Modérateur de plateformes internet, voilà un boulot qui ne vend pas du rêve. Au contraire, il est plutôt pourvoyeur de cauchemars, de dépression et même de stress post-traumatique (cf les sources en fin de livre). Et pourtant, ce travail est indispensable pour protéger l'internaute lambda des images violentes, fausses, complotistes,... qui autrement pulluleraient sur la Toile, ce lieu virtuel sans limites et ouvert à tous, pour le meilleur et pour le pire.
Kayleigh, la jeune femme narratrice, faisait partie de ces « nettoyeurs du web », embauchée par la plateforme Hexa. Après une formation d'une semaine pendant laquelle les nouvelles recrues doivent assimiler un catalogue de règles sur ce qui est publiable ou non, la voilà (mal) payée pour passer ses journées les yeux rivés sur un écran, à visionner des images plus épouvantables les unes que les autres, et à devoir décider en quelques instants si la vidéo peut rester en ligne ou pas. Les conditions de travail sont infernales : pauses rares et minutées, interdiction de prendre des notes, d'enregistrer, de parler du travail en dehors d'Hexa, et surtout obligations de rendement affolantes : 500 « tickets » à résoudre par jour, avec un taux de « bonnes » réponses de 85% à atteindre (parce qu'évidemment, des superviseurs contrôlent les contrôleurs), sinon c'est la porte.
Après quelques mois à cette cadence, Kayleigh a quitté Hexa, mais contrairement à d'autres anciens collègues, elle refuse de participer à l'action collective qu'ils intentent contre leur ex-employeur. Elle s'en explique par un courrier adressé à leur avocat, dans lequel elle lui raconte, avec froideur et détachement, ses débuts chez Hexa, son travail au quotidien, ses relations avec ses collègues et en particulier sa relation amoureuse avec Sigrid, les after-works passés à boire des verres au café du coin, leurs façons de se protéger contre leur boulot traumatisant, la manière dont leur psychisme s'est peu à peu déglingué, et comment cela a affecté leurs relations.
Ce roman me laisse un peu perplexe : je n'ai ressenti aucune empathie pour les personnages, peut-être parce qu'ils semblent tous déshumanisés à des degrés divers; leurs comportements ne sont pas toujours très lisibles ni cohérents (mais ils sont loin de mener des vies équilibrées et épanouies, et ce n'est pas seulement à cause de leur boulot chez Hexa), et au final je n'ai pas compris ce qui s'était réellement passé entre Sigrid et Kayleigh, ni pourquoi cette dernière ne se joint pas à l'action collective. Quant à la fin, je l'ai trouvée bancale.
J'aurais aimé avoir davantage de mise en contexte autour des personnages et de leur vécu, mais malgré cela, «
Les choses que nous avons vues » aborde un sujet intéressant, sur lequel je n'avais encore rien lu. Ce roman tendu, cru et désabusé met en lumière un boulot terriblement ingrat et éprouvant, potentiellement destructeur tant pour le travailleur que pour son entourage, d'autant plus quand l'employeur se préoccupe davantage de rentabilité que de la santé mentale et du bien-être de ses employés.
En partenariat avec la toute nouvelle maison d'édition « Le bruit du monde », via une opération Masse Critique privilégiée de Babelio.
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