C'est un conte burlesque, je ne vois pas d'autre manière de le qualifier, que ce Chevalier inexistant d'
Italo Calvino. le conte (son thème, son but), on en suit le fil au début, du moins le croit-on.
L'homme parfait, celui qui montre tant de bravoure en toute chose, qui n'échoue jamais et réussit tout à la perfection, mais aussi applique toutes les règles, tous les principes, tous les préceptes, même les plus absurdes, n'existe pas. du reste, quand il se manifeste sous la forme du chevalier inexistant, il agace ses comparses, qui l'évitent et l'ignorent. Et, au fond, le détestent. Car ce parangon de vertus n'a aucune empathie pour son prochain. Se tenant sur le droit fil de l'exact vérité des circonstances et des faits, dénué d'humour et de souplesse, il est d'une froideur mortelle, incapable de sentir ni l'amour ni l'amitié d'autrui. En un mot, il ne vit pas.
Il a son exact opposé. Son écuyer Gourdoulou vit tout et adhère à tout ce qui l'entoure. Etre fantasque et sympathique, il est tant attiré par la vie qu'il s'y vautre sans retenue et s'y perd. Si le chevalier sait qu'il n'existe pas, Gourdoulou ne sait pas qu'il existe. L'un a une conscience trop aigüe de lui-même, qui ne le rend pas heureux, l'autre en manque dramatiquement, et ne peut profiter de son bonheur d'être.
On aurait pu s'arrêter là. Mais
Calvino complexifie son petit théâtre. Il y a aussi l'apprenti chevalier Raimbaud qui admire celui qui n'existe pas, rêverait d'être comme lui, et va de déception en déception en tentant de gagner son amitié. Et puis, pour boucler la boucle, il y a encore Bradamante, femme guerrière, amoureuse de celui qui n'existe pas. Amoureuse d'une image, donc, et non d'un homme, perdue dans sa croyance que cet homme idéal, fantasmé et rêvé, existe bel et bien en la personne du chevalier inexistant.
Je vous passe Thorrismond et Sofronie, qui surgissent au milieu du récit pour le relancer (il en avait un peu besoin…) et qui, de fil en aiguille, dénouent un imbroglio dans un twist final digne d'une pièce de boulevard. La toute fin amène notre Bradamante, en un nouveau twist, à comprendre que l'homme idéal n'existe pas (de fait,
le chevalier inexistant, etc, mais je crois que vous avez compris…) et de se tourner enfin vers le jeune Raimbaud, qui est un homme véritable avec toutes ses imperfections, mais qui fera bien l'affaire.
J'ai lu cette trilogie d'
Italo Calvino (
le vicomte pourfendu,
le baron perché,
le chevalier inexistant) au début des années 80, à une époque où on portait aux nues ces courts récits. J'avoue avoir été un peu déçu. Je me suis ennuyé. le texte a vieilli. Il n'a pas la force que je croyais y voir dans ma jeunesse, ou bien j'ai perdu la capacité de percevoir cette force. Allez savoir.