Frédéric Beigbeder, s'aperçoit qu'il ne vit plus qu'à côté de personnes jeunes qui ont une génération de moins que lui et sa compagne est née l'année où il s'est lui-même marié. Il veut rester branché, et parle le « jeune », connaissant tout le répertoire de Rihanna, « je pensais sincèrement qu'en ne fréquentant que des adolescents qui parlaient de
Robert Pattinson plutôt que de Robert Redford, j'allais vivre plus longtemps c'était du racisme antimoi. » P 19 (passionnant n'est-ce pas ?)
Se penchant sur l'étude des couples ayant une différence d'âge importante (plus de vingt et un ans selon sa liste), il va s'intéresser à son auteur préféré
J. D. Salinger, qui publiera le roman culte « L'attrape coeur » et sa rencontre avec Oona O'Neill, fille du célèbre Eugène O'Neill, qui a quitté le domicile conjugal quand elle avait deux ans, ce dont elle ne se remettra jamais.
Quand ils se rencontrent, Oona a quatorze ans et demi et lui dix-huit. Entourée de ses deux copines, richissimes aussi,
Gloria Vanderbilt et Carol Marcus, on les appelle « le Trio des héritières »… les premières « it-girls » de l'histoire du monde occidental, cachées derrière un rideau de fumée », avec
Truman Capote en chaperon, elles passent les nuits à faire la fête, l'alcool coulent à flots, les cigarettes aussi dans des établissements de luxe dont le fameux Stork Club où ils dansent et papotent pendant des heures …
Jerry tombe amoureux fou d'Oona, ils échangent des baisers, ils dorment ensemble, elle se laisse caresser mais ne va pas plus loin, ce qu'il accepte… il est complexé en face de ces jeunes milliardaires oisifs, elle est même élue « reine de l'année ??????
Mais la guerre est là, Jerry s'engage alors qu'Oona commence déjà à s'éloigner de lui, il va débarquer en Normandie alors qu'elle part jouer les starlettes à Los Angeles où elle rencontre
Charlie Chaplin et je vous laisse découvrir la suite…
Ce que j'en pense :
Frédéric Beigbeder imagine les échanges épistolaires entre Jerry à l'entraînement puis au front et Oona et son mariage, et les lettres en fait sont assez bien tournées. L'exercice est à ce niveau-là est plutôt réussi.
Il décrit aussi très bien le débarquement en Normandie, la boucherie, la mer rouge de sang, mais aussi le temps qu'ils ont mis pour arriver en Allemagne avec des jours et des jours perdus dans la forêt avec la bataille de Hürtgen, « située à la frontière entre la Belgique et l'Allemagne, au sud-est d'Aix-la-Chapelle, la forêt de Hürtgen fut surnommée par les soldats l'usine de viande », bataille qui est « une erreur stratégique du commandement américain aujourd'hui reconnue par les historiens » , la découverte des camps, les déportés faméliques… la vision de l'horreur alors que pendant ce temps, Oona sirote des cocktails, nage dans la piscine de la grande villa de Chaplin, fait des enfants. Ils sont aux antipodes tous les deux.
L'auteure nous fait aimer son écrivain favori, Salinger dont il connait bien l'oeuvre (le héros de l'attrape coeur ressemble beaucoup à
Frédéric Beigbeder entre parenthèse) ; on découvre Jerry derrière
J. d'Salinger, l'être hypersensible, mal dans sa peau et sa conduite pendant la guerre, les
nouvelles qu'il publie à partir du front. C'est un personnage attachant, fragile mais sympathique, qu'on a envie de protéger alors qu'Oona est plutôt horripilante dans son genre.
Sa théorie sur la grande différence d'âge entre les couples est très intéressante. Il part du principe qu'une jeune femme comme Oona qui n'a pas été aimée ou admirée par son père, ce qui la traumatisera pour toujours (Freud est là quand même) ne pourra s'attacher qu'à un homme plus âgé (au moins vingt ans de différence d'âge) car elle voit en lui le père idéal et elle lui est reconnaissante du fait qu'il l'aime. Elle l'aime parce qu'il l'aime et se sent vivante tout d'un coup.
De même, une telle union est tout bénéfice aussi du côté de l'homme plus âgé, car sa carrière est derrière lui, il n'a plus rien à prouver, il a du temps pour s'occuper de sa femme enfant, il lui est tout dévoué et comme il a de l'argent, il peut tout lui offrir, y compris ce qui ne s'achète pas.
Il aurait pu aller plus loin, car en fait ce n'est pas un père idéal qu'elle recherche mais l'idéal du père, un père fantasmé, tout puissant, protecteur qui lui dit qu'il l'aime, l'aimera et la protégera toujours et ne partira jamais pour une autre femme.
Oona va passer toute sa vie dans la haine de son père et fera tout pour le provoquer afin qu'il s'intéresse enfin à elle. On note aussi que ses copines, filles de milliardaires feront un choix similaire…
Voilà pour ce que j'ai aimé : le héros, sa personnalité, sa guerre, sa vie de loup solitaire au retour du front, la théorie sur la différence d'âge. En gros, tout ce qui touche le côté Psy en fait. Les soirées arrosées de ces adolescents vivant dans l'opulence et l'oisiveté et se moquent du reste du monde, l'opposition entre ce monde-là et la guerre avec ses horreurs, tout cela est bien analysé, mais c'est futile, même si l'auteur y est comme un poisson dans l'eau puisqu'il vit dans le même univers…
Seulement, il y a un très gros bémol : l'omniprésence de l'auteur dans le livre, qu'on parle d'exo-fiction, ou d'autofiction, Frédéric Beigbeder occupe la scène, se met en valeur nous parle de sa petite personne, son nombril, sa différence d'âge avec sa compagne qui lui a inspiré le sujet du livre. L'histoire commence avec les états d'âme de l'auteur, puis peu à peu on entre dans l'intrigue et il s'efface laissant la place à Jerry et Oona (et les autres les descriptions de Truman Capote, les allusions à Eugène O'Neill, prix Nobel, sont intéressantes) et évidemment que se passe-t-il dans l'épilogue ? Je vous laisse imaginer.
C'est le premier roman de
Frédéric Beigbeder que je lis. le personnage public, écrivain passionné de cinéma m'amuse certes mais dans un roman, c'est très irritant et j'ai eu très envie de donner une paire de claque à cet ado qui n'a pas envie (ou a peur) de vieillir.
Il aurait pu faire, un roman bien meilleur s'il était resté plus en retrait, mais son but était, en fait, de comparer le couple Oona-Charlie et son propre couple pour expliquer sa théorie. C'est d'autant plus dommage que l'écriture est assez belle, il y a des phrases superbes, des fulgurances parfois et une sorte de prémonition, sur la nécessité d'une nouvelle guerre mondiale pour diminuer la population de la planète, l'attentat de
Charlie Hebdo semble lui donner raison.
Note : 7/10 pour m'avoir donné envie de feuilleter à nouveau « L'attrape coeur que j'ai lu il y a un ou deux ans.
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