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Christophe David (Traducteur)
EAN : 9782844850492
95 pages
Allia (27/01/2001)
4.07/5   23 notes
Résumé :
Dans cet entretien réalisé en 1979, Günther Anders retrace l'ensemble de sa carrière : ses rapports tumultueux avec Brecht, la vie difficile des émigrés allemands, etc. Une présentation par lui-même de l'oeuvre d'un des intellectuels allemands les plus importants de l'après-guerre.
Que lire après Et si je suis désespéré, que voulez-vous que j'y fasse ? Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
D'abord entretien datant de 1977 et paru dans un livre d'entretiens de personnalités ayant quitté l'Allemagne en 1933, Die Zeit Zerstörung einer Zukunft (La destruction d'un avenir), Et si je suis désespéré, que voulez-vous que j'y fasse ? a été publié une première fois en langue française en 2001 par les Éditions Allia et une seconde en 2016 par ces mêmes éditions. C'est la version de 2016 qui est présentée ici.

Critique de la technologie - notamment L'obsolescence de l'homme* - et pionnier du mouvement antinucléaire - L'obsolescence encore, Hiroshima est partout, de la bombe et de notre aveuglement face à l'apocalypse, ou La Menace nucléaire : Considérations radicales sur l'âge atomique -, Anders est un journaliste, penseur, essayiste - il ne se définissait pas comme philosophe et a toujours refusé les chaires de philosophie qui lui avait été proposée même s'il publia des aphorismes d'ordre philosophique, les Sténogrammes philosophiques - également musicien et poète.

Anders est aussi l'auteur d'un roman écrit entre 1933 et 1936 et non publié en langue française, Die molussiche Katakombe (La catacombe de Molussie)**. Ce roman est important dans la mesure où Anders y fait souvent référence dans ses autres oeuvres citant les « fables, histoires, maximes » molussiennes. Ainsi, dans Et si je suis désespéré que voulez-vous que je fasse ?, répondant à une question sur sa production littéraire, Anders explique que « Plus de la moitié de ce que j'ai écrit relève de la « littérature », même si je vous l'accorde, c'est de la littérature politique et philosophique. Cela a commencé peu de temps avant Hitler, avec un livre que j'avais intitulé Die molussische KataKombe. La « Molussie » est un pays que j'ai inventé. le livre se composait de nombreuses histoires - il y en a bien une centaine - qui s'imbriquaient les unes dans les autres, comme celle des Mille et une nuits. le sujet du livre, c'est le mécanisme du fascisme. Les histoires étaient racontées par des prisonniers, retenues par la Gestapo « mollusienne » dans une cave servant de prison. Les fables, histoires, maximes, étaient transmises par les prisonniers de l'ancienne génération à ceux de la plus jeune, puis par ceux-ci, à leur tour, à ceux de la génération d'après - jusqu'à ce que l'intégralité du « corpus des leçons » puisse être dévoilé », après la chute du régime de la terreur » (p. 38).

Et si je suis désespéré, que voulez-vous que j'y fasse ? est une espèce de bibliographie intellectuelle très dense - c'est l'équivalent d'un chapitre de livre. Répondant aux questions de Mathias Greffrath, Anders revient sur son départ forcé d'Allemagne, ses expériences de « mauvais jobs » et de travail en usine (p. 54) aux États-Unis - ces mauvais jobs lui permirent d'écrire sa critique de l'ère de la technique, à savoir L'obsolescence de l'homme -, les enseignements de Heidegger*** et Husserl (et de son manque de culture), sur la morale et de l'impossibilité de ne pas devenir un moraliste, sur la bombe atomique et sur d'autres sujets constitutifs de sa « philosophie », de de son engagement et actions et de son œuvre littéraire, politique et philosophique.

En outre, Anders parle des quatre césures, coupures qui ont déterminées une grande partie de sa vie, de son œuvre et de son activité politique. La première coupure, c'est l'horreur de la Première Guerre mondiale qu'Anders a vécu adolescent - il a douze ans lorsque la guerre éclate. La deuxième coupure, c'est l'arrivée d'Hitler au pouvoir. La troisième coupure, c'est l'annonce des camps de concentration qui fut "la révélation que l'homme, au siècle de l'industrie de masse, en était arrivé aussi maintenant à produire industriellement des cadavres par millions - bref : ce fut Auschwitz » (p. 63). La quatrième coupure, c'est le 6 août 1945, Hiroshima.

De son aveu, cette dernière coupure aura été la plus nette dans sa vie, l'empêchant même de réagir en tant qu'écrivain pendant des années. Ensuite, il réussira à réagir comme en témoigne une partie de son œuvre contre la bombe atomique, le nucléaire et plus globalement sur toutes les actions de l'homme le poussant à son obsolescence, à une espèce d'obsolescence « programmée » ****. En effet, les outils - la technologie donc - qu'il développe le rendent progressivement obsolètes et inutiles. Discutant des technologies militaires, Anders explique ainsi que l'homme en est venu à imiter ses propres outils - en l’occurrence ses propres armes.

Esprit visionnaire, Anders est comme le signifie la formule certes galvaudée d'une très grande actualité, d'une très grande modernité. Parmi les sujets récents, on pense, par exemple, au courant du transhumanisme et à l'ensemble des questions qu'il pose et aux avancées de l'intelligence artificielle contre lesquels se sont positionnés scientifiques, intellectuels et industriels*****. Il y a fort à parier qu'Anders s'en inquiéterait et montrerait son désespoir en appliquant « le principe qui est le (sien) : si je suis désespéré, que voulez-vous que j'y fasse ? (p.94) mais pas avant d'avoir agit car - c'est un autre de ses principes - « s'il existe la moindre chance, aussi infime soit-elle, de pouvoir contribuer à quelque chose en intervenant dans cette situation épouvantable, dans laquelle nous sommes mis, alors il faut le faire » (p. 94).

* En deux tomes et édité en langue française par les éditions L'Encyclopédie des nuisances.
** Un film, Autrement la Molussie, a été réalisé par Nicolas Rey (http://nicorey.perso.neuf.fr/anders/anders.html). NB : ce n'est pas l'écrivain mais un parfait homonyme.
*** Aspect le moins important de la vie d'Anders et quelque peu "people" avant l'heure, Anders a été le premier mari de Hannah Arendt ; Anders critiquera Heidegger dans Sur la pseudo-concrétude de la philosophie de Heidegger et Heidegger deviendra l'autre mari d'Arendt.
**** Anders n'utilise pas lui-même le terme.
***** Cf. dans les récentes parutions le livre que Luc Ferry consacre à La révolution transhumaniste.
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Le titre de ces entretiens – quelque peu trompeur – illustre la pensée radicale de Günther Anders, qu'on dit souvent exagérée, qui semble regarder le monde en lui devinant un horizon sinistre. La vie d'Anders, son parcours aux alentours des guerres, donne le moyen de comprendre le cheminement de sa pensée : réaction morale à la destruction du monde par les technologies et leur industrie qui entraînent les hommes malgré eux, la nécessité de pousser les hommes à raisonner plus loin, chacun, aux conséquences, de faire travailler leur imagination pour diriger leurs actions selon leurs désirs profonds (en cela, Anders se rapproche de Platon : dans La République, les individus doivent connaître leur désir profond pour ne pas choisir le mal). le choix d'une langue claire, accessible, est ainsi en soi révolutionnaire (comparé à la langue volontairement âpre des philosophes, pour se protéger comme l'explique Léo Strauss dans La persécution et l'Art d'écrire, ou plus sûrement par tradition pour faire intellectuel comme les structuralistes, ou mieux ecore parce que écrire de manière claire est plus difficile) , puisqu'il s'agit d'amener à chacun les outils pour penser là où les classes dirigeantes se servent d'expédient pour les rassembler, leur donner un ennemi commun. La littérature devient en soi un arme, visant d'une part à la propagation de thèses, mais surtout simplement à l'éducation du peuple. Comme le conceptualise Todorov dans Critique de la critique, la littérature ne porte pas un discours de vérité, comme la science, mais un discours de croyance. Il est question d'exprimer, de réfléchir, de partager, de diffuser ses peurs, ses envies, ses idéaux, son utopie. Afin qu'une société soit bien d'accord sur la direction qu'elle souhaite vraiment prendre, non qu'elle avance tirée par des forces inconnues, contradictoires et non désirées.
Lien : https://leluronum.art.blog/2..
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Dans cet entretien réalisé en 1977 par Mathias Greffrath, Günther Anders revient sur sa vie, ses influences et les principaux thèmes qui parcourent son oeuvre.
(...)
Excellente introduction à la pensée de Günther Anders, par un biais autobiographique.

Article complet sur le blog :
Lien : https://bibliothequefahrenhe..
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Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
Ah oui, la question n'est pas : comment devient-on un moraliste ? La question est plutôt: comment peut-il se faire qu'on ne le devienne pas ? Quand on voit ce que signifie la guerre - et moi, je l'ai vue avec les yeux d'un garçon de quinze ans... Je me rappelle, quand je suis allé en France, j'ai vu dans une gare, probablement à Liège, une file d'hommes, qui chose étrange, "commençaient aux hanches". C'étaient des soldats qu'on avait amputés jusqu’en haut des cuisses et qu'on avait simplement posés là, sur leurs moignons. Ils attendaient ainsi le train pour rentrer dans leur patrie. Ce fut ma première impression de la Première Guerre mondiale. Quand on voit un tel spectacle alors qu'on sort d'une famille paisible, il est tout simplement impossible de ne pas devenir un moraliste. (p. 29-30)
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Vous avez quitté l'Allemagne dès mars 1933. Plus tard, les bureaucrates ont eu l'idée d'établir une sinistre distinction entre persécutés pour raisons raciales et persécutés pour raisons politiques...

Cette distinction est tout à fait courante en effet, mais je répugne à l'utiliser. Il y a eu, c'est vrais, des centaines de milliers de réfugiés juifs qui, auparavant, ne s'étaient naturellement jamais intéressés à la politique et encore moins engagés politiquement. Mais c'est justement la politique qui s'est intéressée à eux. Et en ce sens, même si c'était seulement modo passivo - mais que veut dire ici "seulement"? - eux aussi étaient des réfugiés politiques. Tous les juifs qui ont quitté l'Allemagne l'ont donc fait pour des raisons politiques.
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Le courage ? Je ne sais rien du courage ? Il est à peine nécessaire à mon action. La consolation? Je n'en ai pas encore eu besoin. L'espoir ? Je ne peux vous répondre qu'une chose : par principe, connais pas. Mon principe est : s'il existe la moindre chance, aussi infime soit-elle, de pouvoir contribuer à quelque chose en intervenant dans cette situation épouvantable, dans laquelle nous sommes mis, alors il faut le faire. Mes Gebote des Atomzeitalters (Commandements du siècle de l'atome), que vous venez d'évoquer, se terminent par le principe qui est le mien : et si je suis désespéré, que voulez-vous que j'y fasse ? (p. 94)
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Il me semblait qu'écrire des textes sur la morale que seuls pourraient lire et comprendre des collègues universitaires était dénué de sens, grotesque, voire immoral. Aussi dénué de sens que si un boulanger ne faisait ses petits pains que pour d'autres boulangers. Bref: j'ai essayé de donner à la morale une forme pour que le message passe.
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Vous avez quitté l'Allemagne dès mars 1933. Plus tard, les bureaucrates ont eu l'idée d'établir une sinistre distinction entre persécutés pour raisons raciales et persécutés pour raisons politiques...

Cette distinction est tout à fait courante en effet, mais je répugne à l'utiliser. Il y a eu, c'est vrais, des centaines de milliers de réfugiés juifs qui, auparavant, ne s'étaient naturellement jamais intéressés à la politique et encore moins engagés politiquement. Mais c'est justement la politique qui s'est intéressée à eux. Et en ce sens, même si c'était seulement modo passivo - mais que veut dire ici "seulement"? - eux aussi étaient des réfugiés politiques. Tous les juifs qui ont quitté l'Allemagne l'ont donc fait pour des raisons politiques.
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Videos de Günther Anders (6) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Günther Anders
C'est à la philosophe Corine Pelluchon que nous consacrons notre épisode 5 de la série Filature : sa relation avec le mot “amour”, son engagement pour la cause animale, son approche de la philosophie entre science et art. La meilleure façon de terminer un livre ? Il n'y en a pas, on le sent.
Spécialiste de philosophie politique et d'éthique, Corine Pelluchon est aujourd'hui professeure à l'université Paris-Est-Marne-la-Vallée (rebaptisée université G. Eiffel à partir de janvier 2020). Elle a commencé par une thèse soutenue en 2003 sur Leo Strauss et sa critique des Lumières, puis, dès le milieu des années 2000, elle s'est intéressée aux défis anthropologiques et politiques que soulèvent les techniques médicales, les biotechnologies, et la prise en compte de la finitude de la planète et des intérêts des animaux. Parmi ses ouvrages les plus récents, on retrouve Pour comprendre Emmanuel Levinas. Un philosophe pour notre temps, janvier 2020 ; Réparons le monde. Humains animaux, nature, mars 2020, Rivages/Poche. C. Pelluchon a reçu en 2020 le prix de la pensée critique Günther Anders pour l'ensemble de ses travaux. Corine Pelluchon était l'invitée de la Fête du Livre de Bron 2023 pour “Grandeur nature” un dialogue avec l'écrivain et directeur de la rédaction de Philosophie Magazine Alexandre Lacroix.
Chaque semaine, retrouvez un invité dans un format court de 4 minutes et écoutez un peu de leur univers littéraire et personnel. À découvrir sur le Média et les réseaux sociaux de la FdLB.
© Collectif Risette/Paul Bourdrel/Fête du Livre de Bron 2023
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