La conjecture des hirondelles, tome 3

Ces textes sont assemblés avec une étonnante originalité. Les personnages ont une sacré épaisseur, le romanesque et la fiction explosent jusqu'aux billets de train, qu'il faut acheter selon une logique de baudet ( franc comme un âne qui recule ! ),

Par la lecture des deux premiers livres, nous avons appris à vivre à la Russe. Tout est comme cela, puis tout se figera un jour dans le froid sibérien. Les hommes et les femmes font semblant de savoir ou aimeraient pouvoir.

Cet art du faire semblant, du déguisement, de l'oubli, qui amuse et séduit les étrangers, devient une façon de vivre, celle de la Russie, un état fermé et cloisonné, en retard de plusieurs décennies mais sagement installé depuis si longtemps dans un régime totalitaire immuable.

Pour un français cet univers aux habitudes désuètes, est un mystère et plus encore pour un Philippe Tesson, la quintessence de la résignation. Leur espace de liberté est ailleurs... Où ?

Poser cette invitation au voyage, pour ne pas user du terme de désobéissance, est dans un état comme la Russie une fissure qui pourrait être bientôt apte à engendrer de vrais bouleversements. Pour le moment ça tient, et certains se sont offert des espaces de liberté, mais comment ?

La conjecture des hirondelles, comme toutes les conjectures mathématiques invite à imaginer un futur bienveillant et stimulant. L'univers des mathématiques est bien un domaine ludique, où jouer est non seulement une réalité, mais une discipline indispensable qui ouvre un champ infini à la liberté et à l'imagination. Une aubaine pour une élite oser et jongler avec des inconnues

Les familles de nos deux Ukrainiens , deux héros malgré eux, partent à la dérive car les graves ennuis se propagent , sans aucune éclaircie.

Nous sommes le 8 avril 1962, et le défi appelé La conjecture des hirondelles , piétine ! le Roman semble t-il n'avance plus lui aussi. Certes Thierry Lefebvre, nous confirma avec élégance que le congrès de Mathématique de Stockholm, déroulait son scénario dans l'espace et dans le temps, comme prévu.

Il faut l'avouer, le centre informatique Russe des années 60 est obsolète et les déboires s'accumulent dans l'entourage de Vladimir, l'informaticien. Les concurrents de la Russie sont en avance et leurs simulations les portent au delà des 20 millions selon les bruits que Ugo l'espion aux multiples casquettes retire de ses vacances à Hambourg. .

Vladimir d'ajouter à Alexie, Qu'est ce que tu diras à Stockholm ?

Les lacunes du Strela, et les dures conditions de vie de la famille d'Alexie, brouillent encore un peu plus la lisibilité sur le futur de nos héros. Les promesses s'évaporent comme les espoirs de plus de liberté, on lui refuse de revoir sa mère malade aux vacances de Pâques.

La lumière viendra t-elle de la soeur d'Alexie, Anouchka ? Pourra t-elle échapper à cette vie de simple ouvrière agricole, et réaliser le fol espoir de s'arracher à ce kolkhoze. Ses qualités intellectuelles pouvaient lui dessiner une vie universitaire, dans les sciences ou comme son frère par les mathématiques.


Dépositaire malgré elle des données sur La conjecture des hirondelles, que son frère lui détaillait en livrant ses doutes et ses craintes, Anouchka s'en amusa et sans vraiment y croire, finalisa un ensemble de réflexions bien confuses pour elle.

Les feuillets et les remarques retrouvées dans son sac plongèrent Alexie dans un état de perplexité comme si sa propre soeur avait recopié un traité de mathématique.

le roman semble alors échapper à son auteur, sommes nous proche de son dénouement ? le défi mathématique sur lequel le lecteur cherche à découvrir la solution va t-il enfin suivre une insaisissable logique comme un défi à l'aveuglement du Kremlin.

Thierry Lefebvre, suivra dans ce numéro 3 l'intrigue la plus inattendue, comme s'il avait perdu le fil de l'histoire.
Après avoir déroulé la machine robotisée de l'administration soviétique, il fallait bien faire dérailler le train uniformisé de l'université l'URAP.

Ce que l'auteur a voulu peut être démontrer ou suggérer c'est le paradoxe de la vie. Ceux qui cherchent à s'élever au dépend des autres risquent de s'enliser.. Ceux qui développent leurs capacités sans se plier à la bureaucratie auront une chance de s'épanouir.

Au final le 3èm e livret de la conjecture révèle les clés de la vraie vie, celle que nous cherchons souvent en aveugle.. L'intrigue se cache dans ces petits riens, et ces petits riens sont plus puissants que tous les KGB et que tous les autres gardiens des temples artificiels.

Arrivé au bout de la petite trilogie des hirondelles, qui migrent, s'en vont et reviennent...
Je suis bien content d'avoir résisté à la tentation d'aller chercher avant la fin la solution de l'énigme mathématique qui a suscité l'essentiel de mon intérêt pour ce roman sentimental et historique.
Les gens qui lisent cette critique ont eux-aussi lu les trois tomes ou, s'ils ne l'ont pas fait, doivent passer leur chemin.
Car la conjecture de Syracuse... n'a pas encore trouvé de solution ...
Paul Erdos, mathématicien hongrois spécialiste de la théorie des graphes, de la théorie des nombres, de combinatoire disait de cette conjecture : «les mathématiques ne sont pas encore prêtes pour de tels problèmes».
Alors ce n'est pas avec la pauvre Strela de l'université de Moscou que nos héros mathématiciens pouvaient espérer décrocher le saint Graal démontrant la supériorité des mathématiques soviétiques sur le monde capitaliste !
La page de l'encyclopédie en ligne offre une description assez détaillée des approches (suites, approche binaire, approche calculatoire) dont certaines sont suggérées dans le roman, notamment par son côté féministe moderne.
Pour le reste, c'est à dire la double histoire d'amour, j'avoue être moins sensible aux pérégrinations de ces soviétiques dissidents ou exilés. Ici, petite nouveauté dans l'air du temps, l'accent est mis sur le côté Ukrainien des gentilles victimes du régime. Car bien sûr les héros sont animés par les meilleurs sentiments du monde, contrairement aux apparatchiks qui sont veules et arrivistes.
L'aspect surveillance est bien mis en lumière, et il est amusant de songer qu'aujourd'hui, cette même surveillance est devenue invisible (via les moyens de communication), et surtout généralisée à l'ensemble des pays du monde, le notre compris.
Pour l'écriture, je me suis bien retrouvé dans un vocabulaire et dans des tournures de phrase en adéquation avec le lieu et l'époque.
La société décrite et le vocabulaire pour le faire sont parfaitement coordonnés, donnant un vrai plaisir de lecture.
Je conseille fortement à tout amateur de problème mathématique et de saga sentimentale cette plongée dépaysante dans l'univers scientifique de l'URSS.

Difficile de commenter cette fin de trilogie sans divulgâcher, ce que j'essayerai d'éviter. D'emblée, disons que l'auteur m'a bien eu en me baladant allègrement sur un thème pour finir par me laisser avec mon petit bonheur. Je ne l'ai jamais vu venir et j'ai bien ri de ma déconvenue, bien légère, faut-il dire. Dans ce tome final, les intrigues se dénouent, les pièces du casse-tête tombent en place, la boucle est bouclée. Comme dans les opus précédents, le rythme est bon, les intrigues diversifiées, les personnages crédibles.

Par contre, j'ai eu un peu de mal à adhérer aux moments dramatiques, car ils surviennent dans un monde où tout, ou presque, finit par s'arranger, où les inquiétudes sont de courte durée, où le stress inhérent à des changements radicaux de vie semble bien éphémère. Je crois que la vie n'est pas si facile, si accommodante, ni pour tous, ni tout le temps. J'avoue que c'est sans doute mon préjugé défavorable à tout ce qui peut vaguement s'apparenter à des romans “feel good” qui s'exprime ici, alors que ce n'est nettement pas le cas de ce livre. Au-delà de ce bémol, je garderai un bon souvenir de cette trilogie pour son côté scientifique inhabituel, ses personnages bien découpés et sa toile d'arrière-fond d'une actualité intemporelle.

Toujours aussi enthousiaste après la lecture de cette troisième et dernière saison. Ce qui m'étonne le plus c'est la capacité qu'a l'auteur de rebondir sur des évènements ayant réellement existé. Pour n'en citer que quelques uns sans pour autant spoiler le récit, la fête du kolkhoze qui coïncide avec la fête des travailleurs soviétiques, un match de foot précédé d'un hommage anniversaire à Gagarine ou encore l'attentat du Petit Clamart qui s'immisce subtilement dans l'intrigue. Bref du grand art au service du mariage entre fiction et réalité. Encore merci à Thierry Lefebvre (II) pour ce beau moment de plaisir.