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Critiques filtrées sur 3 étoiles  
Il ne faudrait pas revenir sur le théâtre de nos amours anciennes. Et encore, Honoré n'a pas été mon préféré. Quelle admiration j'avais pour Gustave, quel plaisir j'ai pris à dévorer Emile ! Oui mais voilà, tout passe. Ou plutôt tout change et il faut croire que mes lectures récentes ont tué Balzac et avec lui, l'affection que je lui portais. Lahire, Froidevaux Metterie, Bourdieu, Chollet et consorts, assasins !

La Cousine Bette est du côté sombre de la Comédie humaine. En existe-t-il un vraiment ensoleillé me demanderez-vous ? le lys dans la vallée, les folles ambitions d'un Rastignac dans le Père Goriot laissaient au moins croire qui à un amour heureux, qui à une ambition énergique porteuse d'avenir fructueux. Et les romans plein de fantastique comme La Peau de chagrin offrent le recours à un surnaturel jugement. Mais La Cousine Bette appartient aux « Scènes de la vie parisienne », cette section de 19 romans dont elle partage une sous-partie avec le Cousin Pons au titre des « parents pauvres ». Elle est donc les deux pieds dans le réel, parfait rouage contribuant au vaste projet de son auteur de « faire concurrence à l'état civil ».

La Comédie humaine : 91 romans achevés, 48 ébauchés, entre 4000 et 6000 personnages selon les décomptes. Rien moins que l'établissement de tous les caractères humains classés selon leur appartenance sociale, leur tempérament et leurs lieux d'habitation. Une entreprise sociologique à la hauteur de ce qui fit Buffon et son Histoire naturelle pour la zoologie. Balzac écrit à Mme Hanska en 1844, trois ans avant la rédaction de Bette donc : « Quatre hommes auront eu une vie immense : Napoléon, Cuvier, O'Connell, et je veux être le quatrième. le premier a vécu de la vie de l'Europe ; il s'est inoculé des armées ; le second a épousé le globe ; le troisième s'est incarné un peuple ; moi, j'aurai porté une société toute entière dans ma tête. » On retrouve la modestie proverbiale du bonhomme.

Allez, vas-y, mon Nono, prenons un exemple, explique-moi la vie : « En ceci peut-être consiste toute la différente qui sépare l'homme naturel de l'homme civilisé. Le Sauvage n'a que des sentiments, l'homme civilisé a des sentiments et des idées. Aussi, chez les Sauvages, le cerveau reçoit-il pour ainsi dire peu d'empreinte, il appartient alors tout entier au sentiment qui l'envahit, tandis que chez l'homme civilisé, les idées descendent sur le coeur qu'elles transforment ; celui-ci est à mille intérêts, à plusieurs sentiments, tandis que Le Sauvage n'admet qu'une idée à la fois. ». Hum. Et cette pensée subtile s'applique à… ? La cousine Bette bien sûr, qui, depuis ses origines d'arriérée, ne peut pas avoir la lumière à tous les étages, ça se comprend… Mais ça vaudrait pour le baron Brésilien dont je ne vous ai pas encore parlé. Bah ouais, il est quand même un peu noiraud…. Bon… En fait, Nono, je préfère quand t'expliques pas(1). Ça promet une vraie partie de plaisir, ce roman... Mais mettons les choses dans l'ordre et faisons les présentations.

Nous voici donc avec Bette, cette solide vosgienne qui a le malheur de ne pas être belle, emportée à Paris à la suite de sa jolie cousine Adeline laquelle a fait un mariage d'amour avec le riche, brillant et volage baron Hulot. Bette est donc laide, pauvre et obstinée. Jetez à ce petit bois de prédispositions l'allumette d'un amour contrarié et vous en ferez un boulet de canon. La puissance qui ne peut s'épanouir en vertu se démultiplie dans la rancoeur et la vengeance, postule et professe Balzac. Et pour que cette démonstration emporte avec elle d'autres illustrations de sa théorie sociale, pour qu'elle s'intègre dans la grande fresque de son « étude de moeurs », nous aurons 1) Adeline, une prude et admirable épouse immolée à sa famille et à sa réputation (l'impeccable Elvire de Dom juan version matrone ou la splendide Mme de Tourvel sans qu'elle ait jamais rencontré Valmont si vous préférez), 2) Hortense, sa fille, une tendre et passionnée jeune fille payant le péché d'avoir rusé pour assouvir son amour naïf (comprenez que la femme reste Eve, déchue et pécheresse donc, même - surtout ? - quand elle aime), 3) l'abominable Valérie, épouse au petit pied de l'insignifiant et corrompu Marneffe, belle à se damner - et elle le sait, la garce ! -, dont l'intrigue et la vénalité confinent au génie. Une que Balzac aimerait qu'on compare à Merteuil, et si je n'y suis pas parvenue, ce n'est pas faute qu'il me l'ait suggéré à moulte reprises, fin abominable comprise.

On comptera aussi a) un Comte polonais, Wenceslas Steinbock, artiste sculpteur aussi beau, jeune, idéal que velléitaire (Tragicomix dans La fiancée d'Astérix si vous voulez une image), b) un arriviste ancien boutiquier, le sieur Crevel, bourgeois gentilhomme façon 19e siècle, sans lustre et sans candeur, se réclamant du libertinage à la Louis XV quand son avarice de petit bourgeois le range plutôt dans la catégorie des tristes Harpagon. le sommet d'une époque désespérante, quand les épiciers cupides ont fini de remplacer les héros émancipateurs. Quand les sombres manoeuvres ont pris la place des grands desseins. Ajoutez-y c) le baron Hulot, déjà mentionné, tristement réduit - nous sommes chez La Bruyère cette fois - à un toupet qu'il met pour masquer ses cheveux rares, des favoris teints, un ventre que ne retient qu'un corset et des ambitions démonétisées de vieux beau aussi pathétiques que ridicules. Pour faire bonne mesure, mettez un peu d'exotisme facile et de racisme bien trempé avec d) le Maure qui sera ici Brésilien, baron de Montéjanos, richissime et premier amant de Valérie Marneffe ayant le double tort d'avoir abandonné la donzelle trois ans auparavant et de revenir quelques mois trop tôt avant que la belle ait liquidé, laissez-moi compter, son mari, ses deux, non trois amants ! Quatre avec lui ! Versez pour finir quelques utilités du monde des arts, des administrations comme autant d'arcanes capables de jouer le destin des personnages sur les deux seuls aspects ayant véritablement de l'importance à Paris : la renommée et l'argent. Et déroulez ! Ce sera cruel, ce sera sanglant, ce sera sans merci.

Alors quoi ? Pourquoi n'ai-je pas aimé ?

Parce qu'il en fait des tonnes, le père Balzac ! Non content de nous brosser des caractères selon les besoins de sa démonstration, de nous proposer une intrigue à désespérer le plus enthousiaste des optimistes, il faut encore qu'il pontifie, prophétique et péremptoire, qu'il assassine tout le sexe féminin à coup de phrases définitives : A propos d'Adeline, la Sainte de service, lorsqu'elle comprend que son barbon d'époux l'a trahie « La passion fait arriver les forces nerveuses de la femme à cet état extatique où le pressentiment équivaut à la vision des Voyants. Une femme se sait trahie, elle ne s'écoute pas, elle doute, tant elle aime ! et elle dément le cri de sa puissance de pythonisse. » Passez donc considération pour la capacité individuelle à jouer sa partition, liberté de penser et foi dans l'intelligence ! La femme est tragiquement, constitutivement fichue. Par son sexe, ses talents mêmes ne sont utiles qu'à la desservir. Là où l'homme désire, elle aime ou se vend. Là où il butine, elle se prostitue ou s'immole. Ou comment enterrer la moitié de l'humanité sous un tombereau d'hommages amèrement fleuris.

Vous me direz qu'il n'est pas tendre avec les hommes non plus. Certes mais lisez ce qu'il écrit par exemple à propos du baron Hulot lorsque ce dernier découvre que sa maîtresse, la démoniaque Valérie, le trompe avec l'affreux Crevel (entre autres), et jugez ensuite : « Les catastrophes poussent tous les hommes forts et intelligents à la philosophie. le baron était, moralement, comme un homme qui cherche son chemin la nuit dans une forêt ». Voilà. Quoique sublime, la meilleure des femmes est damnée par son sexe, à l'image de toutes ses soeurs. le plus lâche et lubrique des hommes reste lui en deçà d'une perfection, certes, mais cela n'entache en rien le reste de ses comparses, toujours appelés, eux, à prétendre à des idéaux philosophiques.

Juge et parti, voilà ce que je reproche à Balzac. C'est de son temps, Hugo, Zola et quelques-uns de leurs continuateurs ont, jusqu'à des époques pas si reculées, continué de nous assommer de leur vision du monde, colorant pour cela de leurs tristes opinions la peinture soi-disant objective qu'ils faisaient de leur siècle. On pourrait considérer donc la Cousine Bette comme un témoignage daté sur le monde, le résultat d'une certaine vision de l'écrivain, du rôle de la littérature et d'un talent à la mise en fiction romanesque. Ce serait, à ce titre précis, un très bon roman même si ses personnages ont plus à voir avec la charge d'une carricature qu'avec l'analyse psychosociologique la plus fine.

Ce que je n'admets plus aujourd'hui toutefois, c'est que, sur la base de son discours moral, on l'encense. Qu'on y applaudisse la peinture des moeurs passées comme si elle était objective et dépourvue de toute intentionnalité idéologique. C'est qu'on oublie qu'en l'étudiant, en le relisant et s'en délectant, on cautionne le monde qu'il dépeint et qui, sans l'existence de tous ces romans, de toutes ces oeuvres de fiction corroborant un mercantilisme triomphant, une division des sexes à la défaveur des femmes, une hiérarchisation des humains avec les Occidentaux tout en haut, ne serait peut-être pas à ce point prédominant. Plus que simple peinture à visée moralisante ou critique, la Comédie humaine me semble avoir été, comme d'autres oeuvres de son siècle, un précieux adjuvant à une idéologie patriarcale et capitaliste en train de se constituer. Vous me direz, l'oeuf, la poule, qui de la Comédie humaine ou de l'idéologie capitaliste a fait qui ? Je vous l'accorde. Mais que cette oeuvre soit conséquence ou cause partielle, on n'est peut-être pas obligé de continuer à lui faire tout ce crédit.

Est-ce que cela signifie qu'il faut déboulonner Balzac ? Naturellement non ! C'est un monument qui appartient à notre histoire. Pondérer sa lecture d'une analyse critique éclairée et la panacher d'autres oeuvres moins colorées de cette orgueilleuse et délétère ambition, oui !

J'ai entrepris cette lecture sur l'impulsion d'Anna. Hélas, les circonstances ne nous ont pas permis cette fois de la suivre exactement au même rythme. Ses rendez-vous successifs avec des kleenex et des pylônes, mes propres aventures avec des bus scolaires enneigés et des frigos mystérieusement vidés se seront ajoutés à une différence initiale d'approche (elle a tout de suite adoré, en a fait une lecture plaisir, moi pesté, m'imposant de décortiquer les raisons de mon agacement, ce qui vous vaut cette micro critique, oui, je sais, je sais, moi aussi j'aimerais faire autrement parfois). Ca ne peut pas marcher à chaque fois et même s'il n'a pas été aussi plaisant qu'escompté, ce voyage commun avec la Cousine Bette m'aura bien dépaysée.

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(1) Pour ceux qui plaideraient le « autre temps, autres moeurs » et le tour déformant avec lequel notre regard contemporain peut indument exiger des hommes anciens une lucidité que la marche de l'Histoire ne leur autorisait pas, je rappellerais simplement la manière si humble et juste dont Montaigne, Jean de Léry, au 16e siècle donc, Montesquieu ou Diderot, au 18e siècle, envisageaient l'autre, qu'il soit noir, féminin ou sauvage.
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Après avoir lu un certain nombre de Zola, j'ai voulu essayer Balzac, et mon choix s'est porté sur La Cousine Bette.
J'ai craint que les descriptions, auxquelles j'étais tout de même bien habituée avec Zola, ne me lassent.
En réalité, ce premier contact avec l'oeuvre De Balzac a été très positif. On s'éloigne du peuple dont sont issus de très nombreux personnages de Zola pour intéresser plus à la bourgeoisie et à la noblesse.
J'ai apprécié ce premier contact avec la vie parisienne de l'époque.
J'avais déjà repéré un thème qui reviendra souvent, les femmes mélancoliques, malheureuses dans leur mariage.
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Il y a beaucoup plus de génie dans La Cousine Bette qu'il n'y paraît au premier abord. C'est l'un des premiers Balzac que j'ai lu - par opposition au Cousin Pons qui est l'un des derniers - et j'en garde un impérissable souvenir.
La Cousine Bette - comme l'indique son titre - c'est d'abord un roman de personnages. Et ils sont réussis dans les moindres détails : Balzac parvient, une fois encore, à croquer d'irrésistibles caractères, que ce soit dans le jeune sculpteur ingénu, la femme éplorée et soumise, le mari luxueux et débonnaire, l'arriviste aux dents de scie, et surtout - dans un des plus vertigineux portraits de notre littérature - la grande Bourgeoise au sourire sanglant qui dévore petit à petit tout ce monde. Et derrière tout cela, se dissimulant sous un masque hypocrite qui ne s'effritera jamais, se tient la plus bouleversante des anti-héroïnes de la Comédie Humaine.
Jugez si avec de tels ingrédients on ne peut pas tirer une oeuvre !
La pluralité des thèmes de la critique est aussi intéressante. On retrouve avec plaisir le critique d'art du Chef-d'oeuvre inconnu, qui cette fois-ci explore le monde très peu étudié de la sculpture, tandis que le terrible usurier de la Maison Nucingen dissèque une nouvelle fois les rouages de la finance française au XIXème siècle. La Beauté, au centre de ce Paris très bipolaire, oscillant entre les bas-quartiers où réside Marneffe et l'apanage de luxe dans lequel se roule allègrement Hulot, et, en contre-pied, la vieillesse et l'impuissance de ses personnages qui peinent à se faire vraiment aimer. Il y a du bon dans ces victimes qui triomphent sans même le savoir sur leurs ennemis, mais ils sont encore plus méprisables, et je regrette presque la déconfiture finale - le mécanisme impitoyable de la Cousine Bette aurait pu ne pas s'effondrer.
Une autre chose que je m'étonne que l'on ait pas soulignée, c'est la lenteur avec laquelle le ménage Hulot s'effondre, je veux dire par là, la lenteur avec laquelle Bette parvient à satisfaire sa vengeance. C'est là que le roman est vraiment jubilatoire, à mon sens : cette délicatesse et cette douceur dans l'anéantissement ont tout des éloges donjuanesques.
Le seul regret que j'éprouve, c'est de voir à quel point cette oeuvre est excentrée des autres. Il n'y a pas beaucoup de personnages reparaissants, et des thèmes de la Comédie, comme l'animalisme ou l'Etude de Paris au regard de la province, sont vraiment non-traités. Pour le dernier roman De Balzac, c'est sûr que j'aurais préféré un grand tableau qui mettrait en scène tous ses personnages importants - comme on vient saluer après un spectacle. Ne serait-ce pas là le meilleur moyen de clôturer la COMEDIE humaine ?
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La baronne Adeline Hulot et sa fille Hortense sont deux magnifiques femmes, mais le baron Hulot ne s'en soucie guère, il s'est ruiné pour Josépha, une femme juive auparavant la maîtresse de Crevel. Celui-ci veut se venger en séduisant Adeline, dont le principal souci est de marier sa fille.
Lisbeth , la cousine Bette de Mr Hulot, vieille fille plutôt laide et très jalouse d'Adeline, va tenter de ruiner la famille.

Cette histoire qui se déroule entre 1838 et 1843 a d'abord été publiée en feuilletons en 1846.
Ce CD qui dure 16h30 comprend trente-six parties. Les longues descriptions même pleines d'humour sont difficiles à suivre. Je ne dis pas combien de fois j'ai écouté le début. Au bout d'un moment perdue dans toutes les descriptions, je me rendais compte que j'avais décroché. Manon Combes a une belle voix, une belle diction, mais je crois que j'aurais préféré une voix plus puissante, une voix d'homme , pour une meilleure écoute.
Ce n'est pas le premier livre audio que j'écoute, mais pour moi, je me rends compte qu'il est trop long, trois heures c'est le temps qui me convient. Alors, il faudra que je reprenne ce livre avec une meilleure organisation. Mais, je pensais qu'écouter un livre était facile, il suffisait d'écouter, il n'en est rien , celui-là m'a demandé une bonne concentration.

Je remercie vivement, Babélio et les Editions Thélème pour cette nouvelle expérience.
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Mon avis sur ce livre à la fois puissant et bourré d'imperfections (stylistiques notamment, on voit qu'il a été écrit vite), est mitigé. De part en part il est éprouvant, et le monde qu'on aperçoit de sa fenêtre quand on le termine, en est teinté de gris.

Balzac y dépeint des figures humaines à la méchanceté et la veulerie paroxystiques.

Lisbeth, dite "La cousine Bette" pauvre malgré le beau mariage de sa parente devenue baronne Hulot d'Evry, fixe pour unique but de sa vie de parvenir par ses intrigues à la ruine totale de la nouvelle famille, qui pourtant l'accueille, et dont, sans scrupule, elle sait se faire aimer pour mieux la détruire. On ne peut qu'admirer le génie de la vieille fille, qui, s'il n'était pas exercé exclusivement au service du mal, aurait pu être un véritable homme d'état, politicien de grande envergure. Je ne dis pas femme d'état, tant les caractéristiques de la cousine Bette en font davantage un homme qu'une femme - physique sévère, sans charme, elle est même affligée d'une authentique laideur (ses sourcils se rejoignent) ; elle est, tout comme un homme, capable de se mêler au demi-monde et d'y tenir une place d'éminence grise sans déchoir de son statut social et éveiller la méfiance de ses proches ; Balzac suggère à plusieurs reprises le plaisir trouble qu'elle éprouve à la fréquentation des jolies femmes, dangereuses lorettes qui lui servent à remplir son dessein.

Les hommes (le baron Hulot d'Evry et le marchand Crevel) sont les esclaves absolus de leurs vices et de leurs addictions envers les petites femmes. Celles-ci n'ont d'autres possibilités d'établissement quand elles ne sont pas nées riches, que de vivre «des hommes» ou d'exercer un métier peu payé, d'apparence plus honnête, mais dans lequel elles s'useraient vite et seraient de toute façon la proie de l'omniprésente concupiscence masculine.

Car une femme seule à Paris est un gibier cerné de toutes parts dans une sorte de chasse à courre qui ne connaît ni trêve ni repos : dans cette société du 19 ème, les hommes, outre un emploi au ministère, à la chambre, à l'armée et un bon mariage, se mesurent entre eux au train sur lequel ils entretiennent une danseuse, plus richement souvent que leurs épouses ; car le mariage est lien obligatoire et sans plaisir, un fade brouet qui ne peut rivaliser avec des mets exquis et relevés. Cette course folle au paraître, contrairement aux plaisirs de la chair, ne s'épuise jamais puisqu'elle est rivée à l'amour propre, à la place dans la société et à la masculinité proprement dite.

Dès lors, les messieurs, lorsqu'ils se prennent au jeu, deviennent dépendants de leur manie et conduisent toute une famille à la ruine et au déshonneur sans s'amender jamais. Comme les toxicomanes d'aujourd'hui.

Balzac, pourtant marqué par la misogynie unanime de son siècle, a mis en évidence à quel point la société de son temps, telle qu'elle allait, lui semblait malsaine et disons le mot, marcher sur la tête. Ainsi on peut lire : « Les réflexions faites à propos de madame Marneffe (femme de la classe des prostituées aisées) s'appliquent parfaitement aux hommes à bonnes fortunes qui sont des espèces de courtisanes-hommes.»

Les hommes courant le guilledou ne sont rien d'autre pour Balzac que des prostitués-hommes puisqu'après avoir dilapidé tout leur avoir, ils sont réduits à la mendicité, aux humiliations incessantes et à la clandestinité pour fuir police et prêteurs à intérêts. Ils ont naturellement aussi sacrifié leur famille, poussant souvent à deux doigts du ruisseau femmes et filles, puisque, rappelons-le, l'épouse n'a aucune possibilité légale de mettre fin à la dilapidation de la fortune de la famille, ni même à celle de sa propre dot. Pauvres épouses, qui, si leurs père et mère n'ont pas un statut social et un entregent supérieurs à ceux du mari, n'ont plus qu'à tendre le cou pour se faire tondre, et à prier, chèvres résignés ou bêlantes sous la curée.

On retrouve dans la Cousine Bette, écrite en 1846, un Balzac toujours fidèle aux thèses qu'il a développées dans «Physiologie du mariage» quinze ans plus tôt : le mariage est un contrat inégalitaire qui réussit pourtant l'exploit de flouer les deux époux. La virginité exigée de la jeune fille au moment de ses noces est la garantie que son mari sera cocu. Quel homme, en effet, voudrait voir sa connaissance de l'autre sexe limitée à un seul exemplaire ? Peu, assurément ! Et pourquoi, sauf dans l'esprit illogique des hommes, en irait-il autrement des femmes ? Celles-ci, mariées vierges pour satisfaire des usages imbéciles et contre-nature, deviendront soit des bigotes aigries, soit des femmes adultères. Or la stabilité du foyer est entre leurs mains. Laissons donc les filles connaître l'amour et contracter des mariages d'inclination sous la surveillance bienveillante des parents. En tous cas ne les forçons jamais à contracter pucelles une union qui leur répugne.

Et Balzac reprend cette idée presque quinze ans plus tard dans la Cousine Bette à travers les propos tenus par l'actrice Josepha à la baronne Hulot « Si vous aviez eu, voyez-vous, un peu de notre chique, vous l'auriez empêché de courailler; car vous auriez été ce que nous savons être : toutes les femmes pour un homme. Le gouvernement devrait créer une école de gymnastique pour les honnêtes femmes ! Mais les gouvernements sont si bégueules !... ils sont menés par les hommes que nous menons ! Moi, je plains les peuples !…»

Une école de gymnastique, pour préparer les femmes à leur rôle d'épouse, voilà ce dont rêvait Balzac, afin que les maris trouvent en la même femme -leur épouse-, la femme honnête selon leur coeur, mais sachant mettre toute pruderie au placard à l'entrée de la chambre conjugale.
Il en va de la stabilité des alliances et de la fortune des familles.


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Quand la production littéraire contemporaine se révèle source de déception, ou pour le moins a fini de nous surprendre et de susciter une envie de lectures à l'infini, il est toujours bon de se retourner vers les classiques, ces grands romans du 19ème siècle qui constituent le socle indéboulonnable de notre patrimoine culturel.
Il faut toutefois changer de lunettes quand on aborde ces textes et les replacer dans leur contexte, à savoir une époque où les feuilletonistes régnaient en maîtres sur les esprits et portaient la presse au pinacle, suscitant des tirages quotidiens qui font encore pâlir d'envie les journalistes d'aujourd'hui.
C'est dire qu'il fallait offrir aux lecteurs des intrigues complexes, des retournements de situation, des personnages bien typés que l'on pouvait aimer à la folie...ou haïr ...
La cousine Bette fait incontestablement partie de cette dernière catégorie. Parente pauvre recueillie par la belle Adeline qui a épousé le Baron Hulot et donné naissance à deux beaux enfants, Bette crève littéralement de jalousie et ne rêve que de détruire cette belle famille .
Et pourtant à y regarder de plus près, on se rend compte que la situation est loin d'être idyllique ! le baron Hulot saisi par la débauche, comme on dit en ces temps là, a perdu quasiment toute sa fortune en entretenant des maîtresses plus coûteuses les unes que les autres et se livre avec le beau-père de son fils, Crevel, à une escalade pour obtenir ( et garder) les plus belles femmes de Paris.
La pauvre Adeline souffre en silence et voit sa famille se déliter sous ses yeux, alors que les dettes s'accumulent ...
La cousine Bette va précipiter la déchéance des siens en introduisant la redoutable (mais très belle) Valérie Marneffe au sein de la famille avec le but assigné de séduire les hommes et de désespérer les femmes...
On est vraiment dans le cadre historique du roman feuilleton avec ses personnages parfaitement typés, ces héroines courageuses ou perverses, ces hommes d'une faiblesse coupable qui sont prêts à tout pour obtenir la femme trophée qu'ils convoitent.
On ne s'ennuie absolument pas dans cette lecture où il se passe bien des choses même si l'enchaînement de l'intrigue est sans surprises.
Il faut aussi savoir apprécier les digressions qui parsèment le récit et donnent à voir les réflexions personnelles de l'auteur .
Dans cette Comédie Humaine qui se donnait pour but de représenter toute la société de son époque, Balzac a voulu dans le cycle des parents pauvres, insister sur la noirceur que le désir d'argent inscrit dans la chair même des personnages .Critique impitoyable de ses contemporains, il a dénoncé les excès d'une civilisation du paraitre et de l'esbrouffe qui piétine les beaux sentiments et annonce le règne de la bourgeoisie triomphante avec le culte de l'argent roi .
Bien sûr le côté caricatural de certaines situations peut faire sourire et empêcher le lecteur de s'impliquer dans cette histoire somme toute tragique, mais on ne peut quand même qu'apprécier la beauté de la langue et l'ironie amère qui mène jusqu' à la fin du récit.
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La cousine bette (Lisbeth) est une vieille fille aigrie, jalouse de sa belle et riche cousine Adeline. Elle a pris sous sa protection un jeune artiste étranger, qu'elle mène au doigt et à la baguette jusqu'au jour où le jeune homme s'éprend d'Hortense, la fille d'Adeline... Furieuse, la cousine Bette décide de se venger en s'en prenant à la famille d'Adeline toute entière. La faille est facile à trouver. Il s'agit du baron Hulot, le mari d'Adeline, un homme volage qui trompe sans vergogne sa vertueuse épouse. Quand Hulot s'entiche de Valérie, une courtisane aussi belle que perverse, la déchéance de la famille est enclenchée, car pour le malheur de la famille, Lisbeth et Valérie se rapprochent dangereusement...

Les personnages sont volontairement caricaturaux :

- la vertueuse Adeline (qui supporte l'inacceptable avec une patience telle qu'on voudrait la secouer comme un prunier pour l'obliger à réagir).

- la machiavélique cousine Bette (loin d'être bête, mais particulièrement méchante).

- la perverse courtisane, Valérie (qui manipule sans scrupules ses amants pour leur soutirer de l'argent…).

- le baron Hulot (insatiable coureur de jupons, qui n'apprend jamais à ses dépens en dépit des leçons qu'il reçoit)

Autour de ces quatre personnages principaux, en gravitent d'autres. Tous contribuent à la tragédie familiale dont la cousine Bette tire les fils avec une adresse (presque) remarquable. Je dis "presque" parce qu'un retournement de situation finira par se produire…

En dehors de quelques longueurs et digressions dont je me serais bien passée, j'ai passé un bon moment avec cette histoire sacrément bien ficelée (de la part De Balzac, je n'en attendais pas moins, cela dit…) et qui donne un aperçu des moeurs de l'époque.


Lien : http://sylire.over-blog.com/..
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Calculs et mensonges, vice et fourberie de l'âme humaine au service de la rancoeur.

Ouvrage à lire et découvrir dans sa modernité et son actualité.
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Pas vraiment un bon souvenir...
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C'est le premier Balzac que j'ai lu, et bien je ne me suis pas ennuyée! C'est un vrai soap opera, l'intrigue commence immédiatement et très fort, et les événements les plus surprenants s'enchaînent jusqu'à la dernière page. Plus sérieusement, et à la différence d'un soap opera, il y a de vrais thèmes et une réflexion profonde sur les vices de la société parisienne de la première moitié du XIXeme siècle.
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