"
American Predator" raconte le parcours meurtrier d'un des tueurs les plus méconnus et insoupçonnés des États-Unis. Personnellement, je n'avais jamais entendu parler d'Israel Keyes, né en 1978, et j'en suis bien heureuse ! Ce documentaire fait froid dans le dos !
Comment quelqu'un d'aussi jeune a-t-il pu commettre des actes aussi épouvantables et impossibles à prévoir ? On pense, sans preuves formelles, que certaines disparitions et meurtres pourraient lui être attribués dès 1996...
Nous avons affaire à un être calculateur, organisé, efficace, expérimenté...un véritable animal sauvage, mais bien pire encore parce rien ne transparaît derrière un masque des plus ordinaires. Une machine à tuer bien huilée. Intelligent, caméléon, un danger public qui n'hésite pas à traverser le pays de bout en bout en voiture ou en avion en seulement deux-trois jours pour trouver ses proies et se débarrasser des preuves. Trop méticuleux, trop brillant, trop psychopathe.
Autant j'ai détesté cet être ignoble de même que tous ses actes répertoriés, autant j'ai été fascinée par l'ampleur de l'enquête et la transparence démontrée par les agents du FBI impliqués dans l'interrogatoire - se déroulant sur plusieurs mois. Si le grand public n'aura jamais accès à la totalité des données, plus d'une décennie plus tard, cet ouvrage n'hésite pas à dévoiler plusieurs bavures policières, erreurs judiciaires et vices de procédure en cours de route. le lecteur éprouvera une panoplie d'émotions déplaisantes en lien avec cette affaire. Un cas unique en son genre. Colère, dégoût, indignation, sentiment d'impuissance. En général, les tueurs en série se font prendre à cause de leur mode opératoire, répétitif. Pas celui-ci ! Israel Keyes est passé à deux doigts de filer. Terrible, quand on pense que l'homme a été saisi presque par hasard ! Combien de victimes a-t-il faites ? Combien ont été évitées grâce à sa capture ? Peut-être ne saurons-nous jamais...
"Les plus grands profileurs criminels du FBI sont à court d'idées. Tout ce qu'ils peuvent dire à l'équipe chargée de l'affaire, c'est que Keyes est un des sujets les plus terrifiants qu'ils aient jamais rencontrés. Il n'existe pas de précédent pour un tueur en série usant de ce mode opératoire: pas de victime type, pas de lieu de prédilection pour la traque, le meurtre ou l'élimination des cadavres (...), des caches enterrées dans tout le pays..."
Le travail de recherche effectué par
Maureen Callahan est colossal ! le récit est construit comme un roman, sans en être un, additionné de véritables extraits d'interrogatoire. C'est un livre très habilement rédigé, clair, concis, compact mais bien structuré...en plus d'informer la population sur les dessous des interrogatoires et des chasses policières. Point de vue émotionel, on reste d'une certaine façon estomaqués, figés. Cela prend du temps à digérer, à trouver les mots, à mettre de l'ordre dans notre tête, ébranlant toutes nos convictions. Quelle étrangeté aussi, quel malaise de voir ensuite sur Internet les lieux, les vrais visages derrière les noms de certaines victimes et de savoir ce qu'il leur est arrivé de la bouche du prévenu.
"Lorsqu'il a dit qu'il accepterait de parler de certaines victimes, il a ajouté: 'Mais seulement pour les États-Unis.'"
Lorsque je suis tombée sur ce passage, j'ai eu des frissons sur les bras. Une disparition d'une gamine de douze ans a eu lieu par chez nous en 2007; le coupable n'a jamais été retrouvé ni l'issue résolue, les dates pourraient concorder. Keyes dit lui-même avoir voyagé souvent au Canada, dont plusieurs fois à Montréal...lui pour qui "voyager" n'a pas le même but récréatif que monsieur et madame Tout-le-monde... Je n'ai pas pu m'empêcher de penser à lui pour cette disparition. Évidemment il serait impossible de savoir...
Normalement, c'est en plein le genre de thriller qui tiendrait en haleine - pour autant que cela reste de la fiction ! Ici, on accroche pour différentes raisons, mais ce n'est pas par plaisir.
En gros, je considère "
American Predator" comme une oeuvre de psychologie et j'en ressors consternée. Les images resteront gravées longtemps. Une lecture qui n'a pas pour but de divertir; malgré cela, on ne peut lâcher le livre parce qu'on voudrait tant les réponses à tous les "pourquoi". Des questions réelles, un besoin de comprendre l'incompréhensible. Un besoin de justice. Pour les victimes. Pour leurs familles. le sentiment de frustration est fort. Celui de vouloir punir, aussi.
Qui plus est, le parcours du meutrier s'est passé à une époque où nous avons tous encore des souvenirs récents, donc ça reste très actuel. Pendant toutes ces années, n'importe lequel d'entre nous aurait pu être le malchanceux à croiser sa route...
Et à la fin, on ne peut s'empêcher de s'interroger: combien d'autres mauvaises graines comme Israel Keyes se terrent dans la société ni vu ni connu, attendant de germer ou sévissant déjà impunément ?
CHALLENGE PLUMES FÉMININES 2024