Au moins une ou deux fois par an, parfois plus souvent, je pioche dans la Comédie humaine comme dans une mine de diamants. Je pioche presque au hasard car le gisement est riche et j'en extrais toujours des pépites remarquables. J'ai en plus le loisir de choisir l'édition dans laquelle lire
Balzac, je dispose de plusieurs éditions de ses oeuvres complètes, mais j'ai aussi de nombreux volumes dans des éditions diverses cartonnées ou reliées et aussi dans la collection du livre de poche. Au cours de près de 60 ans de fréquentation de cet auteur, j'ai eu l'occasion d'acquérir de nombreux volumes destinés à remplacer mes acquisitions plus anciennes, mais au final je ne me suis séparé d'aucune, ce qui me laisse aujourd'hui un choix royal lorsque je décide de me replonger dans l'univers balzacien (par exemple j'ai au-moins 5 éditions différentes du Père Goriot dont une en russe).
Pour ‘
la cousine Bette', je choisis le petit volume relié de la collection France Loisirs acquise en 1986. La magie s'opère dès les premières lignes. Je reconnais immédiatement le style
De Balzac avec sa manière très reconnaissable de commencer une histoire ‘Vers le milieu du mois de juillet de l'année 1838, une de ces voitures nouvellement mises en circulation sur la place de Paris et nommées des milords cheminait, rue de l'Université…'.
Ce roman de 500 pages rédigé en quelques mois au cours de l'année 1846 est le couronnement de l'oeuvre du grand romancier, l'un de ses derniers ouvrages avec
le cousin Pons.
Balzac engage dans ces deux livres ses dernières forces vitales [il meurt le 18 août 1850]. Il travaille dans la perspective de son mariage avec Eve Hanska, il veut montrer une fois de plus à l'amour de sa vie l'intensité de son génie et il y parvient. Ce roman est l'un des plus caractéristiques de l'oeuvre
De Balzac on y retrouve la puissance de l'intrigue, la profondeur de ses analyses sur la société et la démesure des personnages muent par une ardeur qui trouve son origine soit dans la vertu soit dans le vice. Quatre personnages dominent l'histoire, tout d'abord le baron Hulot, libertin impénitent, qui va sacrifier sa fortune et sa famille pour satisfaire sa passion des jeunes femmes, à l'opposé, sa femme, Adeline Hulot est un modèle de vertu, d'esprit de sacrifice, d'amour et de tolérance elle fera tout pour récupérer son mari et lui offrir son pardon. Il y a aussi Valérie Marneffe, femme mariée qui use de son charme et manipule plusieurs amants pour leur soutirer leur fortune, elle est aidée en cela par Lisbeth Fischer [
la cousine Bette] qui nourrit une jalousie démesurée envers Adeline. Ces quatre personnages et quelques autres sont animés par le souffle Promethéens de
Balzac. Voici le court portrait que l'auteur fait de
la cousine Bette ‘Paysanne des Vosges, dans toute l'extension du mot, maigre, brune, les cheveux d'un noir luisant, les sourcils épais et réunis par un bouquet, les bras longs et forts, les pieds épais, quelques verrues dans sa face longue et simiesque, tel est le portrait concis de cette vierge'. Page 46
Je ne résiste pas au plaisir de citer un autre portrait, celui de Madame de Saint-Estève : ‘Cette vieille sinistre offrait dans ses petits yeux clairs la cupidité sanguinaire des tigres. Son nez épaté, dont les narines agrandies en trous ovales soufflaient le feu de l'enfer, rappelait le bec des plus mauvais oiseaux de proie. le génie de l'intrigue siégeait sur son front bas et cruel. Ses longs poils de barbe poussés au hasard dans tous les Creux de son visage, annonçaient la virilité de ses projets. Quiconque eût vu cette femme, aurait pensé que tous les peintres avaient manqué la figure de Méphistophélès'. Page 442
Balzac ne manque pas de faire intervenir d'autres personnages récurrents de la comédie humaine, Bianchon, du Tillet, Nucingen, Bixiou, Lousteau, Rastignac et bien d'autres, ce qui offre à ses lecteurs le moyen de ressentir encore de façon plus tangible le réalisme et la profondeur de son roman. L'argent joue toujours un grand rôle dans les ouvrages
De Balzac, de ce point de vue
la cousine Bette ne fait pas exception, le montant des dépenses, des appointements, des rentes, des capitaux, des dettes et des lettres de change qui circulent entre les personnages est précisé maintes fois de manière presque obsessionnelle, jusqu'au prix du cercueil pour l'enfant de Mme Marneffe.
La richesse de l'intrigue et la force de caractère des personnages impriment à l'histoire un dynamisme, une énergie qui emporte le lecteur. C'est un roman sur l'amour, la haine et la jalousie. ‘L'amour et la haine sont des sentiments qui s'alimentent par eux-mêmes, mais des deux la haine a la vie plus longue' nous dit
Balzac.
Encore une fois je me suis fait happer par le génie
De Balzac.
— ‘
La cousine Bette' Honoré de
Balzac, éditions France Loisirs ‘La Comédie humaine', tome XV [1986], 526 pages.