Jean-Philippe Blondel –
Et rester vivant – Buchet Chastel ( 245 pages- 14€50)
A la manière de
Woody Allen dans « Stardust memories » , par flashback, le narrateur remonte aux source de sa tragédie familiale, et nous plonge dans « ses ténèbres, ce tsunami interne », son maelström émotionnel. Une longue traversée en noir et blanc avant le retour à la lumière et vers les couleurs. Il nous livre toutes ses interrogations , ses réactions quand tout a basculé, se retrouvant orphelin à 22ans et prend conscience de « de ne plus avoir de filet de sécurité ».
Aller à
la conquête de
la Californie, nourri par l'American dream , des lectures de Kerouac, c'est l'idée du narrateur quand il se retrouve anéanti par des drames successifs irréparables. L'été 86, il embarque ses deux béquilles, Laure et Samuel « les seules personnes à qui il tienne », avec pour but final : Morro Bay, lieu mythique pour le narrateur , habité par
la chanson Rich. le lecteur suit les pérégrinations jusqu'au Mexique du trio très soudé qui suscite bien des interrogations quant à leurs liens ambigus. Leur allure de beatnik les rend suspects dans cette Amérique puritaine. En louant une voiture , il confie à l'employée l'urgence de cette « parenthèse » avant de trouver sa voie.
La rencontre avec Rose fut « un moment inoubliable » pour le narrateur et lui laissera une trace indélébile, tout comme l'intermède musical
au piano, doux instant de partage, avec « les notes comme onguent » et un clin d'oeil à
Echenoz. Unique et lénifiante son expérience dans le désert , en tête à tête avec sa confidente, « son talisman » , à l'écoute de l'univers et de la beauté environnante .Sa disparition alarme ses compagnons de route. Il leur fausse compagnie, gouverné par son obsession : rallier Morro Bay. Besoin de solitude pour imprimer « tous les détails » une dernière fois et renaître, car le narrateur ne conservera que ce qui « s'incruste dans la mémoire ».
Les lieux parcourus sont des tremplins pour les réminiscences du narrateur. La forêt de séquoias ravive ses souvenirs de pique -nique familial. L'océan lui rappelle ses étés dans les Landes. Par touches, il évoque cette mère complice avec qui il vécut quelques années seul , ce frère qui était tout l'opposé de lui , ce père responsable , « qui voulait le tuer », avec qui il cohabita , évitant le sujet douloureux .Auprès de ce père, froid comme le marbre , qui ne peut plus réagir, il laisse éclater sa colère , lui assénant ses quatre vérités,dans une scène poignante. Monologue caustique, dévoilant la dérive du couple,
la complicité de la mère avec son fils cadet et ses envies d'évasion. Elle aussi rêvait d'Amérique . Avec une pointe d'humour noir , l'auteur déplore que les seules « à avoir échappé belle », ce sont ses dents de sagesse, soulignant le « gâchis ».
Jean-Philippe Blondel a déjà glissé des éclats autobiographiques dans ses précédents ouvrages, mais dans celui-ci , il ne cache pas sa volonté d'exorciser son double traumatisme, encaissé trop jeune, à 22ans « âge de malédiction temporaire ». Par l'écriture , il se libère de ce « fardeau » , il élimine « le poison ».Comme le serpent qui mue , l'auteur quitte « son océan gris »y noie l'horrible réalité, ouvre les vannes à « ces vagues qui attaquent les digues », éponge sa peine , apprivoise les couleurs, retrouve « l'ocre du Grand canyon, le colibri au corps bleu et menu » , admire l'orange , le mauve du ciel, se souvient des reflets du soleil sur
la coupe en cristal et renonce à remplir son journal arborant « du vert , du jaune, du violet ».Il se sent « lumineux », épanoui , heureux d'entendre « les rires de ses filles », stimulé par « leur vitalité , leur énergie ». Il livre un exemple de survie: passé le choc et la douleur , il a appris à vivre avec les absents et a compris l'ironie de cette phrase trop souvent entendue « On a toute la vie ».
le mot 'enfin' dans la dédicace semble sonner une délivrance.
Comme le déclare
Bernard Pivot dans '
Les mots de ma vie': « De tous les verbes , c'est vivre qui a le plus beau participe présent ».
Jean-Philippe Blondel adresse un puissant message de reconnaissance et de gratitude à ses sauveurs , avec en fond sonore la musique de Lloyd Cole «sa planche de survie ». Si le narrateur a le don de briser le coeur par un sourire , l'auteur a le don d' émouvoir par les mots à qui il confie l'indicible. Il signe un roman cathartique, bouleversant.
Une résilience remarquable. Un bel hymne à l'amitié et à la famille qui régénère le lecteur.