Ce qui fait
l'autre découverte de l'Amérique, c'est une voix différente.
Une voix énigmatique, poétique, faite d'ellipses grammaticales, parfois comme hallucinée.
Une voix qui peut faire l'économie de la phrase si le sens est donné.
Et le sens est donné plus par des ressentis que par des actes, et même s'il se passe beaucoup de choses dans le roman, les événements sont comme vécus en apesanteur.
Fay a quitté sa riche famille avec sa soeur pour tenir un bar en plein désert, fréquenté par des pilotes de la base voisine. Elle tombe amoureuse de Vincent, pilote marié qui ambitionne une carrière spatiale. Ils ont une liaison puis se séparent alors qu'elle est enceinte sans le lui annoncer. Il commence ses entraînements tandis qu'elle part dans la jungle équatorienne avec son fils ou elle devient une militante radicale et mène l'existence d'une hippie sans le sou. de retour en Californie, elle s'engage dans la lutte active dans un mouvement inspiré par The Weather Underground et vit dans la clandestinité avec Wright.
Fay et Vincent ne se reverront plus jamais, sauf dans les médias. Elle, sera affichée comme terroriste, lui, comme héros de l'Amérique. Comme tels, ils sont le symbole de deux mondes en collision : le monde déconfit de la guerre du Vietnam contre le monde triomphant de la conquête spatiale.
Fay raconte son Amérique : la guerre du Vietnam, les classes sociales, la drogue, la pauvreté, l'épidémie de SIDA, mais aussi la solidarité et les convictions. Celle de Vincent est plus éphémère encore : la solitude et la mélancolie pour un instant de gloire.
Wright devra grandir entre ces deux modèles, et la tâche est ardue. Perdu dans la brume éblouissante de la Californie, il navigue à vue entre les souvenirs de cette mère excessive et les projections sur ce père mythique et absent. Les lettres qu'il lui envoie sont aussi confuses que son esprit, aussi pleines du vide qu'il ressent en lui.
Et lorsqu'il s'adresse à ce père étranger pour décrire sa mère, c'est pour faire le récit de sa propre inaptitude au monde, de son désarroi face à lui-même.
" La vengeance est un acte de fierte, n'est-ce pas ? Et la fierté est un acte du moi. Elle exige qu'une personne croie avoir été privée de quelque chose qu'elle méritait. Ma mère, Monsieur Kahn, n'avait plus aucune notion de ce qu'elle méritait. Elle n'avait même plus de notion de ce qu'elle aimait. "
Ce roman sur les choix que l'on fait et sur les choix que l'on est incapable de faire est déroutant. Par l'écriture d'abord, qui donne le sentiment de ne pas vouloir aboutir, souvent en suspension. Par le cheminement de ces personnages eux aussi en suspension, jamais totalement cernés, totalement aboutis.