Paru en 1841, «
Une ténébreuse affaire » figure, suivant la volonté
De Balzac, dans les « Scènes de la vie politique », avec entre autres « Un épisode sous la Terreur », « le Député d'Arcis » et «
Z. Marcas ». Il est bien évident que le propos politique sous-tend tout le roman : C'est une histoire de magouilles à tiroirs qui couvre quatre régimes gouvernementaux : le Consulat (l'histoire commence en 1803), l'Empire, la Restauration et la Monarchie de Juillet (l'épilogue se termine en 1833).
A la manoeuvre, une vieille connaissance, Corentin (oui, celui des « Chouans »), flic plus ou moins ripou, muscadin apprêté mais sans scrupules, probablement fils naturel de fouché (les chiens ne font pas les chats, et les loups ne font pas des agneaux). Là, en honnête républicain qu'il est, il essaie de coincer un réseau de royalistes, où figurent deux jumeaux, les frères Simeuse, une belle amazone, Laurence de Saint-Cygne, et un brave garçon, Michu. N'y arrivant pas il monte un ingénieux stratagème en les accusant de l'enlèvement d'un certain Malin de Gondreville (en fait celui-ci a été enlevé sur l'ordre de fouché, pour récupérer des papiers compromettants relatifs à une autre affaire quelques années auparavant). Vous voyez le pastis. La belle Laurence va jusque sur le champ de bataille d'Iéna pour demander grâce à Napoléon pour ses complices…
Pour être ténébreuse, cette affaire, elle est ténébreuse ! Si les personnages sont bien marqués (on sait vite qui sont les gentils et les méchants), les méandres de l'intrigue, les détours, les chaussetrapes, les espions, les agents doubles, les manipulations en tous genres, font que le lecteur a quelque mal à suivre l'histoire d'un point de vue euh rectiligne.
Donc roman politique, sans aucun doute, une autre variation des Blancs conte les Bleus (comme dans «
Les Chouans » : républicains contre royalistes, mais en moins guerrier et en plus tordu). Et puis aussi roman historique :
Balzac brosse les quatre période historiques en en faisant ressortir la spécificité à travers quelques figures de l'époque : celle qui écrase le roman, qui figure en filigrane derrière les évènements, c'est Napoléon. Premier consul puis empereur, c'est lui le juge suprême. Et dans l'ombre du Petit Caporal, l'ignoble fouché. Relisez la biographie de ce triste personnage par
Stefan Zweig, vous verrez que l'immense écrivain autrichien y fait souvent référence à
Balzac et à sa « Ténébreuse affaire ». L'épilogue, où le comte de Marsay (oui, celui de « l'Histoire des Treize ») révèle les détails de l'affaire, est significative à cet égard : c'est un « brelan de prêtres » (Talleyrand, fouché, Sieyès) qui est à l'origine de l'ascension de Napoléon
Roman politique, roman historique, roman policier, également. Et même roman d'espionnage. On est comme au billard, ou aux échecs, ou à certains jeux de cartes : les coups se jouent à plusieurs bandes, à plusieurs tours d'avance, au bluff et à l'entourloupe.
Balzac, narrateur apparemment en dehors de l'histoire, ne prend parti ni pour les uns ni pour les autres. Cependant il ne peut cacher l'admiration qu'il a pour Napoléon : c'est un héros, c'est une stature, il est au-dessus des humains.
«
Une ténébreuse affaire » n'est certes pas le plus connu des romans
De Balzac, en raison précisément de son caractère ténébreux. Il vaut cependant la peine d'être lu, pour les personnages : Corentin, le flic dandy que nous avons vu dans «
Les Chouans » et que nous reverrons dans «
Splendeurs et misères des courtisanes », et surtout Laurence de Saint-Cygne, l'amazone des royalistes, aussi belle que courageuse, un magnifique portrait de femme !