Attention ! Chef-d'oeuvre à l'humour ravageur et désopilant, chose franchement rare dans la littérature française d'aujourd'hui, dominée par les schématismes houellebecquiens. Merci à mon ami libraire du Divan de me l'avoir conseillé avec quelques mois de retard, car le roman de Bonells, auteur d'un déjà ancien Deuxième disparition de Majorana (2004) que je ne vais pas tarder à lire, a paru début 2018. Pour une fois, le titre,
La folie des autres, ne trompe pas son monde : la folie n'est pas ici métaphorique, allégorique ou allusive, mais bien réelle qui traverse le récit, et les personnages du récit, de part en part, tout en traversant une bonne partie du XXe siècle pris dans des folies non moins réelles. Roman historique ? Nullement, bien que l'histoire soit présente comme cadre d'une aventure quichottesque qui a pour héros un psychiatre uruguayo-argentin, fils d'une Juive uruguayenne et d'un nazi attaché culturel à l'ambassade allemande de Montevideo, débarqué à Paris juste après mai 68 pour y revendiquer, dans un asile de banlieue où il trouve refuge, un « proustisme » psychiatrique qui aspire à faire de la disparition permanente l'arme même de la révolution, donc de la rédemption. le lecteur, envoûté dès les premières pages par une écriture qui oscille entre la phrase infinie, pleine de circonvolutions et incises, et la phrase courte, à la manière d'une mitrailleuse qui crache ses coups à la vitesse grand V, suit son héros, et les nombreux peronnages qui l'entourent, tous aussi disjonctés les uns que les autres, d'un passé à un autre, d'un continent à un autre, d'une folie à une autre, sans jamais se lasser, pris dans le piège d'une construction romanesque qui doit beaucoup, bien entendu, à
Cervantes, mais aussi à Bolaño, Enard,
Gombrowicz, Forster Wallace ou
Kundera. Un monde fou, avait besoin d'un roman fou pour le dire.