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EAN : 9782253106975
264 pages
Le Livre de Poche (22/02/2023)
3.76/5   91 notes
Résumé :
Avec ce premier livre incroyablement inventif, Nana Kwame Adjei-Brenyah s’est imposé aux États-Unis comme une nouvelle voix explosive dans la lignée de Colson Whitehead et Marlon James.
Entremêlant dystopie, satire et fantastique, et ses nouvelles donnent à voir avec une effarante lucidité la violence et la déshumanisation de notre monde.
Qu’il mette en scène le procès d’un Blanc accusé du me... >Voir plus
Que lire après Friday BlackVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (41) Voir plus Ajouter une critique
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J'ai lu ces douze nouvelles estomaquée par la puissance de ce jeune auteur américain dont c'est la première oeuvre. Avec une facilité incroyable, il convoque toute la palette des genres littéraires ( satire et pamphlet, dystopie et science-fiction, fantastique et horrifique, veines réaliste ou intimiste ) pour raconter l'Amérique contemporaine et en dénoncer les travers, forçant à réfléchir à l'impact du monde extérieur sur les comportements individuels.

Avec un talent fou, Nana Kwame Adjei-Brenyah parvient immédiatement à capter l'attention en créant un micro-univers en seulement quelques phrases. A chaque fois, quelle que soit la tonalité de la nouvelle, il met en scène des protagonistes, souvent masculins, frustrés et piégés par la situation vécue, tous dans un état profond de détresse voire désespoir.

Le recueil s'ouvre sur une nouvelle explosive, une hyperbole portant un regard cru sur la violence raciste et la déraison du système judiciaire américain. Les Cinq de Finkelstein est sans doute celle qui m'a le plus secouée. C'est la plus actuelle, la plus dévastatrice aussi. Un blanc a massacré à la tronçonneuse cinq enfants noirs, il est acquitté selon le principe de la loi Stand your ground qui autorise la légitime défense. Emmanuel, un jeune Afro-américain est obsédé par cet acquittement et bascule, lui qui jusqu'à présent parvenait à contrôler son Degré de noirceur en s'habillant et se comportant pour ne pas paraître dangereux aux yeux des Blancs. Ce qui est formidable, c'est que malgré les outrances de la situation, on en vient à se demander si cette histoire n'est pas vraie tellement l'ambiance semble familière.

J'ai également énormément apprécié Zimmerland qui imagine un parc d'attractions où des clients blancs viennent inlassablement tuer « pour de faux » un noir alors que le principe du module était, officiellement, d'amener le joueur à réfléchir à sa réaction lors de dilemmes du quotidien comme une intrusion menaçante. On n'est pas très loin d'un épisode de Black Mirror, dérangeant, profondément dérangeant.

Et ce regard aiguisé et féroce sait se teinter d'humour satirique lorsqu'il dézingue le consumérisme dans Friday Black, cette journée de soldes tournant au carnage zombiesque pour s'approprier des doudounes. Ou encore lorsqu'il explore dans L'Ère une société dystopique dans laquelle les hommes ont renoncé à l'incertitude et à l'émotion pour basculer dans l'optimisation génétique et s'apaiser à coup de Bien, une drogue légale.

A chaque fois, Nana Kwame Adjei-Brenyah utilise un prémisse futuriste hypothétique pour distiller un doute inconfortable car plausible. Sans complexe, avec une liberté créative très impressionnante et inventive, l'auteur pose un regard percutant et corrosif, sur la déshumanisation qui gangrène nos sociétés, au-delà de l'américaine, révélant leurs faces grotesques ou tragiques, les réalités crues, mais sans jamais se départir d'un regard tendre et humaniste.
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Il est très rare que je commence la présentation d'une de mes lectures par des remerciements, mais une fois n'est pas coutume.
Il est sur Babelio une lectrice et une critique très prolifique qui, lorsque vous avez le privilège de pouvoir consulter sa page et ses mises en ligne, vous donne accès à des livres et à des auteurs de qualité.
Vous n'avez que l'embarras de vos goûts, et cette personne dont le pseudo est Kirzy, les bouscule, remet quelquefois mon agenda de lecteur en question.
C'est donc avec estime et reconnaissance que je remercie Kirzy d'avoir suscité chez moi la pressante curiosité de découvrir qui et quoi se cachaient derrière - Friday Black - et Nana Kwame Adjei-Brenyah.
J'ai eu ces dernières années, comme beaucoup d'entre vous, des coups de coeur pour de "jeunes" auteurs américains, au rang desquels je place au tout premier plan Jesmyn Ward et Ta-Nehisi-Coates.
Adjei-Brenyah, cadet de ces déjà grands noms de la littérature américaine, appartient à ceux dont René Char aurait pu dire qu'ils méritent égards et patience parce qu'ils ne sont pas venus au monde pour ne rien troubler... au contraire !
S'il est un genre dans lequel beaucoup d'auteurs trouvent confort et une certaine forme de tranquillité, c'est la nouvelle.
Que n'a-t-on pas essayé depuis que ledit genre existe ?
Tout et rien en fait... sauf de la (le) sortir de son ronron au coin du feu pour en faire une arme massivement désarmante, massivement dérangeante.
Adjei-Brenyah est assurément l'auteur, le nouvelliste qui ringardise beaucoup de ceux qui avaient oublié que la nouvelle s'empoussiérait à force de lui refuser ce à quoi elle aspirait depuis longtemps : le renouveau.
- Friday Black -, c'est ou ce sont douze nouvelles qui font voler en éclats les codes, les conventions, le ronron.
Ce sont douze histoires que je qualifierais de dystopies réalistes, de fictions fantastiques lucides et glaçantes... dont les deux thèmes majeurs, prédominants sont la déshumanisation de notre monde et son corollaire la violence.
Un recueil de nouvelles, lecteurs et auteurs le savent, a parmi ses caractéristiques, l'inégaliqualité des textes.
Peu de recueils, vous pouvez vous référer aux 200 nouvelles De Maupassant ou aux quelques dizaines de Francis Scott Fitzgerald dans un recueil comme - Un diamant gros comme le Ritz, peu d'entre eux n'hébergent que des pépites.
Il y an d'excellentes et... de moins excellentes.
Dans - Friday Black -, ma préférence est allée ( l'ordre n'est pas, lui, préférentiel ) à :
- Les 5 de Finkelstein -, un massacre à la tronçonneuse perpétrée sur cinq enfants noirs par un blanc qui s'est senti menacé... par leur simple présence.
La justice va évidemment prendre parti pour...
Avec une maestria narrative bluffante, Adjei-Brenyah jongle avec l'absurde jusqu'à la nausée.
Vous savez que ce n'est pas vrai, qu'on ne peut pas aller jusque-là, et pourtant... vous pensez à ces gosses dont un flic crible leur dos de balles et l'acquittement du flic qui s'ensuit... et vous vous vous surprenez à vous dire que l'incroyable, l'impensable épouvante... est presque à nos portes.
- Lark Street - m'a profondément remué.
Un homme jeune assoupi est réveillé par deux mini êtres, deux tout petits foetus qui l'appellent "papa", l'interpellent et le questionnent : pourquoi, comment... est maman ? Quel aurait été notre avenir ?
Ce n'est évidemment pas une remise en cause du droit à l'avortement, mais les dérives, la désinvolture avec lesquelles la société s'en est emparée et la banalisation subséquente.
- Zimmerland - est un parc d'attractions où, sous prétexte de psychologisation à bon marché, on fait du business en offrant aux blancs, enfants comme adultes, de tuer du noir synonyme de menace.
- Friday Black -, frère jumeau de ce que risque de devenir le Black Friday *
Pour mémoire : "Aux États-Unis et au Canada, le Black Friday, littéralement le Vendredi noir, parfois traduit par Vendredi fou, est un évènement commercial d'une journée qui se déroule le vendredi suivant la fête de Thanksgiving (le quatrième jeudi du mois de novembre). Ce vendredi marque traditionnellement le coup d'envoi de la période des achats des fêtes de fin d'année. Plusieurs commerçants profitent de ce moment pour proposer des remises importantes, mais les modalités sont contestées.
En 2015, 67,6 milliards de dollars ont été dépensés aux États-Unis au cours du week-end du Black Friday, une somme en augmentation quasi constante depuis 2005, ce qui en fait le jour le plus lucratif pour les commerces de ce pays. Les consommateurs américains ont effectué 100 millions de déplacements dans des commerces le vendredi même4. Cet évènement commercial s'est depuis propagé hors du continent américain, pour arriver notamment sur le continent européen dans les années 2010 où il est de plus en plus mis en avant par les diverses enseignes commerciales.
En réaction à ce qui est dénoncé comme un évènement poussant à la surconsommation, divers acteurs (comme Youth for Climate et Extinction Rebellion) ont mis en place des actions pour s'opposer au Black Friday."
Friday Black pousse ce surconsumérisme jusqu'aux limites de sa logique : tuer et être prêt à tuer pour obtenir à moindre coût le dernier écran plat de vos rêves ou les fringues dernier cri...
Comme au Colisée, les munera tombés au champ du déshonneur capitaliste, sont ramassés par des tractopelles et empilés dans un coin du grand complexe commercial. Pas même le temps de la sciure que la deuxième vague des nouveaux gladiateurs du Grand Marché laissent leurs instincts et leurs pulsions se ruer sur les objets idolâtrés de leur convoitise et de leur avidité.
Si Adjei-Brenyah n'est pas à proprement parler un styliste, son écriture est vive, brûlante, tranchante, imaginative, authentique, lucide, déstabilisante et percutante.
La structure narrative de ses textes ne souffre d'aucune faiblesse.
Un recueil grâce auquel, en grossissant le trait, en le noircissant, en déraisonnant par l'absurde, le lecteur peut entrevoir ce vers quoi le monde dans lequel il vient d'entrer, l'entraîne inexorablement.
Ce jeune homme fait, lui, une entrée remarquable dans les élites de la littérature contemporaine.
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Nana Kwame Adjel-Brenyah signe avec son ensemble de nouvelles parues aux éditions Albin-Michel, dans la très belle collection « Terres d'Amérique« , un véritable uppercut que l'on reçoit et qui a pour but de réveiller les consciences citoyennes. « Friday black« , dès la première nouvelle nous met K.O avec « Les 5 de Finkelstein » nous décrivant une histoire très impressionnante sur l'usage de la violence à des fins racistes et les différentes perceptions de la société américaine quant à cette dernière. Ainsi, un homme blanc massacre cinq enfants noirs à la tronçonneuse afin, dit-il, de protéger ses deux enfants du danger qu'ils représentent. Des Afro-Américains décident en réaction de tuer des personnes blanches au hasard. L'impartialité de la justice n'est pas de mise ici. Adjel-Brenyah dépeint une situation de racisme à son paroxysme comme pour mieux nous dévoiler, nous montrer, par effet de miroir grossissant nos compromissions et nos contradictions face au fléau du racisme qui dévore les États-Unis. Ce n'est pas pour rien que Colson Whitehead, figure intellectuelle majeure et incontournable de la lutte anti raciste à l'encontre des Afro-Américains, voit en Adjel Brenyah « une formidable nouvelle voix qui mêle la vérité de la dystopie à une empathie sans limite ». On ne peut pas mieux résumer la puissance, la force de ce livre. La nouvelle « L'ère » est une dystopie particulièrement efficace où le monde est séparé entre les personnes optimisées, qui sont des sortes de surhommes aux facultés multipliées par des logiciels incorporés. Ils s'injectent « du bien » dans le cou et revendiquent le droit de dire tout le temps la vérité, même si cela doit blesser l'autre. Et les autres, qui sont les personnes dites « Têtes baissées » qui sont marquées par leur émotivité, et leur volonté de vivre comme avant l'apocalypse nucléaire. Ils sont considérés comme des bons à rien. Il y a ceux qui sont optimisés avant même leur naissance et les autres qu'ont estiment méprisables et faibles. Une société profondément inégalitaire en quelque sorte avec les gagnants et les perdants. Une lecture et un auteur engagé qui multiplie ses regards acérés et son acuité saisissante à mettre en avant les maux de l'Amérique. Autre nouvelle, « Lark Street » sur l'avortement mais toujours avec cette profonde originalité qui lorgne vers la SF. Une nouvelle comme on en lit très peu. Il sait créé une tension en nous, une sorte de malaise. Un livre qui ne laisse pas indifférent et qui désarçonne parfois son lecteur qui reste pantois devant une telle maîtrise formelle, narrative. Il est doué d'une imagination débordante qui impressionne fortement. Il y a également beaucoup d'émotions dans ces nouvelles avec une écriture chirurgicale, riche. La nouvelle « Zimmerland » imagine un parc d'attraction où un homme noir revêt un exosquelette pour ressentir des sensations et surtout en donner aux racistes qui prennent leur pied en payant pour le tuer plusieurs fois par jour via l'application du parc d'attractions. Où comment se divertir en assassinant des hommes de couleur. Ici c'est une nouvelle fois la violence de la société américaine dans ce qu'elle a de plus abjecte qui est dénoncée. Il éreinte le consumérisme dans « Friday Black » à l'humour très noir en mode « South Park ». Nana Kwame Adjel-Brenyah aborde tous les grands maux de l'Amérique avec maestria. Ma nouvelle préférée raconte l'histoire d'un étudiant rejeté de tous et qui se décide à tuer une étudiante qui est juste là au mauvais endroit, au mauvais moment dans la bibliothèque de sa Fac. Toute la lâcheté de ce crime ignoble est parfaitement rendue. Une fois mort, les deux personnes, l'assassin et la victime, se parlent et tentent de sauver des vies.. Beaucoup d'humanité dans cette nouvelle pourtant terrible à son point de départ. Vous l'aurez compris, j'ai aimé être désarçonné, troublé, enchanté aussi par les nouvelles d'un auteur singulier nous décrivant une Amérique aux abois, prisonnière de ces démons intérieurs. Douze nouvelles comme autant de moyens de dénoncer la conjoncture américaine, son passé, son présent et ce qu'il risque d'advenir dans le futur si l'on ne fait rien. La plume de Nana Kwame Adjel-Brenyah est à découvrir absolument.
Lien : https://thedude524.com/2021/..
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Fils d'immigrés ghanéens, l'américain Nana Kwame Adjei-Brenyah grandit à Spring Valley dans l'état de New-York. Après avoir décroché son MFA (Master of Fine Arts) à l'université de Syracuse, siège du comté d'Onondaga, le jeune homme devient professeur et finit par publier son premier recueil de nouvelles en 2018 sous le titre de Friday Black.
Acclamé par la critique américaine et sélectionné par Colson Whitehead (Nickel Boys) en personne pour intégrer la National Book Foundation, Nana Kwame Adjei-Brenyah arrive enfin en langue française dans la prestigieuse collection Terres d'Amérique dirigée par Francis Geffard chez Albin Michel.
Un évènement qui risque de faire date…

Dans ces douze nouvelles, une voix unique et talentueuse se fait jour.
Dès la première histoire, Nana Kwame Adjei-Brenyah saisit le lecteur, l'agrippe par le col et lui montre les fêlures du rêves américain.
Avec Les 5 de Finkelstein, nous faisons la connaissance d'Emmanuel, un jeune noir devenu expert dans l'art de contrôler son « Degré de Noirceur » afin de se fondre dans une société blanche devenue un vrai piège à ours pour les noirs.
Alors qu'il se réjouit de pouvoir enfin réussir un entretien d'embauche, Emmanuel est hanté par un fait divers qui secoue l'Amérique. Un fait divers très proche de la mort d'un Trayvon Martin, cet adolescent noir abattu par un latino-américain de 28 ans alors qu'il n'était même pas armé.
Dans le monde d'Emmanuel, Trayvon Martin se dédouble, devient cinq.
Cinq enfants qui font sauvagement décapités à la tronçonneuse par un père de famille américain blanc et respectable. Un père de famille qui voulait sauvegarder la vie de ses deux enfants à lui, menacés par ces cinq gamins qui jouaient autour d'une bibliothèque un peu trop tard et un peu trop encapuchonné à son goût. Alors que George Wilson Dunn échappe à la justice, les noirs se révoltent. Une révolte qui passe par l'assassinat sauvage d'autres blancs en répétant le nom des enfants martyrs comme un mantra, comme un bouclier. En se gravant le chiffre 5 sur le corps à chaque mort supplémentaire.
L'un des amis d'Emmanuel, Boogie, tente de le réveiller… « Cet homme dans le bus, c'est ton frère […] Faut le protéger. Oui, peut-être qu'il faut le réveiller, mais quand il dort, il est sous ta responsabilité. » et Nana Kwame Adjei-Brenyah s'interroge : la vengeance suffit-elle à effacer les crimes ? Suffit-elle à apaiser l'injustice ? La vengeance sur des personnes innocentes mais complices inconscientes, peut-elle faire avancer les choses ?
Et si c'était ça, être noir en Amérique ? N'être soi que sous peine d'une balle dans la nuque ? C'est ici que commence la longue réflexion de l'auteur sur l'identité et le soi, sur ce dédoublement qui intervient quand l'on ne peut être qui l'on est vraiment face à une société qui nous chasse, qui nous broie. Comme la sensation perpétuelle de jouer un rôle, un drame perpétuel qui détruit tout.

Cette idée, Nana Kwame Adjei-Brenyah la prolonge dans pas mal d'autres textes, à commencer par Zimmer Land, qui, comme Les 5 de Finkelstein, pourrait être le scénario d'un film de Jordan Peele. Dans Zimmer Land, Isaiah n'est pas qu'un employé noir d'une société de divertissement lambda.
Il est l'acteur et le complice malgré lui d'une mascarade totale, d'une justice tronquée, déformée, dégoûtante. Zimmer Land, c'est le titre d'un parc d'attractions (qui renvoie aussi au tueur de Trayvon Martin) où, selon le module que vous choisissez, vous pouvez déjouer un attentat ferroviaire fomenté par de dangereux musulmans ou vous défendre contre l'agression supposée d'un noir à proximité de votre maison. Alors voilà Isaiah qui meurt encore et encore sous les balles factices des bons blancs bien dans leur droit.
Condamnation de cette faculté américaine à justifier ses propres crimes, sa propre violence par des valeurs de libertés et de sécurité.
Cette ballade terrifiante montre la nature humaine sous son aspect le plus vil, bouffée autant par l'attrait pour la domination que par l'argent. En un sens, Zimmer Land rappelle Vigilance de Robert Jackson Bennett, dénonçant lui aussi la nécessité de l'américain lambda à se sentir puissant dans une société où il n'est plus rien, à se faire justicier et chevalier de pacotille, à payer pour la souffrance et à la transmettre aux autres, notamment à ses enfants.

Comment être noir dans l'Amérique d'aujourd'hui ?
Pour le comprendre, Nana Kwame Adjei-Brenyah regarde d'abord la société américaine et détricote ses obsessions malsaines. Dans trois de ses nouvelles, Friday Black, Comment vendre un blouson selon les recommandations du Roi de l'hiver et Dans la vente, l'auteur nous plonge dans l'absurdité du monde de la vente poussé jusqu'à l'horreur. On assiste ainsi à une relecture zombiesque du fameux Black Friday où les clients ne sont qu'à peine humains, plutôt des bêtes sauvages, des êtres dévolués qui communiquent au moyen d'un langage rudimentaire et heurté que seul le vendeur expérimenté peut comprendre et interpréter. Mais ce qui frappe dans ces trois récits, ce ne sont pas tant la violence et l'avidité poussées à l'extrême que le caractère pathétique de ces clients devenus esclaves d'un système qui les pourrit, d'un système qui les avilie et les vide de leur substance. Plus pitoyable qu'écoeurants, plus digne de pitié que de haine. Mais si Nana Kwame Adjei-Brenyah parvient à nous épater, c'est par son sens de la nuance, une nuance précieuse, formidable, émouvante. Cette capacité à traiter en humain dans un système qui ne le permet pourtant plus. Ou lorsque le vendeur de Dans la vente avoue que sa cliente toute heureuse de l'entendre baragouiner quelques mots de sa propre langue, à savoir l'espagnol, « est tout pour moi. ». Il reste dans ces écrits à priori terribles, une humanité troublante qui naît du sentiment intime que fait naître Nana Kwame Adjei-Brenyah entre le lecteur, le narrateur de son histoire et les pauvres âmes qu'ils croisent en chemin.

Refusant les cases et les genres, Nana Kwame Adjei-Brenyah se balade de dystopie en histoires fantastiques en passant par l'horreur et même par le conte.
Assumant cette liberté de ton jusqu'au bout du bout, l'auteur nous emmène par exemple dans une société dystopique où la Vérité règne en maître, où l'émotivité est une faiblesse et où tout un chacun doit sacrifier son amour-propre devant le jugement impitoyable des autres. Une société où l'on se drogue au Bien, enfants compris, pour trouver le Meilleur des Mondes.
Au sein de cette Nouvelle Fédération, Ben se rend compte que quelque chose cloche, que la cruauté est devenue la norme sous prétexte d'authenticité, que le mensonge, que l'on décriait tant, a peut être son utilité sociale en fin de compte. Surtout quand certains ont le droit à des manipulations génétiques prénatales qui les optimisent pour le monde réel. C'est encore une double identité qui accable notre héros, celle d'un gamin tiraillé entre la vérité des Têtes Baissées et l'injustice d'une société impitoyable qui a voulu devenir trop transparente, trop impeccable.
C'est l'uniformisation de la pensée qui détruit l'individu, peu importe de quelle idéologie ou bonne intention on part.
Des bonnes intentions, on en retrouve ailleurs et notamment dans L'Hôpital où, récit fantastique où un jeune homme mène son père qui a mal au bras à l'hôpital alors que celui-ci devient un lieu de fantasme(s), où les patients et les rencontres forment une suite d'éléments fantastiques sous la tutelle d'un mystérieux Dieu aux douze langues. Un récit à la fois étrange, surréaliste, et signifiant à plus d'un titre. Celui d'un auteur en quête d'une langue pour l'aider à écrire et celui d'un gamin qui regarde son père bientôt condamné.
Toujours en mêlant fantastique et intime, Nana Kwame Adjei-Brenyah continue avec le brillant et émouvant, le Lion et l'Araignée, récit d'un passage à l'âge adulte sur fond de relation père-fils complexe et de mythes africains où Anansi trompe d'un lion pour sauver une famille de lapins.
Ce rapport à l'intime confine au sublime dans le court et taiseux Ces choses que disaient ma mère, bourré jusqu'à ras bord de sacrifice(s) maternel(s) et de fierté. La perte d'une chose pour en trouver une autre.
La perte aussi traverse le chemin des récits de Nana Kwame Adjei-Brenyah. La perte de l'humanité pour sûr, mais aussi la perte du sens, du réel.
En parlant des massacres à l'arme à feu dans les écoles américaines, Cracheuse de Lumière montre que le mécanisme de la souffrance, le rapport du dominé et du dominant ne cesse d'enclencher un cycle de violence et de morts où personne ne gagne. Où la réalité perd pied.

Nana Kwame Adjei-Brenyah impressionne par sa capacité à creuser profondément ses personnages, les souffrances et la culpabilité des uns et des autres. Lark Street, véritable chef d'oeuvre de noirceur et de lucidité, décrit la culpabilité d'un père après l'avortement de ses enfants, comment survivre à la souffrance…et comment se rendre compte de la souffrance de l'autre, de la mère qui a fait ce choix, un choix inévitable mais terrible, que l'on ne juge pas mais avec lequel on doit vivre. Et puis Après l'Éclair, étrange nouvelle où une communauté entière se retrouve piégée dans une boucle temporelle après une fin du monde thermonucléaire. Un cycle ininterrompu de violences et de souffrance où Nana Kwame Adjei-Brenyah va au bout des choses et déploie des scènes horrifiques quasi-insoutenables. Jamais rien n'est pourtant gratuit dans ce récit où l'on se venge de son ancien harceleur avant de devenir ami avec lui et d'en faire un monstre encore plus terrible. Jamais rien n'est gratuit pour Ama Grace reine du Couteau qui ne sait plus qui elle est entre la tortionnaire et la sauveuse. Ce déchirement de l'identité, cette façon de ne pas savoir quelle voie adopter pour avancer, cette violence qui règne au fond de soi et qui ne demande qu'un craquement de la société autour pour surgir, cette envie de justice et d'humanité envers et contre tout.
C'est peut-être ça être noir en Amérique aujourd'hui.

Douze histoires de haine(s) et d'humanité, de noirs dans un monde dominé par les blancs, de vendeurs fatalistes et de clients désoeuvrés, de frères, de mères, de pères, d'enfants, de victimes, de coupables. Douze histoires qui nous offrent la naissance d'une immense voix sensible, intelligente et vibrante, celle de Nana Kwame Adjei-Brenyah, un GRAND auteur américain.
Lien : https://justaword.fr/friday-..
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Il est des livres que tu ouvres et qui dès les premières pages, t'interpellent en mode « Je tiens du lourd » ! Friday Black de Nana Kwame Adjei-Brenyah – traduit par Stéphane Roques - est de ceux-là. En douze nouvelles toutes aussi réussies les unes que les autres, il nous plonge dans un monde dystopique – mais pas tant que ça…- avec une maîtrise bluffante de ce genre réservé aux meilleurs.

Les univers dans lesquels Ajei-Brenyah choisit de placer ses personnages sont à la fois dans un futur aux codes avancés (un monde où le virtuel et la gamification ont toute leur place, où l'on s'envoie des shoots de Bien, où la vie se réinvente quotidiennement à la manière d'Un jour sans fin…), mais aussi dans une actualité saisissante quand ils mettent en lumière les grands travers de nos sociétés contemporaines qui, vous l'aurez compris, ne se sont pas arrangés dans le futur.

Il passe ainsi en revue les excès et folies de notre société consumériste à l'excès ; les inégalités raciales devant la justice et ailleurs ; l'inhumanité d'un système hospitalier devenu machine sans coeur ni tête ; le jeu avec la vie et la tentation génétique ; la violence qui ne règle finalement rien.

Nouvelle après nouvelle, il surprend, choque parfois, mais questionne et interpelle nos sociétés. À sa manière. Car si le fond est sombre et anxiogène, le style est paradoxalement enlevé et quasi enjoué, avec un florilège d'expressions, de concepts et de personnages inventifs : le Degré de Noirceur, le Dieu aux Douze langues, l'Eclair et la Boucle, le Roi de l'hiver, L'Ordre de la Raie Manta, les Têtes baissées, le Bien industriel...

Une réussite assurément, une grande maîtrise du genre de la nouvelle et une forme de fraîcheur dans l'écriture que j'ai pris plaisir à découvrir, même si je reste toujours peu à l'aise avec les approches dystopiques qui ne cadrent pas forcément avec mon imaginaire limité et m'empêchent de tenir la longueur. Mais rien que pour la découverte (merci le Picabo River Book Club) et encore plus si le genre vous plaît, il faut foncer !
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critiques presse (2)
LeSoir
26 mars 2021
Retenez bien son nom. Avec son premier recueil de nouvelles, cet Américain de 28 ans bouscule les règles et expose, avec lucidité, comment les États-Unis et le monde sont déjantés, violents, déshumanisés.
Lire la critique sur le site : LeSoir
FocusLeVif
12 février 2021
Douze nouvelles explosives qui portent un regard satirique sur la déshumanisation gangrénant le monde. Salutaire.
Lire la critique sur le site : FocusLeVif
Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
Ce matin-là, comme tous les matins, la première décision qu’il prit concernait son Degré de Noirceur. Sa peau était d’un noir profond et constant. En public, au milieu des gens, il lui était impossible de faire descendre son Degré de Noirceur aussi bas que 1.5. S’il portait une cravate, des richelieus, qu’il souriait constamment, parlait à voix basse en gardant les mains plaquées le long du corps et parfaitement immobiles, il pouvait atteindre au mieux un 4.
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Mon temps était compté.
Le Dieu aux Douze Langues m'avait promis que j'arriverais à nous rendre la vie plus belle. Que je me servirais du pouvoir qu'il m'avait concédé pour changer les choses.
Mais ce que j'allais faire n'importerait en rien si mon père n'était pas là pour le voir.
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Je ne sais pas pour vous, mais moi j'aime mes enfants plus que la "loi".
Et j'aime l'Amérique plus que mes enfants.
Voilà de quoi il s'agit dans cette affaire : de l'amour avec un A majuscule.
Et de l'Amérique.
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Dans un centre commercial, les seules vérités qui importent sont celles que l’on peut compter. Objectifs de vente, fonds de caisse, inventaire. Le chiffre. Tout le reste, c’est essentiellement du baratin.
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La plupart des clients ne s'expriment pas à l'aide de mots; le Friday Black leur a déjà totalement fait perdre la tête.
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Vidéo de Nana Kwame Adjei-Brenyah
Pour retrouver tous leurs ouvrages
Nana Kwame Adjei-Brenyah : https://www.albin-michel.fr/nana-kwame-adjei-brenyah Matthew Neill Null : https://www.albin-michel.fr/matthew-neill-null Leila Mottley : https://www.albin-michel.fr/leila-mottley Shannon Pufahl : https://www.albin-michel.fr/shannon-pufahl David Treuer : https://www.albin-michel.fr/david-treuer Katherena Vermette : https://www.albin-michel.fr/katherena-vermette Michael Christie : https://www.albin-michel.fr/michael-christie Charles C. Mann : https://www.albin-michel.fr/charles-c-mann
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