Une anthologie poétique sur le thème de l'eau ? C'est le pari un peu osé qu'a tenté
Jean Breton au travers de son ouvrage «
Les plus beaux poèmes sur l'eau », publié en 1999 au Cherche midi éditeur.
De la source qui coule à travers champs et va jusqu'à l'océan, des nuages qui traversent le ciel et apportent la pluie ou la neige, de la rivière dont monte l'épais brouillard, de la tempête jusqu'à l'accalmie, d'une balade en barque sur une rivière jusqu'au navire perdu en haute-mer, de la rosée du matin jusqu'à l'irrigation du jardin, du besoin de se désaltérer jusqu'aux larmes qui coulent au souvenir du temps passé, tout va au fil de l'eau dans ce bel ouvrage.
Dans ce recueil figurent bien évidemment des
poèmes intemporels comme
le lacDe Lamartine (que je relis toujours avec émotion),
le Pont Mirabeau d'Apollinaire ou encore le bateau ivre de
Rimbaud, mais à leurs côtés sont rassemblés de nombreux autres textes qui viennent irriguer tout un chant d'imaginaire, tel ce poème de
Robert Desnos :
« ENFIN SORTIR DE LA NUIT –
Enfin sortir de la nuit,
Sortir de la boue.
Ho ! Comme elles tiennent aux pieds et aux membres,
La nuit et la boue !
Ce chemin me conduira aux rivières claires où l'on
se baigne entre deux rives de gazon.
Rivières ombragées par les arbres,
Effleurées par l'aile des oiseaux,
Eau pure, eau pure, vous me lavez.
Je m'abandonnerai à ton courant dans lequel
naviguent les feuilles encore vertes que le vent fit tomber.
Eau pure qui lave sans arrêt les images reflétées.
Eau pure qui frissonne sous le vent,
Je me baignerai et je laisserai le reflet de moi-même en toi-même,
eau pure !
Tu le laveras, ce reflet où je ne veux me reconnaître,
Ou bien emporte-le, loin,
Jusqu'aux océans qui le dissoudront comme du sel. » *
Divisé en six chapitres comme en autant de thèmes (Portrait de l'eau, L'eau et la nature, L'eau et le rêve, L'eau, la femme, l'
amour, L'eau et l'écriture, L'eau et le destin),
Jean Breton a réuni des textes en vers et en prose d'auteurs de la Renaissance (
Pierre de Ronsard,
Charles d'Orléans,
Louise Labé,…), de représentants du romantisme (Lamartine, Hugo, de
Nerval,…), du symbolisme (
Baudelaire,
Rimbaud,
Verlaine, Mallarmé,…), du surréalisme (
Apollinaire, Éluard,
Desnos et
Aragon) et plus contemporains comme Ponge, Jabès, Bonnefoy et Chonez. Autant d'époques, de noms et de tendances qui forment les précieuses variations de cette anthologie.
Écrire l'eau, comme une tentative de confondre son pouvoir imaginaire avec le réel, de mettre le rêve en mesure de signifier, de traduire en impressions, en images toute son inépuisable dimension poétique. Ecrire l'eau, pour tendre l'abstrait jusqu'à l'universel, l'éphémère jusqu'à l'immuable.
Ici, ce poème d'
Yves Bonnefoy :
« IMAGINE QU'UN SOIR...
Imagine qu'un soir La lumière s'attarde sur la terre, Ouvrant ses mains d'orage et donatrices, dont La paume est notre lieu et d'angoisse et d'espoir. Imagine que la lumière soit victime Pour le salut d'un lieu mortel et sous un dieu Certes distant et noir. L'après-midi A été pourpre et d'un trait simple. Imaginer S'est déchiré dans le miroir, tournant vers nous Sa face souriante d'argent clair. Et nous avons vieilli un peu. Et le
bonheur A mûri ses fruits clairs en d'absentes ramures. Est-ce là un pays plus proche, mon eau pure ? Ces chemins que tu vas dans d'ingrates paroles Vont-ils sur une rive à jamais ta demeure « Au loin » prendre musique, « au soir » se dénouer ? » **
Divers par le style et la signification, par la forme et le rythme, tous les
poèmes contenus dans cette anthologie parlent du parcours d'une vie qui va de la source jusqu'à l'estuaire, qui s'écoule avant de se jeter dans l'immensité de l'océan. L'eau possède en elle notre présence, elle est le seul élément de la nature qui contient notre reflet et le rythme du temps qui passe. C'est peu de le dire, mais c'est déjà immense :
«
LE LAC
Ainsi toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
Jeter l'ancre un seul jour ?
Ô lac ! l'année à peine a fini sa carrière,
Et, près des flots chéris qu'elle devait revoir,
Regarde ! je viens seul m'asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s'asseoir !
Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes ;
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés ;
Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés.
Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ;
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.
Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos ;
Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère
Laissa tomber ces mots :
« Ô temps, suspends ton vol, et vous, heures propices,
Suspendez votre cours !
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !
(…) » ***
(*)
Robert Desnos - le Satyre, extrait de
Fortunes, 1942.
(**) le dialogue d'angoisse et de désir, extrait de
Pierre écrite, 1965.
(***)
Alphonse de Lamartine,
le Lac extrait de
Méditations poétiques, 1820.
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