«
La guerre des gymnases » est un roman de
César Aira traduit par
Michel Lafon (2000, André Dimanche Editeur, 116 p.) qui se déroule à Buenos Aires, dans le quartier de Florès, bien entendu. Mais c'est aussi le deuxième tome de la « Tétralogie du Lièvre » après « La liebre » (1991, Emece Editores, 254 p.), « Embalse » (1992, Emece Editores, 222 p.), « La guerra de los gimnasios » (1993, Emece Editores, 168 p.) et « Los misterios de Rosario » (1994, Emece Editores, 224 p.). Il est dommage que ce soit le seul traduit en français actuellement.
Tout commence « au beau milieu de
la guerre des gymnases de Florès ». Diantre, l'Argentine, et Buenos Aires en particulier, était en guerre, et le monde entier ne le savait pas. Chin Fu d'un côté, et Hokkama de l'autre. Comme souvent chez Aira, il faut attendre 17 pages avant de connaître le nom de l'opposant. Entre temps, on aura droit aux doutes de Ferdie
Calvino quant à son inscription, et les motifs qui l'ont poussé à choisir le Chin Fu. Cela laisse le temps de parler des vitres brisées et des ninjas bondissants de nulle part. Ambiance….
Il faut dire que Ferdie
Calvino est le célèbre présentateur d'une émission pour enfants à la télévision. S'il s'est inscrit dans ce gymnase de Flores, ce n'est pas parce que le propriétaire est un géant. Mais l'acteur veut se sculpter un corps à même de provoquer « la peur chez les hommes et le désir chez les femmes ». Vaste programme, à soulever des tonnes de fonte. Il faut dire que Ferdie est, pour l'instant, une montane de muscles. « C'est un garçon d'une vingtaine d'années, un blond à l'aspect ordinaire, ni grand ni petit, ni gros maigre, ni beau ni laid ».
Ce qu'il ignore, du moins pour l'instant, c'est que les deux gymnases sont engagés dans une guerre sans merci et que les spectaculaires épisodes de ce conflit hors norme vont remettre en cause l'idée qu'il se faisait du sport, des femmes, de la virilité et de l'identité sexuelle. « A peine entré, il se trouva nez à nez avec une fille nue qui se dirigeait vers la douche Il resta pétrifié. En un éclair, mille idées bizarres traversèrent son esprit. Dans cet instant fugitif, il aurait pu écrire un roman. Il balbutia quelque chose, et la fille, s'enveloppant dans une serviette de bain blanche, lui demanda sur un ton désagréable s'il n'avait pas vu l'écriteau. Elle ajouta entre ses dents : « Imbécile ! ». Il se précipita comme un automate vers l'autre vestiaire, dont il ouvrit la porte avec une frayeur insolite, vu qu'il est plus facile de s'enlever un vêtement qu'une idée ». Tout commence donc assez mal pour le bellâtre, mais la partie n'est pas finie et le roman initiatique tourne un peu à vide. D'autant que « Ferdie savait plus ou moins ce qu'il faut savoir sur le sexe, mais il n'avait encore aucune expérience. Il savait que les femmes sont très difficiles à satisfaire sexuellement, que seuls y arrivent des hommes spécialement doués, à force d'acrobaties fantastiques ». Il y a donc du boulot en perspective avant d'en arriver aux tablettes de chocolat qui font tomber les autres de pamoison.
Connaissant les idées de
César Aira, on peut s'attendre à tout. de la guerre et ses motifs progressivement remplacés par le devenir de son pucelage, jusqu'au sort de l'Argentine tout entière, si l'on se souvient de l'épisode du « lièvre légibrérien » et de son inquiétante prédiction. Pour ajouter au suspense, la mère de Ferdie est atteinte de « léporose ». « La lèvre se fendait, la peau se couvrait d'un duvet laineux, et les oreilles poussaient en pointe ».
Mais il y a bien la guerre entre les salles de sport. « Les trois jeunes gens virent le fakir se faire attaquer par une demi-douzaine de gymnastes armés de massues en forme d'hippocampe, qu'ils tenaient par le bout. […] le fakir tenait une arbalète chargée et tournait sur place en les menaçant d'un air égaré […] d'autant plus que la flèche avait une pointe en fer portée au rouge ».
Dans cet univers essentiellement urbain, la guerre prend une autre tournure. Finie celle « du Bien et de Mal, des Pauvres et des Riches ». Finie celle avec les indiens comme du temps du « Martin Fierro ». La société a évolué, les indiens sont assimilés et anéantis. Reste la guerre entre blancs, guerre culturelle comme dans toute société libérale. « L'art, poursuivit-elle, est depuis toujours la méthode “naturelle” pour augmenter les capacités de perception ». Cette compétition passe tout d'abord par la maitrise du corps, avec éventuellement une transformation. « Entre les sexes, il n'y a pas de guerre, mais une transformation. Un sexe se transforme en l'autre sexe ». « le Mal guette. La réalité peut devenir réelle d'un instant à l'autre, ce qui signifierait la fin de l'univers. »
La chute, si l'on peut dire, se termine par une vraie chute dans laquelle Ferdie « était tombé sur le cygne, avec lequel il se retrouva emmêlé en un noeud asphyxiant de bras, d'ailes et de jambes qui l'entraîna au fond de la piscine »
« Spectacle charmant du jeune premier montant un cygne qui sillonnait majestueusement les airs ». Pendant que la foule massée scande « Quand tu avances et tu recules. Comment veux tu, comment veux tu… »
Pendant ce temps, « le cerveau s'était mis à diffuser une lumière bleue ; d'un rose vénéneux » « elle avait pris la forme que l'on commençait à reconnaître vaguement…Des pattes, un visage ensommeillé aux lèvres fendues, des oreilles. C'était de toute évidence un lièvre ». Cette apparition suggérait irrésistiblement l'apparition du Lièvre légibrérien, mythe « dont la naissance doit coïncider avec la fin de l'Argentine ».
Donc, à propos de la genèse du « Lièvre »
César Aira raconte dans un interview « le thème m'a été donné par
Rodolfo Fogwill, non pas en personne mais dans un rêve. […]. J'ai rêvé que nous marchions dans la rue avec nos enfants et Fogwill me disait : « Maintenant, une chose catastrophique arrive, c'est la fin de tout. Ils sont sur le point de réaliser, par manipulation génétique, un spécimen du lièvre légibrérien ». Selon Fogwill, dans le rêve, il s'agissait d'un petit lièvre dont le territoire écologique se composait de la Patagonie, des îles Falkland et de la Sibérie. Ces trois domaines géologiques n'étaient pas encore réunis ; mais en réalisant le lièvre légibrérien par génie génétique, ils allaient être réunis ; par conséquent, l'Argentine allait être annexée à l'Union Soviétique. de ce rêve, j'ai écrit deux romans. Dans « le Lièvre » proprement dit, j'ai fait une généalogie de l'animal ».