me procure, quand j'en fais l'examen rétrospectif, une secousse syncopale que je ne voudrais pour rien au monde n'avoir pas connue» / «Le mal du pays a toujours été chez moi quelque chose de voluptueux»(!)

Aucune trace explicite, donc, de fêlures ou blessures plus importantes qu'un tel arrachement aurait pourtant forcément laissées chez un individu, en tout cas «normalement» constitué...



Défensif ? Il ne faudrait surtout pas lui poser une telle question, quitte à entendre encore une fois l'une de ses fameuses diatribes contre les théories «fumeuses» de celui qu'il traitera ici, encore une fois, très outrageusement d'ailleurs, de «Charlatan de Vienne»!!!



Ce sera du reste essentiellement en négatif qu'on pourra appréhender quelque chose de notre Vladimir : un homme pas spécialement modeste quant à ses dons et aptitudes en général («possédant à perfection depuis ma prime enfance l'anglais et le français», etc. etc..), pas forcément sympathique (Bounine ne l'aura certainement pas invité une deuxième fois au restaurant!), pas commode non plus (mais on le présumait peut-être avant même de feuilleter ces mémoires...), pas vraiment sociable ou prêt à faire des concessions (ses propos, entre autres, sur la communauté d'expatriés russes sont à ce titre fort exemplaires), pas très porté sur les liens d'amitié (il ne s'était fait aucun vrai ami, nous dit-il, parmi ses hôtes allemands et français avant d'émigrer aux États-Unis!) ni sur les manifestations émotionnelles en général (oubliant y compris de prévenir et de dire adieu à son frère Sergueï, en 1940, lors de son départ intempestif de Paris pour les États-Unis, frère qu'il ne reverra plus vivant, mort peu de temps après dans un camp de concentration en Allemagne..), pas tendre du tout dans ses jugements critiques envers ses compères (« Stendhal, Balzac, Zola, trois détestables médiocrités » !!), très distant, enfin, de toute prise de position politique ou engagement idéologique…



Nabovok, l'homme, se serait-il en réalité exilé dans une «Nabokovie» reculée ? Terre d'accueil d'accès interdit aux curieux voulant s'y hasarder, réservée en principe exclusivement à Vera, sa femme, à qui il vouait un véritable culte (il s'adressera souvent à elle par des «tu» émergeant subitement au milieu de ces mémoires, comme si au fond le tout lui était destiné !), ainsi qu'à leur enfant-roi, Dimitri, dont il se souviendra conduire la poussette royale à travers des squares mythiques européens, dans un passage ressemblant à un de ces tableaux hors lois de la gravité de Chagall, les seuls vis-à-vis desquels il se permettra d'ouvrir complètement les portes du coeur et, sans aucune crainte d'être mièvre, d'employer des tournures telles cette «explosion silencieuse d'amour », leur déclarant par la même occasion, haut et fort cette fois-ci, «un infini de sentiment dans une existence finie».



Quant à Nabokov, l'écrivain, comme on le sait, après un périple qui, de St Pétersbourg, en passant par Londres, Cambridge, Berlin, Paris, le conduirait à une longue parenthèse américaine, finirait par s'installer en Suisse, pays hôte, neutre s'il en est!



Mais tout bien considéré, qu'importe, n'est-ce pas, tout ceci ?



Car si cela avait été autrement, est-ce que Nabokov aurait-il été Nabokov, et sa prose dégagé cet irrésistible magnétisme propre aux grands fauves indomptables ou, en plus vénéneux et équivoque, à ces grands brigands de jadis, sans toit ni loi, devenus depuis légende ?



Échec et mat !!!







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Lolita

Qu’il est périlleux, pour un homme de mon âge, d’écrire une critique élogieuse de ce livre, maudit en 1955, devenu culte par la suite, rejeté de nos jours en bordure de zone interdite ! Dans mes chroniques sur Feu pâle et sur Ada ou l’Ardeur, j’indiquais tenir Nabokov pour l’un des plus grands écrivains que la terre ait portés. Après avoir relu Lolita pour la deuxième fois, je ne change pas d’avis. Les cinq cents pages m’ont paru plus accessibles que par le passé, effet probable d’une nouvelle traduction.



Dans Lolita, un homme de quarante ans se présentant sous le nom de Humbert Humbert dévoile son obsession sexuelle pour les jeunes filles préadolescentes, qu’il qualifie de nymphettes. Il raconte la relation charnelle qu’il a imposée pendant deux ans à l’une d’elles, Lolita, âgée de douze ans lors de leur rencontre, sous l’apparence officielle d’une relation de beau-père à fille.



Dans une première partie, le narrateur évoque des épisodes de sa jeunesse susceptibles d’avoir provoqué, puis accentué un déséquilibre mental lui ayant valu plusieurs séjours en maison de repos. Européen exilé aux Etats-Unis, il s’installe dans un village, louant une chambre chez une veuve, mère d’une jeune fille prénommée Dolorès. Coup de foudre, désir irrépressible, obsession de posséder celle qu’on appelle aussi Dolly, Lolita, ou tout simplement, Lo ! S’en suivent, de la part de Humbert, des semaines de manœuvres stratégiques aussi sordides que cocasses pour tenter de parvenir à ses fins, en vain, jusqu’au jour espéré où il se sent… dépassé par les circonstances.



Seconde partie. Pour éviter toute inquisition et les indiscrétions de Lolita, Humbert se refuse à tout ancrage local. Il embarque la jeune fille dans un interminable périple en voiture au travers des Etats-Unis, passant de motel en motel, abusant d’elle chaque jour, car ses envies de possession — dans tous les sens des termes — ne faiblissent pas, tout en n’étant pas dénuées de tendresse. Une emprise financière et mentale qui fait de Lolita une prisonnière, soumise avec résignation à des rapports — des viols ! — qu’elle s’habitue à négocier en échange de quelque avantage matériel misérable. Privée des structures référentielles dont une adolescente a besoin, elle finira par échapper à Humbert et par fuir avec un homme ne valant guère mieux, qui l’abandonnera. Une vie fichue ! Et donc un crime !



Il aurait été facile de brosser des personnages incarnant sans ambiguïté le Mal et l’Innocence. Ça n’a pas été le choix de Nabokov. Humbert est un homme intelligent, cultivé, d’allure et de manières élégantes. Il se montre séduisant auprès des femmes. Lolita n’est pas insensible à son charme et son impertinence provocatrice de jeune fille un peu délurée contribue à l’installation d’un badinage dont elle ne mesure pas le risque. Plus tard, rien dans son comportement ne la rend sympathique, tandis que l’amour que lui porte Humbert est d’une sincérité par instant touchante. Il est un malade mal pris en charge et l’auteur explicite minutieusement les mécanismes mentaux qui alimentent sa déviance, ses hallucinations, ses divagations. Peut-on accuser le romancier d’empathie déplacée ? Comprendre les logiques illogiques d’un être humain dans ses travers les plus ignobles n’est ni l’approuver ni le défendre. Et pour élucider le mal, Nabokov a raison de donner la parole au bourreau. Le récit de la victime aurait suscité la compassion, la colère, mais n’aurait pas apporté de lumière.



Certes, une femme et un homme ne peuvent pas lire Lolita de la même façon. Comment peut-on se maintenir au-dessus du texte et ne pas se projeter, ne serait-ce qu’un instant, sur le narrateur ou sur sa victime ? Dans les dernières pages de la première partie me revenaient les états d’âme lointains d’un adolescent fanfaron de seize ans, envoûté par une jeune fille à peine moins âgée, et découvrant finalement — ô humiliation ! — qu’elle avait plus d’expérience que lui. Car l’auteur est suffisamment habile pour qu’on oublie par moment l’âge des protagonistes.



Le narrateur déroule des récits circonstanciés, entrecoupés de digressions lyriques, de commentaires fantasques. Le vocabulaire est d’une richesse infinie, au risque de paraître pédant. Nabokov use et abuse d’épithètes, ce qui confère à sa prose un style qui lui est propre. L’humour, le double sens, la parodie sous-jacente contribuent à étourdir lectrices et lecteurs, pour mieux les surprendre et les charmer, comme un magicien le fait face à son public.


Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Lolita

"ll faut savoir vivre avec son temps. Elle ne fait pas ses quarante ans. L’âge c’est avant tout dans la tête”.



Nous connaissons toutes et tous ces phrases formatées que l’on répète machinalement à qui veut bien l’entendre sans se rendre compte qu’elles sonnent comme des coquilles vides. Ces fausses maximes en disent long sur notre course à l’éternelle jeunesse. Il suffit de regarder autour de soi pour remarquer à quel point ce désir de rajeunissement est prégnant voire obsédant. Nous ne pouvons d’ailleurs pas nous étonner qu’un commerce (florissant) s’articule autour de cette faiblesse narcissique. Il nous est plus facile de se voiler la face en courant après l’inexorable plutôt que d’accepter la trace du temps qui s’imprime sur notre corps.



Je me suis demandé quel livre n’avais-je pas encore lu dans ma bibliothèque et qui m’évoquait cette thématique de l’âge. Il ne m’a pas fallu une minute pour qu’un roman pointe le bout de son museau : Lolita de Vladimir Nabokov.



De par le fait que le nom « lolita » soit entré dans le langage courant, je pensais, à tort, qu’il s’agissait d’un livre classique sur une fille aux allures sensuelles. Mal m’en a pris puisque l’histoire que nous conte Vladimir Nabokov est celle d’une relation incestueuse entre un homme de trente-sept ans (Humbert Humbert ) et sa belle-fille fille de douze ans (Dolores Haze).



Ce thème peu ragoutant aurait pu avoir raison de ma lecture au bout d’une dizaine de pages mais c’était sans compter sans le talent de Nabokov qui, avec son style mémorable et reconnaissable entre mille, arrive à rendre cette histoire captivante. Il en est ainsi dès l’incipit du roman qui annonce la couleur sans détour. Rythme, coupures, musicalité, jeux de mots et bien entendu ce thème choquant (à juste titre, mais dois-je le souligner) qu’est la pédophilie.



"Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. Mon péché, mon âme. Lo-lii-ta : le bout de la langue fait trois petits pas le long du palais pour taper, à trois, contre les dents. Lo. Lii. Ta.



Le matin, elle était Lo, simplement Lo, avec son mètre quarante-six et son unique chaussette. Elle était Lola en pantalon. Elle était Dolly à l’école. Elle était Dolores sur les pointillés. Mais dans mes bras, elle était toujours Lolita."



Ainsi, dès les premières lignes on se se sent taraudé par une question du genre : Est-ce qu’un écrivain peut écrire sur tout? Ma réponse est oui. Un roman est une fiction et son essence même est de nous émouvoir (quelle que soit l’émotion) et de susciter notre réaction. Ce genre littéraire que représente le roman a le luxe de pouvoir se priver de toute morale. Si l’auteur a envie de composer une histoire autour d’un crapuleux criminel, c’est son droit le plus légitime, ses personnages étant fictionnels. Si nous devons nous priver de tous les criminels et de toutes les horreurs de roman, nous n’avons plus qu’à brûler une bonne partie de la littérature. Le geste littéraire et la réalité sont deux éléments distincts.



Il serait biaisé de résumer ce roman uniquement pour son côté sulfureux. Nabokov échafaude l’histoire à la première personne du singulier à travers les yeux du personnage principal, Humbert Humbert qui lui-même utilise parfois la troisième personne pour se définir. Cette alternance constante entre le “je” et le “il” apporte une puissance à la psychologie déviante de Humbert Humbert. Nous avons envie de savoir qui est ce personnage et jusqu’où il est capable d’aller dans sa folie. C’est là toute l’efficacité de ce roman. Il arrive à nous tenir en haleine de bout en bout.



L’un des autres intérêts de cette fiction est le style utilisé par Nabokov. Il n’a de cesse de jouer avec les mots, les noms propres et les tournures de phrases. Ainsi, autant le personnage principal voue une passion maladive pour Dolores Haze, autant les autres, secondaires, se voient ironisés et affublés de sobriquets.



Nabokov n’hésite pas à provoquer le lecteur dans le but, sans doute, de soulever une réaction épidermique:



"Cher lecteur, je vous en prie : quelque exaspération que vous inspire le héros de mon livre, cet homme au cœur tendre, à la sensibilité morbide, infiniment circonspect, ne sautez pas ces pages essentielles ! Imaginez-moi ; je n’existerai pas si vous ne m’imaginez pas ; essayez de discerner en moi la biche tremblante qui se tapit dans la forêt de mon iniquité ; sourions un peu, même. Après tout, il n’y a pas de mal à sourire."



En définitive, ce classique de la littérature du XXème siècle mérite d’être lu parce qu’il est écrit avec un talent du verbe rarement égalé et qu’il aborde la sulfureuse thématique de la pédophilie d’une manière unique. Certes, ce livre n’est pas à mettre entre toutes les mains mais je suis convaincu de l’intelligence des lecteurs qui savent faire la part des choses entre fiction et réalité.
Lien : https://lespetitesanalyses.c..
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Bruits

Le jeune Nabokov écrivit cette nouvelle impressionniste en 1923, sous le pseudonyme de Vladimir Sirine.

Le narrateur évoque les derniers instants d'un amour de jeunesse en Russie. Il s'adresse à la jeune femme à la deuxième personne. Comme son titre l'indique la nouvelle joue sur les bruits : pluie, piano, silence mais aussi sur la lumière et les couleurs. Nabokov raconte une histoire passionnée qui fait penser à celle du Diable au corps de Radiguet, de manière lyrique et en même temps il porte sur cette histoire un regard distancié, souvent ironique. Il y a tous ces petits détails disgracieux sonores, mais pas seulement, annonciateurs de la violence extérieure qui viennent s'imiscer dans l'harmonie du couple (le claquement de la fenêtre, le gros bouton sur la joue de Pal, le bourdon mort dans un duvet d'araignée...). le narrateur prend conscience de la fin de l'amour et de la fin d'un monde. Il lui faut filer sans se retourner.



Un violent orage vient troubler leur tête à tête. Il leur faut claquer la fenêtre. Elle joue une fugue de Bach et se vante de jouer plus fort que la pluie. La pluie et la belle sont à l'unisson, la nature entière lui semble en harmonie, les arbres, l'eau, les fleurs et elle. Mais bientôt ils doivent prendre le thé chez un certain Pal Palytch, instituteur, amateur de Tolstoï et de menuiserie, qu'il aime bien et qu ‘elle trouve ennuyeux. En revenant de cette visite, elle s'aperçoit qu'elle a oublié son fume-cigarette et demande à Kern de le lui rapporter. Quand il revient auprès d'elle, elle lui apprend que son mari, au front, va rentrer et qu'elle va lui révéler son adultère. Mais son amant ne réagit pas (voir citation). Il l'observe. Elle le laisse partir. Il pédale sans bruit sur le chemin piétiné des isbas, il croise le cocher qui s'en va à la gare, aperçoit les épaules rondes de Pal Palytch qui pêche.

« L'air mat fut traversé par un beuglement ; des quilles furent projetés en l'air. Plus loin, sur la route, dans l'immensité du soleil couchant, dans les champs obscurément embrumés, c'était le silence".



La nouvelle se trouve également dans le petit folio « Natacha » et dans "la Vénitienne ».
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Chambre obscure

Machiavélique, sombre, immoral et d'une écriture incroyablement légère, on pourrait presque en rire tellement c'est perfide. Un réel bonheur de lecture. Un homme riche, marié, père de famille, amateur d'art, un homme presque invisible tant son caractère paraît si banal, rond, presque toujours soumis aux aléas de la vie, sans jamais trouver rien à y redire, va du jour au lendemain s'éprendre d'une jeune fille qui va le mener loin, très loin de son horizon. Sa ligne de flottaison perdue de vue, il être pris dans des creux, couler puis sombrer. Quelle abattée ! Une caricature telle que les aime Horn.
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Ici on parle russe et La sonnette

Voilà deux nouvelles du jeune Vladimir Nabokov interprétées par d'excellents comédiens. Elles ont été écrites à Berlin en 1923 et 1927 sous le pseudonyme de Vladimir Sirine et se déroulent dans le milieu des exilés de la capitale allemande .



1. Ici on parle russe (1923) est une nouvelle satirique.

Le narrateur passe souvent chez Martyn Martynitch, un Russe jovial qui tient un bureau de tabac florissant sur un coin de rue de Berlin. Son fils Pétia est farouchement anti-soviétique et l'auteur de plusieurs blagues retentissantes qui ont valu au père quelques amendes. Mais six mois plus tard, au retour d'un séjour parisien, le narrateur constate que l'ambiance a changé. Et Martyn Martynitch semble obsédé par la prison, l'emprisonnement. Il a un secret, le bougre…

Je ne vous dirai rien, non, non, non. La nouvelle est boufonne mais aussi bien sombre. Mine de rien Nabokov évoque les horreurs de la guerre civile et prend ses distances avec les Blancs.



2. La sonnette (probablement 1927) est une nouvelle plus élaborée qui détourne les conventions et manipule gentiment le lecteur. Elle est fameuse !

Sept années se sont écoulées depuis leur séparation sur le quai de la gare à Saint-Petersbourg. Nikolaï Galatov s'est engagé dans l'armée Rouge puis dans l'armée Blanche, puis il a roulé sa bosse en Afrique et en Italie et même aux Canaries, et puis encore l'Afrique où il s'est engagé dans la Légion étrangère. Il a pensé à elle beaucoup, un peu, rarement puis de nouveau très souvent. Son deuxième mari qui possédait plusieurs immeubles à Berlin est mort pendant la guerre, en lui laissant vraisemblablement de quoi survivre...Il arrive à Berlin, localise l'ancien dentiste et le lecteur apprend à ce moment là qu'il s'est fait manoeuvrer…Et ce n'est pas fini, d'autres surprises vous attendent.

Je ne vous révèlerai rien, non,non, non. le lecteur a été manipulé grâce à la narration dans laquelle la voix du narrateur se confond astucieusement avec celle de Galatov. (Nabokov intercale de la narration extérieure dans le monologue intérieur de Galatov). Nabokov joue sur les conventions littéraires des retrouvailles amoureuses, du baroudeur qui revient au bercail et de la dame qui l'attend sagement au pays.



Ici on parle russe est extrait de la Vénitienne et autres nouvelles et La sonnette de Détails d'un coucher de soleil.

Le podcast est gratuit.



https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-nuits-de-france-culture/deux-nouvelles-de-vladimir-nabokov-1-ici-on-parle-russe-2-la-sonnette-1ere-diffusion-28-04-1999-1113342
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Lolita

Un livre dont je pensais jamais lire, vu le sujet principal, bien heureux qui au détour d'un challenge m'a mis Lolita sur mon chemin. Je n'apprécie toujours pas le sujet, mais alors quel génie ce Nabokov ! Quel talent pour nous emporter tout en freinant des quatre fers, son lecteur au fond de l'abîme sans qu'on puisse y résister. Un style incomparable, d'une beauté incroyable, truffé de poésie, de vocabulaire, de l'art et du grand art littéraire. Parfois il donne du mou, mais bien vite tel le pêcheur qui sait patienter, qui sait titiller l'hameçon, il nous harponne de plus belle pour nous noyer à jamais dans son monde littéraire. Il faut aimer les mots pour peut être apprécier ce roman, car bien évident, que le sujet dérange, bien qu'il nous cache en rien sa folie, son amour des nymphettes et par ce tableau nous sommes en mesure de bien appréhender ces hommes "malades". Il nous fait part d'un traumatisme dans son enfance, par les prémices amoureux avec une jeune de son âge qui est succombée et qu'il en restait en quelque sorte un mal incurable, n'ayant pas pu vivre pleinement cet amour. Disons qu'on a tué l'embryon dans l’œuf et que l’œuf n'a jamais pu devenir un réel adulte sur le plan amoureux. Enfin je l'ai compris comme ça, et je comprends que ce personnage est bien un malade à part entière.

Toujours est il que je me suis délectée du style et que je vais tenter de trouver d'autres romans de cet auteur notamment ceux en russe bien sûr traduit en français. J'ai bien apprécié également dans ma version, le dossier final "A propos du livre intitulé Lolita" mais aussi l'avant-propos.

L'ensemble nous donne un bel ouvrage littéraire qui aborde certes un sujet je dirais "tabou" du moins dérangeant pour certains, abjecte c'est certain. Malgré tout l'auteur est resté décent dans ses propos dans la mesure du possible et du raisonnable, et il assume pleinement ce livre, comme il l'explique dans le dossier final.

Bref, je le qualifierai d'un monument littéraire à part entière. Et si je pouvais donner un conseil aux lecteurs réticents , hésitez plus, mettez de côté vos a priori et laissez vous emporter par la magie des mots de Nabokov que ça soit avec ce roman ou un autre mais là je n'ai pas de références, pas encore mais ça viendra.
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Natacha

Borys Cyrulnik a dit dans une interview que le nombre grandissant d'ouvrages qui traitent de la folie démontre qu'on n'y comprend toujours rien. Dans ce cas, on pourrait dire la même chose de l'amour. S'il est bien un sentiment qui a gardé tous ses mystères, c'est bien celui-là !



Dans ces cinq nouvelles présentées dans ce recueil, Vladimir Nabokov met en scène différents moments de l'amour et différents tourments qu'il provoque. Que ce soit le besoin de plaire, la maladresse que l'on a lorsqu'on veut aborder une personne qu'on aime, une séparation entre une femme mariée et son jeune amant, un mari jaloux ou encore un homme amoureux qui se languit de voir celle qu'il aime mais le rejette.



J'étais fâchée avec Nabokov après avoir lu Lolita, et ces nouvelles m'ont fait comprendre que le problème n'était pas Nabokov mais son personnage.

C'est donc avec plaisir que j'ai lu ses nouvelles qui m'ont rappelé à quel point cet homme écrivait bien. Quelle richesse dans le vocabulaire et dans la syntaxe ! Il n'y a qu'à prendre comme exemple la nouvelle intitulée "Le mot" qui montre tout le lyrisme dont l'auteur est passé maître.

Autre remarque importante. Ces nouvelles écrites au début des années 1920 sont des nouvelles écrites par un auteur russe, aucun doute là-dessus. A l'inverse de Lolita qui n'a rien d'un roman russe. Peut-être n'ai-je pas aimé ce travestissement non plus.

Pour en revenir à ce qui nous intéresse, ces nouvelles contiennent tout le lyrisme, le mysticisme et l'humour (noir, certes) caractéristiques de la littérature russe. Avec en plus la touche de retenue et de mystère propres à Nabokov. On retrouve aussi la dimension esthétique et sensorielle qui marque énormément son oeuvre.

En ce qui me concerne, ma préférence va plutôt à la nouvelle intitulée "La vengeance" car j'aime ce type d'humour !



Je remercie donc Ellane92 dont la critique m'a poussée à redécouvrir ce grand écrivain qu'est Nabokov sous un autre angle.
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Ada ou l'ardeur : Chronique familiale

«Je ne comprends pas ce que je dis. Et alors j'adore»

Clarice Lispector



Oeuvre complexe et parfois éreintante, déstabilisante et magnétique, dotée de ce charme vénéneux propre aux choses qui se suffisent à elles-mêmes, à la fois impudente et sublime, Nabokov a écrit un roman que personnellement je qualifierais de «monstrueusement génial». Un roman dont on ne peut pas dire sans ambages ou candidement : «oui, j'ai aimé» (bien sûr, ceci au cas où l'on ne l'aurait pas détesté ou abandonné en cours, ce qui doit probablement arriver à un nombre considérable de lecteurs s'y aventurant!).

Je pense pour ma part que la vraie question à poser ici serait plutôt de savoir si l'on s'est senti «traversé» ou pas, et comment, par la lecture d'un roman si atypique, aussi impudique, impressionnant.

Comme l'on dit parfois de certains tableaux, qu'ils nous donnent la sensation de «nous regarder» plutôt que le contraire, tout en osant la comparaison, et sans savoir- j'avoue - où je veux en venir exactement (pardonnez-moi déjà mes errements d'entrée de jeu...), je serai pour ma part tenté de dire qu'Ada ou l'Ardeur ferait partie de ces romans capables de «nous lire» et perturber en profondeur notre conception même de la lecture.!

À l'instar de celui de son compatriote Andréi Biély, « Pétersbourg » (auquel Nabokov vouait d'ailleurs une grande admiration), Ada condamne un lecteur enfin fidélisé à un piège sans retour, dans lequel, malgré lui, il se laissera engluer de plus en plus: en matière de sables mouvants littéraires, ça me paraît difficile de faire mieux!



Nabokov ne semble pourtant pas très enclin à accorder au départ une attention particulière au code de bonne conduite qui préconise aux écrivains de prendre en compte d'une manière ou d'une autre leurs potentiels lecteurs. Suivant son seul bon vouloir, l'auteur n'hésite pas à larguer ces derniers au bord de la route, au risque de les perdre définitivement...excédés par autant de cérébralité, par une sorte d'arrogante virtuosité langagière, faite de jeux de mots et d'anagrammes, de glissements improbables de sens, de citations intertextuelles souvent trop implicites pour le commun des mortels, d'usage immodéré d'expressions en langues étrangères, de taxonomies diverses -noms imprononçables de larves, papillons, orchidées -, de considérations nébuleuses sur le phénomène de la conscience ou encore sur les rapports à abolir entre espace et temps (non, là c'est vraiment trop, j'abandooonne!!)...pour ensuite mieux les ramasser, exsangues, quelques paragraphes plus loin, les ravissant alors, extasiés ce coup-ci, vers des sommets rarement atteints en littérature, d'une acuité et d'une profondeur renversantes, et d'une beauté à vous couper le souffle...!



Roman peut-être le plus transgressif (encore plus que Lolita) d'un des auteurs situés cependant parmi les plus consensuels dans les hautes sphères intellectuelles, académiques et critiques, Ada ou l'Ardeur est une lecture qui dérangera forcément, dans laquelle la symétrie et la gémellité, la fusion-confusion et l'idéalisation amoureuse, mais aussi le pastiche, la duplicité, la maupiteuse tyrannie du désir, le cynisme et l'amoralité outranciers seront les maîtres-mots autorisant au très impertinent Russo-américain toutes les audaces et outrecuidances dont on le sait capable...!



Nabokov s'amuse entre autres à subvertir les codes littéraires du roman réaliste et psychologique moderne, tout en faisant preuve de les maîtriser à merveille lorsque, par exemple, en les pastichant, il s'en emparera provisoirement afin de les démonter impitoyablement, les surclassant avec une ironie et un panache remarquables, ou encore lorsque, telle une diva absolue qui se mettrait soudain à jouer avec son public interloqué, il décidera capricieusement d'insérer juste quelques gammes dissonantes dans un morceau du grand répertoire classique romantique...



Tout en ayant un épicentre bien identifié pour le lecteur, le château d'Ardis, véritable topos symbolique du fantasme de la Grande Russie et de la superbe ouvertement affichée par une vieille caste aristocratique - lieu surtout où tout avait démarré pour les principaux protagonistes du roman, amants incestueux, Ada et son «cousin» van Veen– en fait son frère utérin-, et lieu vers lequel enfin, arrivés au grand âge, leurs souvenirs ne cesseront de vouloir retourner, cette chronique autobiographique (le livre a pour sous-titre «Chronique Familiale ») se déroule rien moins que dans une réalité parallèle, dénommée «Anti-Terra».



Si par exemple, sur cette planète jumelle et légèrement décalée par rapport à la nôtre, les USA existeraient toujours, s'étendant même jusqu'en Argentine, l'Amérique du Nord d'abord colonisée par des Vikings, puis par les Russes, s'appellerait en revanche le «Vineland», le Canada correspondrait à un grand territoire nommé «Estotie» - le tout formant une «Amérussie» dont un célèbre "Abraham Milton" (!) avait été par ailleurs l'un des plus fervents promoteurs. Quant à notre France à nous, le pays avait été annexé par l'Angleterre en 1815. En lieu et place de la Russie telle que nous la situons ici-bas, à Anti-Terra l'on retrouve une vaste «Tartarie» moderne, etc. etc..Notre vieille planète Terre y figurera aussi, mais en tant qu'abstraction, projection imaginaire d'un «autre monde», entité chimérique que seuls le délire des fous, l'onirisme des visionnaires ou la plume d'écrivains et de penseurs antiterriens partisans de la thèse d'une «Identité fondamentale» entre les deux mondes s'évertuent à faire exister...Il y a bien, d'ailleurs, nous précise le narrateur, une discipline qui s'appelle «Terrologie», mais celle-ci constitue avant tout «un rameau de la Psychiatrie»!



Le récit couvre d'autre part une période allant de la fin du XIXe jusqu'aux années 60 du XXe siècle, la temporalité étant néanmoins, elle-aussi, légèrement décalée par rapport à la chronologie terrienne (c'est ainsi que certaines innovations techniques, comme l'électricité par exemple, n'existent toujours pas à Anti-Terra au début du XXe siècle; d'autres en revanche ont existé, puis auraient été supprimées, ou bien remplacées, quelquefois par d'étranges dispositifs tels ce curieux "téléphone-à-eau" installé au château d'Ardis).



Brillant exercice de "mémoire totale" proustienne, le passage du temps représente également l'un des thèmes récurrents du roman. (Van Veen écrit à ce propos un traité philosophique -"La Texture du Temps"- cherchant entre autres à démontrer qu'un certain nombre de développements de la théorie de la relativité seraient faux...).

Pour le narrateur, en tant que tel, le passé reste quelque chose d' «intangible». Nous n'avons en réalité accès qu'à une accumulation de «sensa, d'objets de perception» que la mémoire rassemble et réordonne continuellement. Le passage du temps lui-même ne serait en définitive qu'une affaire de mémoire. Seul le travail de cette dernière nous le ferait éprouver d'une manière sensible et incarnée. La conscience même serait un domaine relevant du souvenir. Et tel le Futur, qui s'inscrit pour nous dans une linéarité totalement illusoire, le Présent aussi ne serait rien d'autre «qu'un point imaginaire» dont on ne s'approprie véritablement qu'après-coup:



"L'extase de son identité, placée sous le microscope de la réalité (qui est la seule réalité), révèle un système complexe de ces passerelles subtiles que traversent les sens, riants, enlacés, jetant des fleurs en l'air, entre l'âme et la chair lamellée, et qui a toujours été une forme du souvenir même à l'instant de sa perception."



Le cogito cartésien aurait évacué trop rapidement la dimension temporelle?



Je me souviens, donc je suis..!?



«Omniscient-Omninceste», s'entendra dire le vieux van Veen en rédigeant ses mémoires.

Évocation des jeux d'anagrammes que les enfants Veen avaient l'habitude de jouer au château d'Ardis, ne pourrait-on y déceler une possible (et énième!) porte d'entrée à «Ada ou l'Ardeur», essai effronté de recréation d'une réalité dictée exclusivement par la toute-puissance du désir, libéré de toutes formes d'entraves?

(À ce propos, comme pour l'Ulysse de Joyce il existerait apparemment plusieurs forums de fans inconditionnels du roman de Nabokov, sur lesquels il est possible d'échanger des clés d'entrée à la compréhension du roman ou de certains de ses passages les plus hermétiques..)



«Omniscient-Omninceste» : à Anti-Terra l'hubris va-t-elle au Paradis? Oui, répondrait sûrement notre ardente héroïne: «En tant qu'amants et frère et soeur, nous avons une chance double d'être dans l'éternité...Quatre paires d'yeux au paradis !», déclare-t-elle à son amant-frère quand la tombée du dernier rideau approchera pour eux.



Van et Ada, on l'a compris, sont très loin d'être des enfants de choeur ou des modèles de vertu. Plutôt égoïstes et hautains, intelligents, beaux et séducteurs, sûrs d'eux-mêmes et de leur ascendant, fiers de leurs prérogatives et de leur amour incestueux, les notions morales de bien ou de mal ne semblent pas faire partie de leurs préoccupations courantes.

L'un des grands tours de force du roman de Nabokov (pouvant être en même temps source d'un certain malaise susceptible d'affecter des lecteurs déconcertés !!), c'est justement d'avoir réussi à nous le faire en grande partie oublier, grâce au lyrisme et à un art consommé de la «délicatesse du détail» avec lesquels sera enveloppé le récit de la genèse de cet amour contre-nature occupant l'essentiel de la première et plus longue partie du roman, située dans les décors arcadiens du domaine et du château d'Ardis.



L'un des tabous les plus universels et constitutifs de la civilisation humaine, proscrit depuis la nuit des temps, toléré exclusivement chez les dieux ou dans le règne animal, serait-il parvenu grâce au pouvoir ensorcelant des mots à se dérober provisoirement à l'horreur qu'il inspire, occultée partiellement ici par les ombres archétypales du mythe des Titans androgynes coupés en deux par Zeus, repris par Platon dans le Banquet, ou de celui prégnant et tout aussi universel de la quête de l'âme-soeur?



Quelle prouesse Monsieur Vladimir Nabokov, alias Vivian Darkbloom...!



(M'enfin, s'arraisonne, sitôt dit, votre serviteur décontenancé, c'est tout de même d'inceste dont il s'agit!!)



(Certes, mon cher, mais il faudrait bien pouvoir conclure cette critique de plus en plus erratique et interminable!!!)



(D'accord, d'accord, mais, hubris pour hybris, je ne lui accorde que quatre étoiles et demie – il ne faudrait pas oublier de garder les pieds sur Terre! À vrai dire, je lui en aurais accordé cinq, volontiers, malgré toute la peine, si au moins j'avais pu noter depuis Anti-Terra...)

...



(..Quelqu'un pourrait m'indiquer une bonne adresse d'un de ces forums..?)



...

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La Défense Loujine

« Loujine avait maintenant recouvré toute sa lucidité et sa pensée, débarrassée de tout élément impur, s'organisait rigoureusement ; les échecs couvraient pour lui le champ du réel, tout le reste n'était que rêve – un rêve délicieux où flottait, immatérielle et évanescente comme une nuée d'or traversée de lune, l'image d'une charmante jeune fille au regard clair et aux bras nus. »



Voilà des personnages que je ne vais pas oublier. Je n'avais jamais rencontré un homme comme Loujine, ni une femme comme Mme Loujine. J'admire le talent de Vladimir Nabokov. Découvert avec Feu pâle, je ne m'attendais pas à une histoire aussi dure et sensible. Un livre qui parle plus d'un petit garçon qui n'a que les échecs, que des échecs.



« il prit conscience des abîmes affreux où le plongeaient les échecs, jeta, malgré lui, un nouveau regard sur l'échiquier – et sa pensée s'alourdit sous le poids d'une fatigue qu'elle ne connaissait pas. » 



Dire que Loujine a eu des réussites dans sa vie ? Non ou très peu car il cherchait une défense, la défense Loujine pour survivre. Une vie qu'il transpose comme sur un jeu d'échecs, avec les signes annonciateurs d'un mat par des coups venus du passé. La construction du roman est terriblement intelligente et la plume me plait car elle fait ressortir les caractère de Loujine tant par ses pensées, ses mots (rares) et sa physionomie. Un très beau roman.



« Depuis que ce monde, où tant de choses n'étaient pas intelligibles, s'étaient évanoui comme un mirage et qu'il n'avait plus à en tenir compte, les rayons de sa conscience, jusqu'alors éparpillés sans force, avaient, en se concentrant, retrouvé toute leur acuité. Comme cette vie réelle, celle des échecs, était belle, claire et fertile en aventures ! »
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Le lutin

Ce texte poétique et peu connu fut initialement publié en russe dans la revue Rul, à Berlin, le 7 janvier 1921 sous le pseudonyme de Sirine. En 1990 bien après la mort de Nabokov (1899-1977), son fils Dmitri la publia en anglais. Traduit en français, il figure dans le recueil « La Vénitienne et autres contes ».

Le narrateur trace distraitement le contour de l’ombre ronde et frémissante de son encrier à la lueur d’une bougie « imbibée de larmes ». Soudain une horloge sonne, il lui semble que quelqu’un frappe à la porte, douze fois. La porte grince et il émerge de l’ombre « rectangulaire » Le narrateur croit l’avoir déjà vu...Il se saluent amicalement, ses lèvres rouges, ses oreilles pointues...il lui semble revoir sa forêt de pins sombres et de bouleaux blancs…

Dans cette nouvelle poétique aux allures de conte fantastique, Nabokov évoque avec lyrisme le monde perdu de son enfance et l’horreur bien réelle de la guerre civile. Même le Génie des forêts a eu peur, même lui le bel esprit moqueur a dû fuir. L'imagination s'en est allée avec lui, bannie. Sa douleur est incommensurable. Le lutin est devenu un pauvre homme ordinaire, un exilé qui attend la mort. Le jeune narrateur à l’encrier lui prend la main...
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Une beauté russe

Diantre, quel ennui ! Je l'ai terminé uniquement parce que ce recueil ne comportait que 246 pages. S'il avait été un pavé, je l'aurais sans nul doute abandonné en route. Et je reconnais que, sur le dernier quart, j'ai lu de nombreuses pages en diagonale.



Le style de narration est alambiqué, pas très clair ; ça saute du coq à l'âne, ça ouvre des parenthèses interminables... J'ai eu le sentiment que Nabokov "s'écoutait" écrire ; se voulait avant tout stylé. Et cela m'a surprise car ce n'était pas le Nabokov que je connaissais.

J'ai donc fait quelques recherches et j'ai mieux saisi le pourquoi de la chose :

. Une Beauté Russe, commencé en 1923 alors qu'il n'avait que 24 ans, est l'un de ses premiers écrits.

. Son Lolita, que j'ai tant aimé, a été rédigé en 1955 alors qu'il était âgé de 56 ans. Nabokov ne se cherchait donc plus, n'avait plus à prouver sa qualité d'écrivain. Il avait trouvé son style ; un style qui lui est propre.
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L'original de Laura (C'est plutôt drôle de mourir)

La publication en 2010 des 138 fiches sur lesquelles avait travaillé Vladimir Nabokov jusqu' à sa mort en 1978 a donné lieu à une controverse fameuse. Nabokov avait exprimé le souhait de ne pas publier l'oeuvre si elle devait être inachevée au moment de sa mort. Cependant, à mon humble avis Nabokov avait prévu sa publication posthume. Vera son épouse adorée et dévouée, qui avait déjà sauvé de l'incinérateur le manuscrit sans cesse retravaillé de Lolita, avait préservé la boîte sacrée dans une banque en Suisse. le fils, Dmitri aujourd'hui disparu a hésité encore pendant trente ans avant d'ouvrir l'ossuaire de papier. Il en explique ses motivations dans la préface à coups d'arguments bancals et au passage écrit quelques paragraphes émouvants sur les derniers mois de souffrance de son père, bien malade. Vladimir Nabokov aurait détesté s'épancher ainsi. Il voulait s'amuser et disparaître.

Son « engin » comme il l'appelait ( Tool ) s'intitule d'ailleurs en anglais « The Original of Laura ( Dying is fun) ». le traducteur a ajouté un « plutôt » qui n'est pas dans la version originale. Or même si c'est de l'humour noir, je me suis amusée à lire et à relire ces fiches et je sais très bien que je suis passée à côté de mille et un détails.

A la première lecture de l'ensemble des fiches, on essaye de remettre dans l'ordre les récits enchâssés qui composeraient le livre achevé. On reconnaît les thématiques et obsessions nabokoviennes mais il reste bien des énigmes. On émet des hypothèses. Au passage, il est question du devenir de trois manuscrits dont un qui est volé. Dès la première fiche (citation) on voit qu'il y a beaucoup d'autodérision et d'auto parodie.

On peut lire ensuite chacune des vignettes en étant attentif aux détails et on découvre parodies et auto parodies , pastiches (voir citation du passage du Petit beurre) , calembours et autres jeux de mots typiques.

A la fin on reste sur sa faim.



Voilà je pense qu'il faut déjà beaucoup aimer Nabokov pour prendre plaisir à lire cet ouvrage.
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Autres rivages



Dans Autres rivages, rédigé après guerre et complété et amendé à de fréquentes reprises jusqu'en 1966, Vladimir Nabokov relate son enfance à Saint Pétersbourg et à la campagne, et sa vie de jeune exilé après la révolution de 1917 jusqu'à son départ pour les Etats-Unis en 1940.

Les deux premiers tiers du livre sont consacrés à l'histoire de ses ancêtres et aux souvenirs précis qu'il a conservés de sa vie dans une famille d'aristocrates cultivés et éclairés, maniant plusieurs langues, sillonnant les contrées européennes et alternant les séjours entre l'ancienne capitale de la Russie et un vaste domaine rural situé à 70 kilomètres de cette dernière.

Nabokov se remémore une enfance paisible et choyée, près de la nature et auprès de parents présents et aimants, occupant, pour certains d'entre eux, de très hauts postes dans l'administration et au gouvernement. Le personnel de maison est nombreux et les enfants sont éduqués à la maison par de multiples précepteurs, anglais, français et allemand. Nabokov est un petit garçon heureux, curieux, doté d'une grande capacité d'observation, bientôt passionné par les papillons qu'il collectionne, passion qu'il entretiendra toute sa vie.

La prise de pouvoir par les bolchéviques contraint la famille à se réfugier à Berlin, où son père est assassiné.

Le monde de l'intelligentsia libérale russe a disparu et l'écrivain n'aura de cesse de le recréer dans ses romans.

Le dernier tiers du livre, plus émouvant et moins distancié, peut-être ajouté plus tard, retrace ses années d'exil, à Cambridge où il poursuit ses études, à Berlin et Paris avec sa femme Vera et son fils. Le travail de mémoire a changé. Les émotions sont palpables. Il s'agit moins, dans cette partie du livre, de reconstituer un passé dans un pays qu'il ne reverra jamais que d'évoquer ses années de galère et ses débuts littéraires dans une Europe frappée par la montée de l'hitlérisme.

Au delà de l'évocation des périodes de sa vie, c'est la genèse de sa vocation d'écrivain qui est livrée dans cette autobiographie, un écrivain démiurge, maître absolu de la reconstitution d'un univers et de personnages enfuis, un écrivain entomologiste, féru de stratégies et de problèmes de jeux d'échecs, un écrivain cosmopolite, trilingue, et enfin un écrivain formaliste et poète qui pensait par images et qui nous offre ici de somptueuses pages.



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Un coup d'aile, suivi de

Les deux nouvelles de ce petit recueil donnent un bon aperçu du talent du jeune Vladimir Nabokov. Elles ont été écrites en russe, sous le pseudonyme de Sirine. Elles sont fantastiques et surtout très ludiques. La Vénitienne est une merveille et Un coup d'ailes, peu connue, mérite le détour.



1) Un coup d'aile (1923).

Kern est un homme déraciné et dépressif, obsédé par la mort en général et plus particulièrement par le suicide de son ex-femme qui l'avait trompé avec un voleur. Il a trouvé refuge au milieu des montagnes enneigées dans une station de ski suisse. Au détour d'une descente très maladroite, il rencontre Isabelle, une merveilleuse « femme volante «  qui le prend pour un Anglais, à cause de son profil chevalin. Elle lui fait part de son enthousiasme à skier seule la nuit.Il fait aussi connaissance, au bar où il picole pas mal, de Monfiori un étrange personnage plutôt ambigu, attiré par les âmes suicidaires qui lui révèle vouloir être présent quand il appuiera sur la gachette. Kern sort du bar en vitesse, Isabelle a laissé la clé sur sa porte. Kern entre…brrrrt !

La nouvelle est intense, terrible ou drôle selon votre lecture. Plusieurs interprétations sont possibles.





2) La Vénitienne (1924)

Un riche colonel anglais passionné de peinture a invité son ami, Mr Magor, un restaurateur de tableaux, et son épouse, Maureen, dans son château, où résident également son fils, Frank, et l'ami de celui-ci, Simpson, étudiant en théologie à Cambridge. Magor lui a permis d'acquérir “La Vénitienne'', qui aurait été peinte par Sebastiano del Piombo, peintre vénitien de la seconde moitié du XVIe siècle. le jeune Simpson est frappé par la ressemblance entre le portrait de la Vénitienne et Maureen qui le fait tant rougir. Un soir, alors qu'il discute avec Magor, ce dernier lui indique que, si on se concentre bien, il est possible d'entrer dans un tableau…

La nouvelle, datée de 1924, est riche et passionnante. Elle commence par une partie de tennis qui permet de peindre avec une ironie féroce et ludique les cinq personnages. Les quatre rôles qui gravitent autour de l'oeuvre. Les personnages des deux jeunes sont formidables et leurs destins divergent. L'un choisira la vie et l'autre l'art. La nouvelle reprend des motifs fantastiques bien connus en les modifiant : la traversée du miroir et le portrait animé. Simpson « aux yeux doux et fous" traverse le miroir volontairement parce qu'il est mal à l'aise dans la bonne société anglaise, qu'il trouve la vie réelle monotone et la femme réelle totalement inaccessible, parce qu'il a cru aussi reconnaître dans le tableau le petit chemin familier de son enfance. Il est envoûté par le portrait et le discours de Magor, le bien nommé. Il traverse le portrait volontairement dans une joie extatique. Encore faut-il ne pas se perdre et retrouver le chemin de la réalité. Pour Nabokov, l'art n'est pas une tragédie morbide mais un jeu. le récit manipule aussi le lecteur. En même temps qu'on lit l'histoire fantastique on relève quelques indices au passage qui nous font penser à une supercherie, habitués que nous sommes à lire Edgar Poe ou Conan Doyle mais bien évidemment, à la fin, il reste quelques petits mystères et un citron.
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L'enchanteur

Ce livre ne m'a pas enchantée.

L'Enchanteur est la dernière nouvelle écrite en russe de Nabokov sous le pseudonyme de Sirine. Elle a été rédigée en 1939 à Paris, quelques mois avant son départ pour les États-Unis. Retrouvée en 1959, peu de temps avant son retour en Europe et son installation en Suisse, cette longue nouvelle ne parut pas du vivant de l'auteur. Traduite en anglais par son fils Dmitri, elle ne fut éditée qu'en 1986. La version originale russe est parue en 1991. Je l'ai lue dans la version traduite de l'anglais, malheureusement.



Le résumé qui suit révèle toute l'histoire.

Ce récit raconte l'obsession funeste d'un homme d'âge mûr pour une fillette, aperçue en train de faire du patin à roulettes dans un jardin public. Il va épouser la mère, malade, pour avoir la fille. Une fois la mère morte, il emmène la fille en voyage. Elle s'endort. Il la dénude, elle se réveille, hurle. Il s'enfuit et court se jeter sous un camion.



Ceux qui ont lu Lolita peuvent s'amuser à comptabiliser les similitudes et les différences dans la trame du récit mais ce sont deux oeuvres totalement différentes. Lolita est un chef d'oeuvre, une symphonie poétique avec des personnages complexes et subtils. L'Enchanteur est une nouvelle mineure. Sans le succès de Lolita, l'aurait-on publiée ? Je l'ai trouvée brouillonne et gênante en dépit de fulgurances poétiques et humoristiques. Les personnages sont anonymes. La fille est objectivement pas très jolie et le quadragénaire est un bijoutier qui n'a donc aucun goût ni aucune élégance. C'est un philistin en plus d'être un pédophile. le récit commence par un long monologue pathétique où le satyre tente de justifier l'injustifiable. Ensuite on passe à la 3e personne, ce qui nous évite de trop sympathiser avec ce gars. Mais il n'empêche qu'on se soucie moins de la gamine, qui n'a aucune épaisseur psychologique, que de savoir comment l'obsédé va s'y prendre d'abord pour se marier, ensuite pour accélérer la mort de la mère, puis pour coucher avec la fille. Ses déboires sont assez drôles car le Grand méchant Loup n'est pas très dégourdi. le texte parodie de ci de là les contes de fée plus ou moins légèrement. le Petit Chaperon rouge bien sûr, Blanche Neige, la Belle au Bois dormant. Il utilisera d'ailleurs un album de contes de fée pour endormir la belle et jouer crûment de sa baguette.



Je vous recommande plutôt la lecture de la Vénitienne et autres nouvelles. Là oui vous serez enchantés par la magie nabokovienne.
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Lolita

Commencer l’année par une chronique casse-gueule : c’est parti !



Et en même temps, quel exercice prétentieux ! Qu’ai-je de nouveau ou de plus intéressant à apporter à toutes les chroniques déjà faites de Lolita, écrit par Vladimir Nabokov en 1955 et lu dans la traduction de Maurice Couturier ? Car comme beaucoup, j’ai passé cette lecture avec un sentiment constant de malaise profond et de subjugation stylistique.



La raison du malaise est connue, et comme il est dit dans l’introduction du livre, le contexte actuel est paradoxalement plus sensible au contenu que celui de la parution. C’est dire. En ce qui me concerne, les passages licencieux entre Humbert et Lolita, sa « fille » de 12 ans, furent difficilement supportables, extrêmement nauséabonds, physiquement dérangeants. Et qu’on ne me fasse aucun procès en pudibonderie ou obscurantisme mal placé. Ce serait hors sujet…



Mais quand tu as toi-même eu trois filles, comment trouver le détachement nécessaire à la lecture sereine de cette innommable dépendance de Dolorès/Lolita vis-à-vis des sordides pulsions de Humbert ? Comment supporter que cet esclavagisme sexuel soit l’objet de chantages dont les contreparties sont la nourriture (Lolita n’ayant accès à son petit-déjeuner que si elle a « satisfait à son devoir du matin »), la menace d’un placement en orphelinat ou quelques pièces ou billets lâchés après l’extase ?



Comment essayer de comprendre à défaut d’excuser la psychologie de ce père auto-déclaré, qui s’enfonce encore davantage quand il se justifie : « Je ne suis pas un débauché sexuel, un dangereux criminel prenant des libertés indécentes avec une enfant …/… Je suis le thérapeute – petit distinguo subtil, mais qui a son importance. Je suis ton papounet, Lo. » ? Mais rien chez Humbert ne permet d’entrer en empathie, et encore moins en compréhension.



Et c’est probablement là qu’est la clé ! Pourquoi faudrait-il essayer de comprendre un homme dont l’auteur lui-même déclare dans sa postface qu’il est « un personnage abject et horrible, un exemple insigne de lèpre morale …/… Il est anormal. Mais son archet magique sait faire naître une musique si pleine de tendresse et de compassion pour Lolita que l’on succombe au charme du livre alors que l’on abhorre son auteur ». Voilà. Se détacher de l’esprit immonde pour mieux goûter le verbe magnifique.



Et là ce livre touche au sublime, à la quintessence du style. Des styles, serait d’ailleurs plus juste. Car Nabokov excelle dans tous : la beauté et la tendresse lorsqu’il évoque la grâce et la fraîcheur de Dolorès ; la description poétique, notamment dans cette incroyable année de voyage des étés 47 à 48, depuis le Connecticut à travers la moitié des États-Unis pour finir dans le Deep South, ce Dixieland chéri des écrivains américains dans la cour desquels Nabokov veut jouer ; l’étude sociologique fine et détaillée de la société US de cette deuxième moitié du siècle. Il joue sur tous les tableaux, et sur tous, son style fait mouche.



Voilà. Peut-on être à la fois écœuré et subjugué par un même livre ? Assurément. C’est le paradoxe de Lolita, livre repoussant mais lu avec enthousiasme, comme le résume parfaitement Maurice Couturier : « C’est le rapport entre l’éthique et l’esthétique de l’œuvre, qui lie irrémédiablement l’esthétique littéraire de l’œuvre à la transgression éthique qu’elle véhicule ». Touché ! Et impossible de terminer cette chronique sans laisser la parole à Nabokov :



Il neige. Le décor s’écroule, Lolita !

Lolita, qu’ai-je fait de ta vie ?



C’est fini, je me meurs, ma Lo, mon rêve !

De haine, de remords, je meurs.

Et de nouveau mon poing velu je lève,

Et de nouveau j’entends tes pleurs.
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Lolita

Si on demande à quelqu'un de citer une oeuvre de Nabokov, il y a 99% de chances que l'on vous réponde »Lolita ». Bien devant les autres livres de cet écrivain pourtant prolifique, c'est cette oeuvre au parfum de scandale qui est dans toutes les mémoires et qui vous vient à l'esprit quand on évoque cet auteur.

Au vu de la thématique de ce livre, je reconnais que s'il n'y avait eu le challenge BBC, je ne me serais jamais aventurée à le lire.

J'ai très vite éprouvé deux sentiments lors de la lecture et de la découverte de ce livre. D'abord une admiration devant la qualité de l'écriture de Nabokov qui m'a clairement séduite par sa virtuosité et sa légèreté. Mais, à me retrouver dans la tête d'un pédophile, la nausée avec un zeste de répulsion était bien présente elle aussi. Ce n'était pas la première fois dans ma carrière de lectrice que je me retrouvais dans la tête d'un monstre à travers la narration d'un livre , comme par exemple « la mort est mon métier « de Robert Merle, mais la clairement, cette lecture m'a entrainé bien plus loin que prévu.

Apres sa lecture, je ne peux que remarquer et déplorer que dans l'imaginaire populaire, c'est la vision du narrateur (et pédophile) qui subsiste puisqu'une Lolita, c'est une jeune femme provocante et séductrice. Quel dommage, car clairement, la Lolita de Nabokov est la victime d'un prédateur sexuel et absolument rien d'autre.





Challenge BBC

Challenge Pavés 2022

Challenge ABC 2021/2022

Challenge Multi-Défis 2022

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Lolita

Une lecture qui m'a beaucoup surprise! Tout d'abord j'aimerais remercier JohannaMedici de m'avoir pioché ce titre à l'occasion de Pioche dans ma Pal Juin 2018. Sans cette pioche, Lolita serait certainement restée encore un petit bout de temps sur l'étagère. J'ai l'impression probablement fausse qu'un auteur russe implique un style narratif indigeste. Là ce fut tout sauf le cas. de même, j'avais peur de buter contre cette lecture de part le thème qu'il aborde. La pédophilie, l'inceste, le viol, la prostitution infantile sont autant de thèmes abordés que bien entendu je répugne. Je comprends que ce livre fut scandale et que Nabokov ait eu du mal à trouver des éditeurs qui s'y risque. Choisissant une narration interne, le récit est d'autant plus déstabilisant. Nabokov a lui-même avancé que ce livre n'avait pas une vocation morale. Sur ce point je ne le rejoins pas puisque le narrateur reconnaît sur la fin les dégâts qu'ont pu causé ces actes. Dans tous les cas, passé ces thèmes, je suis presque gênée à l'idée de dire que j'aie aimé ce roman. Non pas par le contenu, mais on accroche au style narratif de Nabokov. Lui qui déplore l'avoir écrit dans un anglais qui rend forcément moins bien que son russe natal, je me demande : qu'est-ce que cela donne lorsqu'il écrit en russe? Car, son écriture m'a réellement transportée. La traduction est à la hauteur, je doute qu'elle puisse dépasser le récit original. J'en reviens à regretter de ne pas avoir étudié ce roman lors de mon cursus littéraire tant les analyses doivent être nombreuses.

On a reproché à Nabokov de faire de l'anti-américanisme. Je n'ai pas du tout senti ce point. Au contraire, dans le périple de Lolita et d'Humbert, on découvre une Amérique.

Bref une lecture surprenante!



Pioche dans ma PAL juin 2018.

Challenge Pavés 2018

Challenge BBC

Challenge Multi-défis 2018

Challenge 50 objets
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