Des deux frères Algeiba, Maxime est l'eau vive - souple, pétillant, spirituel, si facile à aimer. Ivan, lui, est le roc - lourd, opaque, massif, avec des allures de brute épaisse qui lui aliènent la sympathie de tous. Personne, évidemment, pour chercher à voir les blessures derrière la carapace, un deuil mal digéré qui suinte et empoisonne, la solitude, la jalousie, la colère...
Il ne faut qu'un regard, un jour, un regard bleu mortel pour réveiller le démon qui couve, lâcher bride à la violence. Chassé du cirque familial, Ivan se réfugie auprès d'un mystérieux cormoran qui pourrait être - qui sait ? - la réincarnation de Constantin, le jongleur acrobate dont la maladie et la mort, huit ans plus tôt, ont brisé (ou éveillé ?) quelque chose en lui. Un oiseau qui semble le défier, ou l'inviter à le suivre, vers le nord, toujours plus loin. En chemin, sa route s'unit à celle de Moa-Tao, adolescent au sexe incertain que la violence du monde ne cesse de déchirer, puis à celle de Tom-Boulon, qu'un amour malheureux a détruit et qui convertit tout ce qu'il possède en vodka. La douceur de l'un l'apaise, l'alcoolisme de l'autre l'exaspère, comme le rassure toujours la présence de l'oiseau, le pétrifie dans la rage ce regard bleu trop souvent croisé, totem et démon entre lesquels son âme se déchire.
Aucune critique babéliote de ma part sur
Francis Berthelot ?! J'en ai dévoré pas mal, pourtant, à une époque où je ne chroniquais pas encore systématiquement mes lectures. Il figure parmi mes auteurs préférés, particulièrement pour quelques romans issus du Rêve du démiurge, cette série fascinante inscrite entre littérature blanche et fantastique dont
le Jeu du cormoran forme le quatrième tome. Nul besoin, pour autant, d'avoir lu les précédents avant de se lancer dans celui-ci : l'univers est le même, les personnages se croisent, leurs histoires se recoupent, mais chaque livre est une oeuvre à part entière, qui s'enrichit des autres sans en dépendre strictement.
Et que je l'aime, cet univers tissé de réalisme et de mystère, d'ombre et de grâce, de cruauté et de tendresse, de violence et de poésie. Que je les aime, ces personnages complexes, entiers, puissants, que leurs dualités déchirent, que d'obscurs démons guettent !
En terme de dualité, on est particulièrement bien servis, ici. Ivan, entre pulsion meurtrière et désir de paix, Moa-Tao, entre masculin et féminin, Tom Boulon, entre autodestruction et désir d'idéal... pour eux tous, la quête d'équilibre est un chemin de croix halluciné, d'une poignante beauté. Il faut dire, aussi, que Berthelot écrit merveilleusement, une écriture vive, ciselée, aussi habile à évoquer la beauté du monde que les ténèbres des âmes, capable de faire de chaque phrase une vision. Un enchantement, dont le seul défaut est d'être (bien que parfaitement calibré) beaucoup trop court !
M'enfin, le Rêve du Démiurge compte 9 romans, dont il me reste encore pas mal à découvrir. Sans compter les redécouvertes, ces livres-là se relisent avec toujours autant de bonheur...
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