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Albert Bensoussan (Traducteur)
EAN : 9782070126026
336 pages
Gallimard (28/10/2010)
4.05/5   160 notes
Résumé :
L'Oubli que nous serons est à la fois le récit d'un crime, la biographie d'un homme, la chronique d'une famille et l'histoire d'un pays. L'homme est un médecin colombien engagé dans le combat contre la misère et l'ignorance. Le docteur Héctor Abad Gômez enseigne à l'Université de Medellin et travaille dans les quartiers populaires de la ville. Eduqué dans la tradition des Lumières, ce libre penseur croit à la possibilité de changer la vie de ses semblables et de bât... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (38) Voir plus Ajouter une critique
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Ce livre aurait pu s'intituler « le livre de mon père », reflet miroir du livre maternel d'Albert Cohen. Une autobiographie colombienne bouleversante…quand mémoire familiale et mémoire collective s'entrelacent avec brio et délicatesse…

« J'aimais mon père d'un amour animal. J'aimais son odeur, et aussi le souvenir de son odeur, sur le lit, lorsqu'il partait en voyage et que je demandais aux bonnes et à ma mère de ne pas changer les draps ni la taie d'oreiller ».

Voilà un livre dont j'ai débuté la lecture en ne sachant quasiment pas de quoi il était question. Une seule certitude : étant sur l'île déserte d'Idil (@Bookycooky), cela devait forcément être un bon livre. Il me faisait de l'oeil depuis un moment, là, installé sur son île avec sa couverture d'un joli et énigmatique rose brumeux d'où émergent les tours d'une mégalopole, une ville tentaculaire d'Amérique du Sud probablement, étant donné les nom et prénom de l'auteur d'une part, et vu le goût d'Idil pour cette région du globe d'autre part.

Et en effet le livre est colombien et la ville en question est Medellin.
J'ai eu le bonheur de découvrir le plus bel hommage fait à un père que je n'avais jamais lu jusqu'à aujourd'hui. Témoignage bouleversant d'amour d'un fils pour son père, biographie pittoresque, chronique d'une famille unie - et oh combien unique - au sein de laquelle la pratique religieuse, fervente et mystique, réactionnaire, de la mère le dispute à l'esprit scientifique et cartésien du père, radiographie de la société colombienne des années 1970 et 1980 déchirée par la violence et la guerre que se livrent les paramilitaires, l'armée, les narcotrafiquants et les guérilleros, voilà les ingrédients de ce livre qui m'a parfois émue aux larmes tant Victor Abad sait combiner en un subtil dosage l'histoire de son pays et sa vie familiale et intime.

Le père dont il est question est le docteur Héctor Abad Gômez. Celui-ci enseigne la médecine à l'Université de Medellin et travaille dans les quartiers populaires de la ville où il se bat pour apprendre à la population les règles élémentaires d'hygiène afin de prévenir les maladies et où il lutte pour leur offrir une eau pure, base de la santé du peuple estime-t-il face à la médecine curative à base uniquement de traitements onéreux, business florissant. Mieux vaut prévenir que guérir. Médecine sociale en lien avec la situation économique versus médecine curative. Autrement dit « cesser d'être un sorcier pour devenir un acteur social » et agir ex ante plutôt que ex-post.
Eduqué dans la tradition des Lumières, militant fervent des droits de l'homme, ce libre penseur croit ainsi à la possibilité de changer la vie de ses semblables et de bâtir, grâce à la science, un avenir meilleur. Il s'exprime dans les journaux, sur les radios et ses messages dérangent les autorités. À plusieurs reprises il est contraint à l'exil aux États Unis. Mais on ne musèle pas facilement cet homme libre et courageux qui le deviendra encore plus en vieillissant, surtout après la mort d'une de ses filles chérie, la magnifique Marta.

Le portrait, doux et pudique, de ce père d'exception, libre, généreux, sensible, optimiste, ouvert, tolérant, engagé avec passion et humanisme, est dépeint par Hector Abad fils avec une admiration et un amour tout aussi exceptionnels. L'assassinat de cet homme si bon, assassinat jamais élucidé, est d'autant plus déchirant. Il met également en valeur la violence institutionnalisée déployée par le pouvoir en place contre son peuple afin que celui-ci ne se tienne pas debout, se milite pas, n'ait pas des idées libertaires. A coup de tortures atroces, de menaces incessantes, de crimes orchestrés en toute impunité.

« Toute personne qui incitait à l'éveil et à la participation des pauvres était considérée comme un dangereux activiste qui mettait en péril l'ordre imperturbable de l'Eglise et de la société ».

Quel homme que ce père, mais quel homme…Sa façon d'aimer, à la fois exubérante, chaleureuse, confiante, mais aussi un peu étouffante, sa façon d'éduquer ses enfants avec un amour sans limite, avec légèreté et humour, bienveillance et respect, sa façon d'exprimer sans honte ses émotions, ses pleurs, ses élans d'amour, ses passions. Je l'ai aimé ce père, immédiatement, ne cessant de penser à mon petit papa à moi, et comme le petit Hector, j'ai été fascinée et admirative. Aucun sentimentalisme, aucun pathos, aucun côté mièvre et larmoyant dans le portrait de cet homme qui déborde de bonté, c'est juste délicat, subtil et beau. L'auteur a su trouver le ton juste, adéquat, pour nous fasciner, nous faire vibrer, nous toucher en plein coeur et rendre palpable la douleur et le désarroi. C'est remarquable de coeur et d'intelligence.

« Mon père a toujours pensé, et moi je le crois et l'imite, que cajoler ses enfants est le meilleurs système éducatif ».


Hector Abad a écrit sur l'assassinat en 1987 de son père avec beaucoup de pudeur, de sincérité, de réalisme et aussi, il faut le dire, d'amertume. de courage aussi. J'ai eu l'impression parfois de sentir les sanglots ravalés avec rage tant son écriture était parfois appuyé, transperçant le papier, fébrilement. Notons que ce très beau livre, chef d'oeuvre de la littérature colombienne, a été transposé au cinéma par Javier Camara. Souhaitons que cet écrit ait été salvateur pour cet orphelin de père, qui plus est d'un père absolument exceptionnel…
Pour le portrait bouleversant de ce père si bon idéologiquement, hybride, « chrétien en religion, marxiste en économie et libéral en politique », pour l'analyse de la société colombienne des années 1980 et la critique de son pouvoir corrompu, pour le courage qu'il met en valeur, pour l'ode à la littérature et à la musique que ce livre représente (quel bel hommage à Proust d'ailleurs, à Borgès aussi, le titre du livre provenant d'un de ses poèmes) qui permettent de contrer l'oubli, pour les anecdotes pittoresques distillées telles des friandises tout au long du récit, pour les questions existentielles et le rapport à la mort de nos proches qu'il permet de sonder avec pudeur, pour l'humanisme lumineux et flamboyant qu'il nous offre et qui fait un bien fou, je comprends tellement qu'il puisse être mis sur une île déserte. Merci infiniment Idil !

« C'est un des paradoxes les plus tristes de ma vie : presque tout ce que j'ai écrit, je l'ai écrit pour quelqu'un qui ne peut pas me lire, et ce livre même n'est rien d'autre que la lettre adressée à une ombre ».


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« Mon père s'était toujours déclaré : chrétien en religion, marxiste en économie, libéral en politique. »

Ce livre, je l'ai refermé avec regret. Hector Abad Faciolince a su me faire passer toutes ses émotions, tout son amour, sa tendresse, pour son père, Hector Abad Gomez. Son écriture m'a beaucoup remuée. Au fur et à mesure de ma lecture, l'émotion s'est intensifiée malgré une écriture pudique mais chaleureuse. Mais la deuxième partie m'a emportée, attristée, captivée !

L'auteur-narrateur nous dresse un très beau portrait de son père, celui d'un homme engagé, médecin, très soucieux d'améliorer les conditions de vie dans les quartiers populaires afin d'endiguer la misère. Ses combats au quotidien tournent autour de la médecine préventive : vaccination, alimentation, et surtout, l'eau potable, l'hygiène. Il se rend au contact des plus démunis accompagné de ses étudiants afin de sensibiliser ces derniers au sort des plus démunis et attirer leur attention sur le contraste qui existe entre les riches et les pauvres dans cette Colombie des années 60, à Medellin.

Hector Abad nous conte son enfance heureuse, insouciante, au côté d'un père attentif à ses enfants, leur transmettant la culture, indifférent à la richesse, et d'une mère beaucoup plus pragmatique et qui gère admirablement la petite famille. Cette complicité entre le père et le fils nait dans une famille de dix femmes dont cinq soeurs. On comprend aisément la connivence et l'amour « animal » pour reprendre les termes d'Hector qui se joue entre le père et le fils.
Si l'on ajoute à cette connivence, le portrait d'un homme désintéressé, altruiste, parfois excessif, passionné, idéaliste, le fils comme les filles adulent un homme qui cherche à rester en accord entre ses actes et ses paroles, toujours soucieux d'apporter ses connaissances afin de contribuer au bien-être de ses semblables.

L'auteur nous amène à découvrir la société colombienne sur une vingtaine d'années et plus spécialement la ville de Medellin.

La société civile est entièrement captive de la religion catholique, du dogme religieux. le catholicisme est considérée comme religion d'Etat jusqu'en 1991et gère le quotidien des colombiens jusqu'à l'Education. La vie des colombiens est rythmée par l'Eglise, les prêtres, les évêques. Certaines scènes m'ont particulièrement angoissées tant l'omniprésence de la religion est étouffante !

La maman est croyante, le papa libre-penseur ! On apprécie de sentir l'amour qui unit cette famille, de les suivre dans leur quotidien, de pénétrer leur univers, de découvrir les us et coutumes de ce pays. On pénètre l'Université avec le père qui y enseigne jusqu'au jour où le drame survient et le mot « drame » est faible.

A compter de cet évènement, il ne sera plus possible, pour aucun membre de la famille d'être pleinement heureux. Plus rien ne sera comme avant. le désespoir incommensurable de cette famille transforme ce père qui se jette à corps perdu dans la bataille des droits de l'Homme. Son besoin de justice tourne à l'exaltation.

Nous sommes dans les années 1970, à Medellin, ville trop connue et meurtrie par la violence qui a succédé à la guerre civile des années 50 à 60 et qui fera souvent les gros titres des hebdomadaires. Pablo Escobar, les conflits armés entre les différents groupes politiques, la délinquance, les explosions terroristes, les règlements de compte entre maffieux et trafiquants de drogue, marquent à tout jamais Medellin jusque dans les années 90.

Hector Abad Gomez est de tous les combats, il s'expose dans ce monde régit par la violence. le choix de se faire tuer par un autre devient plus attractif si l'on ne perçoit plus la Lumière. Il est de toutes les marches qui manifestent devant le palais du Gouverneur. Naïf, sa pancarte au bout des bras, parfois il se retourne et s'aperçoit qu'il n'y a plus personne derrière lui : étonnant !!! Il écrit, il prend la parole ! Il se bat pour la liberté d'expression, pour une culture libre, il dénonce la torture, les séquestrations, il dérange. Il faut lire son superbe J'Accuse dans El Mundo de Medellin et El Tiempo de Bogota qui sera publié après l'assassinat d'un ami. Evidemment, on retrouve dans ce récit tous les travers des êtres humains. C'est poignant, ca prend aux tripes ! Je suis passée par toute une palette d'émotions avec ce récit.

Hector Abad Gomez est devenu une cible pour plusieurs groupes armées, il a été assassiné le 25 août 1987 par deux types à moto qui lui ont vidé un chargeur alors qu'il se rendait à l'enterrement d'un ami assassiné : un de plus. La Faculté Nationale de Santé Publique porte aujourd'hui le nom d'Hector Abad Gomez lui qui a tant oeuvré pour la santé des Colombiens.

Hector Abad Faciolince nous offre un vibrant hommage d'un fils à son père. L'auteur mettra vingt ans avant de pouvoir écrire ce livre tant les mots qui lui viennent à l'esprit sont toujours accompagnés de larmes. le traumatisme a été d'une telle violence ! C'est un très beau livre et je comprends pourquoi Booky, ce livre figure dans ceux que tu emmènerais sur une île déserte!

En vidant les poches de son père, le jour de sa mort, Hector Abad a trouvé ce poème de Borges écrit sur un morceau de papier qu'il a trouvé au fond de l'une de ses poches.

« Ici et maintenant, nous voilà devenus l'oubli que nous serons. La poussière élémentaire qui nous ignore……. »

Quant à moi je pense « Mon père ce héros au sourire si doux ….. » Victor Hugo

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Il a fallu à Hector Abad Faciolince une vingtaine d'années pour réussir à libérer ses souvenirs personnels de leur gangue de douleur insoutenable et pouvoir s'atteler à la rédaction de ce livre-témoignage époustouflant.
Comment trouver alors tout de suite des mots susceptibles de retranscrire avec exactitude ce qui fait à mes yeux de L'OUBLI QUE NOUS SERONS une oeuvre aussi extraordinaire, rare et unique, et tout particulièrement la grâce, la pudeur et la délicatesse qui y sont convoquées en sublime contrepoids à la dimension tragique, au sentiment d'injustice et à la violence des événements présents à l'origine de sa rédaction?
Si ce livre était un arcane du Tarot de Marseille, ce serait à mon avis, sans aucun doute, le numéro 11, «La Force», cette planche où l'on voit l'image d'une frêle jeune femme en train d'ouvrir, à mains nues et sans le moindre effort apparent, la gueule d'un lion : symbole du courage moral et spirituel triomphant en toute sérénité sur la brutalité et la bestialité.
Au risque de paraître mièvre, peu importe, je dirai tout simplement que L'OUBLI QUE NOUS SERONS est de ces livres souverains, écrits avec le coeur, et qui en tout premier lieu touchent les lecteurs aussi, droit au coeur. Sans une once de sentimentalisme justement, sans aucune mièvrerie lénifiante. Merveilleusement bien écrit. Adroit, entier, sans autre artifice que l'immense talent de l'auteur à pétrir une langue littéraire qui, de prime abord directe et spontanée, se révèle en vérité d'une grande subtilité et pénétrante. Émotionnelle et sensorielle, mais aussi capable de retenue, de prendre de la distance par rapport aux événements traumatiques qu'elle décrit. de la belle littérature, en somme, située à des années-lumière de celle qui se fait habituellement dans le genre avec de braves intentions et autres poncifs édifiants.
L'OUBLI QUE NOUS SERONS est avant tout la chronique biographique d'un homme, fascinant et libre-penseur, médecin spécialiste en santé publique, personnage public consacré en son pays en tant que défenseur intrépide et «apôtre des droits humains», le père de l'écrivain, Héctor Abad Gomez, brutalement assassiné en 1987 par des milices paramilitaires associées à l'État colombien, ce dernier ayant été très probablement commanditaire du meurtre ; en même temps, c'est la chronique personnelle d'un amour fusionnel en version masculine, entre Héctor-père et Héctor-fils, sorte d'Oedipe «inversé» assez inouï, rarement abordé (à ma connaissance, en tout cas) en littérature; une chronique familiale également, riche en faits et couleurs -allant du plus exubérant et cocasse au plus douloureusement impensable et inacceptable-, d'une famille latino-américaine dont certains aspects évoqués au travers des souvenirs d'enfance de l'auteur seraient par ailleurs dignes de figurer dans une des fictions de son plus célèbre confrère, «Gabo» (les passages, entre autres, narrant les séances de prières collectives organisées chez la grand-mère en sont de véritables morceaux d'anthologie !) ; c'est enfin la chronique glaçante et l'autopsie sinistre d'une ville, Medellin, devenue mondialement emblématique durant le dernier quart du vingtième siècle comme l'une des agglomérations urbaines les plus violentes de la planète (l'on disait qu'il y avait alors, par jour, davantage de morts par balles à Medellin qu'au Liban, pourtant en pleine guerre civile à la même époque!).
Évitant scrupuleusement tout piège hagiographique autour du personnage central qui l'inspire, père ô combien vénéré et en même temps, donc, véritable martyr de la barbarie de l'une des périodes les plus funestes de l'histoire récente de son pays, Héctor Abad résistera également à toute tentation facile d'idéaliser un bonheur familial et mythique d'avant les épisodes tragiques survenus dans la famille. Il ne cessera, au passage, non seulement de désacraliser ces années, (« Ce furent des années de bonheur, dis-je, mais la félicité est faite d'une substance si légère qu'elle se fond facilement dans le souvenir, et si elle remonte à la mémoire, c'est avec ce sentiment écoeurant que j'ai toujours rejeté comme inutile, mièvre et finalement nuisible à la vie au présent: la nostalgie. »), mais aussi la personnalité de uns et des autres avec leurs contradictions et zones d'ombre, à commencer par celle de son fantasque de père et la sienne propre...
Selon les propos dithyrambiques de son prestigieux préfacier, Mario Vargas LLosa, L'OUBLI QUE NOUS SERONS serait un «chef d'oeuvre», difficile à synthétiser «parce qu'il est plusieurs choses à la fois». En ce qui me concerne, ce livre figure en tout cas désormais parmi les plus belles chroniques autobiographiques et familiales qu'il m'ait été donné de lire à ce jour.
En miroir à l'esprit qui aura présidé son écriture, il s'agit bien d'une expérience possible de lecture pleine, «entière». Être complètement suspendu et étreint par ce qu'on lit, éprouver un instant ce fragile sentiment continental qui nous manque parfois si cruellement, voilà ce que l'on cherche au fond en ouvrant un livre. «Si les mots tracent une carte approximative de notre esprit, une bonne partie de ma mémoire a été transportée dans ce livre, et comme nous les hommes sommes tous frères, dans un certain sens, parce que ce que nous pensons et disons se ressemble, parce que notre façon de sentir est presque identique, j'espère avoir en vous , lecteurs, des alliés, des complices, capables de jouer sur les mêmes cordes dans cette caisse obscure de l'âme. ». C'est fait.
«Souviens-toi, âme endormie»! Souviens-toi de cet inexorable oubli auquel nous serons tous voué, dont ce livre, paradoxalement, nous console. Ce magnifique titre est extrait d'un poème attribué à Borges, recopié à la main par Héctor Abad Gomez et trouvé par son fils dans la poche du costume que son père portait au moment où l'on l'assassina sur le trottoir d'une rue de Medellin.

Post-scriptum
Le dossier d'instruction criminelle ouvert après l'homicide du père de l'auteur en 1987, «exercice de camouflage et de complicité avec les assassins pour favoriser l'impunité » sera classé sans suite quelques années après, sans aucune arrestation ou élucidation.
Héctor Abad Facolince a écrit et publié son livre en 2006.
En 2014, le Ministère Public colombien requalifierait les assassinats systématiques commis à l'époque par les différentes factions paramilitaires colombiennes, en «crimes contre l'humanité», les rendant désormais imprescriptibles.
En cette même année, pour la première fois, un homme, suspecté d'avoir abattu à sang froid Héctor Abad Gomez sous les ordres du « clan Castaño » (et d'avoir par ailleurs participé dans les années 90 au massacre de 40 autres personnes à Antioquia – département colombien dont Medellin est la capitale), Manuel Salvador Ospina Cifuentes, est arrêté et mis en accusation.
Sur Internet, j'ai vu une photo prise quelques instants après le meurtre de Héctor Abad Gomez qui nous montre, accroupi sur le trottoir à côté du cadavre de son père, hagard, un jeune Héctor Abad Faciolince dont le regard semblait s'être momentanément détourné de la scène du crime. Dans ce curieux regard, me suis-je dit, sans pouvoir tout à fait me l'expliquer pourquoi, se retrouvait condensé, rétrospectivement, en une sorte d'étrange «flashforward», le long processus qui devait aboutir vingt ans après à la rédaction de ce livre. Il n'y pas de légende à cette photo, mais je reste malgré tout convaincu qu'il s'agissait bien de lui.
….
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Une belle découverte, que cet auteur colombien dont je n'avais jusqu'ici parcouru que quelques pages de l'éloge de la paresse, en version originale. Dans L'oubli que nous serons, Hector Abad nous livre les souvenirs d'un amour inconditionnel, celui du père, qu'une mort dramatique, un assassinat, a rendu si douloureux qu'il lui aura fallu vingt ans pour poser des mots sur cette histoire familiale personnelle, retranscrire des tranches de vie gravées dans sa mémoire que l'écrivain voulait libérées du ressentiment, de la haine, de l'idéalisation affective, de la mythification inhérentes aux fins dramatiques, de la distorsion du temps qui passe. Mais, ce travail marque aussi la volonté de prolonger l'existence de l'être aimé, de lutter avec un roman contre la disparition qui deviendrait irrémédiable à mesure que s'éteindraient tous les gens qui l'avaient connu. C'est aussi en filigrane, le portrait de la Colombie, un pays gangréné par la violence politique ou maffieuse durant des décennies qui s'est engagé il y a quelques années dans un processus de pacification, mais le chemin est encore long. Ce fut un bon et beau moment de lecture, même s'il s'agit d'une traduction, le résultat dénote d'une langue originelle riche et soutenue.
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Je ne sais comment je vais faire la critique de ce livre sublime, tellement j'ai adoré ! Coup de cœur, cinq étoiles....rien ne suffirait à exprimer le plaisir que j'ai pris à lire ce livre et les émotions que j'en ai ressenti.Un livre qui restera gravé dans ma mémoire et dans mon cœur,à jamais ( dans la dernière phrase du livre,l'auteur exprime l'objectif de ses sentiments en écrivant ce livre,par rapport à son pére ,mais aussi par rapport au lecteur; sur ce dernier point avec moi ,c'est réussi).
Ce livre est un hommage à la mémoire et à la vie d'un pére exemplaire,celui de l'auteur.
Un livre qui raconte l'histoire d'une famille avec ses bonheurs et ses tragédies ,et une magnifique relation pére-fils, basée sur l'amour et le respect,dans le contexte d'une Colombie ravagée par l'injustice et La Violence des années 60 à 90.
Le profond humanisme de ce pére,pédagogue-né, et l'intelligence,la pudeur et l'humour de la prose du narrateur,son fils qui le raconte, m'a profondément touchée et éblouie. Résumer ce livre, est lui faire injustice.
La remarquable préface du livre écrit par Mario Vargas Llosa résume tout mes sentiments.Je ne peux que recommander fortement sa lecture!
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critiques presse (1)
Bibliobs
08 juin 2021
Ce médecin fut assassiné à Medellín, en 1987. Fernando Trueba retrace sa vie dans un beau film, faussement léger. Le récit ensoleillé d’une tragédie colombienne.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (63) Voir plus Ajouter une citation
En fin d’après-midi, on s’asseyait tous dans l’oratoire autour de ma grand-mère, mes sœurs et moi, et des femmes surgissaient peu à peu de tous les coins de la maison, des parentes, des domestiques et des voisines, toujours vêtues de noir ou de sombre, comme des cafards, un fichu sur la tête et un chapelet à la main. La cérémonie du rosaire était présidée par l’oncle Luis dans sa vieille soutane tachée de cendre et lustrée à force de repassages, avec ses mains pourries de lépreux, sa tonsure chenue, et son allure de géant, souriant et furibond en même temps, scandalisé et désolé par les péchés routiniers et les irrémédiables pécheurs qu’il devait chaque après-midi absoudre dans le confessionnal de son appartement. Il attendait patiemment, en fumant cigarette sur cigarette et se brûlant les doigts, répétant sempiternellement sa vieille cantilène désespérée (« Ah, quand atteindrons-nous le Ciel, quand ! »), tandis qu’arrivaient les femmes « du dedans » et du dehors.
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Mon père n'aima jamais l'exercice direct de la médecine et il y avait là, selon ce que je pus reconstituer bien plus tard, une sorte de traumatisme précoce dû à un professeur de chirurgie à l'université. Il l'avait un jour obligé à retirer la vésicule d'un patient alors qu'il n'avait pas encore assez de métier et pendant la cholécystectomie qui est une opération délicate, il avait ligaturé le cholédoque du malade, un homme jeune d'environ quarante ans qui était mort quelques jours après l'intervention. Mon père fut toujours d'une maladresse absolue. Il était trop intellectuel même pour un médecin et manquait totalement de cette adresse de boucher que doit avoir, en tout cas, un chirurgien. Pour lui, même changer une ampoule était des plus difficiles, ne parlons pas d'une roue (quand il crevait, disait il en se moquant de lui-même, il devait s'arrêter au bord de la route, comme n'importe quelle femme, et attendre qu'un homme lui porte secours) ou de la révision du carburateur (qu'est-ce que c'est que ça ?) ou d'extraire proprement une vésicule sans toucher les conduits délicats qui passent par là. Il ne comprenait pas la mécanique et conduisait à grand-peine des voitures automatiques parce qu'il avait appris tardivement à conduire, et toute sa vie, chaque fois qu'il devait affronter l'acte héroïque de s'engager dans un rond-point au milieu de la circulation intense, il le faisait en fermant les yeux et il disait éprouver, chaque fois qu'il prenait le volant, "une profonde nostalgie pour le bus". Il n'était pas plus apte à aucun sport et en cuisine, il était plus que nul, incapable de se faire un café ou un œuf à la coque.

page 143
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- Fondation de l'Ecole Nationale de la santé publique avec quelques apports de la Fondation Rockfeller.

Il en fut le premier directeur. A partir de sa chaire et de quelques postes publics (jamais très élevés ni très importants et encore moins bien rémunérés, mais c'était négligeable), il put déployer ses connaissances pratiques dans tout le pays et ces années-là virent le succès de plusieurs de ses projets. Les indicateurs de santé et les taux de mortalité infantile approchaient lentement mais sûrement ceux des pays plus développés, la couverture en eau potable s'améliorait, les campagnes nationales de vaccination massive produisaient leurs effets, l'Incora, un institut de réforme agraire où il travailla aussi pendant le gouvernement de Lleras Restrepo, distribua quelques terrains non cultivés parmi les paysans sans terre, il contribua à fonder l'Institut colombien du bien-être familial, fit installer l'eau potable et des égouts dans les quartiers périphériques.

Mon père avait fait une sorte d'alliance pragmatique avec un leader politique conservateur, également médecin, Ignacio Vélez Escobar, et ce duo, qui dissipait la méfiance envers mon père à droite (il ne doit pas être aussi dangereux ni aussi communiste puisqu'il est avec Ignacio) et la méfiance envers Vélez à gauche (il ne doit pas être aussi réactionnaire puisqu'il est avec Hector), obtint de bons résultats. Il se voua à sa passion, sauver des vies, améliorer les conditions de base de santé et d'hygiène : eau potable, ration de protéines, évacuation des eaux usées, un toit pour la pluie et pour le soleil.

page 154
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Je me souviens tout spécialement avoir lu, parmi bien d’autres livres, les sept volumes d’À la recherche du temps perdu. Avec une passion et une concentration que je n’ai jamais retrouvées dans aucune autre lecture. De février à avril, en lisant Proust, je découvris ce que je voulais faire vraiment : lire et écrire tout le temps de ma vie. Deux géants marquèrent la littérature du XXe siècle, Joyce et Proust, et je crois que suivre l’un ou préférer l’autre est un choix aussi important en matière de goût littéraire qu’en politique être de droite ou de gauche. Certaines personnes s’ennuient en lisant Proust et se passionnent pour Joyce : pour moi, il se passe exactement le contraire.
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J'aimais mon père d'un amour animal. J'aimais son odeur, et aussi le souvenir de son odeur, sur le lit, lorsqu'il partait en voyage et que je demandais aux bonnes et à ma mère de ne pas changer les draps ni la taie d'oreiller. J'aimais sa voix, j'aimais ses mains, ses vêtements soignés et la méticuleuse propreté de son corps. Quand j'avais peur, la nuit, je me glissais dans son lit et il me faisait toujours une place à côté de lui. Il n'a jamais dit non. Ma mère protestait, elle disait qu'il me gâtait, mais mon père se poussait un peu et me laissait monter. Je ressentais pour mon père la même chose que mes amis disaient éprouver pour leur mère. Je sentais l'odeur de mon père, je posais un bras sur lui, je mettais mon pouce dans la bouche et m'endormais profondément jusqu'à ce que le bruit des sabots des chevaux et les clochettes de la voiture du laitier annoncent le lever du jour.
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