AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782358720595
186 pages
La Fabrique éditions (21/05/2014)
3.86/5   14 notes
Résumé :

Comment la santé mentale, idée progressiste de la psychiatrie d’après-guerre, s’est-elle transformée en outil de normalisation et de contrôle ?

Dans les années 1980, une neuropsychiatrie « scientifique » a ouvert la voie au discours gestionnaire : il s’agissait désormais de classer, de gérer, d’évaluer. Pour cela, la notion de santé mentale est devenue un opérateur essentiel, c... >Voir plus
Que lire après La santé mentale : Vers un bonheur sous contrôleVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Ouvrir le champ des possibles pour que l'imprévu advienne

En introduction, Mathieu Bellahsen souligne, entre autres, les ruptures induites par les politiques néolibérales, la mise en avant d'individu « libres de choisir » sur des marchés naturalisés, le principe de concurrence des tou-te-s contre tou-te-s, la norme de l'individu-e comme auto-entrepreneur-e… bref « une liberté conditionnelle, une liberté contrainte à l'intérieur du cadre de la concurrence appliquée à toutes les sphères de l'humanité ».

L'auteur indique « Nous nommerons « santé-mentalisme » l'articulation de la santé mentale et du néolibéralisme ». Il parle aussi des processus disciplinaires, des dispositifs de sécurité, des statistiques produisant une illusion de continuité, de fabrication de normes, de négation des effets des constructions sociopolitiques, du travail de la langue, des notions (pseudo)scientifiques qui servent à masquer et légitimer de réelles politiques.

« La santé mentale dans sa forme actuelle est un processus de normalisation visant à transformer le rapport des individus, des groupes et de la société dans le sens d'une adaptation à une économie concurrentielle vécue comme naturelle »… Et dans son champ professionnel, la psychiatrie, des pratiques visant à « instituer l'inappropriable ».

L'auteur revient sur l'histoire du concept de « l'hygiène mentale », sur les courants progressistes de soignant-e-s après la seconde guerre mondiale, la transformation des milieux d'accueil, le rejet des « pratiques concentrationnaires », les volontés de « rebâtir un lien social », le « désaliénisme ». Il parle aussi des relations entre « une théorie du développement du psychisme et une théorie du sujet permettant d'ouvrir une perspective dynamique là où prédominait l'irrémédiable des état pathologiques », la création du « secteur psychiatrique ». Il poursuit sur les critiques radicale de l'ordre psychiatrique dans les années 70.

Mathieu Bellahsen analyse les réorganisations des années 80, la concurrence entre les cliniques privées et le secteur public, la préférence à l'urgence, au « traitement de la crise », les développements technicistes, la fragmentation des collectifs de soin et leur transformation « en prestataires de services psychiques », l'orientation « organiciste de la psychiatrie » ou la « neuropsychiatrie modernisée prétendument « scientifique » »…

J'ai notamment apprécié le chapitre V « Classer, gérer, normaliser », sa critique du Manuel diagnostique et statistique (DMS), de la prolifération des diagnostics, « Ces nouvelles entités diagnostiques sont symptomatiques du rapport de la société aux luttes politiques et des rapports entre l'individu, le collectif et la société ». L'auteur montre les modifications des milieux de recherche, les « convergences d'intérêts entre l'industrie pharmaceutique et le système assurantiel nord-américain », les classifications dépossédant les personnes, l'impact des nouvelles molécules et l'invention de « nouveaux troubles ». Il souligne la soit-disant présentation « apolitique et athéorique » du nouveau modèle classificatoire et l'expansion du champ de « la santé mentale »…

« les gouvernements renoncent au politique pour se soumettre aux exigences de la « science » promue par certains experts »… un air bien connu aussi dans d'autres domaines. L'auteur discute de la science, du découpage du réel, de la contextualisation nécessaire, des instrumentalisations, des liens entre politique de santé publique et rationalité néolibérale, « les discours sur la santé mentale positive sont au service de l'entreprise de soi »… Mathieu Bellahsen parle de fondation de « neuropolitqiue ».

L'auteur analyse aussi le « développement » de l'autisme, le camouflage de la pénurie, la notion de « bien-être » et sa transformation en norme, « le contenu du « bien-être » est lié à l'adaptation au milieu social et non à la transformation voire à la révolte contre celui-ci ». Il analyse les discours institutionnels et les politiques menées. Il insiste sur les pratiques de ségrégation et d'exclusion, la réduction de la complexité à des éléments biologiques, la survalorisation des traitements médicamenteux…

Dans un dernier chapitre intitulé « Praxis instituantes », en référence à un concept énoncé par Pierre Dardot et Christian Laval, Mathieu Bellahsen parle de « déconniatrie », de liberté de circulation, de subversion de l'institué, des « dimensions de l'être avec », des aigus du quotidien, des réflexions et pratiques collectives, de temps à aménager pour ne pas transformer les relations en « activité occupationnelle ». Il nous rappelle que « c'est au cadre de s'adapter à la créativité humaine et non l'inverse ». le titre de cette note est extrait de la dernière phrase de l'auteur.

Un petit livre utile pour mettre en débat des politiques qui se disent neutres et apolitiques, des expert-e-s s'arrogeant au nom de la « science » la confiscation des disputes démocratiques.

Je suis cependant dubitatif sur l'insistance mis sur le langage, le discursif, la non historicisation de ce que nous nommons « souffrances », le caractère « intime et privée » qu'aurait eu la santé mentale antérieurement…

Reste que les maladies dites mentales relèvent (aussi) de la confrontation de l'individu-e avec elle/lui même et aux autres dans l'ensemble des rapports sociaux. Une fois de plus, je ne peux que déplorer la non-interrogation sur le genre, ici, des souffrances mentales. Et il me semble inutile de supputer « de la dimension tragique inhérente à la condition humaine et de l'ineffable porté par chacun… », même sans « sur-estimer » ce que les actions autonomes, les auto-organisations collectives tendues vers l'émancipation, transformeraient chez les êtres humains concerné-e-s, dans leurs relations à eux-mêmes et aux autres.
Lien : https://entreleslignesentrel..
Commenter  J’apprécie          30
Cet essai du psychiatre Mathieu Bellahsen, édité à La fabrique en 2014 est particulièrement adapté pour mettre au jour les problématiques rencontrées par la psychiatrie. Problématiques toujours d'actualité, comme on peut le constater lorsque l'on voit les mouvements de contestations des personnels soignants dans certains hôpitaux psychiatriques en 2018 (comme à Saint-Étienne-Du-Rouvray). Un second livre que j'ai hâte de découvrir est d'ailleurs sorti cette année sur ce thème, coécrit par Mathieu Bellahsen de nouveau et Rachel Knaebel (et intitulé La révolte de la psychiatrie).

Dans celui-ci, l'auteur dresse un panorama historique de la discipline clair et accessible afin de comprendre son évolution en France (on y distingue l'évolution des pratiques soignantes, des terminologies, à chaque fois liée à un contexte sociétal ou politique au fil des décennies). Ce panorama permet de comprendre les enjeux qui se cachent derrière les nouvelles conceptions du soin en psychiatrie. Un soin adapté en fonction de critères précis, un soin faussement individualisé qui responsabilise le patient au détriment de son histoire de vie, un soin en quête d'une « santé mentale positive », une expression ambivalente vous le verrez et qui fait les affaires des politiques néolibérales sous couvert d'une quête d'un soi-disant bien-être.

Ce panorama historique permet aussi de présenter la nouvelle gestion de l'hôpital, délétère aussi bien pour les patients et leurs familles que pour le personnel. Il s'agit de « l'hôpital-entreprise » où l'on réduit le coût des soins à grand renfort de grilles d'évaluation dans les réponses données aux patients, où l'on augmente l'accompagnement ambulatoire faute de place dans les services, où les pratiques innovantes sont réduites au détriment de pratiques standardisées et étayées scientifiquement (neurologie et neuroscience ont pignon sur rue). L'auteur finit par ouvrir des perspectives en réfléchissant à de nouveaux espaces, des espaces innovants où les pratiques ne sont pas figées et où les patients rencontrent l'inattendu tout en tissant du lien social (l'exemple du club dans l'hôpital, où les patients pourraient se retrouver pour discuter et manger).

C'est un essai essentiel pour qui s'intéresse aux problématiques liées à la psychiatrie aujourd'hui. On retrouve d'ailleurs les procédés de marginalisation du gouvernement actuel qui ne sont pas à l'oeuvre uniquement dans le champ de la psychiatrie. N'hésitez pas à vous attarder au passage sur la très belle préface de Jean Oury, stimulante et qui laisse à penser. Je vous conseille vivement cette lecture.
Lien : https://lesmafieuses.wordpre..
Commenter  J’apprécie          10
Je ne suis pas une spécialiste du thème mais, au travail, actuellement, il est beaucoup question d'apprendre à s'interroger constamment sur nos pratiques, de communiquer d'une certaine façon ... Il y a même une psychologue embauchée pour cela. Alors, un livre intitulé " Santé mentale. Vers un bonheur sous contrôle." Ça m'intéresse.
Malheureusement, je n'ai pas été convaincue par ce livre.
Le principal argument de l'auteur s'appuie sur une définition de la santé mentale comme capacité à accepter ce qu'on ne peut changer. Pour l'auteur, cette définition rendrait pathologique toute volonté de transformation de la société... Je trouve cette liaison un peu rapide. Si il pointe des travers qu'il faut garder à l'esprit, il nie farouchement tout aspect positif à ces pratiques et, hormis deux exemples en fin d'ouvrage, ne propose rien de concret pour répondre aux besoins des gens.
Commenter  J’apprécie          10
Une analyse globale des problèmes rencontrés par les praticien-ne-s aujourd'hui, et de la manipulation politique autour du concept de santé mentale. A lire !
Commenter  J’apprécie          00

Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Comprendre que la santé mentale s'insère dans une légitimation du discours de l'adaptation est important pour comprendre les enjeux : "La santé mentale est la capacité de s'adapter à une situation à laquelle on ne peut rien changer." Que penser des personnes qui ne s'adaptent pas à une situation à laquelle elles ne peuvent rien changer, qui refusent de s'adapter, voire qui concourent à changer la situation ? Dans cette définition normative les révolutionnaires peuvent aisément être considérés comme porteurs de problème de santé mentale, disqualifiant par là les luttes sociales au profit d'une vision du monde réactionnaire et aseptisée.
Commenter  J’apprécie          60
En psychiatrie, l'importation du discours industriel et entrepreneurial entend résoudre les contradictions qui étreignent l'ensemble des acteurs du champ de la santé mentale et permettre à chacun de faire face à un cadre imposé. Ce cadre est celui de la mise en concurrence généralisée des États, des institutions, des services et des personnes avec tout ce que cela entraîne de contraintes douloureuses sur l'individu (patient ou soignant) et de solutions applicables pour tous.
Commenter  J’apprécie          40
Liquider l'héritage de mai 68, cela se traduit, pour la psychiatrie, par son retour dans le giron de la neurologie avec la supposée avancée des neurosciences. Mais en dépit de ces déclarations, aucun progrès important ne s'est traduit concrètement dans les pratiques. Instiller la suspicion sur ce qui fut des pratiques émancipatrices permet de s'en débarrasser à bon compte pour laisser la place à une santé mentale industrielle et formatée.
Commenter  J’apprécie          40
La santé mentale dans sa forme actuelle est un processus de normalisation visant à transformer le rapport des individus, des groupes et de la société dans le sens d’une adaptation à une économie concurrentielle vécue comme naturelle
Commenter  J’apprécie          60
Définir positivement la santé mentale produit une norme sociale de perfection de l'individu. L'expérience quotidienne montre qu'un tel individu bénéficiant d'un "état de complet bien-être" n'existe pas. Et, c'est précisément sur notre incomplétude que se fonde notre existence. C'est ce qui nous pousse à nous humaniser, à aller vers l'autre (l'amour, l'amitié ...), à inventer et à créer.
Commenter  J’apprécie          30

Videos de Mathieu Bellahsen (3) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Mathieu Bellahsen
Olivier Brisson, Mathieu Bellahsen et Florent Gabarron-Garcia étaient réunis le 6 avril 2023 par le Cirque électrique à l'occasion des 25 ans de la fabrique
Olivier Brisson, "Pour une psychiatrie indisciplinée" : https://lafabrique.fr/pour-une-psychiatrie-indisciplinee/
Florent Gabarron-Garcia, "Histoire populaire de la psychanalyse" : https://lafabrique.fr/histoire-populaire-de-la-psychanalyse/
Mathieu Bellahsen, "La santé mentale. Vers un bonheur sous contrôle" : https://lafabrique.fr/la-sante-mentale/
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus
Livres les plus populaires de la semaine Voir plus


Lecteurs (55) Voir plus



Quiz Voir plus

Freud et les autres...

Combien y a-t-il de leçons sur la psychanalyse selon Freud ?

3
4
5
6

10 questions
433 lecteurs ont répondu
Thèmes : psychologie , psychanalyse , sciences humainesCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..