Avec cette étude d'archives absolument impressionnante d'envergure et par l'exubérance des détails, Phil Casoar livre la biographie la plus exhaustive possible d'un personnage qui fit l'objet de la page de faits divers de la presse régionale (Isère) et en partie nationale française durant une grande partie des années 30, puis, sous un pseudonyme dissimulant à peine son identité, d'un personnage qui devint un héros de roman d'un auteur à succès italien dans les années 40 (Salvator Gotta, cf. cit. 4). Qui était donc Raoul Saccorotti,
l'Arsène Lupin des galetas ? Certains pans du mystère demeurent : grâce notamment à son art consommé de la dissimulation, à son charme, son élégance et son éloquence bien sûr (cf. cit. 2), à une vie très aventureuse dans plusieurs pays, ponctuée de divers mariages et de nombreux séjours en détention, et très certainement grâce à une intelligence et à une culture d'autodidacte hors pairs. Un cambrioleur dans sa jeunesse, certes, mais toujours mâtiné d'une veine d'anarchisme sensible à la lutte politique, dont l'expropriation afin de redistribution sociale faisait sans doute partie... Déjà ses petits larcins et fraudes menues à l'époque de son service militaire en Italie peuvent se comprendre comme des actes d'insubordination à l'autorité, surtout dans le contexte de l'accession au pouvoir du fascisme ; son émigration en France en 1930 et son installation se sont faites en effet dans l'environnement des « fuorusciti », les antifascistes italiens exilés (mêlés à tous les agents infiltrés par le régime !), avant que son cercle d'amis, camarades et complices clandestins ne s'élargisse aux Républicains de la guerre civile espagnole, surtout les anarchistes persécutés par les staliniens... Double vie dans une famille bourgeoise de Grenoble, capture rocambolesque, cavale cinématographique, procès pour vol mais soupçon de contrebande d'armes... expulsion de France, et aussitôt le « confino », la relégation en Italie, car le régime fasciste, à son insu, n'avait cessé de tenir à jour un dossier à sa charge... Libération le lendemain du 8 septembre 1943, intégration dans le milieu bobo de Portofino jusqu'à la fin de la guerre, parenté par acquisition avec une famille aristocratique d'exilés Russes-blancs déchus, activité probable de contre-espionnage durant la Guerre froide...
Par la biographie de cet homme haut en couleur, nous explorons mine de rien trois décennies d'Histoire de l'Europe – à travers la France, l'Espagne, l'Italie – par tout ce que celle-ci a de clandestin et d'interlope : trafics liés à la guerre civile espagnole, puis à la Résistance durant l'Occupation en France et en Italie, complicités inattendues et encore largement inconnues entre un certain milieu d'affaires et de finance mafieux italien (affaires Calvi-Sindona, P2, Gladio...), la CIA, les complots d'extrême droite italienne en vue de contrecarrer le « Compromis historique » entre la Démocratie chrétienne et le PCI, en passant par des trafics avec... l'Union soviétique et ses « démocraties populaires » ! Au centre de tout cet imbroglio, un homme aussi mystérieux qu'insaisissable.
Toutefois, le problème fondamental de cette recherche de plus d'un décennie, c'est la centaine de personnages secondaires dont on suit la trace par-delà ses points d'intersection avec parcours du héros : un index des noms eût été absolument indispensable. Malgré le style toujours alerte et la savante typographie qui distingue entre les types de textes utilisés, la lecture ne peut être que sélective, parfois pesante, et la masse d'informations ne saurait être enregistrée toujours avec la même précision.