Charles d'Orléans (1395-1465), petit-fils, neveu, cousin et père de rois de France (rien que ça !), n'a pas eu de chance. Il est resté prisonnier des Anglais pendant 25 ans. Pendant cette captivité, il a écrit 123 ballades; on sait qu'une ballade est composée de trois couplets et généralement d'une demi-strophe appelée envoi, chaque strophe étant terminée par un vers refrain. Charles d'Orléans a aussi composé de nombreux rondeaux: un rondeau est composé de 13 vers et construit sur deux rimes, avec des répétitions obligées. On sait combien il est difficile d'apprécier les textes originaux datant du Moyen-Age. Heureusement, l'édition dont je dispose met face à face le texte ancien (à gauche) et sa traduction en français moderne (à droite).
Il n'était pas question pour moi de lire intégralement ce recueil, qui est long. Je me suis contenté de "picorer", de ci de là, quelques poésies, notamment parmi les ballades. Une fois surmontée la difficulté de la langue et de l'orthographe, j'ai été souvent agréablement surpris par la fraîcheur et par la simplicité de ces poèmes. Je mets en citation le rondeau « Yver vous n'estes qu'un villain », dont la délicate naïveté m'a charmé. Et j’aime aussi d’autres textes, notamment la plus célèbre poésie de Charles d’Orléans, intitulée « Le printemps », déjà mise en citation par un autre lecteur.
P. S. J'ai observé que l'orthographe ancienne révèle assez clairement l'étymologie des mots utilisés dans notre français moderne.
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Je meurs de soif en couste la fontaine ;
Tremblant de froit ou feu des amoureux ;
Aveugle suis, et si les autres maine ;
Povre de sens, entre saichans l'un d'eulx ;
Trop negligent, en vain souvent songneux ;
C'est de mon fait une chose faiee,
En bien et mal par Fortune menee.
Je gaingne temps, et pers mainte sepmaine ;
Je joue et ris, quant me sens douloreux ;
Desplaisance j'ay d'esperance plaine ;
J'atens bon eur en regret engoisseux ;
Rien ne me plaist, et si suis desireux ;
Je m'esjoïs, et cource a ma pensee,
En bien et mal par Fortune menee.
Je parle trop, et me tais a grant paine ;
Je m'esbays, et si suis couraigeux ;
Tristesse tient mon confort en demaine ;
Faillir ne puis, au mains a l'un des deulx ;
Bonne chiere je faiz quant je me deulx ;
Maladie m'est en santé donnee,
En bien et mal par Fortune menee.
Prince, je dy que mon fait maleureux
Et mon prouffit aussi avantageux,
Sur ung hasart j'asserray quelque annee,
En bien et mal par Fortune menee.
En la forest d'Ennuyeuse Tristesse,
Un jour m'avint qu'a par moy cheminoye,
Si rencontray l'Amoureuse Deesse
Qui m'appella, demandant ou j'aloye.
Je respondy que, par Fortune, estoye
Mis en exil en ce bois, long temps a,
Et qu'a bon droit appeller me povoye
L'omme esgaré qui ne scet ou il va.
En sousriant, par sa tresgrant humblesse,
Me respondy : " Amy, se je savoye
Pourquoy tu es mis en ceste destresse,
A mon povair voulentiers t'ayderoye ;
Car, ja pieça, je mis ton cueur en voye
De tout plaisir, ne sçay qui l'en osta ;
Or me desplaist qu'a present je te voye
L'omme esgaré qui ne scet ou il va.
- Helas ! dis je, souverainne Princesse,
Mon fait savés, pourquoy le vous diroye ?
Cest par la Mort qui fait a tous rudesse,
Qui m'a tollu celle que tant amoye,
En qui estoit tout l'espoir que j'avoye,
Qui me guidoit, si bien m'acompaigna
En son vivant, que point ne me trouvoye
L'omme esgaré qui ne scet ou il va. "
ENVOI
Aveugle suy, ne sçay ou aler doye ;
De mon baston, affin que ne fervoye,
Je vois tastant mon chemin ça et la ;
C'est grant pitié qu'il couvient que je soye
L'omme esgaré qui ne scet ou il va.
Pourquoy m'as tu vendu, Jeunesse,
A grant marchié, comme pour rien,
Es mains de ma dame Viellesse
Qui ne me fait gueres de bien ?
A elle peu tenu me tien,
Mais il convient que je l'endure,
Puis que c'est le cours de nature.
Son hostel de noir de tristesse
Est tandu. Quant dedans je vien,
J'y voy l'istoire de Destresse
Qui me fait changer mon maintien,
Quant la ly et maint mal soustien :
Espargnee n'est créature,
Puis que c'est le cours de nature.
Prenant en gré ceste rudesse,
Le mal d'aultruy compare au myen.
Lors me tance dame Sagesse ;
Adoncques en moy je revien
Et croy de tout le conseil sien
Qui est en ce plain de droiture,
Puis que c'est le cours de nature.
Prince, dire ne saroye conbien
Dedans mon coeur mal je retien,
Serré d'une vielle sainture,
Puis que c'est le cours de nature.
Le Printemps
Le temps a laissé son manteau
De vent, de froidure et de pluie,
Et s'est vêtu de broderie,
De soleil luisant clair et beau.
Il n'y a bête ni oiseau
Qu'en son jargon ne chante ou crie.
Le temps a laissé son manteau
De vent, de froidure et de pluie.
Rivière, fontaine et ruisseau
Portent en livrée jolie
Gouttes d'argent d'orfèvrerie.
Chacun s'habille de nouveau,
Le temps a laissé son manteau.
En la forest d'Ennuyeuse Tristesse,
Un jour m'avint qu'a par moy cheminoye,
Si rencontray l'Amoureuse Deesse
Qui m'appella, demandant ou j'aloye.
Je respondy que, par Fortune, estoye
Mis en exil en ce bois, long temps a,
Et qu'a bon droit appeller me povoye
L'omme esgaré qui ne scet ou il va.
En sousriant, par sa tresgrant humblesse,
Me respondy : " Amy, se je savoye
Pourquoy tu es mis en ceste destresse,
A mon povair voulentiers t'ayderoye ;
Car, ja pieça, je mis ton cueur en voye
De tout plaisir, ne sçay qui l'en osta ;
Or me desplaist qu'a present je te voye
L'omme esgaré qui ne scet ou il va.
- Helas ! dis je, souverainne Princesse,
Mon fait savés, pourquoy le vous diroye ?
Cest par la Mort qui fait a tous rudesse,
Qui m'a tollu celle que tant amoye,
En qui estoit tout l'espoir que j'avoye,
Qui me guidoit, si bien m'acompaigna
En son vivant, que point ne me trouvoye
L'omme esgaré qui ne scet ou il va. "
Aveugle suy, ne sçay ou aler doye ;
De mon baston, affin que ne fervoye,
Je vois tastant mon chemin ça et la ;
C'est grant pitié qu'il couvient que je soye
L'omme esgaré qui ne scet ou il va.
Poésie - Rondeau du printemps - René Charles d’Orléans