COGNAC POÉTIQUE
Il est 11 heures. Et les dans le grand bureau chez Hennessy jusqu'à midi, les membres décideront des eaux-de-vie élues pour les années à venir. Un pari sur l'avenir. Un pari sur le temps long. Sur la maturation d'une matière première travaillée et retravaillée. Finalement, le coeur de chaque bouteille se situe dans l'organe le plus sensuel du monde : la bouche. Tout se décide dans cette enclave à la fois charnelle et chargée de sens.
Biographe d'
Yves Saint-Laurent,
Laurence Benaïm vient épouser le territoire cognaçais avec ce livre teinté de douceur. L'autrice s'est construite dans l'ombre comme le cognac, elle écume ainsi l'évolution de Cognac de sa création par
François Ier en 1494 à son apogée depuis des siècles. Si la société s'effondre, le cognac résiste et demeure intemporel. On y croise l'état « d'esprit du cognac » au XVIII ème siècle comme celui des lumières, où les maisons Hennessy et Delamain vont faire de cognac la première place marchande. Tirant profit de l'absence de rhum liée à la guerre de sept ans pour dominer le marché, même les années de révolution n'ont pas ébranlé le pouvoir du spiritueux.
Laurence Benaïm avec un sens accru du phrasé, une fermentation des sens et l'ivresse d'une eau-de-vie, enrobe son texte d'un élixir littéraire.
Le cognac est un spiritueux complexe et imprévisible qui s'est battu tout au long de son existence contre les contaminations, les champignons mais aussi de multiples crises aux 18 et 19 ème siècle, où le froid, la sécheresse, le phylloxéra ravageront des hectares entiers. On souhaite ainsi produire moins et mieux avec la suppression des herbicides. En comparant la viticulture à l'éducation « contraindre sans que cela ne bloque la poussée de la sève », l'autrice nous offre un regard singulier sur la Charente et la « civilisation charentaise » si chère à François Mitterand originaire de Jarnac. Les saisons s'égrènent, la météo vacille, mais les illustrations d'Aurore de la Morinerie demeurent splendides de vitalité. Avec un jeu d'ombre et de lumière où les couleurs viennent donner leur quintessence absolue, on déguste les pages avec délice sans jamais s'abstenir. Vous y croiserez Gracq, Jaccotet,
Gide et
Montaigne, et une documentation en creux qui ne s'étiole jamais. Comme un sportif dont on ne voit pas le travail technique, comme un couturier dont on ne saisit la portée de chaque geste,
Laurence Benaïm écrit avec le sens du détail, juste, sans fioritures où la fluidité réside au gré des arômes charentais. Une double distillation si particulière, technique ancestrale qui sonne comme un savoir-faire unique où le silence prend une place prépondérante. Là où la calligraphie et la symbolique du chiffre 8 de l'infini et de l'octave, viennent enrober la nappe phréatique qu'il faut chérir. Est-ce un livre qui prend une place particulière pour les curieux ? Oui. Ouvrir ses horizons littéraires, telle est la devise de VLEEL, ce voyage à Cognac en est ainsi la preuve, il faut absolument cultiver son jardin (et son vignoble) pour en retirer un sel tout à fait différent. Merci
Laurence Benaïm pour cette incursion dans un monde qui mérite toute notre attention.