Derrière son style souvent drôle et son humour ironique, ce roman désabusé est un constat tragique de l'échec de l'action collective, de son incapacité à transformer le monde, tout du moins quand elle ne résulte pas de la mise en branle d'une force étatique.
Révélateur à ce titre est l'évolution du roman : le narrateur entame son livre en utilisant le plus souvent le ‘nous' pluriel avant de passer à un ‘je' plus singulier.
En parfait pied nickelé de l'agitation révolutionnaire, le héros narrateur navigue d'escarmouches insignifiantes en fiascos pathétiques. Il côtoie l'Histoire (mai 68 et les années qui ont suivi, la révolution des oeillets au Portugal, la fin de la colonisation en Afrique, l'Irlande du Nord, la guerre en ex-Yougoslavie) mais la
traverse sans y jouer le moindre rôle n'y laisser aucune trace. Pas de rôle d'acteur mais un rôle de piètre figurant qui a passé plus de temps en coulisses qu'au fond de la scène.
Au-delà du rôle individuel du narrateur, très limité malgré ses nombreuses déambulations, l'échec est surtout collectif. le roman de
Jean Rolin est une version tragi-comique de la fin des idéologies. Tout dans ce roman, depuis les activités militantes des maoïstes jusqu'à la marche pour la paix en Croatie, montre que les grandes idées mènent à des actions absurdes et stériles.
Ce que montre aussi le roman c'est que l'être humain a malgré cela un penchant pour l'action en groupe, ‘si flous que soient ses contours et si ambigus ses desseins' pour reprendre les termes de Rolin. Au travers du parcours du personnage principal se dessine les motivations d'une appartenance à une organisation. Ce n'est pas vraiment l'attachement à la Vérité mais, toute illusion mise de côté, ce sont bien davantage la camaraderie, le besoin de séduction, le besoin de se sentir utile et important, le goût de l'aventure aussi absurde soit-elle, ou encore le constat pragmatique que le groupe est le moyen le plus rapide d'atteindre des objectifs même s'ils sont inavouables, lorsqu'il s'agit de s'approvisionner en drogue par exemple.
De façon assez surprenante, en envoyant le narrateur en cure de désintoxication dans une institution catholique, un parallèle est dressé entre une organisation politique et une organisation religieuse. Mais cette dernière se révèle finalement beaucoup moins ambitieuse dans ses objectifs. le frère Marc est sans illusion sur sa capacité à sauver le monde et les brebis égarées. Il ne cherche pas à changer le monde mais au mieux à en atténuer les malheurs pour une courte période.