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Bernard Kreise (Traducteur)Gilles Barbedette (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070386246
256 pages
Gallimard (15/06/1993)
3.76/5   47 notes
Résumé :
Ce recueil réunit les premiers textes de prose écrits en anglais par l'auteur de Lolita mais également des nouvelles russes restées inédites, ou bien n'ayant pas refait surface depuis leur publication au début des années vingt, dans différents journaux émigrés de Berlin. Dans ces nouvelles, il flotte un air de nostalgie et haute poésie, et comme la prémonition que le rire et le lyrisme désenchanté sont les grandes figures de style d'une littérature de l'exil.
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
J'ai écouté les cinq nouvelles sur les deux C.D que propose Gallimard en coffret. Eric Caravaca est un excellent lecteur. En quelques secondes vous rentrez dans l'histoire, vous pouvez fermer les yeux et la magie nabokovienne opère. Vous vous retrouvez comme Alice dans un rêve vertigineux qu'un enchanteur malicieux a crée pour vous perdre. Les nouvelles ont toutes en commun la relation entre l'art et la vie. Elles ont été écrites en russe dans les années 20 et publiées sous le pseudonyme de Sirine dans les revues d'exilés à Berlin et Paris. Elles ont été traduites et publiées en français après la mort de Vladimir Nabokov.
CD 1 :
La Vénitienne (1h 15 environ) :Un riche colonel anglais passionné de peinture a invité son ami, Mr Magor, un restaurateur de tableaux, et son épouse, Maureen, dans son château, où résident également son fils, Frank, et l'ami de celui-ci, Simpson, étudiant en théologie à Cambridge. Magor lui a permis d'acquérir “La Vénitienne'', qui aurait été peinte par Sebastiano del Piombo, peintre vénitien de la seconde moitié du XVIe siècle (voir couverture). le jeune Simpson est frappé par la ressemblance entre le portrait de la Vénitienne et Maureen qui le fait tant rougir. Un soir, alors qu'il discute avec Magor, ce dernier lui indique que, si on se concentre bien, il est possible d'entrer dans un tableau…
La nouvelle, datée de 1924, est riche et passionnante. Elle commence par une partie de tennis qui permet de peindre avec une ironie féroce et ludique les cinq personnages. Les quatre rôles qui gravitent autour de l'oeuvre. Les personnages des deux jeunes sont formidables et leurs destins divergent. L'un choisira la vie et l'autre l'art. La nouvelle reprend des motifs fantastiques bien connus en les modifiant : la traversée du miroir et le portrait animé. Simpson « aux yeux doux et fous" traverse le miroir volontairement parce qu'il est mal à l'aise dans la bonne société anglaise, qu'il trouve la vie réelle monotone et la femme réelle totalement inaccessible, parce qu'il a cru aussi reconnaître dans le tableau le petit chemin familier de son enfance. Il est envoûté par le portrait et le discours de Magor, le bien nommé. Il traverse le portrait volontairement dans une joie extatique. Encore faut-il ne pas se perdre et retrouver le chemin de la réalité. Pour Nabokov, l'art n'est pas une tragédie morbide mais un jeu. le récit manipule aussi le lecteur. En même temps qu'on lit l'histoire fantastique on relève quelques indices au passage qui nous font penser à une supercherie, habitués que nous sommes à lire Edgar Poe ou Conan Doyle mais bien évidemment, à la fin, il reste quelques petits mystères et un citron.

CD 2 :
Bonté (14:42) : c'est l'histoire d'un sculpteur amoureux qui s'adresse à sa maîtresse/modèle infidèle. Il l'attend au coin d'une rue vers la porte de Brandebourg. Près de lui une vieille femme qui vend des guides touristiques et des cartes postales attend elle aussi. L'histoire est magnifique, poétique et se déroule entièrement dans le regard du narrateur. le sculpteur malheureux observe sous les gouttes d'eau scintillantes l'indifférence des passants, l'humilité de la vieille, la bonté du soldat qui lui offre un bol de café au lait chaud et il s'aperçoit que la joie intérieure qu'il cherchait est là chez les gens ordinaires. Il retourne à son atelier.

Le rasoir (10:14) : Ivanov ancien capitaine de l'armée blanche officie désormais comme barbier à Berlin. Un jour un homme trapu rentre dans son salon et lui fait signe qu'il veut être rasé. Ivanov le reconnaît dans tous les miroir à la fois, : c'est un ancien bolchevique qui fut autrefois semble-t-il son bourreau. Ivanov l'installe confortablement dans son fauteuil, le badigeonne de mousse à raser et affûte son rasoir…. Suspense et ironie. La nouvelle joue sur le contrastes des deux hommes: Ivanov est taillé au couteau, les traits anguleux et tourne autour de l'autre ; le client anonyme est tout en rondeur, le visage bouffi avec un grain de beauté dodu.

Le Voyageur (15:00) : un écrivain et un critique dialoguent. le critique prétend qu'un écrivain ne peut pas améliorer ce qui arrive dans la vraie vie. L'écrivain lui raconte alors une histoire vraie qui lui est arrivée dans un train...L'histoire courte, très ludique montre qu'on peut manipuler le lecteur en créant des attentes. La démonstration est formidable : L'art a été trompé par une vie plus inventive mais...il reste une énigme à la fin. Nabokov suggère qu'on peut certes se jouer des attentes du lecteur mais il faut lui laisser au bout du compte une porte ouverte.

Musique (17:06) : Victor arrive en retard dans un salon de musique alors que le récital de piano a débuté. Les spectateurs sont comme envoûtés, sauf Victor que la musique ennuie. Il observe alors les hôtes et voit son ex-femme, il revit leur histoire, il pense au temps qu'il a mis à essayer de l'oublier et la musique épouse ses états d'âme, il s'apprête à lui pardonner...Il a compris que la musique lui avait permis de transformer une histoire malheureuse en félicité mais...la fin est malicieuse avec un clin d'oeil à la Sonate à Kreutzer si chère à Tolstoï.
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Une très belle (comme toujours) critique de mon amie babeliote Marie-Helene (mh17) à propos de la nouvelle Bruits m'a rappelé que j'avais le livre « La Vénitienne et autres nouvelles » dans mes réserves, et je pensais l'avoir lu. Que nenni, j'avais lu « La transparence des choses » mais pas celui-là, acheté en 1994.
Ce fut donc une belle occasion de soigner mon tsundoku, puisque tel est le nom que les japonais donnent à la maladie (bénigne, sauf pour le porte-monnaie) qui consiste à accumuler les livres sans les lire. Et d'ailleurs, pour poursuivre ma thérapie, je me suis lancé dans la lecture de mes « oubliés de ma vie livresque » , avec plus ou moins de bonheur, par exemple une grosse déception pour un « Nestor Burma ».

Bon, revenons à ce livre (je suis atteint aussi, je sais, de digressite chronique).
Un livre magnifique, fait de 13 nouvelles de jeunesse, écrites initialement en russe, et jamais publiées à nouveau, jusqu'à cette édition de 1990. Elles sont toutes pleines d'une grande fantaisie, voire de « phantasy », et d'une merveilleuse poésie.

Elles sont précédées de deux courts essais: le rire et les rêves, et Bois laqué, qui donnent quelques clés de l'oeuvre de Nabokov, dont une essentielle, le fait que dans l'Art, ce qui est vrai, c'est la fiction, et non le réalisme, et aussi son goût de l'étrange dans la lignée de Gogol et Pouchkine.

La plus belle et la plus longue aussi, est La Vénitienne, dans laquelle le portrait d'une belle de Venise par Sebastiano del Piombo est le moteur d'une histoire en trompe-l'oeil, en jeux de miroirs entre rêve et réalité, où le lecteur va de surprise en surprise, je n'en dis pas plus, si ce n'est qu'il y a une élégance rare de l'écriture.

Plusieurs nouvelles racontent de façon saisissante et poétique des courts moments de vie. C'est le cas par exemple des très beaux récits que sont Bruits et Bonté.
Bruits, ou la chronique de la journée de la fin d'une liaison amoureuse, dans laquelle tous les bruits, de l'orage, de la fenêtre qui claque, du piano, etc…, et tous des petits détails forment le contrepoint d'une histoire qui se finit. Et puis il y a la Nature merveilleusement décrite, et en harmonie ou dysharmonie, avec les sentiments des acteurs de ce petit drame (« La Nature est un temple où de vivants piliers… » ).
Dans Bonté, le narrateur, devant le geste de bonté d'un soldat à l'égard d'une petite vieille pauvre, et devant le bonheur de celle-ci, ressent tout le bonheur du monde qui l'entoure, puis, devant le regard froid d'une femme, comprend la méchanceté de celle qu'il aime et qui ne viendra pas le rejoindre comme elle l'avait promis.

Beaucoup d'autres récits ont pour thème la vie en exil, la nostalgie de la Russie, voire, quand elle se présente, la vengeance à l'égard de ceux qui vous ont contraint au départ. C'est le cas des nouvelles le port, La bagarre, Ici on parle russe, le rasoir.
Dans toutes, je pense par exemple à la nouvelle le port, Nabokov y transcende la trivialité des situations par une merveilleuse poésie.


D'autres nouvelles ont un registre plus proche du fantastique, voire sont complètement dans ce registre: un le lutin,Un coup d'aile, Les Dieux, La vengeance, le dragon.
J'ai été ému par Les Dieux, dans laquelle le lyrisme d'un narrateur qui s'adresse, on l'imagine, à son épouse et sa référence à des phénomènes extraordinaires, comme l'apparition d'une poule d'or, n'est fait, on le comprend à la fin, que pour supporter le drame de la perte d'un enfant.
Un coup d'aile est une superbe et cruelle nouvelle dans lequel le héros Kern, désabusé et pensant au suicide, rêve d'un amour impossible pour Isabelle, jusqu'à ce que l'apparition d'un ange, et le mal qu'il lui fait, entraîne une issue fatale qu'il n'avait pas anticipée.
La nouvelle le lutin est, elle, traversée par le souvenir, la nostalgie d'une Russie magique..


J'ai redécouvert Nabokov par ce recueil, un auteur prolifique pourtant, mais dont je ne connais que Lolita, lu il y a très longtemps, et La transparence des choses, qui ne m'a pas laissé un souvenir marquant. Je me suis aperçu qu'il y a trente ans j'ai aussi acheté Autres rivages, son autobiographie, que je n'ai pas lue et il me faut réparer cet « oubli ».
En définitive, je dois dire que j'ai réellement découvert Nabokov par ce recueil, et j'ai été vraiment touché par sa fantaisie, sa poésie, la beauté de son écriture.
Je voudrais bien lire Ada, dont j'ai lu de très belles critiques sur Babelio. Avez vous d'autres romans de Nabokov à me conseiller?
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Évoquer un recueil de nouvelles tellement diverses dont on voudrait tirer quelques grandes lignes revient à présenter un écrivain dont on a tout dit ou presque. Ces histoires courtes écrites en russe au tout début de sa carrière (traduites plus tard en anglais par l'auteur), lors de l'exil à Berlin en fuite du bolchevisme, sont significatives et symboliques de la démarche future de Vladimir Nabokov qui s'inscrivait à contre-courant des modes et voyait dans la littérature une manière de sorcellerie plutôt qu'un langage de raison.

Gilles Barbedette l'indique en préface : "Dans ces nouvelles, Nabokov tente de saisir en plein vol des images, des sons et des voix cristallisés pour le seul plaisir des mots et qui représentent pour lui le seul moyen d'ignorer avec superbe la puissance temporelle du monde. D'où ce penchant pour l'invraisemblance délibérée d'un détail qui vient traverser ou clore un récit, et la méfiance instinctive à l'égard de l'Histoire dite «objective»." Si Nabokov dit un jour que les romans sont des contes de fées, on peut penser qu'il avait au moins raison pour les siens.

Lors de leur parution (décembre 1990), la plupart de ces textes étaient inédits ou n'avaient été publiés que dans des revues berlinoises sans refaire surface depuis. On y retrouve la nostalgie du pays russe, l'aversion pour les partisans de la révolution et quelques apparitions fabuleuses. Tout cela est savoureux, on ne s'y ennuie jamais.

Dans "La Vénitienne", Nabokov réussit à déstabiliser le fantastique même, de sorte que l'on est autant confondu d'y avoir cru que ravi du tour de passe-passe des dernières lignes. Nabokov y trempe librement une toile connue du peintre del Piombo de la Renaissance italienne.
"Bruits", tous les sens en éveil, en vibration avec le monde, évocation d'une relation adultérine, est ma lecture préférée.
Les treize nouvelles colorées sont précédées de deux courts essais sur l'art, rédigés en anglais, annonciateurs de l'esthétique à venir : refus du réalisme, amour de Pouchkine et Gogol, goût du grotesque et de l'étrange.

Passant un jour en revue mes nombreuses lectures si lointaines et oubliées de l'auteur – j'ose espérer que l'absence de comptes-rendus sur un blog hypothéquait la stabilité de mes souvenirs nabokoviens – je me demandai ingénument pourquoi je le prisais tant, d'où une des raisons de relire "La Vénitienne et autres nouvelles". Il ne faut pas chercher loin : dès les débuts russes dans les années 20, c'est sensible, varié et talentueux, ainsi que le confirmait "Le guetteur".

Lien : https://christianwery.blogsp..
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On connait Vladimir Nabokov pour sa sulfureuse Lolita, moins pour ses nouvelles. Si l'on doit n'en lire que deux, ce seront évidemment Un coup d'aile et La Vénitienne.

J'ai retrouvé la puissance de son écriture dans Un coup d'aile. A Zermatt, tout est prévu pour se divertir, au grand air sur les pistes comme dans les salles de bal du bel hôtel où vient séjourner Kern, jeune veuf de 35 ans. Pourtant, sa mélancolie subsiste malgré la rencontre d'Isabelle, sa voisine de chambre. Entre ciel et terre, il traîne son amertume et ses angoisses. Vladimir Nabokov parvient à narrer comment un ange se fait coincer une aile dans la porte d'une armoire, pourchassé par Kern, sans s'attirer la moindre moquerie de son lecteur. Telle est la magie de son écriture. Comme dans Lolita, il a réellement l'art d'inspirer l'empathie alors que tout devrait mettre en avant le ridicule de la scène ou du personnage. le texte de Nabokov est une plongée dans le romantisme et le fantastique. Son personnage se débat dans les affres de son chagrin. Il se révolte contre sa destinée trop pesante. Il est dans la fuite, mais semble rattrapé par le cours des évènements comme un héros de tragédie.

Particulièrement bien construite, La Vénitienne s'ouvre sur une partie de tennis qui réunit les protagonistes. Tout est inscrit dans cette sorte de préambule et la suite de la nouvelle en constitue le développement. Sur le cours, quatre joueurs : le colonel, amateur d'art et riche propriétaire du château, Franck, son fils, étudiant en vacances d'été, Simpson, un camarade naïf et timoré, et Maureen Magor, invitée du colonel avec son époux, restaurateur de tableaux, qui lui se tient hors champ et ne participe qu'en spectateur. La figure centrale est Franck, superbe, qui mène le jeu, et fait équipe avec Maureen. L'intrigue s'articule autour du tableau de la Vénitienne de Sebastiano del Piombo, peintre italien de la renaissance. Simpson a remarqué une ressemblance troublante entre le portrait et Mme Magor. Mais cela semble échapper à M. Magor qui exprime, lui, une préférence pour les Madones de Bernardino Luini. La chute de la nouvelle est assez magistrale et met en avant le caractère insolent et facécieux de Franck.

Le recueil compte aussi deux pépites : Bruits et Bonté.

Bruits est l'histoire d'une rupture. L'originalité du court récit tient à l'accord entre sentiments et monde extérieur. La nature et le narrateur fusionnent, dans un esprit très romantique. La rupture inopinée ne semble pas affecter les personnages. Nabokov relate même les faits par le truchement de son personnage comme un "jour heureux", dès le début de la nouvelle. Et celle-ci s'achève sur un grand éclat de rire.

La nouvelle, Bonté, est écrite sur le thème de l'absence et de l'attente déçue. Comme pour Un coup d'aile, l'issue n'en est pas moins joyeuse. Bien qu'elle marque la fin de sa relation amoureuse, le narrateur se remet en mouvement pour rejoindre son atelier où il reprendra, on le suppose, son activité d'artiste, source d'épanouissement bien plus sùre que l'amour de sa maîtresse.
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Un recueil de nouvelles avec un thème commun : l'après. Après l'amour, après un fait historique. Malgré le romantisme, les scènes sont parfois oppressantes. En effet, les descriptions sont poignantes et méticuleuses au point que le lecteur visionne les situations. La perfection de la retranscription de ce que voit et ce que ressent les personnages est parfaite.

Trois nouvelles se détachent de ce recueil : la Vénitienne, Bonté et Musique. L'amour pour l'art est est omniprésent et majeur. le pouvoir d'un tableau, un récital de piano qui exacerbent les sentiments amoureux et les dépits causés par l'amour.

Un recueil de nouvelles sublimes.
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Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
Tout ce qui existe se caractérise par la monotonie. Nous prenons notre nourriture à des heures précises parce que les planètes, tels des trains qui ne seraient jamais en retard, partent et arrivent selon des durées précises. L'homme moyen ne peut se représenter la vie sans un horaire rigoureusement établi. En revanche, un esprit joueur et sacrilège trouvera quelque amusement en réfléchissant à la façon dont les gens vivraient si une journée durait aujourd'hui dix heures, demain quatre-vingt-cinq, et après-demain quelques minutes. On peut dire a priori qu'en Angleterre une telle inconnue quant à la durée exacte de la journée à venir, conduirait avant tout à un développement extraordinaire des paris et de toutes sortes d'autres gageures fondées sur le hasard. Un homme perdrait toute sa fortune en raison du fait que la journée durerait quelques heures de plus qu'il ne le supposait la veille. Les planètes deviendraient semblables à des chevaux de course, et que d'émotions susciterait quelque Mars bai franchissant la dernière haie céleste. Les astronomes se retrouveraient dans la situation de bookmakers, le dieu Apollon serait représenté avec la casquette couleur flamme d'un jockey, et le monde deviendrait joyeusement fou.
Malheureusement, ce n'est pas ainsi que les choses se passent. L'exactitude est toujours morose, et nos calendriers, où la vie du monde est calculée à l'avance, rappellent des programmes d'examen incontournables. Bien entendu, il y a quelque chose de rassurant et d'irréfléchi dans ce système cosmique de Taylor. En revanche, comme la monotonie du monde est parfois magnifiquement, lumineusement rompue par le livre d'un génie, une comète, un crime ou même simplement une nuit blanche ! Mais nos lois, le pouls, la digestion sont strictement liés au mouvement harmonieux des étoiles et toute tentative de transgresser la règle est châtiée, dans le pire des cas par la décapitation, dans le meilleur par une migraine. D'ailleurs, le monde fut sans aucun doute créé avec de bonnes intentions et personne n'est coupable de ce que l'on s'y ennuie parfois et que la musique des sphères rappelle à certains les rengaines sans fin d'un orgue de Barbarie.
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Après avoir délaissé les albums qui étaient sur la table telles des tombes de velours, je te regardai, j'écoutai la fugue, la pluie, et un sentiment de fraîcheur monta en moi, comme la senteur des oeillets mouillés émanant de toutes parts, des étagères, du couvercle du piano, des pendeloques oblongues du lustre.
C'était une sensation d'un équilibre exaltant : je percevais le lien musical entre les spectres d'argent de la pluie et tes épaules baissées qui tressaillaient lorsque tu enfonçais tes doigts dans le miroitement mouvant. Et, quand je plongeai en moi-même, le monde entier me sembla achevé, cohérent, relié par les lois de l'harmonie. Moi, toi, les oeillets étaient à cet instant des accords sur la portée. Je compris que tout dans le monde est un jeu de particules semblables constituant de multiples consonances : les arbres, l'eau, toi... De façon unique, égale, divine.
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Et Simpson, après avoir profondément respiré, partit vers elle et entra sans effort dans le tableau. Aussitôt il fut pris de tournis à cause de la fraîcheur délicieuse. Il y avait une odeur de myrte et de cire, avec une touche de citron. Il se trouvait dans une pièce nue et noire, près d'une fenêtre ouverte sur le soir, et juste à côté de lui se tenait la véritable Vénitienne, Maureen, grande, charmante, tout illuminée de l'intérieur. Il comprit que le miracle s'était produit et il fut lentement attiré vers elle. La Vénitienne lui sourit du coin de l’œil, arrangea doucement sa fourrure et, ayant laissé la main dans son panier, elle lui tendit un petit citron.
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L'air printanier. Légèrement duveteux. Vois-tu ces tilleuls le long de la route ? Les branches noires, dans des paillettes vertes et humides. Tous les arbres au monde se déplacent quelque part. Pèlerinage éternel. Te souviens-tu des arbres qui marchaient le long des fenêtres des wagons quand nous venions ici, dans cette ville ? Te souviens-tu des douze tilleuls qui se concertaient pour savoir comment traverser la rivière ? Et il y a plus longtemps encore, en Crimée, j'ai vu un cyprès penché au-dessus d'un amandier en fleur. Le cyprès avait été autrefois un grand gaillard de ramoneur avec sa brosse en fil de fer et son échelle sous le bras. Il était, le pauvre, fou d'une blanchisseuse, rose comme les pétales de fleurs d'amandier. Ils avaient alors fini par se retrouver, et ils allaient ensemble quelque part. Son tablier rose se gonfle ; il s'est penché timidement vers elle, comme s'il avait encore peur de la tacher avec de la suie. C'est un très joli conte.
Tous les arbres sont des pèlerins. Ils ont leur Messie, et ils le cherchent. Leur Messie est le royal cèdre du Liban, mais peut-être aussi un tout petit buisson, tout à fait insignifiant, dans la toundra...
Aujourd'hui, les tilleuls traversent la ville. On a voulu les retenir. On a entouré les troncs de grilles rondes. Mais de toute façon, ils se déplacent...
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Au cas où je me livrerais entièrement à lui [l'art], c'est une vie non pas tranquille et mesurée, avec une quantité limitée de chagrins, une quantité limitée de plaisirs, avec des règles précises sans lesquelles tout jeu perd son charme, ce n'est pas cette vie là qui m'attend, mais la confusion totale ou dieu sait quoi ! Je serai tourmenté jusqu'à ma tombe.
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