Dans «
Chambre avec vue sur la guerre », la journaliste française
Edith Bouvier, grièvement blessée à la jambe dans un bombardement du quartier Baba Amr, à Homs, en Syrie, nous livre un témoignage poignant des dix jours qu'elle a passés « en enfer » avant d'être exfiltrée et soignée en France : « J'ai senti que j'étais blessée, se souvient
Edith Bouvier. Mon premier réflexe a été de vérifier que j'avais toujours mes jambes. William m'a aidé à me relever, et au moment de sortir, nous avons vu Marie et Rémi, étendus sur les marches …».
Edith Bouvier ne nous épargne rien : les bombardements et leurs dégâts collatéraux, les hôpitaux et les dispensaires « sauvages » situés le plus souvent dans les sous-sols de maisons partiellement détruites, les réfugiés qui fuient dans la nuit, courbés et trébuchant dans d'anciennes canalisations désaffectées, s'éclairant à la lumière des rares portables en état de fonctionnement, le viol de jeunes femmes et d'enfants organisés par les milices du régime (page 86), les récits de blessés découpés et éviscérés à la fin d'une manifestation pour effrayer les opposants (page 76) …
Au-delà du film des événements et des atrocités commises par les forces gouvernementales, posant ses yeux sur le monde qui l'entoure,
Edith Bouvier se souvient de l'humanité des insurgés Syriens qui lui ont sauvé la vie : « Ils m'ont traitée comme une soeur, même si je suis chrétienne. Ils ont risqué leur vie pour nous, pour nous remercier de les aider à faire reconnaître leurs souffrances. Mais aussi parce que si j'étais morte dans les mains de l'armée libre, le régime l'aurait utilisé contre eux ». Elle se souvient également d'Abou Ahmed qui apportait (page 116) chaque jour des chocolats, des bonbons et quelques chewing-gums aux réfugiés …
Journaliste,
Edith Bouvier répond aux objections concernant l'utilité des correspondants de guerre : « La plupart des gens nous reprochent de prendre des risques inconsidérés, mais c'est faux, ce sont des risques mesurés. Je ne retournerai peut-être pas tout de suite en Syrie, mais je veux continuer à raconter, à témoigner, à ne pas oublier ».
Quand on lui demande pourquoi avoir fait de cette expérience un livre,
Edith Bouvier signale qu'il fallait qu'elle raconte le calvaire des Syriens, qu'elle porte haut et fort leur message de courage : « Ce livre c'est ça, c'est raconter leurs espoirs, leurs peurs, et ces bombes qui tombent sur leurs têtes inlassablement de jour comme de nuit ». Mais ce livre est également une thérapie pour
Edith Bouvier : « J'avais besoin de mettre des mots sur des visages, sur des destins. J'ai repris ma vie normale, j'ai appris sur moi, j'ai grandi avec, à l'intérieur de moi, Rémi, les Syriens qui vivent un enfer depuis près de deux ans ».
Journaliste,
Edith Bouvier fait son boulot, investiguant toutes les pistes, collectant les faits, contrôlant ce qui lui est rapporté, analysant le tout ; elle y voit assez clair dans ce conflit où l'image de l'opposition syrienne est parfois confuse dans les médias qui y voient parfois le fait d'hommes isolés, de rebelles, de djihadistes, d'extrémistes que les clans opposent.
Et elle n'hésite pas, au passage, à égratigner la diplomatie française : « L'aide n'est toujours pas suffisante, la France essaye de faire parvenir quelques millions d'euros, mais ce n'est pas assez car elle est seule à tenter d'apporter de l'aide sur le terrain. Tant que les autres pays ne se joindront pas à elle pour apporter de l'aide humanitaire, alimentaire, des hébergements et des médicaments pour les populations civiles, nous restons les bras croisés devant un crime de masse ». Quand on lui demande quelle fin elle voit à ce conflit,
Edith Bouvier répond : « Il me semble qu'on est devant le scénario du pire, quelque chose qui s'enlise et qui va durer ».
Paru chez Flammarion en octobre 2012, ce livre se lit d'une traite, comme un thriller. Ce n'est pas de la grande littérature mais c'est le témoignage de quelqu'un qui y était, qui a vu, qui en est revenu vivant et qui « rend compte de ce qui s'y passe, car (page 34) c'est son métier ».