Pearl, tome 1

Ce tome est le premier d'une série indépendante, dont la première saison est complète en 12 épisodes, 2 tomes. Il comprend les épisodes 1 à 6, initialement parus en 2018/2019, écrits par Brian Michael Bendis, dessinés, encrés et mis en couleurs par Micheal Gaydos qui a également réalisé les couvertures. Il se termine par une interview des auteurs, de 2 pages, conduite par Ernie Estrella, et 8 pages d'études graphiques.

San Francisco. Une magnifique araignée tatouée sur l'intérieur du poignet du bras droit. Pearl Tanaka est en train de prendre de l'eau chaude, et elle plonge son sachet de thé dedans, au stand d'une fête foraine. Elle est interpellée par Rick Araki qui a vu le tatouage et qui a reconnu l'oeuvre du tatoueur Iriguci. Rick demande à voir le tatouage de plus près, tout en indiquant que c'est pour l'oeuvre, pas pour la draguer. Il demande à Pearl comment elle a réussi à se faire tatouer par un tel artiste. Elle répond qu'elle l'a rencontré grâce à un ami et que c'est lui qui a décidé de le faire, frappé par la qualité de la peau de Pearl. Il ne l'a même pas fait payer. Rick rejoint ses copains, et Kim rejoint Pearl avec des frites succulentes. Elles décident d'aller rejoindre le groupe de Rick pour continuer à papoter, et peut-être à flirter. Soudain surgit un groupe de 3 individus à moto, casqués et armés. Ils tirent et abattent les copains de Rick. Ce dernier ne doit son salut qu'à Pearl qui a tiré une arme à feu et a abattu le motard qui s'apprêtait à tuer Rick.

Pearl est de retour dans le salon de tatouage Pearl Ink Tattoo qui lui appartient. Elle reçoit la visite de monsieur Kai qui demande à voir son arme à feu. Il lui dit qu'elle aurait dû s'en débarrasser. Elle lui répond que c'est hors de question car c'est son père qui lui a offert pour ses 14 ans, afin qu'elle puisse se défendre contre les garçons. Elle demande à monsieur Kai si monsieur Miike est contrarié. Il lui répond qu'elle aurait dû l'avertir elle-même. Monsieur Kai lui explique qu'elle vient peut-être de déclencher une guerre entre yakuzas. Pearl Tanaka se rend chez monsieur Miike et il lui assure qu'il n'a pas décidé de la donner au clan adverse. Il la fait rentrer chez lui et lui montre son studio de tatouage privé. Il lui demande faire une retouche sur le tatouage de dragon qui lui couvre tout le dos et les bras. Alors qu'elle prépare ses instruments, il lui explique qu'il va lui fournir le nom des motards et qu'il souhaite qu'elle les tue. Il exige qu'elle devienne un assassin pour le compte de son clan et la moleste pour lui faire comprendre que ce n'est pas une question. Pearl Tanaka rentre chez elle et a la surprise d'y retrouver Rick Araki qui l'attend.

En 2017, Brian Michael Bendis indique qu'il a décidé de changer de maison d'édition. Il a commencé à travailler pour Marvel en 2000, et après 17 ans, il va travailler pour DC Comics. Il en profite pour emmener avec lui ses séries indépendantes, pour en continuer 2 et en lancer 2 nouvelles avec des collaborateurs de longue date : The United States of Murder Inc. avec Michael Avon Oeming, Scarlet avec Alex Maleev, et pour les nouvelles Cover avec David Mack, et celle-ci. Gaydos et lui avaient déjà travaillé ensemble en particulier en créant la série Alias (2001/2003), et en la continuant avec la saison Jessica Jones (2017/2018). le scénariste introduit une jeune femme tatoueuse de profession, albinos, avec un tatouage réalisé par un artiste de premier plan sur le poignet droit. Elle se retrouve au mauvais moment au mauvais endroit et tue un agresseur. le lecteur identifie rapidement des codes de polar urbain, plus particulièrement dans la catégorie guerre des gangs. L'action se déroule à San Francisco entre 2 factions de yakusas. le lecteur retrouve donc des conventions bien établies : demoiselle très adroite au pistolet, racket, crime organisé, parrain mafieux utilisant la violence, passé trouble, drogue, prison.

Brian Michael Bendis ne fait pas que resservir du réchauffé. Il a également intégré l'art du tatouage, une héroïne albinos et des jumeaux chefs de clan, mais pas très doués en affaires. Il a aussi refait équipe avec un artiste qui sort de l'ordinaire. Une fois passée la couverture saisissante, le lecteur prend conscience de la personnalité de la narration visuelle avec les planches 2 & 3. Elles baignent dans la lumière artificielle de l'éclairage de la fête, du vert de chrome au vert jacinthe, créant ainsi une ambiance lumineuse qui unifie tous les éléments, sans pour autant les noyer dans une masse indistincte. Lors de l'attaque des motards, ceux-ci sont en rouge grenat, alors que le reste de la page et des personnages sont en vert menthe, créant un contraste très fort. L'artiste se sert également des contrastes de couleur pour créer des effets sonores saisissants. Lorsque Pearl Tanaka se retrouve en boîte de nuit, les cases sont comme posées sur un fond de page envahi par des Boom dans une couleur fluo qui donne la sensation de baigner dans les basses. Vers la fin de l'épisode 3, Rumor & Ryu Endo marchent dans un couloir d'hôtel et les pages sont saturés dans un rouge Rosso Corsa rendant compte de leur état second après un meurtre sanglant. Ainsi, non seulement chaque séquence bénéficie de son ambiance lumineuse propre, mais en plus la mise en couleurs se fait impressionniste, expressionniste, psychotrope en fonction de la nature des événements.

La deuxième impression du lecteur en regardant les pages est qu'elles sont à la fois très précises, et à la fois un peu râpeuses. Il comprend mieux comment procède l'artiste à la fin de l'épisode 3 lorsque Pearl et sa copine Kimmy sont dans le couloir qui mène à la pièce où repose la mère de Pearl dans son cercueil. Il a l'impression de regarder une photographie, avec juste un filtre vert pour l'incorporer dans la bande dessinée. S'il y prête attention, il se rend alors compte que l'artiste utilise régulièrement des photographies dont il repasse certains éléments à l'encre, et dont il efface d'autres éléments, pour réaliser certaines cases, sans que cela ne devienne systématique. Dans le même temps, ses traits d'encrage ne sont pas bien lisses, bien réguliers, ou bien jointifs : c'est ce qui donne cette impression plus vivante. C'est aussi ce qui lui permet d'assurer une cohérence visuelle entre les cases réalisées sans base photographique, et ceux réalisés avec. La page de garde précise le nom du modèle qui a servi d'inspiration et de référence pour Pearl Tanaka : Exotic Alec. Une partie des personnages sont donc créés de la même manière que les décors, à partir de références photographiques, ce qui leur donne plus de personnalité visuelle.

Il est fort vraisemblable que scénariste et dessinateur aient travaillé en étroite collaboration, et que le premier ait pensé en termes visuels pour que le second puisse dessiner des choses qui l'intéressent et assurer un bon rythme et une bonne diversité dans la narration, ce qui est le cas. le lecteur découvre de nombreuses surprises, depuis le gros plan sur l'araignée tatouée au creux du poignet, aux fleurs du jardin de la prison, en passant par l'ambiance bruyante et pulsée de la discothèque, le trou à travers la main de l'assassin (une planche étonnante avec vue à travers le trou), le centre commercial triste dédié au sexe, le dessin en pleine page de Pearl tatouée de rouge, sans oublier les scènes de tatouage. le lecteur découvre une double page consacrée à l'entraînement au tatouage sur une peau de banane, ou encore le superbe dragon qui recouvre au moins tout le torse et les bras de M. Miike. Il est donc bien dans l'ambiance de ce polar mettant une jeune femme dans une position dangereuse, entre 2 gangs. Il se laisse donc volontiers emmener dans cette fuite de Pearl, accompagnée par Rick Araki pour essayer de se faire entendre et comprendre du boss M. Miike. D'une certaine manière, il a l'impression de retrouver une intrigue très similaire à celle du premier tome de The United States of Murder Inc. où les 2 principaux personnages doivent convaincre un parrain qu'ils ne sont pour rien dans un meurtre qui risque de déclencher une guerre des gangs. Il retrouve Brian Michael Bendis tel qu'il écrivait dans la série Powers ou Alias et au début de son travail pour Marvel. Cet auteur aime bien les dialogues donnant une impression de rythme. Il joue avec le placement des phylactères, avec les personnages qui se coupent la parole, qui réfléchissent à haute voix, qui se lancent dans une explication en s'écoutant un peu parler. Cela donne une partition très agréable à la narration, sous réserve de ne pas y voir qu'un tic d'écriture devenu trop systématique. Chaque épisode fait avancer la situation des fuyards, et révèle progressivement le passé de Pearl Tanaka qui explique qu'elle n'est pas la première venue. C'est un très bel exercice de style.

Le lecteur salive à l'avance à l'idée de retrouver le duo Gaydos & Bendis sur un polar, avec un personnage principal qui sort de l'ordinaire. Il prend un grand plaisir à la narration visuelle, l'artiste étant en très grande forme et entièrement impliqué dans chaque page, depuis sa composition jusqu'à la finition de chaque case. Il retrouve le sens du rythme des dialogues de Brian Michael Bendis et son amour des polars. Toutefois, il lui semble que Pearl Tanaka manque un peu de personnalité (ce n'est pas Jessica Jones), et que le polar reste au niveau de l'exercice de style parfait, mais un peu creux.