Dimensions (carnets 1993) Mercredi 8 décembre
Je ne crois pas aux penseurs, qui se sont débrouillés pour se procurer une place dans la société et qui, ensuite, ne manquent pas de se singulariser sans cesse par des trouvailles verbales de salon. Je ne puis rencontrer une célébrité brillante sans aussitôt l'imaginer avec des coliques et des boutons sur les fesses, des embarras gastriques et toutes ces petites misères qui sont notre quotidienne réalité. Il faut avoir l'intelligence de notre condition – rester modestes. Nous allons tous mourir, victimes d'angoisses, tous redevenus des petits enfants apeurés qui supplient qu'on leur tienne la main pour mourir – ce que je veux voir chez l'homme célèbre, comme chez les autres, c'est l'homme qui est en train de mourir. Cet homme là m'émeut, je l'aime et je lui pardonne tout.
Ne jetez pas vos perles devant les pourceaux. L’expérience nous prouve abondamment que, dans sa substance, le fait culturel ne saurait être partagé que par élection, et qu’on perd son temps et ses illusions à prétendre enseigner qui ne saurait l’être. Ici aussi les destins sont établis — sans possible fléchissement.
Certes, le mépris et le dédain ont à cet égard des vertus, mais insuffisantes, dans la mesure où la médiocrité a la particularité d’être tenace. Se risquer à l’amender apparaît vite inutile, ajoutant à l’impuissance intellectuelle — et voilà qui procure à l’âme bien du trouble dont, dans sa force chthonienne, la médiocrité reste désespérément ignorante.
Ce qui chez les êtres se révèle médiocre m’indispose jusqu’à la colère, l’ombre de la haine condescendante. Je m’efforce de me maîtriser, sans trop souvent de victoire, commettant alors une faute plus grave encore, celle de craindre de la clémence la mutilation de ma personnalité.
Les jugements de l’appareil critique m’indiffèrent. Ne jugent que ceux qui n’ont rien fait eux-mêmes. Seule vaut la création. La révélation de soi par le dynamisme de l’art.
Virginie Despentes accompagnée par le groupe Zëro : Éric Aldea (guitare), Ivan Chiossone (claviers), Frank Laurino (batterie)
Son : Wilo
Depuis Baise-moi en 1994, Virginie Despentes s'est imposée comme une écrivaine majeure avec notamment Les Jolies Choses (prix Flore 1998), Teen Spirit, Apocalypse bébé (prix Renaudot 2010) ou encore son essai King Kong Théorie. C'est qu'il y a chez elle une énergie d'écriture salutaire et sans concession, mais aussi une intelligence rare. L'acuité de son regard sur le monde contemporain (tantôt hilarant, tantôt glaçant de vérité), on la retrouve dans la « série » Vernon Subutex, fresque incroyable en trois tomes. Personne n'échappe à Virginie Despentes et, en même temps, elle sait très bien qu'il est jouissif de canarder à tous crins. Elle s'efforce donc de prendre à bras-le-corps, et d'aimer aussi, cette galerie de personnages ultramodernes qu'elle met en scène.
Ce soir elle vient accompagnée du groupe de rock Zëro pour payer une dette littéraire : celle qu'elle doit au mythique Requiem des innocents de Louis Calaferte.
À lire – Virginie Despentes, Vernon Subutex 3, Grasset, 2020.
À écouter – Zëro, « Requiem des Innocents » (avec Virginie Despentes), 2LP Ici d'Ailleurs, 2020.
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