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Maxime Chattam
Bien dis donc aussi simple que cela et ne l'avoir pas vu écrit avant!?
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Impéria la releva.

- Oui, oui, dit-elle, je te pardonne tout, tu entends ? Tout... Viens, viens, ma fille, partons ! Quitte cette maison maudite ! Nous irons loin, bien loin et nous oublierons...

- Ah ! Vraiment, vous oublierez ? dit tout à coup une voix terrible; mais moi je n'oublierai pas, je ne veux pas oublier !

Impéria poussa un cri d'épouvante.

Elle tourna la tête et vit Patrick Parnell, qui venait d'entrer dans le boudoir le visage pâle, le regard sombre.

Elle vit aussi derrière Patrick sir Richard, non moins pâle et non moins sombre.

Grâce au désarroi qui régnait dans l'hôtel, les deux hommes avaient pu arriver jusqu'au boudoir sans que le bruit de leurs pas, amorti par les tapis, ait été entendu des deux femmes.

Impéria se sentit saisie de frayeur.

Elle se redressa brusquement et recula jusqu'à la muraille, en entraînant sa fille.

Régine tremblait de tous ses membres.

- N'aie pas peur, lui dit Impéria, n'aie pas peur, je suis là.

Elle cherchait à rassurer Régine; mais elle-même était épouvantée, tant le regard de Patrick était sinistre.

Régine sentait qu'elle était devant un juge, un juge implacable.

Il y eut un moment de silence.

Instinctivement, Impéria se rapprochait de la porte.

Patrick devina l'intention de la mère; il passa rapidement de l'autre côté du canapé et se plaça devant la porte qu'Impéria cherchait à atteindre.

Alors la mère fit appel à toute son énergie.

L'amour maternel dont elle éprouvait depuis quelque temps l'heureuse influence lui rendit tout son courage et la fit forte et résolue.

- Enfin, que voulez-vous ? demanda-t-elle à Patrick.

- Je veux ma fille, ma fille qui m'a déshonoré !

- Elle se repent et j'ai pardonné.

- Vous avez pardonné, vous ? Et de quel droit ?

- Je suis sa mère !

- Vous êtes sa mère ! Depuis quand ?

- Oh ! Je sais ce que vous allez me dire... Je mérite tous vos reproches, monsieur, et vous ne m'en ferez jamais d'aussi durs que ceux que je me suis adressés moi-même, que ceux que j'ai déjà essuyés...

Patrick haussa les épaules.

- Oui, continua Impéria, oui, j'ai été coupable, oui, j'ai été une mauvaise mère, comme j'ai été une mauvaise femme; mais je ne suis plus ce que j'ai été... Enfin, monsieur, je vous le répète, j'ai pardonné à ma fille.

- Au fait, oui, vous avez raison, cette misérable est bien votre fille, répliqua Patrick, car elle a tous vos vices; comme vous elle est vile, infâme... Votre sang ne pouvait mentir.

- Vous oubliez l'autre...

- Je n'oublie rien; oui, l'autre est un ange. Du même tronc sont sorties deux branches, l'une chargée de fleurs embaumées, l'autre de fleurs empoisonnées. Eh bien, il faut qu'une seule de ces branches vive, la première. Réginette doit grandir, Régine doit disparaître.

- Nous irons nous cacher dans une retraite ignorée.

- Vous en sortiriez un jour pour notre malheur et notre honte à tous. Je veux que le venin soit détruit.

- Ah ! Je sais ce que vous voulez, la tuer, n'est-ce pas ?

- C'est ma fille !

- C'est la mienne !

- Vous n'avez aucun droit sur elle.

- Je suis sa mère, je suis sa mère !

- Prouvez-le donc !

- Je le crierai si haut qu'on me croira.

- Vous avez la loi contre vous, je l'ai pour moi... Allons, laissez- moi emmener cette fille.

- Pour la tuer, bourreau !

- Je suis un justicier.

Sir Richard restait impassible; mais, peu à peu, il s'était rapproché de Régine.

- Vous, justicier ! s'écria Impéria, vous n'êtes qu'un bourreau ! Vous voulez tuer ma fille !

- C'est mon droit !

- Je la défendrai !

- Seul, je suis juge de mon honneur. Allons, éloignez-vous..

- Non! Non !

- Je suis le père !

Et Patrick fit deux pas en avant pour saisir la jeune fille.

Alors, le regard plein de flammes, Impéria se plaça devant Parnell.

- Voyons, monsieur, lui dit-elle d'une voix suppliante, faites comme moi, pardonnez !

- Jamais !

- C'est votre dernier mot ?

- Je suis le père !

- Ah ! Ah ! fit Impéria avec un accent singulier, c'est votre titre de père que vous invoquez ?

- Oui.

- Eh bien, tant pis pour vous, c'est vous qui l'aurez voulu... Ce titre de père, monsieur, vous ne l'avez pas.

- Que voulez-vous dire ?

- Je veux dire que vous n'êtes pas le père de mes filles.

- Hein ! fit Patrick en sursautant.

- Non, non, non, vous n'êtes pas leur père... Je vous ai trompé; j'étais enceinte d'un autre. Est-ce que vous ne vous rappelez pas que les enfants sont venues à sept mois ?

- C'est vrai, murmura Patrick devenu livide..

- Etes-vous convaincu, maintenant ?

- Non. Vous me dites cela pour sauver cette misérable.

- Eh bien, monsieur, sur la tête de Réginette, je vous jure que je dis la vérité.

- Alors, qui donc est le père ?

- Moi ! répondit sir Richard d'une voix vibrante.
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Nous avons tant de choix possibles : on ne peut jouer d'aucun instrument et aller au concert des autres; on peut faire ses gammes quotidiennes, devenir un pianiste réputé ; on peut écrire un roman en s'identifiant à un musicien virtuose. Vivre par procuration les vies de nos personnages parce qu'une seule ne nous suffit pas.

Avant l'atelier, j'étais à l'abri, planquée entre mes pages. Cette île m'a projetée de force dans le monde réel.
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Il te manque une ivresse qui ne s'achète pas, qu'on ne chine pas chez les antiquaires, que ne procure aucune bouteille.
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- Dans toute alliance offensive ou défensive, il se présente des cas délicats, impossibles à résoudre par les voies prévues. Dans ces circonstances, les intéressés s'entendent, l'un pour offrir, l'autre pour accepter des compensations.

- Nous ne sommes point dans ce cas.

- Nous y sommes, au contraire.

- Je ne crois pas...

- Vous allez comprendre.

- Voyons.

- Par exemple, quand un souverain ne peut assister son allié en lui fournissant un contingent d'hommes pour la guerre, il lui offre des vaisseaux, des chevaux...

- Ou des subsides, ajouta Régine, allant au-devant de la pensée de la baronne.

- Ou des subsides, comme vous dites.

- Et c'est ce que vous m'offrez ?

- Je serais heureuse de vous prouver ainsi la reconnaissance que je dois à la mémoire de votre mère.

Régine se dressa pâle de colère.

- Madame la baronne, s'écria-t-elle, je ne m'attendais pas à une pareille injure !

- Ma proposition n'a rien d'injurieux. Je ne puis, ni ne veux faire ce que vous demandez, et je...

- Pas un mot de plus ! s'écria Régine avec fureur. Non contente de me trahir, vous m'insultez !... Ah, madame l'honnête femme, vous avez cru qu'on pouvait acheter la haine de la fille d'Impéria ?...

- Pourquoi pas ? répliqua la baronne dont la patience était à bout. Est-ce que comme sa mère, la fille ne vend pas son amour ?

- Oui, je le vends ! exclama la jeune fille piquée au vif, mais au grand jour, sans hypocrisie !... Ma vénalité n'a pas de masque... Nous marchons à visage découvert, nous autres; nous mettons une enseigne à l'hôtellerie où nous habitons !... Dans votre monde, madame, le vice s'appuie sur le mensonge et la trahison. Vos passions se glissent furtivement dans des boudoirs clandestins. Des apparences honnêtes vous protègent. Au besoin, vous recevez des amants dans le confessionnal !

Les deux femmes étaient debout, l'éclair dans le regard, également påles, se mesurant comme deux gladiateurs avant le combat.

Le bras appuyé sur le dos de son fauteuil, la jambe droite avancée, le pied énergiquement attaché au sol, la taille en arrière, le front haut, la baronne se tenait fière, hautaine, presque provocante devant son adversaire, qui cherchait vainement à l'intimider.

L'orage grondait dans le cœur de Régine. Au moment où sa fureur allait faire explosion, il lui vint une pensée.

Elle se demanda quel pouvait être le motif de la rébellion de Mme de Placy.

De même que la jeune ouvrière, la baronne connaissait-elle donc intimement une des personnes à frapper ?

Elle ne pouvait être l'amie de Réginette; elle n'avait probablement jamais vu Léonie.

Alors, c'est un homme qu'elle voulait défendre. Mais lequel ? Voilà ce qu'il importait de savoir.

- Madame, reprit-elle d'un ton subitement radouci, je vous comprends maintenant; dites-moi le nom de celui que vous aimez !

La baronne sentit le sang lui monter au visage.

Quoi ! Une fille entretenue, une gamine, osait lui demander le secret de son cœur !

- Permettez, mademoiselle, répliqua-t-elle avec hauteur, vous n'avez pas, que je sache, qualité pour recevoir mes aveux !

- Décidément, madame la baronne, c'est la guerre que vous voulez !... Prenez garde !

- À quoi ?

- Vous voulez dire à qui ?

- Soit, à qui ? Est-ce que vous croyez que j'ai peur pour moi ?

- Non, mais vous avez peur pour lui.

- Si je suis ici, dit Mme de Placy d'un ton méprisant, c'est que, en effet, j'ai peur pour lui; pour son bonheur !... C'est pour cela que je veux le défendre, puisque vous ne voulez pas que je sois neutre !

- Votre neutralité serait une trahison.

- C'est vrai ! Aussi ne veux-je pas la garder.

- Vous agirez donc ?

- Oui, mais contre vous. Ils sauront tout, lui et les autres !

- Oh ! Malheur à lui ! Malheur à vous ! Malheur à eux tous !

- Nous nous défendrons !

- Ah ! Tenez, s'écria Régine en frappant du pied avec fureur, je sens que je vais vous haïr autant que M. de Civray et ma sœur, autant que d'Ormesson et sa femme, autant que le comte d'Agghierra.

Régine arrivait à un degré de colère qui touchait à la folie.

Elle fit un pas en avant et se trouva presque poitrine contre poitrine avec Mme de Placy.

Celle-ci était très pâle, un peu tremblante, mais elle ne recula point. Deux minutes se passèrent ainsi.

Il eût été impossible de prévoir ce qui allait se passer si un incident ne se fût produit.

On frappa à la porte du boudoir.

- Entrez, dit la baronne, saisissant au vol l'occasion de mettre fin à la scène.

La portière s'écarta et Julie montra son visage bouleversé.

- Que voulez-vous ? lui dit durement Régine.

Julie restait muette.

- Nous n'avons plus rien à nous dire, prononça la baronne.

Et elle sortit du salon, en passant fièrement devant la femme de chambre, qui s'écarta respectueusement.

Régine était furieuse, et ce fut sur la camériste indiscrète qu'elle rejeta sa colère.

- Êtes-vous folle, lui dit-elle, d'arriver ainsi sans qu'on vous sonne ? D'où vient cette mine effarée ?... Allons, parlez !... Ne restez pas plantée là comme la statue de la bêtise !

- Mon Dieu ! dit enfin Julie, si madame avait vu ce que j'ai vu, elle serait certainement tout aussi épouvantée que moi.

- Vous croyez, fit la jeune fille en haussant les épaules.

- Madame croit-elle aux revenants ?

- À ceux qui reviennent de voyage ?

- Non, à ceux qui reviennent de la tombe.

- Non.

- Madame a tort.

- Ah ! Vraiment ?

- Voyez-vous, madame...

- Eh bien ?

- Eh bien ! Oui, il y a des gens qui reviennent de la tombe.

- Vous en avez vus, vous ?

- Au moins un, madame.

- Vous avez vu un revenant ?

- Une revenante, madame, comme je vous vois; et la concierge aussi l'a vue.

- Et cette revenante, c'est ?...

- Mme Impéria, mon ancienne maîtresse, votre mère, madame.

Régine ne put s'empêcher de tressaillir. Mais se remettant promptement, elle haussa les épaules et se mit à rire.

- Je n'ai pas peur d'une revenante, moi ! fit-elle.
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Il surveille son petit troupeau de brebis. C'est à cet animal que les membres de l'assemblée le font penser... à la fois effrayés et sans la moindre idée de ce qui leur reste à faire.
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Hortense, la comédienne à la mode, devait son surnom de Princesse qu'elle ne portait pas trop mal, du reste, à un rôle qu'elle avait créé avec un immense succès.

Amusante et spirituelle à force d'audace, Hortense avait toujours un mot prêt pour enlever le morceau.

On citait ses réparties.

Questionnée un jour sur la mission de la femme sur la terre, elle répondit par ces mots qui devinrent sa devise comme ils résumaient déjà sa règle de conduite :

- User, ruser, muser !

C'était une excellente fille, du reste, ayant, comme on dit, le cœur sur la main, ce qui faisait qu'elle le laissait souvent échapper.

Pendant un instant, Régine était restée silencieuse, ayant l'air de réfléchir. Enfin elle fit signe qu'elle allait parler.

Les six femmes se rapprochèrent et se disposèrent à écouter avec attention.

- Mesdames, dit Régine, comme la célèbre Impéria, comme moi vous appartenez toutes, à divers titres, il est vrai, à la grande tribu des Amoureuses de Paris.

- Tribu des mieux civilisées, répliqua la chanteuse d'opérettes, qui ne savait pas se taire.

- Dans l'histoire de chacune de vous, l'amour a joué un rôle important.

- L'amour ou ce qui lui ressemble, crut devoir rectifier la jeune femme en toilette de soirée.

- Oh ! C'est souvent la même chose, ajouta la comédienne, et presque toujours l'air vaut mieux que la chanson.

- Entre la galanterie et l'amour, je ne vois guère de différence, dit celle qu'on appellait Mme Crésus parce qu'elle était la femme d'un riche financier.

- Pardon, riposta Hortense, la galanterie n'est que la fausse monnaie de l'amour.

- Oui, fit la baronne de Placy, la jeune femme élégante, et la loi ne punit pas les contrefacteurs.

- Au contraire, soupira l'institutrice.

- Voyons, mesdames, reprit Régine, si vous vous mettez à faire de l'esprit, vous ne sortirez plus d'ici. Je reprends. Puisque nous sommes de la même tribu, nous nous devons une mutuelle assistance.

- Oui, une assurance mutuelle contre les sots et les fats, dit la baronne de Placy avec vivacité.

- Au capital de vos beaux yeux, madame, dit Hortense.

- Et avec le plaisir pour dividende, ajouta Mme Maréchal.

- Mesdames, vous êtes incorrigibles ! s'écria Régine. Je me résume...

- Enfin ! fit l'institutrice.

- Au nom de ma mère je viens vous demander votre concours.

- Dans une affaire d'argent ? interrogea la femme du banquier.

- Non.

- Une affaire d'amour alors ?

- Où est la différence ? demanda la marchande à la toilette.

- Vous m'avez volé mon mot, chère madame Maréchal ! s'écria Hortense. Vous le porterez en compte.

- Tout amour est une affaire, dit Régine.

- Oh ! Madame ! protesta timidement l'ouvrière.

- Ma chère, dit la Maréchal, toutes les théories sur l'amour se résument en ces deux mots : recevoir et prendre !

- Enfin, reprit Régine, voulez-vous m'écouter ?

- Nous écoutons.

- Je veux me venger d'une rivale.

Ces paroles de Régine furent suivies d'un profond silence.

Il fut rompu par la comédienne, qui dit :

- Prenez garde, mademoiselle; à ce jeu-là, votre mère, qui était cependant une rude femme, a perdu plusieurs parties.

- Je profiterai de ses fautes pour ne pas échouer comme elle.

- Enfin, cela vous regarde. Mais vous ne nous dites point ce que vous voulez de nous.

Régine, alors, expliqua aux six femmes ce qu'elle voulait, et ce qu'elle voulait était si monstrueux que les objections abondèrent.

- Mais elle est votre sœur ! exclama Hortense.

- Mais elle ne vous a fait aucun mal ! s'écria la baronne.

- Mais c'est tout simplement une infamie que vous exigez de nous ! fit la banquière.

- Je ne vous demande pas votre avis, mais votre concours, répliqua Régine.

- Quel âge avez-vous, mademoiselle ? demanda Mme de Placy.

- Dix-sept ans. Mais en quoi mon âge peut-il vous intéresser ?

- Hélas ! Que je vous plains ! répondit la baronne.

- Pourquoi me plaignez-vous, madame ?

- Parce que n'ayant pas encore souffert, vous voilà déjà mauvaise.

- Eh ! Madame, répliqua Régine avec hauteur, trêve de remontrances !

- Permettez, mademoiselle, riposta la baronne avec fermeté, vous ne sauriez avoir la prétention de nous empêcher de discuter; vous nous demandez notre concours; nous devons examiner, avant tout, si nous pouvons, si nous devons vous le donner.

- Vous oubliez, madame, que je l'exige, ce concours.

- Non, je n'oublie pas. Mais voyons; vous haïssez votre sœur; je veux bien admettre cette inimitié que ne justifient pas complètement à nos yeux vos espérances déçues; mais pourquoi vouloir vous attaquer aussi à Léonie de Rostang, aujourd'hui Mme d'Ormesson ? Pourquoi lui vouloir du mal ?

- Oui, pourquoi ? appuya Hortense.

- Vous êtes trop curieuses, mesdames... Quand ma mère vous a obligées elle ne vous a pas fait de questions indiscrètes. Imitez donc sa réserve et ne songez qu'à vous acquitter de votre dette.

- Madame, dit l'ouvrière, en prenant la main de Régine, je vous en supplie, permettez-moi de respecter Mme d'Ormesson.

Régine regarda froidement la jeune femme, haussa les épaules et retira sa main sans répondre.

- Et quand nous vous aurons servie de notre mieux, serons-nous libres ? demanda l'institutrice.

- Entièrement libres, répondit Régine.

- Bien sûr, là, bien sûr ? insista la Maréchal.

- Que je réussisse ou non, je vous promets que vous n'aurez plus rien à craindre ni l'une ni l'autre. Le dossier des Amoureuses de Paris sera brûlé devant vous.

- Alors, c'est bien, fit la femme du banquier.

- Mais pas de trahison.

- Ce n'est pas notre intérêt, répondit Mme Crésus.

Le moment de se séparer était venu.

Hortense salua Régine.

La marchande à la toilette lui tendit sa grosse main rouge.

L'institutrice lui fit une révérence cérémonieuse, accompagnée d'un sourire hypocrite.

La femme du banquier salua d'un mouvement de tête presque dédaigneux.

Fanny, l'ouvrière, leva sur elle un regard qui était une prière.

Régine y répondit par un mouvement d'irritation.

La baronne était devenue grave et triste; un peu de contrainte se lisait dans ses yeux.

- J'aurai besoin de vous revoir, dit-elle à Régine.

Celle-ci fixa sur la baronne un regard étonné, presque inquiet.

- Quand vous voudrez, répondit-elle.

Les six femmes se retirèrent.
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Je me sens autre. J'ai lâché du lest, déployé mes ailes en même temps que ma voix. Depuis le début de l'atelier, Alix nous invite à considérer les différents angles possibles, ça change diamétralement la donne.
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Le surlendemain, à sept heures du soir, après avoir donné congé à tout son monde, Julie exceptée, Régine fit prévenir Pied-de-Fer qu'il eût à laisser monter chez elle, sans leur demander leur nom, les dames qui se présenteraient en demandant « l'héritière ».

C'est ainsi que Régine avait signé ses lettres.

À neuf heures un quart, six femmes étaient introduites dans le boudoir de la fille d'Impéria.

À cette époque, on s'occupait beaucoup à Paris et dans les journaux légers d'une réunion de femmes que l'on désignait sous cette appellation singulière : « Le Comité des Blondes ».

C'était, disait-on, une association ingénieuse dont la coquetterie était l'âme, et qui avait la prétention de donner et même d'imposer le ton au monde des salons, des théâtres, comme au monde des boudoirs.

Toutefois, ce « Comité des Blondes » n'existait qu'à l'état de mystère, d'énigme, comme le Conseil des Dix à Venise au temps des doges, comme la Junte secrète sous Charles VII d'Espagne, avec cette différence, cependant, que « Le Comité des Blondes » n'inspirait aucune terreur et n'éveillait qu'un sentiment : le désir d'y être admis.

Or, circonstance bizarre, les six femmes que Régine avait conviées et qui répondaient à son appel étaient blondes.

Ces six têtes représentaient la gamme complète du blond dans ses principales nuances, depuis le blond doux et tendre du lin, le blond de l'épi mur, le blond de la Marguerite de Goethe, jusqu'au blond ardent qui ressemble à l'or filé, ce blond si cher aux femmes vénitiennes immortalisées par le pinceau de Titien.

Celui qui aurait vu ces six femmes blondes réunies n'eût pas manqué de voir en elles une délégation du « Comité des Blondes » envoyée vers Régine.

Chaque visiteuse était arrivée seule.

À l'exception d'une, qui portait une élégante toilette de soirée, toutes les autres avaient des vêtements de couleur sombre, et le visage couvert d'un voile épais.

Julie, grave et solennelle comme une impératrice, avait reçu ces dames, sans leur demander leur nom, et les avait successivement introduites dans le boudoir de sa maîtresse.

Ces six femmes se connaissaient-elles ?

On n'aurait pu le dire; car, discrètement, elles s'examinaient et gardaient une réserve silencieuse. Elles avaient l'air contraint, étonné, inquiet; il était facile de deviner qu'elles étaient là parce qu'elles avaient obéi à un ordre.

Au bout de cinq minutes d'attente, après l'entrée de la dernière arrivée, les portières du boudoir se soulevèrent et Régine parut.

Elle était vêtue de noir; mais le velours de son corsage entrouvert faisait valoir la blancheur nacrée de ses épaules et de sa poitrine admirablement modelées.

Le regard était hautain, l'attitude impérieuse.

Tous les yeux se tournèrent vers elle avec une curiosité anxieuse. Aucune des blondes ne connaissait l'héritière.

Régine les salua avec courtoisie et dit :

- Mesdames, je vous remercie de votre exactitude, au nom de Mme Impéria dont je suis l'héritière.

- Vous, madame ? fit une des invitées.

- Oui, moi. Je suis la fille de Mme Impéria ou, si vous le préférez, de Jeanne Terrassin.

- Rien ne nous le prouve, répliqua la même invitée.

- Je vous le dis et cela doit vous suffire, riposta Régine d'un ton sec. Mais il m'est indifférent que vous le croyiez ou non. J'ai entre mes mains des papiers qui, dans tous les cas, ne vous laisseront aucun doute sur ma qualité d'héritière de Mme Impéria. Mais vous paraissez étonnées de vous trouver ainsi rassemblées; je comprends, chacune de vous croyait se trouver seule avec moi.

- Certainement, répondit une femme visant à l'élégance, mais vêtue sans goût, sans cela...

- Achevez donc votre phrase.

- Eh bien ! je ne serais pas venue.

Régine toisa dédaigneusement son interlocutrice.

- Vous êtes mademoiselle Amélie, n'est-ce pas ? fit-elle.

- Oui, mademoiselle, je suis Mlle Amélie.

- Je vous ai reconnue à l'accent aigre de votre voix et surtout à la façon dont vous êtes habillée. Ainsi, mademoiselle Amélie. vous ne seriez pas venue... Je comprends, je comprends : ce sont les soins que vous donnez à vos élèves qui vous eussent retenue... C'est que vous veillez sur vos élèves avec une touchante sollicitude, mademoiselle Amélie.

L'institutrice devint blême; mais elle ne répondit pas.

- Moi, je serais venue ici quand même, dit la femme en toilette de bal; si vous m'avez rappelé le service que Mme Impéria m'a rendu, c'est que vous avez besoin de moi. Je dois trop à votre mère, mademoiselle, pour ne pas me souvenir. Les grandes dames, mes bonnes amies, m'eussent laissé rouler dans l'abîme. Impéria m'a sauvée. Je lui ai dit que je n'oublierais jamais ce qu'elle avait fait pour moi. Si l'heure de payer ma dette est venue, me voici.

Celle qui venait de parler était une petite femme jeune encore, au teint pâle, aux yeux noirs, ce qui donnait à sa physionomie de blonde un cachet d'originalité tout à fait séduisant.

Elle s'était exprimée avec feu, et son regard résolu ne permettait pas de douter de la sincérité de ses paroles.

- Je vous remercie de tout mon cœur, madame, répondit Régine; ma mère avait raison de compter sur vous.

- Mais sur moi aussi ! s'écrièrent en même temps les autres femmes.

- Et la preuve, ajouta Mme Amélie, c'est que je suis ici au risque de me compromettre.

- Vous, mademoiselle, répliqua Régine, je suis sûre que vous êtes venue comme un chien qu'on fouette.

- Oh !

- Ne protestez point, les notes de ma mère sont précises. Mais vous êtes venue, c'est l'essentiel.

Melle Amélie, que Régine traitait si durement, était une grande fille assez jolie, mais minaudière, et qui gâtait ses avantages physiques par des allures prétentieuses insupportables. Son nez pointu, ses lèvres minces n'annonçaient ni la douceur, ni la franchise.

- Quant à moi, s'empressa de dire une grosse femme, dont les manières vulgaires contrastaient avec la richesse de son vêtement, je serais venue plutôt sur la tête, foi de femme Maréchal.

- Ah ! fit Régine en souriant, c'est vous qui êtes madame Maréchal ?

- Pour vous servir, mademoiselle.

- Mesdames, reprit Régine, si vous ne la connaissez pas, je vous présente Mme Maréchal, une femme précieuse; elle vend de tout et achète de tout. C'est une marchande à la toilette des mieux achalandées... Marchandises neuves et d'occasion, robes de hasard et vertus au rabais.

La marchande grimaça un sourire.

- Et vous, madame, dit Régine, s'adressant à une toute mignonne créature, qui semblait ne pas avoir plus de vingt-deux ans, quelle est votre pensée ?

Celle-ci, qui était très modestement vêtue, et qui se tenait dans son coin immobile, humble, timide, silencieuse, répondit :

- J'ai peur, mademoiselle.

- Pourquoi ?

- Si Étienne savait que je suis ici, que dirait-il ? Que supposerait-il ?

- Que vous vous occupez avec ces dames d'une œuvre de bienfaisance.

- Et puis qu'allez-vous me demander ?

- Bah ! Ne tremblez pas d'avance; ce sera moins difficile que de mettre un enfant au monde.

- Vous êtes cruelle, mademoiselle, répondit la peureuse en essuyant une larme.

- Et vous, madame Crésus, avez-vous peur aussi ? demanda Régine, en s'adressant à sa voisine de droite, dont le regard rayonnait d'orgueil.

- J'attends, répondit sèchement l'interpellée.

- Mademoiselle, dit alors la sixième femme blonde d'un ton délibéré, ne nous faites pas poser plus longtemps. Il est clair que vous avez quelque chose à exiger de nous, ce qui vaut mieux que la reconnaissance que nous devions à votre mère. Vous nous tenez, je le reconnais, parce que vous avez une arme contre nous.

Il y eut deux ou trois protestations.

- Laissez-moi donc parler !... Au fond du cœur, plus ou moins, nous détestons en ce moment mademoiselle l'héritière.

- Parlez pour vous, fit l'institutrice.

- Vous, ma belle, s'il ne fallait que votre voix pour nous débarrasser de notre créancière par délégation...

- Dites par héritage, madame, interrompit Régine.

- Par héritage, si vous voulez; mais un héritage n'est pas autre chose qu'une délégation de la mort.
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Il n’est pas nécessaire de croire à une origine surnaturelle du mal, les hommes sont parfaitement capables d’inventer tout seuls n’importe quelle iniquité.
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Tout à coup, l'arme fit explosion, la balle frappa le poignet du misérable; le poignard tomba sur le parquet en même temps que l'autre main lachait prise.

La Zitella se redressa d'un bond et vint tomber échevelée, palpitante, presque évanouie, dans les bras du comte.

Bartholomeo poussa un rugissement de fauve acculé dans sa tanière. Il comprit que la partie était encore une fois perdue pour lui. Mais il n'était qu'à demi vaincu, ses ennemis ne le tenaient pas; il voulait leur échapper.

Il s'élança vers la fenêtre, l'ouvrit, et avant qu'Emmanuel ait pu le saisir, il sauta dans le jardin.

- Ah ! J'aurais dû lui loger mes cinq autres balles dans la tête ! s'écria Emmanuel avec une colère mêlée de regret.

D'Orca et Gaston accouraient rejoindre leurs camarades.

- Le bandit est encore parvenu à nous échapper, leur dit Marcel.

À ce moment un cri sauvage, horrible, terrifiant, retentit au dehors. Ils coururent à la fenêtre. À la clarté de la lune, qui apparaissait au-dessus des maisons, un spectacle épouvantable s'offrit à leurs yeux.

Les deux chiens, qui cherchaient vainement la viande fraîche qu'on leur jetait chaque soir, venaient de se précipiter sur Bartholomeo; ils l'avaient terrassé et commençaient à le traîner vers leur repaire, pendant qu'il poussait des cris effroyables à chaque coup de dent des féroces animaux.

On voyait les chiens se mettre à plat ventre, se relever, bondir... Au milieu de leurs grognements de plaisir, on entendait le bruit de leurs formidables mâchoires.

Bartholomeo se tordait dans d'affreuses convulsions; il essayait de repousser les deux monstres, cherchait à se relever... Mais les chiens retombaient aussitôt sur lui et de nouvelles et terribles morsures lui arrachaient de nouveaux cris de douleur.

- Il faut le secourir ! s'écria Marcel, nous ne pouvons pas le laisser dévorer vivant !

Un dernier cri, plus épouvantable encore que les précédents, se fit entendre. Puis, plus rien, plus rien que les grognements des chiens se livrant avec délices à leur horrible festin.

- Il est trop tard, dit d'Orca penché à la fenêtre.

Aussitôt il se rejeta en arrière en frémissant d'horreur.

La Pratique n'était pas mort non plus; mais quand ses plaies furent pansées et qu'il eut repris l'usage de ses sens, on reconnut qu'il était fou.

L'alcoolisme, qui accomplissait chez cet homme, depuis des années, son œuvre mortelle, était arrivé fatalement à son plus haut degré d'intensité. La raison, déjà singulièrement ébranlée par les excès de toutes sortes comme par les remords, n'avait pas pu résister aux derniers assauts qu'elle avait reçus.

Conseillé par Fernande et la Zitella, Marcel, en cette circonstance, avait fait encore preuve d'humanité et de magnanimité.

Par ses soins, l'ex-notaire avait été confié au docteur Coëndoza, le même qui avait eu à donner ses soins au vieux marquis de Varandez.

- Faites pour le mieux, avait dit le jeune homme et que Dieu prenne en pitié ces grands coupables.

Mais le misérable était condamné.

Quinze jours après, l'ex-notaire rendit sa vilaine âme au diable.

Il mourait, non pas tué par le poignard de sa fille, mais par l'absinthe et l'eau-de-vie, qui avaient brûlé son corps, comme le vice et sa haine inassouvie, malgré la satisfaction sauvage, horrible, qu'il lui avait donnée, avaient brûlé son cœur.

Cette espèce de monstre périt dans les plus atroces souffrances.

Rien de plus épouvantable, en effet, que cette chose que nos médecins appellent la combustion spontanée par les alcools.

Fatalement condamné, le misérable avait sa chambre à part, où on lui laissait toute liberté, excepté celle de boire; mais on avait toléré qu'il fumât.

Un jour, il approcha de sa bouche une allumette enflammée au moment même où un hoquet formidable sortait de sa gorge.

Aussitôt le vieil ivrogne flamba intérieurement comme un bol de punch. Il fut littéralement en combustion.

Le feu brûla les intestins; sa graisse ruissela, bouillante; ses os se calcinèrent et il ne resta de lui que des cendres infectes.
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Le lieutenant Darcet était, en effet, arrivé chez le comte d'Agghierra dans l'après-midi.

- Vous m'excuserez, cher monsieur Darcet, lui dit le comte en allant au-devant de lui, jusqu'à la voiture qui l'amenait, de n'être pas allé vous chercher moi-même, comme j'en avais eu d'abord l'intention; mais nous sommes en plein remue-ménage. Merci, cher monsieur, merci d'avoir bien voulu accepter l'hospitalité que la comtesse d'Agghierra est heureuse de vous offrir.

- Heureuse et honorée, monsieur, ajouta la jeune femme.

Et elle présenta sa main mignonne à l'officier, qui la pressa quelque peu à la dragonne.

Le lendemain, les hôtes du Dolmen firent une visite à leurs amis des Korrigans.

Le comte d'Agghierra présenta Emmanuel Darcet.

- Pour ceux et celles d'entre vous qui ne connaissent pas encore M. Darcet, ajouta le comte, je m'empresse de dire que c'est un homme de cœur que nos amis et moi avons en grande estime.

Le lieutenant s'inclina.

- M. d'Agghierra a bien parlé, dit la comtesse de Rostang, en tendant sa main à l'officier. M. Darcet a droit à toute notre estime et à toute notre reconnaissance, et nous sommes heureux, mon fils et moi, de lui donner ce témoignage public de nos sentiments.

Gaston prit la main de Darcet et la serra avec beaucoup de courtoisie.

Marie restait coite. Le nom de Darcet lui rappelait un ami des mauvais jours; mais le jeune homme n'éveillait en elle aucune sympathie.

Darcet paraissait fort embarrassé. Cet accueil gracieux, bienveillant, affectueux même, qui lui était fait, le flattait, sans doute, mais le gênait singulièrement.

Il se sentait dans un milieu tout nouveau, et sans l'intimider positivement, tout ce monde aux grandes manières paralysait les intentions qu'il avait de répondre à ces témoignages flatteurs.

Il ne savait que s'incliner et balbutier. Ses regards allaient de l'un à l'autre.

Tout à coup, ils s'arrêtèrent brusquement sur Marie qui, placée en pleine lumière, était rayonnante de beauté.

Un éclair d'admiration brilla dans ses yeux.

La comtesse de Rostang, qui le surveillait, se mit à sourire.

- Puisque nous sommes aux présentations, dit-elle, permettez-moi, monsieur Darcet, de vous présenter Mlle Marie Maubert. Elle n'est pas une inconnue pour vous; mais après l'avoir vue enfant, vous la retrouvez jeune fille. La chrysalide est devenue papillon, le bouton est devenu fleur.

Emmanuel resta muet. Ce n'était pas seulement la transformation de Marie qui le stupéfiait, c'était sa présence au milieu de tout ce monde d'élite.

La sœur de Cista patronnée par la mère du comte de Rostang, cela le confondait.

La comtesse crut qu'il était ébloui.

Il l'était, en effet; mais, en même temps, il était surpris au delà de toute expression.

Son embarras était si grand et si visible que la comtesse d'Agghierra s'empressa de venir à son secours, en fournissant un autre sujet à la conversation.

Mme de Rostang était ravie, car elle croyait avoir remporté une première victoire.

La vérité était que l'effet de cette présentation avait été désastreux pour les projets de la vieille dame.

Marie avait été on ne peut plus désagréablement impressionnée.

D'abord, il lui avait fort déplu qu'on lui rappelât sa misère passée, en lui présentant cet ancien visiteur de la mansarde de la rue Mouffetard, qu'elle avait oublié.

Enfin le lieutenant, troupier fini, n'avait rien qui parlat en sa faveur auprès d'une jeune fille.

Trois ans passés en Afrique dans des lieux de garnison exclusivement militaires, dans les camps, sous la tente, sans autre compagnie que des soldats et des Arabes, lui avaient fait prendre, forcément et bon gré mal gré, des habitudes vulgaires.

C'est ce qui arrive parfois, même aux officiers qui ont reçu une excellente éducation.

La tournure de Darcet était hardie, mais sans élégance; il avait le geste brusque, la parole dure. Les marches forcées avaient imprimé à son corps un dandinement assez accentué.

Et ce n'était pas tout.

Outre qu'il s'exprimait gauchement, Emmanuel était devenu laid.

D'abord, il portait les cheveux taillés en brosse. Cela peut être très martial, mais pour une jeune fille ce n'est pas beau; et puis, - hélas ! -, il commençait à être chauve.

Son teint était basané par le soleil et une cicatrice honorable, mais pas belle du tout, lui coupait le visage, partant du front, au-dessus du nez, tranchant l'arcade sourcilière gauche pour venir zébrer la joue jusqu'au-dessous de l'oreille. L'œil n'était pas perdu, mais peu s'en fallait.

Le vaillant adjudant avait reçu cette blessure dans un combat corps à corps avec un Arabe; elle lui avait valu l'épaulette; mais si elle était un certificat de bravoure aux yeux des soldats, aux yeux des femmes elle était un repoussoir à l'amour.

Darcet ne se faisait pas illusion à ce sujet, et cela était certainement pour quelque chose dans sa timidité et sa gaucherie.

Malheureusement, Mme de Rostang oubliait ce qu'elle avait fait pour Marie Maubert; elle ne se rendait pas assez compte de la transformation que l'éducation, la vie du monde avaient opérée chez la jeune fille. Elle ne se souvenait plus de la nature singulièrement distinguée de la sœur aînée, que son fils avait adorée.

Elle ne voyait aucune distance entre Emmanuel Darcet et Marie Maubert.

Elle ne comparait que les origines.

Et, phénomène curieux qui prouve bien qu'en dépit de leurs protestations, les classes privilégiées subissent quand même l'influence de ce qu'on est convenu d'appeler les préjugés et que nous appellerons, nous, des affinités de race, la comtesse, qui trouvait Darcet digne de Marie, eût déclaré ridicule qu'il osât aimer Léonie de Rostang.

Elle n'admettait pas que Marie pût repousser le lieutenant, mais elle eût considéré comme un malheur que sa nièce aimât cet officier sans fortune, sans nom, dont l'avenir était forcément borné.

Elle agissait donc de bonne foi, étant absolument convaincue que ses projets étaient ceux d'un cœur généreux et qu'elle travaillait au bonheur de sa protégée comme à celui de Darcet.

Voilà, et nous avons cru devoir le bien définir, dans quelle situation d'esprit se trouvaient nos principaux personnages.

Marie et Régine s'étaient préparées pour une double chasse à courre et la comtesse de Rostang avait organisé une battue. La rabatteuse ne s'était pas montrée moins habile que les deux limières. Mais, de part et d'autre, on avait compté sans les incidents.

Le sanglier pouvait faire tête.

Le chevreuil et le faisan pouvaient échapper au tiré.
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Cependant l'oubli commençait à venir. Alors, se croyant guéri, le pauvre garçon avait conçu le projet louable de se faire une existence nouvelle par le travail salutaire des champs, par une activité incessante loin des bruits de la ville.

Et voilà que, pour son malheur, il se trouvait en présence d'une nouvelle Louise Maubert.

La secousse avait été rude, la commotion violente, et il lui avait fallu une force de volonté extraordinaire pour ne pas laisser voir ses impressions.

Hélas ! la blessure s'était rouverte !

Oh ! Il avait bien pris la résolution de combattre ce nouvel entraînement avec l'espoir d'être vainqueur; mais il sentait que la lutte le tuerait.

L'émotion du comte de Rostang n'avait pas échappé à Marie, si fugitive qu'elle eût été. De là, une recrudescence dans l'ambition de la jeune fille, qui voulait devenir comtesse de Rostang.

Gaston, disons-le, n'avait aucune pensée d'amour au cœur pour Marie; ce qu'elle lui avait fait éprouver tout d'abord ressemblait à de la répulsion; mais elle lui avait rappelé le passé, tout à coup, avec ses hontes, ses tortures, et de nouveau l'image terrible, le spectre de Cista lui était apparu.

Ah ! S'il avait pu découvrir ce qu'il y avait de perversité dans le cœur de Marie Maubert, comme il aurait fui avec épouvante ! Il serait aussitôt retourné dans sa retraite au risque d'y mourir de douleur et de désespoir.

Comme nous l'avons dit déjà, Marie Maubert n'était pas seule à rêver le titre de comtesse. Elle allait avoir à lutter contre Régine Parnell.

D'ailleurs, les quatre amies avaient chacune leur rêve : Marie et Régine pensaient au comte de Rostang et plus encore à sa fortune; Léonie se laissait aller doucement à son inclination pour d'Ormesson; Réginette, cœur candide, âme pure, trésor de loyauté, de dévouement, de chasteté, de franchise, Réginette sentait aussi son jeune cœur s'ouvrir aux douces émotions de l'amour.

Elle n'aimait pas encore, mais elle allait aimer.

Parmi les amis du comte d'Agghierra, elle en avait distingué un, M. de Civray, qu'on avait surnommé le Loyal.

C'était un garçon de vingt-huit ans, très bien fait de sa personne, réunissant la grâce à la noblesse, admirablement doué sous le rapport de l'intelligence. Rêveur, bon, modeste et plus gêné que fier de ses avantages.

On l'avait surnommé le Loyal parce que, en effet, il était loyal jusqu'à la niaiserie, et franc jusqu'à la maladresse. Artiste d'instinct, il voyait tout en rose. Crédule et insouciant, il ne prenait de la vie que les joies. Il aimait le plaisir, mais il avait horreur des vulgarités.

Regard plein de douceur, voix harmonieuse, sourire engageant, physionomie heureuse, il avait tout ce qui peut séduire et charmer.

Très enthousiaste, mais aussi très persévérant dans ses préférences et ses affections, c'était en un mot, un jeune homme du plus rare mérite, que le comte d'Agghierra avait en haute estime.

Sa fortune était médiocre, une vingtaine de mille francs de rente, mais il en usait si intelligemment qu'il passait pour riche.

Tel était M. de Civray, jeune avocat, très recherché dans le monde, vers lequel Réginette s'était tout de suite sentie attirée.

Ne se rendant pas bien compte de ce qu'elle éprouvait, Réginette était incapable de comprendre à quel danger elle s'exposait en se laissant aller à ce penchant naissant.

N'ayant guère plus de seize ans, Réginette allait à l'amour comme certaines fleurs se tournent quand même vers le soleil, sans songer si l'astre qu'elles contemplent ne les desséchera pas et ne leur donnera point la mort.
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Un sourire étrange apparaît sur ses lèvres et la chair de poule se propage le long de mon dos. Il est beau d’une manière brutale et extraterrestre. Mais certainement plus effrayant que tout le reste. Ses yeux noirs cachent des pièges et des barbelés, j’en suis sûre.
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[Elle] plissa les yeux pour chasser les larmes et cadenasser cette image dans le coffre de sa mémoire, fourrageant la terre de ses doigts sales et inquiets, comme si elle voulait s'ancrer dans le paillis humide du sol de la forêt.
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Si Impéria eût douté encore, la lettre du consul lui eût donné une certitude.

- Cette lettre n'est pas assez précise pour m'éclairer complètement, dit-elle; avant de me réjouir, il est utile que je voie celui que je crois être mon parent.

- Rien ne s'y oppose; vous pourrez même lui parler en tête-à-tête; il n'y a à cela aucun danger, ni pour lui ni pour vous. Je vais vous faire conduire près de lui, ajouta le docteur en agitant le cordon d'une sonnette.

- Je vous remercie de votre extrême obligeance, monsieur, reprit Impéria. Puis-je vous adresser encore une question ?

- Certainement, madame la baronne.

- N'y a-t-il plus aucun espoir de guérir ce malheureux ?

- Madame la baronne, nous devons espérer toujours.

- Ainsi vous pensez ?...

- Il faudrait pour cela réveiller ses souvenirs, déchirer le voile épais qui lui cache le passé, éclairer la nuit qui s'est faite autour de lui. Enfin, il faudrait qu'on lui rendît cette fille, son enfant sans doute, qu'il demande et appelle sans cesse; mais existe-t-elle encore ? A-t-elle jamais existé ?

Impéria tressaillit.

- Si l'Homme aux Fleurs, comme vous l'appelez, est le parent que je cherche, il avait une fille de cinq ans, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire; mais qu'est-elle devenue ? Dieu seul sait.

Un domestique parut.

- Vous allez conduire madame près de l'Homme aux Fleurs, lui dit le docteur.

Impéria se leva, tendit sa main au docteur et suivit le domestique.

Après avoir parcouru plusieurs allées du jardin, le domestique s'arrêta et, montrant à Impéria un homme à genoux devant un palmier nain, dont le feuillage s'étendait en parasol, il lui dit :

- Voilà notre malade.

- Merci, répondit Impéria.

Le domestique se retira discrètement.

Le fou semblait écouter attentivement un bruit lointain, et, d'une voix mélancolique, il murmurait :

- Néra ! Néra !

En entendant ce nom détesté, Impéria sentit un flot de sang monter à son cœur. Volontiers elle se fût précipitée vers le malheureux en lui criant :

- Moi aussi, je suis ta fille !

Mais avant de se montrer à lui, elle voulut voir son visage; elle se glissa doucement derrière des magnoliers, et, à travers les branches, elle attendit que le fou relevât la tête.

Comme il ne paraissait pas vouloir sortir de sa rêverie paternelle, la jalouse Impéria voulut essayer de faire vibrer dans ce cœur meurtri le souvenir des anciennes amours.

- Mathilde, Mathilde ! prononça-t-elle d'une voix douce et tendre.

Le fou ne changea pas de position, mais il y eut comme un frissonnement sur son corps.

Impéria recommença à l'épreuve.

- Mathilde, Mathilde Terrassin.

Cette fois, le fou éprouva une secousse plus violente et il releva brusquement la tête en disant :

- Néra ! Néra !

- Toujours elle, gronda sourdement Impéria, toujours elle !

Toutefois, en contemplant le malheureux, son front ridé, son regard éteint, ses joues creuses et pâlies, elle eut beaucoup de peine à maîtriser son émotion; néanmoins elle reconnaissait parfaitement les traits du jeune et beau cavalier dont elle avait le portrait entre les mains.

- Oui, c'est bien lui, se disait-elle, c'est bien le père de la Zitella... Il a ses yeux, sa bouche... Mais c'est aussi le mien... Ainsi, voilà mon père !

Elle interrogea son cœur pour savoir si un nouveau sentiment allait s'éveiller en elle. Son cœur resta muet.

- Et l'on parle de la voix du sang ! pensa-t-elle amèrement.

Pendant ce temps, le fou, l'oreille tendue, plongeait devant lui son regard inquiet.

Impéria, devinant l'effet produit par ses paroles, souriait cruellement. Elle résolut de provoquer une explosion décisive. D'une voix claire, vibrante et presque menaçante, elle cria :

- Néra de Varandez !

Le fou se dressa sur ses jambes tout d'une pièce et porta ses mains à son front, comme quelqu'un qui cherche à se rendre compte d'une impression extraordinaire.

- Néra de Varandez ! Néra de Varandez ! répéta-t-il d'un ton interrogateur.

- Ah ! Comme ce nom maudit l'émeut ! s'écria Impéria.

Et, s'avançant brusquement, elle se plaça devant le marquis, la main tendue, la bouche souriante.

- Monsieur le marquis de Varandez, lui dit-elle, je suis Mathilde Terrassin.

À l'appel de son nom et de son titre, le regard du malheureux parut s'animer et devint brillant; avec un mouvement superbe, il se drapa dans la houppelande qui l'enveloppait.

Puis, d'une voix pleine de fierté, il prononça ces mots :

- Yo contra todos !

"C'est la devise des Varandez", se dit Impéria; "elle se trouve gravée au bas de son portrait; mais c'est de ma mère, c'est de moi qu'il faut qu'il se souvienne" :

- Monsieur le marquis de Varandez, reprit-elle en s'approchant tout près de lui, regardez-moi... Je suis la fille de Malthilde Terrassin... Votre fille, entendez-vous !... votre fille !...

- Ma fille, c'est Néra, Néra de Varandez, répondit-il en détournant la tête.

Impéria lui saisit le bras.

- Mais je suis aussi votre fille ! exclama-t-elle avec la colère de la jalousie.

- Non, non, fit-il, ma fille, c'est Néra, Néra de Varandez !

Et il répéta avec l'exaltation de la tendresse :

- Néra ! Néra !

- Ah ! Le misérable ! hurla Impéria, ma mère est morte pour lui et il ne se souvient pas même de son nom ! Regarde-moi donc, vieillard stupide !continua-t-elle en le secouant violemment. Je suis ta fille, la fille de Mathilde...

Et par trois fois, avec colère, elle répéta :

- Mathilde ! Mathilde ! Mathilde !

Le fou regarda Impéria avec une sorte de terreur, puis, secouant la tête :

- Ma fille se nomme Néra, dit-il, je l'attends.

- Ah ! Tu l'attends, ta fille, ta Néra ! fit Impéria d'une voix sourde.

- Elle est jolie, bien jolie, ma Néra adorée; elle me ressemblait autrefois. Vous l'avez vue, vous la connaissez... Où est-elle ? Dites-le moi.

- Ah ! Tu veux savoir où elle est, ta Néra ? fit Impéria en grinçant les dents.

- Néra, ma bien-aimée Néra ! murmura le pauvre insensé.

- Eh bien, ta Néra est perdue pour toi !

Il fit un mouvement brusque en arrière en ouvrant de grands yeux effarés.

- Oui, reprit Impéria, ta Néra est perdue, tu ne la reverras jamais !

- Jamais ! répéta-t-il.

- Et c'est moi, comprends-tu ? C'est moi, ton autre fille, qui hériterai de ton nom, de ta fortune.

- Mon nom, ma fortune, répéta encore le marquis, qui commençait à percevoir le sens des mots pleins de violence qu'il entendait.

- Oui, tout, tout sera pour moi, la fille de Mathilde.

- La fille de Mathilde, murmura le vieillard en pressant sa tête dans ses mains.

- Oui, oui, poursuivit Impéria, qui prenait plaisir à tourmenter le malheureux, toute ta fortune me reviendra, car ta Néra...

- Ma Néra !

- Elle est morte ! lui cria-t-elle avec rage.

Une flamme soudaine s'alluma dans les yeux du marquis.

Sa haute taille se redressa; puis, repoussant Impéria :

- Vous mentez ! lui dit-il d'une voix forte; vous mentez !... Néra n'est pas morte; ce matin j'ai entendu sa voix, je l'ai bien reconnue, sa voix chérie... Elle m'a dit qu'elle allait venir, je l'attends.

- Je te dis qu'elle est morte et que tu ne la reverras jamais ! répliqua Impéria avec emportement.

- Vous êtes une méchante femme, reprit le marquis. Allez vous-en ! Allez vous-en, ma fille va venir !

Et, l'œil étincelant, les narines dilatées, le bras en avant, il marcha droit à Impéria, qui recula effrayée.

- Oh, oh ! murmura-t-elle d'une voix effrayée, est-ce qu'il va retrouver la raison ?

- Mais va-t'en donc ! disait le marquis en avançant toujours, menaçant et terrible.

La peur s'empara tout à fait d'Impéria, elle poussa un cri rauque et s'enfuit affolée à travers les massifs et les allées du jardin.
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Nous avons tué un homme. Même si c'était en légitime défense et que l'homme en question est un monstre, un vrai connard qui voulait me faire la même chose.

À cause de nous, quelqu'un a perdu la vie. C'est incomprehensible. Igor qui, il y a quelques minutes, respirait, puait la transpiration et me frappait la tête contre le sol comme un psychopathe, est ratatiné dans une brouette sous un plaid à carreaux.
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En nulle autre ville, la vie des gens de plaisir n'est moins stable qu'à Paris. La mobilité, l'inconstance semblent appartenir de droit à la population parisienne, essentiellement capricieuse.

Ceux qui ont été inséparables pendant une saison entière, ceux même qu'une vieille camaraderie semblait unir plus solidement se trouvent séparés brusquement et cessent tout à coup de se voir.

L'un est allé vers l'Orient, l'autre vers l'Occident.

La veille, ils s'étaient quittés en se serrant la main et en se disant : " Au revoir ! À demain !".

Ils ne se revoient plus.

Une circonstance insignifiante peut amener ces ruptures qui ne laissent souvent derrière elles ni vide, ni regrets. Pour cela, il suffit d'un pas fait à gauche au lieu d'avoir été fait à droite, de la rencontre d'une femme, d'une montre qui avance ou retarde, d'une invitation imprévue...

Puis un matin, on apprend par un étranger que l'ex-ami intime est marié, ou qu'il est mort, ou qu'il arrive des îles Marquises, ou, - c'est la chose la plus grave de toutes -, qu'il est ruiné.

Ruiné !... À Paris, quel mot affreux !

Pour l'homme ruiné, tout est brisé, tout s'est écroulé autour de lui. C'est horrible !

Pauvreté n'est pas vice, soit; mais la ruine, c'est la honte !

On pleure un mort.

On plaint ou on méprise un criminel.

Un ruiné, on l'abandonne, et on l'oublie.

Qui est-ce qui a connu un ruiné ?

Personne.

En apprenant un de ces événements, les meilleurs disent :

- Tiens ! Pauvre garçon ! Qui se serait attendu à cela ?

Et tout est dit. On a prononcé l'oraison funèbre du bonheur et de l'amitié.

À côté des incidents vulgaires qui amènent ces séparations, il en est d'autres plus sérieux, qui élèvent entre les amis de la veille comme une barrière infranchissable.

Parfois, cette barrière se construit lentement, comme le monticule de sable qui s'est amassé grain par grain.

Or, bien qu'il ne fût ni parti ni marié, ni même ruiné, Gaston de Rostang avait vu s'éloigner de lui tous ses amis d'autrefois.

Le comte de Rostang dont on cherchait naguère les invitations, dont on sollicitait l'amitié, à cause de son nom, de sa grande fortune, de ses hautes relations, dont on enviait la destinée, qu'on citait comme un garçon privilégié entre tous, en passe d'arriver aux plus hautes fonctions; le comte de Rostang était tombé, presque, dans le mépris des gens du monde.

On ne le fuyait pas encore, mais déjà on ne le désirait plus.

Que s'était-il passé ?

Une chose bien triste.

La justice de Dieu avait frappé ce sceptique, cet homme qui ne croyait à rien.

Une femme le châtiait de son orgueil et de sa dépravation.

Cette femme, c'était Cista.

Il avait voulu perdre et déshonorer la jeune fille; celle-ci l'avait perdu et était en train de le déshonorer.

La victime devenait le bourreau. Elle lui infligeait la peine du talion dans toute sa rigueur.

Après le triomphe de Cista à l'Opéra, l'orgueil de Gaston grandit encore de toute la force de sa passion toujours croissante.

Sa rupture avec Impéria, une rupture à la Richelieu, lui avait attiré des flatteries dont il s'était grisé; il s'enivra complètement des compliments que lui valut l'incomparable beauté de Cista.

Dès lors, sa prodigalité ne connut plus de bornes. Cista eût pu faire envie à la favorite d'un roi ! En quelques semaines, son luxe dépassa celui des plus célèbres courtisanes.

Dans ses rêves d'ambition, dans ses désirs malsains, l'ancienne ouvrière de la rue Mouffetard avait entrevu bien des splendeurs; mais son imagination était restée bien au-dessous de ce que lui donnait la réalité.

Gaston la faisait plus enviée que toutes les femmes à qui elle avait elle-même porté envie.

Lui en était-elle reconnaissante ?

Son antipathie pour le jeune homme se changeait en aversion, devenait presque du dégoût. Le remords était-il déjà entré dans son cœur ? On ne saurait le dire. Mais elle sentait en elle comme le besoin d'aimer et de connaître l'amour vrai. Malheureusement, elle ne pouvait guère s'illusionner; elle comprenait qu'elle était à jamais perdue pour l'amour honnête.

Elle se voyait chassée de ce paradis et ne pardonnait pas à Gaston d'être le démon qui lui en avait fait interdire l'entrée.

Telle était la principale cause de son aversion pour le jeune homme.

Mais la haine n'est une jouissance qu'autant qu'elle peut s'associer la vengeance. Et Cista voulut punir de sa faute celui qui la lui avait fait commettre. Pour elle, il n'y avait qu'un coupable : Gaston.

Elle n'était pas dans le vrai, sans doute; mais cette morale toute de paradoxes date de la première femme, et toutes l'admettent volontiers.

Pour s'absoudre, Cista condamnait le comte de Rostang.
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— Il faut du courage pour dire adieu. Pour regarder franchement ce que l'on a perdu, ce qui est parti pour toujours. Il y a des larmes de fer forgé.
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Ce fut vers 1663 aussi que les deux explorateurs les plus notoires, Pierre-Esprit Radisson et son beau-frère, Ménard Chouart des Groseillers, atteignirent la Baie d’Hudson par la voie des grands lacs. Ils ont laissé des relations étendues de leurs nombreux voyages. En 1659, ils parvinrent jusqu'au Mississipi et jusqu’au pied des Rocheuses. En 1663, ils étaient aux environs du lac Winnipeg, de la rivière Hayes et de la Baie James. En 1659, ils avaient voyagé en compagnie de deux missionnaires, une trentaine de Français et près de 150 Indiens qui revenaient au pays d'En Haut. Il est permis de supposer que nombre de ceux qui accompagnèrent les explorateurs résistèrent mal à la tentation de s’identifier avec les naturels et d’adopter leur mode de vie. Quoi qu’il en soit, Radisson et Groseillers parcoururent ces parages pendant sept ans, jusqu’à 1670, date où, avec leur coopération, le Prince Rupert, cousin de Charles II d’Angleterre, fonda la Compagnie de la Baie d’Hudson.
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