Récit mythique, récit de voyage, bien plus encore. En 1953 et 1954, deux jeunes amis, à bord d'une vieille Fiat retapée, se retrouvent dans les Balkans, et à partir de là, prévoient "la Turquie, l'Iran, l'Inde, plus loin peut-être. Nous avions deux ans devant nous et de l'argent pour quatre mois. le programme était vague, mais dans de telles affaires, l'essentiel est de partir." "Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui-même. On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait."
Ils comptent vivre de l'écriture, articles aux journaux locaux, conférences, cours de langue- pour
Nicolas Bouvier, ou de peinture- pour
Thierry Vernet.
Récit fabuleux, plus de soixante ans ont passé, la Yougoslavie a explosé, et inutile de raconter la Turquie, L'Iran, l'Afghanistan. Quoique, quand je sors d'un rêve jaloux, mis à part ce dernier pays, tout demeure possible (et je sais que les Afghans arrivant en Europe, justement, ont traversé la frontière pour se rendre d'abord en Iran)
Tâchons de nous concentrer sur le récit de
Nicolas Bouvier. Déplorons l'absence d'une carte du trajet, qui m'a obligée à fouiner dans mes atlas. A part ça, on y est : odeurs, couleurs, impressions, ambiances!
Mais depuis j'ai trouvé cela , et finalement rêvasser sur les noms des villes sans trop les situer, ce n'est pas plus mal...
Grèce "Les poissons frits brillent comme des lingots dans nos assiettes, puis le soleil s'abîme derrière une mer violette en tirant à lui toutes les couleurs."
Turquie : "L'admirable mosquée de bois où vous trouveriez justement ce que vous êtes venu chercher, ils ne penseront pas à la montrer, parce qu'on est moins sensible à ce qu'on a qu'à ce dont on manque."
Tabriz, où ils passeront l'hiver
"Jamais le travail n'est si séduisant que lorsqu'on est sur le point de s'y mettre.; on le plantait donc là pour découvrir la ville."
(communauté arménienne à Tabriz) "le dimanche à l'église, on chantait tout naturellement à quatre voix: depuis le temps qu'ils se connaissaient, on savait bien que le clan des Arzrouni donnait plutôt des basses, et que les Mangassarian étaient dans les ténors."
Tabriz toujours, avec les Américains désireux de construire des écoles. "Les cadeaux ne sont pas toujours faciles à faire quand les 'enfants' ont cinq mille ans de plus que Santa Claus."
Iran "Moi, ce qui m'y frappe le plus, c'est que l'état lamentable des affaires publiques affecte si peu les vertus privées. A se demander si, dans une certaine mesure, il ne les stimule pas. Ici, où tout va de travers, nos avons trouvé plus d'hospitalité, de bienveillance, de délicatesse et de concours que deux Persans en voyage n'en pourraient attendre de ma ville où pourtant tout marche bien."
Le Baloutchistan (je place cela entre l'Iran et l'Afghanistan, quoique techniquement en Iran)
"Le Baloutch est plutôt sûr de lui. Son aisance morale éclate dans ce sourire qui flotte à hauteur de barbe et dans le drapé de hardes toujours propres. Il est très hospitalier et rarement importun. Par exemple, ils ne se mettent pas à cinquante pour ricaner bêtement autour d'un étranger qui change sa roue; au contraire, ils offrent du thé et des prunes puis vont chercher un interprète et vous harassent de questions pertinentes.
Pas follement épris de travail, ils se livrent volontiers à la contrebande sur les confins persans, et tirent des fusées vertes pour attirer les merveilleuses patrouilles du Chagaï Frontier Corps pendant que les sacs changent de main sous l'oeil de dieu à l'autre bout du désert."
Frontière afghane, justement : "Nos visas étaient expirés depuis six semaines. Il l'avait déjà remarqué sans en être autrement ému. En Asie on ne tient pas l'horaire, et puis, pourquoi nous refuser en août ce passage qu'on nous accordait pour juin? En deux mois, l'homme change si peu."
Plus loin "Il faut un passeport de la police de Kaboul.(...) Ce permis est souvent refusé; mais lorsqu'on lui fournit une raison simple, évidente et qui lui parle -voir du pays, vagabonder - la police est bonne fille. (...) En ajoutant que je n'étais pas pressé, j'ai obtenu mon permis tout de suite."
On l'aura compris, j'ai adoré ce récit, admirablement écrit. Signalons que de belles notions de mécanique (et de la patience!) ont été bien utiles à nos deux voyageurs...
Un incontournable, qui sera prolongé ou accompagné par
L'oeil du voyageur, paru chez Hoebeke.
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