Il s'agit d'une pièce anonyme du XVIe siècle, certains indices dans le texte font penser qu'elle doit avoir été écrite après 1538. Comme son nom l'indique, elle est d'origine vénitienne, et écrite dans le dialecte vénitien. Même si des hypothèses sur l'auteur de la pièce ont été avancées, il n'y a aucune certitude sur ce point. On ne sait rien sur la destination et carrière de la pièce en son temps : a-t-elle était représentée ? Interdite ? Un manuscrit (contenant d'autres pièces, anonymes et une de Ruzante) a été découvert en 1928, et la pièce enfin éditée. Depuis elle a connue diverses traductions, et des représentations sur scène.
Nous sommes à Venise. Iulio, un jeune et bel étranger vient d'arriver en ville. Il a été séduit par une jeune femme, Valiera, tout juste mariée. Valiera n'est pas insensible au charme de Iulio, et compte sur Oria, sa servante pour avancer ses affaires. Mais Valiera a une concurrente : Anzola, une riche veuve qui a très envie d'avoir une intrigue amoureuse avec le beau Iulio. Sa servante, Nena, va utiliser les services de Bernardo, un portefaix pour attirer le jeune homme chez sa maîtresse. Ce dernier n'a au final rien contre les deux dames, plutôt qu'une seule.
Pièce très libre, qui exprime sans fard le désir, en particulier celui des deux femmes, une veuve, et une marié à un vieillard, pour un beau jeune homme, étranger de surcroît, ce qui permet d'espérer une facilité à terminer l'histoire. Ce sont les femmes qui conduisent les choses, prennent les initiatives, Iulio, se laisse entraîner au fil du courant, en ayant du mal à décider ce qu'il veut vraiment. Il semble plus objet de désir, qu'acteur de l'action. Aucun jugement moral, aucun interdit, n'apparaît dans le texte. C'est le reflet d'une Renaissance hédoniste et sensuelle, où les effets du concile de Trente ne se sont pas encore fait sentir. Par ailleurs, il est difficile de relier cette pièce aux modèles antiques, tellement importants dans le théâtre savant de l'époque, elle se rattache pleinement à son époque, à sa façon de vivre.
Une curiosité passionnante.
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Ô Venise, bienveillante envers les étrangers, courtoise envers les jeunes gens ! Comment a-t-elle produit des femmes de tant de beauté et de tant d'amour, qu'elles m'ont mis à la torture au point que j'ignore quel parti choisir pour le meilleur ! Cette matrone, charmante, riche, enflammée m'a donné son coeur et son âme, sans vouloir révéler son nom. Et avec quel art, elle a voulu jouir de moi, sans que je sache ni reconnaisse sa nature, sa maison, sa famille, sa contrée ! Et puis, elle m'a élu comme son seul aimé, en obtenant de moi le serment de lui rester fidèle. Peut-être l'a-t-elle fait avec quelque raison, étant une veuve ou une épouse de haute naissance.
Or voici qu'après elle, une autre à son tour, jusqu'ici cruelle, me veut, avec les plus grands égards.
Tout ce que Madame pense la nuit, il faut que le mette en oeuvre de jour, pour la contenter. Maintenant, elle veut un garçon qui s'appelle Iulio, étranger, comme elle dit, amoureux de madone Valiera, qui est descendu à l'Auberge du Paon. Mais je ne sais pas quoi faire. La chose est difficile : conduire le garçon, le faire en cachette...