L'auteure est devenue brusquement célèbre par une étonnante confession astucieusement intitulée "La vie sexuelle de Catherine M…" En réalité, ce premier livre m'avait semblé plus fastidieux que croustillant. Paru sept ans après, "Jour de souffrance" a attiré mon attention. En commençant ma lecture, j'avais envie de ricaner devant cette « arroseuse arrosée ». Mais, au fil de longues pages, j'ai changé de point de vue. D'abord, ce livre ne se lit pas facilement; il est si minutieux qu'on s'en lasse. Catherine Millet entre dans les détails d'une phase de jalousie aigüe; celle-ci a été déclenchée par la découverte que son mari Jacques Henric la trompait avec d'autres. Les habituels vagabondages oniriques - qui, dans d'autres circonstances, avaient excité la « versatilité sexuelle » de la narratrice - la poussent maintenant à fantasmer sur les infidélités de Jacques, bouleversant très sérieusement sa vie.
Comme devant son précédent opus, je suis étonné par l'impudeur et le narcissisme de l'auteure. Je m'interroge. Sa confession relève-t-elle de la littérature ou de la psychologie ? Est-elle inspirée par une courageuse lucidité ou par un tropisme exhibitionniste ? Cette longue introspection peut-elle apporter quelque chose au lecteur ? Je ne sais pas trop répondre à ces questions ! En tout cas, ce livre a au moins un mérite. En effet, quand il est mis en parallèle avec "La vie sexuelle de Catherine M…", il montre deux aspects contradictoires de l'amour physique. On peut se permettre de baiser à droite et à gauche, en cédant à toutes ses pulsions sans sentiment de culpabilité; mais en définitive ces pratiques n'exonèrent absolument pas du sentiment de jalousie envers un partenaire infidèle. On se croyait très "libéré" et on découvre qu'on réagit à peu près comme un quelconque petit-bourgeois ! La nature humaine est complexe. C'est peut-être ça, la leçon qui a été durement apprise par Catherine M...
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Que dire ..... Chacun peut si il reste dans les limites de la bienséance éditer ce qu'il souhaite . Que cela soit une thérapie , pourquoi pas ?? Sauf qu'a un moment au lieu d'éditer un livre il vaut mieux aller voir un psychologue au lieu d'inciter les autres à le faire ..... En un mot : désespérant .
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[Incipit.]
Si l'on ne croit pas à la prédestination, alors, il faut admettre que les circonstances d'une rencontre, que par facilité nous attribuons au hasard, sont en fait le résultat d'une incalculable suite de décisions, prises à chaque carrefour dans notre vie, et qui nous ont secrètement orientés vers elle. Ce n'est pas que nous ayons recherché ni même souhaité, serait-ce du fond de notre inconscient, toutes nos rencontres, même les plus importantes. Plutôt, chacun d'entre nous agit à la façon d'un artiste ou d'un écrivain qui construit son oeuvre dans une succession de choix ; un geste ou un mot ne détermine pas inéluctablement le geste ou le mot qui suit, mais place au contraire son auteur devant un nouveau choix. Un peintre qui a posé une touche de rouge peut choisir de l'éteindre en lui juxtaposant une touche de violet ; il peut choisir de la faire vibrer par une touche de vert. Au bout du compte, il aura beau s'être mis au travail avec quelque idée de son tableau achevé en tête, la somme de toutes les décisions qu'il aura prises, sans les avoir toutes prévues, fera apparaître un autre résultat. Ainsi nous conduisons notre vie par un enchaînement d'actes bien plus délibérés que nous ne sommes prêts à l'admettre - parce qu'en assumer clairement toute la responsabilité serait un fardeau trop lourd -, et qui pourtant nous mettent sur le chemin de personnes vers qui nous ne pensons pas nous être dirigés depuis si longtemps.
Il est alors troublant de constater que ces émotions contraires et complexes affectent pareillement l'intérieur de notre ventre [...] On pourrait dire que nos intestins travaillent selon des logiciels primaires qui ne savent pas reconnaître les programmes nouveaux et sophistiqués émis par notre cerveau et les traduisent en un agrégat de signes élémentaires [...] Pendant longtemps, je ne donnais pas une conférence sans que le trac ne me fît faire un détour obligé par les toilettes quelques minutes auparavant. Or, un drame sans commune mesure comme la disparition d'un être proche et que j'aimais a pu agir de la même façon sur mes intestins peu après qu'on me l'eut annoncée. Faut-il avoir honte de notre corps qui ignore la hiérarchie des émotions établies par notre être pensant, et qui les broie toutes indistinctement ? Faut-il au contraire se féliciter que, dédaignant les valeurs morales, sentimentales et même intellectuelles qui ont fini par s'imposer à ces émotions, notre corps nous rappelle à la sagesse, c'est-à-dire à la juste dimension de notre nature qui entraînera dans sa corruption toutes ces valeurs ?
Les plaisirs sont ressentis comme les plus intenses, les douleurs comme les plus profondes lorsqu'ils mobilisent le plus de canaux émotifs, qu'ils drainent une quantité incalculable de souvenirs heureux ou malheureux, d’espérances réalisées ou brisées.
Les liaisons cachées favorisent les trames romanesques. Le secret libère la fantaisie, et les amants compensent le peu de temps qu'ils passent ensemble par une complication des situations qui les convainc de l'intensité de leur lien
On "entre" dans un livre, qui est bien un objet en trois dimensions, mais pour y rencontrer la quatrième dimension du temps dès qu'on en tourne les pages. Satisfaction d'en tenir rapidement dans la main gauche une partie plus épaisse, plus sombre de l'accumulation de toutes les lettres imprimées, obscurité de l'espace déjà parcouru qui est le passé vers lequel on se retourne.
Catherine Millet présentait son roman "Commencements" le 7 octobre 2022 à La Galerne.