Les anges de la nuit
Ce sont les jours clairs de décembre, qui ne se font pas d’illusions sur leur propre clarté et ainsi deviennent de plus en plus clairs, qui s’irritent de leur pâleur et accueillent leur brièveté comme une promesse, qui se nourrissent des longues nuits, assez forts pour parvenir sans peine à leur terme, assez forts, assez faibles et doux.
Ce sont les jours qui tirent du noir leur éclat et rien que de lui. Il y en a peu. Car s’il y en avait beaucoup, il y aurait aussi trop de bizarre, trop d’horloges de clocher deviendraient tout simplement l’œil même de Dieu.
Aussi ces jours sont-ils rares afin que le bizarre reste bizarre, afin que les gens revenus de la guerre ne souffrent pas trop souvent de leurs membres arrachés par les balles, ni ne tiennent trop de choses dans leurs mains amputées depuis longtemps par le gel. Qu’ils ne connaissent pas trop la paix de la nuit.
Mais parfois, il y a des nuits comme des oiseaux qui ont oublié de prendre leur vol vers le sud. Ils déploient leurs ailes claires au-dessus de la ville et l’air vibre de leur chaleur, ils rendent encore une fois notre souffle invisible avant le gel. Et quand vient l’heure, ils se dépêchent de
mourir. Ils ne veulent ni long crépuscule ni nuages rouges, ils ne répandent pas leur sang àla vue de tous. Ils tombent des toits et il fait sombre.
Peut-être s’il n’y avait pas ces oiseaux égarés, ces jours clairs de décembre, pas un seul ne croirait encore aux anges, alors que tous les autres en rient déjà, pas un seul n’entendrait les froissements des ailes avant l’aube, alors que tous les autres n’entendent qu’aboyer les chiens...
En ce temps-là, j’ignorais encore que ce sont les anges qui prouvent notre existence.
Ce n’est pas nous qui les rêvons, ce sont les anges qui nous rêvent. Nous sommes les fantômes de leurs nuits claires, c’est nous qui claquons les portes qui n’existent pas, qui sautent par-dessus des cordes qui cliquettent comme des chaînes.
Peut-être devrions-nous être plus doux dans leurs rêves, afin de ne pas leur faire peur...
Dédicace
Je ne vous écris pas de lettres,
mais il me serait facile de mourir avec vous.
Doucement, nous nous laisserions glisser
le long des lunes, une première halte
auprès des cœurs de laine, puis
une autre parmi les loups, les framboisiers
et ce feu que rien n’apaise ; à la troisième,
j’aurais traversé les fines mousses
des nuages raréfiés,
passé sans effort le pauvre fourmillement
des étoiles, pour arriver
dans votre ciel, tout près de vous.
Enfant trouvé
Glissé sous la neige,
inconnu des anges,
ni trésor, ni faveur,
jamais offert aux fées,
mais caché dans les grottes,
toutes traces vivement effacées
des cartes de la forêt.
Un renard enragé
le mord et le réchauffe,
lui prodigue bien vite les premières tendresses
puis s’en va, tremblant et torturé,
se rendre à la mort.
Qui aidera cet enfant ?
Les mères,
leur angoisse ancestrale,
les chasseurs,
leurs cartes faussées,
les anges,
leurs plumes chaudes,
leurs ailes vides de missions ?
On n’entend rien,
ni dans l’air un battement,
ni au sol un pas sourd.
Ah ! Reviens donc, toi,
vieux sauveur frénétique,
glisse-toi encore auprès de lui,
mords-le, égratigne-le,
réchauffe-le, tant que sont encore chaudes tes pattes
de voleur,
car à part toi
personne ne viendra,
sois-en sûr.
« Aujourd’hui, la langue ne parle plus, elle a perdu la parole. Nous devons sortir de cette « manipulation », sinon nous sommes tous perdus...Car la fausse langue fait de nous des sans-abri, la vraie langue nous procure une demeure...La langue est le premier et le dernier lieu de la vie. »
« J’écris parce que je ne vois pas de meilleur moyen de me taire.»