Le talent de
ROB-VEL (1909-1991),
JIJÉ (1914-1980) et
André FRANQUIN (1924-1997) a trouvé en la personne d'
Emile BRAVO (né en 1964) un digne successeur.
Ils sont là et bien vivants, "nos" trois petits personnages immortels, créés par eux dans les Lumières de l'Après-guerre bruxelloise : ce bon Spirou (le groom au coeur généreux), dûment suivi de son écureuil terrestre (ce souple Atlantoxerus getulus, dit "Le Spip") mais aussi de son benêt de vieux pote de
journaleux vantard, un échalas répondant au patronyme de Fantasio (particulièrement reconnaissable aux cinq cheveux en épis ornant le haut de son crâne, le futur chefaillon furax de cet emblématique parasite de Gaston Lagaffe).
Êtres faits de chair, d'errances, de rêves brisés, de méfiances et de doutes... Tellement incertains, tellement humains...
On a certes déjà dû y songer avant nous, mais tant pis, osons-les, nos... "Et (trois cent) mille bravos à
Emile BRAVO !!! "... et ils sont VRAIMENT très sincères.
C'est qu'il y a ici encore plus que du talent : de l'authenticité, qui saute aux yeux et au coeur à chaque page (et il y en a 90 par tome)...
Un fabuleux retour aux sources de la fameuse "Ligne Claire" due à la désormais mythique Ecole bruxelloise bédéesque (globalement hergéenne) de l'Après-guerre...
Les coloris ocres-bruns (bravo là encore à la coloriste
Fanny Benoît !), la suggestion des papiers peints décrépits, les hachurés gris-noirs recréant pour nous l'obscurité angoissante des ruelles bruxelloises... Entre la "
Rue des Boutiques Obscures" de
Patrick MODIANO (jamais lu par nous-même), la "Rue des Crocodiles" et "
Les Boutiques de Cannelle" de notre cher
Bruno SCHULZ (adulé de quelques-uns mais oublié de tous).
Bref, rien de ces productions blasées-rétro-feignasses à graphisme branchouille/putassier pour Parigots inattentifs... On est ici à cent-mille lieues au dessus de la tambouille habituelle censée plaire à un public imaginé de Gros Bourrins incultes, si possible un maximum amnésiques !
Univers tellement unique, solidement documenté (se souvenir de l'exigence légendaire du bon
HERGE sur ce point), étrange et inspiré...
Nous trouvant à la fois plongés dans "Les Chapeaux noirs" [1950] et "Spirou et les Héritiers" [1952] d'
André FRANQUIN mais aussi dans "Lacombe Lucien" [1974] et "Au revoir les enfants" [1987] de
Louis MALLE, puis nous éveillant en sueur dans la souricière décrite dans "
Le Pianiste" — l'inoubliable récit autobiographique de Władysław
SZPILMAN [1998] qu'adapta avec brio
Roman POLANSKI pour le cinéma [2002] — ou encore immergés en cette éruption de souvenirs dont la lave refroidie suscita la genèse de ce futur Classique qu'est "L'Arabe du Futur" de
Riad SATTOUF [2014, 2015, 2016, 2018 & 2020].
Extrêmement émouvant mais indescriptible...
Découvrez le couple Felka et Felix (le peintre "perché" et oublieux du reste), Kassandra l'amour perdu de Spirou, l'agente de liaison (et institutrice) dont s'éprendra le tendre Fantasio, Lucien le gamin influençable (possesseur d'un couteau et du ballon de foot de sa bande), P'tit Louis et sa frangine, les gamins footeux des terrains vagues de ce quartier de Bruxelles, le petit théâtre de marionnettes "Le Farfadet" monté par les deux compères, le personnage de GranChapô et son modèle jésuitique... Ces temps tiraillés par la faim et la misère de ce grand Bruxelles aux façades de briques rouges, cette "Petite Mère aux griffes" dont parlait
Franz KAFKA (pour évoquer Prague), se trouvant soudain plongée dans le fracas des semelles cloutées et l'obscurité des couvre-feu de l'Occupation, aux trains qui s'éloignent des quais et partiront bientôt vers des destinations de plus en plus inconnues...
Du train matinal pour l'Allemagne où s'embarque ce grand naïf de "Fanta" (pensant partir avec son Contrat de Travail dûment contresigné pour l'Usine "de Coutellerie" Messerschmitt à Augsburg) aux toutes premières pages, jusqu'à celui aux vitres scellées où sont raflés et menés (la plupart en confiance) adultes et enfants "de confession israélite" à la nuit tombée de la dernière page, ce "Deuxième Tome" s'apparente à une véritable Odyssée de l'incertitude régnante. Humble, troublante et déchirante chronique du quotidien morne et dangereux de ces Années sombres...
Le sympathique blond (si bien peigné) qui vous promet vos faux-papiers (que vous devrez payer "plein pot") peut être le même que l'on surprend finalement dans la grosse Berline noire de l'Occupant...
Le rêve de Spirou (entremêlant les silhouettes de Fantasio et de GrandChapô de façon effrayante) rappelle le cauchemar saharien du Tintin torturé par cet ivrogne de Cap'taine Haddock dans "Le Crabe aux Pinces d'Or" [1941] de
HERGE.
Mais vous laissant découvrir l'extrait de l'Encyclop' en Ligne "Wikipedia" qui lui est consacré :
« En 2008, [
Emile BRAVO] rend hommage à un classique de la bande dessinée franco-belge en signant le quatrième tome de la collection "Une aventure de Spirou et Fantasio par"…. Intitulé "Le
Journal d'un ingénu", cet album imagine les origines du groom inventé par
Rob-Vel soixante-dix ans plus tôt, et connait un large succès critique et commercial. [...] Bravo s'attelle en effet à un projet qui l'occupe durant la quasi-totalité des années 2010 : une suite au "
Journal d'un Ingénu", qui plonge cette fois le groom dans la Seconde Guerre mondiale. Quatre tomes sont prévus pour ce récit de plus de 300 pages intitulée "SPIROU" ou "L'ESPOIR MALGRE TOUT". le premier album, sous-titré "Un Mauvais Départ", sort à la rentrée 2018, après une pré-publication dans le"
Journal de Spirou" en mai de la même année. [...] La deuxième partie intitulé "Un peu plus loin vers l'horreur" paraît en octobre 2019. La troisième partie intitulée "Un départ vers la fin" paraît le 1e octobre 2021. »
Nous sommes décidément au coeur du grand Art : celui d'une culture populaire qui saura patiemment construire une belle notoriété à ce Classique de demain.