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Mathieu Mestokosho (Autre)Serge Bouchard (Autre)
EAN : 9782902039388
200 pages
Editions Dépaysage (24/03/2023)
3.89/5   9 notes
Résumé :
Il y avait parmi les Innus plusieurs Mathieu Mestokosho, des hommes magistraux, et autant de vieilles femmes parlantes, savantes et souriantes. Fut sauvé ce qui fut sauvé. Ils sont morts et elles sont parties. Mais il en reste quelque chose, une philosophie, des chansons, des sons, de la poésie. Ne reste qu'à écouter, entendre, comprendre, apprendre et apprécier.
En 1970, jeune anthropologue, Serge Bouchard recueillait les propos de Mathieu Mestokosho, chasse... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
« Le souvenir que j'en garde est celui d'une voix. Mathieu disait la chanson de sa vie, en retrait, dans la pénombre d'un recoin de la pièce principale de la maison, près du poêle, dans sa berçante. Il disait, récitait, racontait, tel un bruit de fond auquel personne ne prêtait vraiment attention mais que chacun entendait en sachant de quoi il s'agissait, la musique sourde et profonde d'une voix qui voyage (…) Mathieu parlait, parlait, parlait, au petit pas du marmonnage, au son réglé de l'incantation, à la manière d'une interminable prière, au souffle d'un très long poème. »

C'est ainsi que l'ethnologue Serge Bouchard récolte au début des années 1970 la parole du vieux chasseur innu Mathieu Mestokosho. Né vers 1885, il appartient à la dernière génération d'Innus ayant vécu selon le mode de vie traditionnel de ce peuple du Grand Labrador, au Nord-Est du Québec.

Les quatre premiers récits sont au plus près du quotidien des Innus, racontant la rude vie au coeur de la taïga : parties de chasse ( caribou, loutre, martre, porc-épic, castor ) et déplacements avec portage au fil des saisons. Ces récits très factuels, répétitifs, sans filtre occidental sans aucun gras romanesque ( aucune péripétie autres que celles imposées par les forces de la nature boréale, aucun événement familial réellement décrit, peu d'émotions mises en avant ) peuvent dérouter le lecteur mais c'est au final leur immense authenticité que l'on reçoit.

Les trois derniers récits quittent le pur factuel pour glisser vers le réflexif, formant un testament moral destiné aux jeunes générations qui n'ont connu que la vie sédentaire en réserve. A eux, le vieil homme rappelle l'art d'être innu : solidarité entre membres, respect des anciens et de la nature, travail et endurance. J'ai été frappée par la puissance collective qui ressort de ces récits. La force individuelle est au service de la communauté. Un Innu n'est jamais seul. Les surplus de chasse sont ainsi mis sur des tréteaux ou dans des chaudrons accrochés aux arbres pour permettre à ceux moins chanceux qui passeraient par là de survivre.

Ce qu'il m'a toutefois un peu manqué, c'est l'évocation directe de la spiritualité innue. Lorsqu'il y en a, toute la description du quotidien s'éclaire, notamment toute la question du rapport à la nature. Par exemple, Mathieu Mestokosho raconte que le respect avec lequel sont traités les foetus de caribou trouvés dans le ventre des femelles gestantes. Ou la légende des quatre chasseurs de caribous négligents auxquels Papakassik, l'esprit-caribou vient rappeler leur obligation en parlant à travers la bouche du chaman. La chasse n'est pas une conquête sur le monde animal mais une nécessité, la vie dépendant de l'étroite relation des hommes et femmes à la terre, aux animaux, aux végétaux, à l'univers. Ne pas tuer pour rien est un impératif, gaspiller une ressource une faute pouvant déclencher la colère de la nature.

En fait, les récits de Mathieu Mestokosho ne s'adressent pas au lecteur occidental ou plutôt s'il le fait, c'est pour combattre les clichés dépréciatifs véhiculés par les premiers observateurs blancs : misère, disette lié au nomadisme. On sent à quel point le vieux chasseur aime Nitassinan ( territoire ancestral en innu-aimun ), son monde perdu investi par son peuple avec créativité et adaptabilité.

Une nostalgie feutrée finit par sourdre derrière la pudeur digne du vieil homme. Les toutes dernières phrases évoquant la beauté des lueurs crées dans les tentes par le feu de roche ( désormais remplacé par un poêle dans une maison en dur ) sont très touchantes.
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Serge Bouchard était un anthropologue, essayiste et animateur de radio québécois. Il a écrit des essais, des manuels et il est à l'origine de nombreuses études sur les peuples autochtones, vu qu'il est un grand spécialiste du sujet. (Il est décédé en 2021.)
Pour rappel, "l'anthropologie est la seule science sociale qui impose aux chercheurs de s'immerger de façon prolongée dans les modes de vie et de pensée d'une autre société que la leur et dont ils n'avaient jamais eu l'expérience dans leur existence."
Le livre "Mathieu Mestokosho, chasseur innu" nous relate la vie de ce chasseur nomade. L'auteur nous raconte que sa première rencontre avec Mathieu se fit dans les années 1970, il est jeune reporter à l'époque et c'est son premier grand reportage. C'était un monde inconnu pour lui et il décida d'en apprendre plus sur cet homme. Il voulait le rencontrer pour enregistrer sa voix et recueillir sa parole vive, car " il connaissait le monde ancien des chasseurs-cueilleurs ainsi que la modernité."
Nous allons donc découvrir sa vie grâce aux histoires successives qu'il va nous conter. Ses souvenirs sont précis avec de nombreux détails de lieu, de date, de personnes et de situations. On va donc découvrir ce peuple par le pays dans lequel ils vivent (le grand Nord canadien) , par leurs règles, leurs codes, leur société. Et surtout, j'ai découvert, que l'entraide et le partage était une valeur omniprésente dans leur communauté. Sans elle, cela peut les mener à la mort et surtout, il ne faut pas oublier que chacun peut avoir besoin de son voisin à un moment donné de sa vie.
Il nous partagera dans un premier temps ses souvenirs de jeunesse, puis nous aurons de nombreux passages sur la chasse aux caribous. Ils en sont dépendants pour pouvoir survivre. Et surtout qu'il est important de ne rien gaspiller.
J'ai eu l'impression qu'il y avait de nombreuses redites puisque sa vie tourne essentiellement autour de la chasse. Donc, au bout d'un moment, cela m'a un peu ennuyé. J'aurais aimé qu'il aborde un peu plus l'histoire de sa famille, mais le sujet est seulement survolé et c'est bien dommage. Qu'il aurait été intéressant d'en apprendre plus sur le travail des femmes et sur le rôle des enfants. Sur ses sentiments aussi par rapport au sien. Cela aurait enrichi ce récit. Par contre j'ai appris beaucoup sur leur technique de chasse et cela était fort intéressant.
Cet ouvrage m'a rendu curieuse et donné envie de découvrir d'autres peuples et cultures.
Je remercie Babelio pour cette découverte ainsi que les éditions Dépaysage qui sont spécialisées dans la publication d'ouvrage d'anthropologie.
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Préfacé par la journaliste Marie-Hélène Fraïssé, cet ouvrage comporte les récits du chasseur innu Mathieu Mestokosho tels que recueillis par l'anthropologue Serge Bouchard.

On y explore la vie dans les bois des derniers vrais nomades innus. Une vie où la nécessité de la survie occupe la ronde des heures. L'homme n'y est pas dominant, conquérant, aliénant, il prend place dans son environnement au même titre que les autres espèces. Alors bien sûr, il chasse. Et sans doute pour cette raison ce livre n'est-il pas à mettre entre toutes les mains car il comporte de nombreux récits de cette nature. Mais il n'y a rien de barbare dans la pratique des innus. La chasse c'est l'assurance de faire vivre les siens, de ne dépendre de personne et surtout pas de l'argent-roi. Quand bien même quelques vivres sont achetées avec l'argent des fourrures, la priorité reste d'être capable de se nourrir par ses propres moyens.

Il n'existe ni désoeuvrement, ni appat du gain dans la vie que nous décrit Mathieu. Au rythme des saisons, on y respire la gratitude, la transmission et la mise en valeur des connaissances et du savoir-faire de son peuple. On y côtoie la solidarité dans les épreuves, la force remarquable des femmes, le respect des anciens et l'oreille tendue à la voix des songes.

Être sourd à tout cela, c'est mourir. Et l'entendre, c'est sans doute voir ce monde disparaître. C'est dans cette pleine conscience que ce témoignage a été prononcé, accueilli et retransmis. Et c'est cette résonance que j'en garderai en moi.
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Vous connaissez ma passion pour les éditions Dépaysage qui ont notamment publié les romans de Michel Jean, des coups de coeur absolus. Je n'ai donc pas hésité une seconde à tenter ma chance auprès de Babelio et j'ai remporté ce livre lors d'une masse critique. Ce n'est pas un roman mais un essai d'un anthropologue sur la vie d'un chasseur innu. Serge Bouchard a recueilli le témoignage et les anecdotes de Mathieu Mestokosho dans les années 1970, il avait alors plus de 80 ans. Il nous parle donc d'une autre époque, où les innus vivaient dans la nature, avec la nature et chassaient pour se nourrir. J'ai trouvé ce livre passionnant. Je crois que je dois avoir un penchant pour les sciences humaines, la sociologie, l'anthropologie. J'aime découvrir comment vivent d'autres cultures. Je ne suis pas du tout portée sur la chasse mais on apprend effectivement les techniques de chasse et de conservation de la viande, le traitement des fourrures. J'ai appris beaucoup de choses sur les animaux chassés : le caribou, le porc-épic, la loutre, le castor, le lièvre, etc.
Il nous explique aussi les déplacements, les saisons, le campement, le rôle de chacun et surtout la solidarité entre innus. Ils partageaient leur nourriture avec ceux qui n'avaient rien ou avaient été malchanceux à la chasse. On parcourt à pied ou en canoë les paysages du Canada.
Le livre débute par un avant-propos très éclairant puis il est divisé en 7 chapitres : les souvenirs de jeunesse, les grandes chasses au caribou, un hiver dans la région de Uinukupau, réflexions sur la présumée paresse des Indiens, la vie quotidienne dans le bois, etc.
Les paroles de Mathieu Mestokosho sont retranscrites d'après les enregistrements sonores, si bien qu'au fur et à mesure, en lisant les sortes d'aventures de ce chasseur innu, on entend presque sa voix. Une voix qui nous parvient comme un miracle, puisqu'il n'y avait pas ou peu d'écrits sur cette époque, celle de « la dernière génération d'innus à avoir passé leur vie entière dans le Nitassinan, confrontés, de campement en campement, du lac Brûlé à la rivière Saint-Jean, aux incommensurables forces de la nature. » Une mémoire, un témoignage d'une grande valeur que je suis heureuse d'avoir lu. Merci aux éditions Dépaysage pour ce travail éditorial.
Je vous invite d'ailleurs à soutenir cette petite maison d'édition avec la souscription en cours pour leur prochaine publication. Il s'agit d'une biographie sur Laura Ingalls Wilder. Oui l'héroïne de la série TV que nous avons tous regardée il y a quelques années (et qui ne doit pas parler aux plus jeunes) ! Comme souvent la série est adaptée d'un livre.

Lien : https://joellebooks.fr/2023/..
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Ce texte est le témoignage, recueilli dans les années 1970 par l'anthropologue canadien Serge Bouchard, d'un Innu né à la fin du XIXè siècle. Texte certes intéressant et instructif, mais dont la lecture peut vite devenir lassante. La première partie, notamment, est la description d'interminables journées de chasse au caribou, qui finissent par toutes se ressembler. C'est certes un élément central de la culture innue, mais à la lecture, c'est un peu fastidieux. La deuxième partie m'a davantage intéressé ; la chasse y reste omniprésente, mais on découvre entre deux des éléments sociaux et culturels : les traditions, les tabous, l'entraide, les relations avec les trappeurs blancs, les déplacements, les modes de conservations de la viande, la disette qui menace dès que la chasse ou la solidarité du clan familial s'enrayent. A lire donc, pour découvrir l'univers radicalement différent du nôtre du peuple innu. L'introduction et les (trop rares) notes permettent de remettre un peu de justesse dans notre perception des peuples autochtones "injustement honnis ou naïvement adulés"
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Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
Moi, jeune anthropologue, jeune homme du même âge que Georges, j’écoutais. J’avais tout à apprendre, je faisais mes premiers pas sur le terrain. J’observais, j’admirais, naïf jusqu’à l’âme. Je m’installais au portail d’un espace mental très différent du mien, moi l’urbain, le Montréalais, le Canadien français. Mais le mystère est grand : j’étais attiré comme un poisson par le courant de la rivière. J’avais tout à apprendre, mais c’était comme si je savais déjà. Ce monde m’était familier, comme si j’avais une partie de cet univers en moi.
— Georges, pourquoi n’écoutes-tu pas ton père quand il parle?
— Tous les vieux marmonnent ces histoires depuis toujours. Mon père se raconte à lui-même. Mais il sait que nous l’entendons, comme dans la tente…
— Que dit-il?
— Il raconte sa vie, la vie des Anciens, il raconte des choses, des légendes, c’est toujours le même disque…
— Nous devrions l’enregistrer…
— Oui, ce serait une bonne idée… et mon père serait content…
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Je pense qu’il fallait du courage pour faire ce que nous faisions. J’ai connu des familles qui revenaient à Mingan complètement découragées parce qu’elles ne trouvaient pas de caribou. Sans caribou, il faut manger son pain et ensuite il faut retourner chercher des provisions au village. Mais pour avoir des provisions, il fallait tuer des animaux à fourrure. Pour tuer des animaux à fourrure, il fallait d’abord tuer des caribous. C’était le caribou le plus important. Sans le caribou, personne n’aurait eu la force de travailler comme on le faisait. Le caribou donne de la force, du courage. Il est difficile à trouver. Mais il faut le trouver. Les familles se décourageaient faute de trouver le caribou.
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Quelques jours plus tard, nous quittions North West River pour revenir dans le bois. Là, c’étaient les caribous qui nous intéressaient le plus. La chasse au caribou nous éloignait du campement familial, nous, les hommes, pendant quatre semaines. En notre absence, les femmes ne souffraient pas de la faim. Elles chassaient, comme je l’ai déjà dit. Elles abattaient des bouleaux. Vous savez que cela attire les lièvres. Alors, là où elles avaient coupé les bouleaux, elles faisaient plusieurs collets. Elles vérifiaient les filets sur le lac.
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C’était important d’avoir de la viande. Les Anciens se nourrissaient avec de la viande. Nous aussi, nous mangions seulement de la viande et de la graisse. On était habitué. La farine, le sel, le sucre et la graisse du magasin, le chasseur essayait toujours de s’en passer. Nous en gardions le moins possible. On calculait toujours ce qu’on prenait en essayant d’en consommer très peu. Les seules choses dont le chasseur ne pouvait pas se passer pour lui-même, c’étaient le thé et le tabac. Nous aimions boire du thé et fumer.
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Nous étions bien, nous étions bons. Nous avons senti votre mépris, mais nous avons tenu à notre dignité : la terre natale est sacrée. Elle était belle, nous étions beaux.
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