Une très belle (comme toujours) critique de mon amie babeliote
Marie-Helene (mh17) à propos de la nouvelle
Bruits m'a rappelé que j'avais le livre «
La Vénitienne et autres nouvelles » dans mes réserves, et je pensais l'avoir lu. Que nenni, j'avais lu «
La transparence des choses » mais pas celui-là, acheté en 1994.
Ce fut donc une belle occasion de soigner mon tsundoku, puisque tel est le nom que les japonais donnent à la maladie (bénigne, sauf pour le porte-monnaie) qui consiste à accumuler les livres sans les lire. Et d'ailleurs, pour poursuivre ma thérapie, je me suis lancé dans la lecture de mes « oubliés de ma vie livresque » , avec plus ou moins de bonheur, par exemple une grosse déception pour un « Nestor Burma ».
Bon, revenons à ce livre (je suis atteint aussi, je sais, de digressite chronique).
Un livre magnifique, fait de 13 nouvelles de jeunesse, écrites initialement en russe, et jamais publiées à nouveau, jusqu'à cette édition de 1990. Elles sont toutes pleines d'une grande fantaisie, voire de « phantasy », et d'une merveilleuse poésie.
Elles sont précédées de deux courts essais: le rire et les rêves, et Bois laqué, qui donnent quelques clés de l'oeuvre de
Nabokov, dont une essentielle, le fait que dans l'Art, ce qui est vrai, c'est la fiction, et non le réalisme, et aussi son goût de l'étrange dans la lignée de
Gogol et
Pouchkine.
La plus belle et la plus longue aussi, est La Vénitienne, dans laquelle
le portrait d'une belle de Venise par Sebastiano del Piombo est le moteur d'une histoire en trompe-l'oeil, en jeux de miroirs entre rêve et réalité, où le lecteur va de surprise en surprise, je n'en dis pas plus, si ce n'est qu'il y a une élégance rare de l'écriture.
Plusieurs nouvelles racontent de façon saisissante et poétique des courts moments de vie. C'est le cas par exemple des très beaux
récits que sont
Bruits et Bonté.
Bruits, ou la chronique de la journée de la fin d'une liaison amoureuse, dans laquelle tous les
bruits, de l'orage, de la fenêtre qui claque, du piano, etc…, et tous des petits détails forment le contrepoint d'une histoire qui se finit. Et puis il y a la Nature merveilleusement décrite, et en harmonie ou dysharmonie, avec les sentiments des acteurs de ce petit drame («
La Nature est un temple où de vivants piliers… » ).
Dans Bonté, le narrateur, devant le geste de bonté d'un soldat à l'égard d'une petite vieille pauvre, et devant le bonheur de celle-ci, ressent tout le bonheur du monde qui l'entoure, puis, devant le regard froid d'une femme, comprend la méchanceté de celle qu'il aime et qui ne viendra pas le rejoindre comme elle l'avait promis.
Beaucoup d'autres
récits ont pour thème la vie en exil, la nostalgie de la Russie, voire, quand elle se présente, la vengeance à l'égard de ceux qui vous ont contraint au départ. C'est le cas des nouvelles le port, La bagarre, Ici on parle russe, le rasoir.
Dans toutes, je pense par exemple à la nouvelle le port,
Nabokov y transcende la trivialité des situations par une merveilleuse poésie.
D'autres nouvelles ont un registre plus proche du fantastique, voire sont complètement dans ce registre: un le lutin,Un coup d'aile, Les Dieux, La vengeance, le dragon.
J'ai été ému par Les Dieux, dans laquelle le lyrisme d'un narrateur qui s'adresse, on l'imagine, à son épouse et sa référence à des phénomènes extraordinaires, comme l'apparition d'une poule d'or, n'est fait, on le comprend à la fin, que pour supporter le drame de la perte d'un enfant.
Un coup d'aile est une superbe et cruelle nouvelle dans lequel le héros Kern, désabusé et pensant au suicide, rêve d'un amour impossible pour Isabelle, jusqu'à ce que l'apparition d'un ange, et le mal qu'il lui fait, entraîne une issue fatale qu'il n'avait pas anticipée.
La nouvelle le lutin est, elle, traversée par le souvenir, la nostalgie d'une Russie magique..
J'ai redécouvert
Nabokov par ce recueil, un auteur prolifique pourtant, mais dont je ne connais que
Lolita, lu il y a très longtemps, et
La transparence des choses, qui ne m'a pas laissé un souvenir marquant. Je me suis aperçu qu'il y a trente ans j'ai aussi acheté
Autres rivages, son autobiographie, que je n'ai pas lue et il me faut réparer cet « oubli ».
En définitive, je dois dire que j'ai réellement découvert
Nabokov par ce recueil, et j'ai été vraiment touché par sa fantaisie, sa poésie, la beauté de son écriture.
Je voudrais bien lire Ada, dont j'ai lu de très belles critiques sur Babelio. Avez vous d'autres romans de
Nabokov à me conseiller?